--Taranis
[ Lieu inconnu, date inconnu ... ]
Le sang battait à ses tempes. Il avait reçu pas mal de beignes dans la gueule, à croire qu'il était revenu au temps où son père le battait comme plâtre, et l'enfermait dans la cave. Il n'ouvrit pas les yeux, pas encore, mais il sentit une odeur d'humidité, une odeur discrète de champignon et de moisi. Une cave. Taranis remua, il sentit la douleur aux poignets, aux chevilles... Il était attaché, entravé. Il ouvrit les yeux, découvrant la pénombre, l'endroit sordide où il était. Attaché comme une bête. Un rugissement naquit au fond de sa gorge, et il essaya de remuer, s'arcbouter, sur la croix à laquelle on l'avait attaché. Qui avait fait ça? La mémoire lui revint. La donzelle, sa belle muse, l'ange noir, le bourgeois. Puis le castillon, la bagarre et l'inexplicable trou noir, alors qu'il allait gagner contre l'homme et lui broyer la virilité. On l'avait aidé!
Libère moi, fils d'morue! Fôt en cul! Vil pourceau, même pas foutu d't'battre en homme!
--Sybil
Cinq jours qu'Alphonse a disparu. C'est bizarre. Généralement, quand une pute disparaît, c'est qu'on l'a zigouillée dans une ruelle après l'avoir besognée. Ou avant, selon le degré de démence de l'assassin. Mais Alphonse n'était pas une pute. Du moins, pas aux dernières nouvelles. Et disparaître sans laisser de traces ne semblait pas spécialement le genre du jeune père. A moins que toute cette histoire de paternité lui ait tourné les sangs. Qui sait. En tout cas, Sybil était assez inquiète, bien que compensait cette inquiétude par un surplus de rires et de bonne humeur, qui devaient finir par agacer tout le monde.
Mais là, la Nymphe était prête pour une nouvelle nuit. En avance, certes. Mais elle avait une excuse, une nouvelle robe violine au décolleté absolument indécent. Petit à petit, la garde-robe s'étoffait, et la blonde n'en était que plus ravie.
Étrangement, tout était un peu trop calme à la Maison-Haute. Adryan n'était pas à son poste habituel. La fouine s'en va donc remuer la Maison-Basse. Et en tendant bien l'oreille... Elle entendit que ça gueulait. Au niveau de la cave. Il se passe toujours des choses bizarres, dans les caves. Un rapport avec Alphonse ? Il faut qu'elle en ait le coeur net. Mais la guêpe n'était pas folle, elle ne descend pas là-dedans sans s'être préalablement armée... D'une poêle à frire. Certes. A coeur vaillant, rien d'impossible !
Laissant ses souliers dans le couloir, elle descend sur la pointe des pieds. Seul un très léger frottement de tissu sur le bois des marches pourrait la trahir, ou un petit craquement, mais quelle maison ne craque pas ? Quelques marches plus bas... Elle observe. Un homme, suspendu à une croix de Saint André. Qui lui rappelle vaguement celle de la Décadente. Et Étienne. Ils avaient installé une salle de torture alternative ? Ou bien... Quelque chose de plus important se tramait.
Elle hésite. Rester là, sans bouger ? Ou signaler sa présence ? Manifestement, la fatalité décide pour elle. Trop de poussière, elle éternue, et lâche sa poêle, qui retombe avec fracas au bas des escaliers. Pour la discrétion, c'est raté.
--Adryan
Il grognait le pourceau, laissant pleuvoir de sa bouche infecte insultes et provocations auxquelles le Castillon se contenta de répondre en caressant le pommeau de son épée ciselé de motifs orientaux dans un sourire malsain dambigüité. Se battre comme un homme ? A quoi aurait donc servi Taranis la tête transpercée de la gorge à larrière du crane par la lame aiguisée, gravant à jamais de stupeur le visage lourdaud ? Le plus dur justement avait été de le garder en vie, sans trop lamocher, et de cela, le coupable ne semblait pas encore conscient. Quimportait, il le comprendrait bien assez vite devant le sourire et le calme dEtienne. Le Castillon tardait à suivre les pas dHubert, le sang encore palpitant dadrénaline, quand soudainement un raffut du diable émergea derrière la porte. Sortant de sa torpeur sadique, Adryan fit volte face et déboula dans le couloir, ahuri de trouver devant lui la frimousse de la jolie Nymphe.
Que fiches-tu là ? Pesta-t-il en ramassant la poêle de la senestre tout en lui empoignant sans ménagement le bras de la dextre. Si tu veux me prouver tes talents de cordons bleus, cest en cuisine, là où est ta place de femme. Mais tu tombes bien en fait, jai faim, une omelette sera la bienvenue. Un sourire goguenard glissa à ses lippes quand en matière dufs à casser, cest Etienne qui sen donnerait à cur joie si peu de temps après que lui-même ait manqué passer à la casserole. Il glissa un regard sur le robe neuve, léger sourire conquis aux lèvres. En plus, tu vas te salir ici, grogna t-il lui-même dans un état déplorable. Et sans relâcher sa poigne du bras fin, Grimpe conclut-il dune voix qui nadmettait pas la discussion, lentrainant sans fuite possible vers les hauteurs du bordel. Non, décidément, ce qui se passerait derrière la porte refermée sur leurs dos nétait pas pour elle. Définitivement. Manière comme une autre de la protéger de lenfer qui souvrait dans les entrailles de lAphrodite.
