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[RP] BCD - New Girl

--Sybil



Jupes à la main, deux femmes se glissent dans la ruelle boueuse et jonchée d'immondices. Ah, Paris !

- C'est là.

Avançant à petits pas prudents, la première s'arrête devant une porte cochère, dont elle actionne le heurtoir. Le bruit résonne dans l'étroitesse de la rue. Puis elle se retourne vers la seconde, et baisse le capuchon qui jusque là lui protégeait la tête, pour venir lui déposer un baiser sur le front.

- Tu ne restes pas ?
- Non.
- Comme tu veux.


La seconde, celle au visage découvert, sourit. Elle est un peu triste, mais ne le montre pas. C'est une nouvelle vie qui commence pour elle, loin des quatre murs rassurant du bordel de seconde zone dans lequel elle évoluait jusqu'à présent. L'autre écrase carrément une larme sur sa joue grêlée par la vérole.

- C'est une bonne place, ici. Pas de dette, pas de vieux dégoûtants...
- Je sais, il faut que je sois à la hauteur !


La voix est un peu agacée, comme si c'était quelque chose qu'elle avait déjà répété cent fois. Le portier ouvre l'huis. La première femme se place en retrait, la seconde se présente. Il lui fait signe de la suivre, il va l'introduire auprès du comptable. Alors, elle se retourne vers la syphilitique.

- A bientôt, Maman !

L'autre répond par un petit signe de la main. Elle savait qu'elle n'avait pas fait sa fille si belle pour rien. Elle serait heureuse, ici.

Fille que l'on mène jusqu'au bureau dudit comptable. Le portier s'éloigne, elle toque, trois coups secs. Remet en place une mèche platine derrière son oreille, se pince les joues pour les faire rougir, se redresse. C'est bon, elle est prête.



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Alphonse_tabouret
L’ennui le tenaillait peu, animal toujours occupé tantôt à ses propres activités, tantôt à celle des autres, perpétuellement en mouvement derrière l’immobilisme factice de son corps et si aujourd’hui il ne se concentrait sur rien, il restait pourtant assis à son bureau, attendant par un miracle quelconque que les habitudes ne reprennent place et ne le poussent enfin à accomplir sa tâche. Les oreilles trainant, la réflexion tournée ailleurs que vers la danse des chiffres, il perçut le butoir frapper la porte de la Maison basse, la hauteur pesante d’Hubert s’y dirigeant pour l’ouvrir, affutant l’attention pour percevoir, à défaut des mots, la tonalité des propos. S’il ne découvrit rien de cette façon, ce furent les pas tournés vers son bureau qui l’amenèrent à se redresser, comprenant que la visite était pour lui, curieux brusquement de savoir ce qui troublerait son quotidien quand il en avait besoin.

Entrez, répondit-il aux trois coups portés, découvrant non sans une certaine surprise la fraicheur sur le pas de sa porte sans pour autant se tromper une seconde sur le motif de cette visite impromptue.
Ses errances adolescentes et l’Aphrodite avaient fait défiler tout un catalogue de catins devant ses yeux, à ses bras ou à sa couche encore, ayant appris à discerner dans le pli de leurs sourires, les écorchures et les non-dits, et rares étaient celles dont il gardait l’empreinte de la fraicheur, d’un inexplicable souffle vivifiant, d’une lueur qui ne vacillait pas lorsque la prunelle hasardait son intérêt sur un autre, pitance à la bourse ou pas. Première ligne des débordements de l’âme, anges dépenaillés au service du fugitif, de l’oubli, qui épongeaient sans mot dire ce que l’on souhaitait cacher, elles emmitouflaient si vite dans les recoins de leurs âmes souillées l’essence de leur souffle qu’elles avaient vite en commun ce « je ne sais quoi » d’éteint dans le rire, qu’elles logent dans un appartement où la vue se diluait dans les remous de la Seine ou dans la chambre d’un quartier miteux.
Si le rouge des joues était certainement factice, l’allure ne l’était pas, gourmande, de l’épaisseur du regard à la pâleur de la peau délicate, la ligne de la silhouette encore cachée mais prometteuse de courbes dans le fuselé du visage blond.
Jolie. Mieux, pétillante.
Le chat ouvrit un œil intrigué.

Que puis-je pour vous, Mademoiselle ?

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--Sybil


«Entrez.»
Elle entre donc. La porte grince, elle la referme soigneusement. On ne laisse pas les portes ouvertes dans un bordel, c'est une habitude qu'elle a prise depuis son plus jeune âge. Un sourire point sur ses lèvres, et une fossette malicieuse se creuse sur sa joue, tandis qu'elle darde un regard plein de curiosité sur le comptable. Elle est d'autant plus intriguée qu'elle ne correspond absolument pas à l'image qu'elle se faisait d'un patron de bordel. Il était bien trop... Trop jeune, tout d'abord. Trop beau, aussi. Et il n'avait pas, dans le regard, cette rudesse qu'ont habituellement les souteneurs, qui savent en un froncement de sourcil faire infléchir les réflexions de leurs filles, ou en quelques coups de botte dans les côtes décider les plus récalcitrantes.

Elle savait. Maman lui avait bien dit que ce n'était pas le genre de la maison. Qu'il n'y avait pas vraiment de patron, à l'Aphrodite. Le lieu était