--Taranis
Taranis, en fâcheuse posture, commençait à comprendre dans quel pétrin il s'était fourré. Jusqu'au cou. L'apprentissage de la peur et de la douleur commençait à peine, mais pouvait-il ressentir de la peine, ou de la compassion? Non, il était basique. Dans son monde, il avait été un maître, un tyran, un sale enfoiré. Pour lui tout se payait, tout se monnayait. Et il avait quelques principes. En affaires, on ne trahit pas, point. Du moins, les principes tenaient bon, jusqu'à ce que l'autre homme, dont il ne voyait pas les traits dans la pénombre, s'attaque à son vit. Douleur des douleurs... Il avait cru que son monde se déchirait, tandis qu'il hurlait, espérant que quelqu'un l'entende, avant que sa voix ne s'éteigne! Des voix, une voix féminine... Leozan? Il commençait à délirer, de peur et d'angoisse. L'ange noir, sa muse, qui était seule avec le bourgeois dans la cave. Elle n'avait plus son Taranis pour lui apporter à manger, l'aider lors de ses crises de démence, lui apporter ses potions... Il avait peur pour elle. Oui, quelque part dans son esprit pervers, il l'adorait. Mais non, le castillon détourna son ange salvateur.
Une onde de haine le traversa, malgré la douleur, malgré la peur. Il savait qu'il ne quitterait pas ce lieu, il le sentait. La douleur, il connaissait déjà. Il avait déjà bien subi avec son salaud de père, il n'avait pas envie de faciliter la tâche aux deux mauviettes qui le tenaient attaché... Et puis il fallait que Leozan finisse le travail, il voulait lui donner le plus de temps possible. S'il devait crever, il voulait servir à sa muse...
Sale mauviette de sodomite! T'crois que j'vais craquer? En m'broyant les bourses? Vas y, j'ai rien senti!
Ton ami, l'bourgeois... il pleurait comme un bébé... T'sais ... si j'meurs, tu l'retrouveras jamais. R'lâche moi, j'vous y mènerai... et on s'ra quitte. Prend vite ta décision, mon mignon... La donzelle, elle fait joujou avec.... il s'ra beaucoup moins beau après!
Il afficha un sourire en coin sur sa trogne déjà bien amochée... Si ça prenait, il pourrait les balader et peut être même leur fausser compagnie. Ça valait le coup d'essayer...
--Sybil
Tel le diable déboulant hors de sa boîte, Adryan surgit de Dieu sait où, elle ne l'avait pas vu. Et énervé, manifestement, ainsi que... Sale, et couvert de sang séché. Ce qui n'était absolument pas une excuse pour la façon dont il la traita. Une omelette. Sa place dans la cuisine. A présent qu'elle était rassurée sur la non-dangerosité immédiate des sous-sols du lupanar, le sang de la Nymphe ne fit qu'un tour dans ses veines, d'autant qu'il la forçait à battre en retraite.
- Aïe ! Tu me fais mal espèce de grosse brute !
Et histoire de continuer sur sa lancée, elle profite d'avoir une main libre pour lui taper un coup sur le bras, non dans le désir de lui faire mal ou même l'espoir qu'il la lâche, simplement pour manifester sa désapprobation. Certes, il y avait sans doute là-bas des choses qu'elle ne devait pas voir. Mais elle avait vu, pas assez pour que sa soif de comprendre soit rassasiée, et trop pour que sa curiosité ne s'éteigne.
Mais las, il était inutile de tenter de discuter avec la poigne de fer du Castillon. Mauvaise perdante, elle grogne, tout en le suivant dans l'escalier :
- En plus je vais avoir des marques. Je n'aurai pas un client ce soir, pas un !
La porte se referme. Et elle prend le temps de le considérer, des pieds à la tête, avant de se mettre à rire doucement. Sans explication, saisit sa grande main dans la sienne, et l'entraîne jusqu'à la cour intérieur, au puits, en passant par la cuisine où elle dérobe un torchon propre. Torchon qu'elle plonge dans le seau appuyé contre la margelle, et délicatement, entreprend de nettoyer le visage du brun.
- Qu'est-ce que tu as fait pour te retrouver dans un état pareil ? Gros dégueulasse !
Elle rit encore, mais celui-ci sonne creux. Elle est inquiète. D'abord la disparition d'Alphonse, maintenant ça... Qu'il parle, autrement lui aussi aurait droit à sa séance de torture, foi de Sybil !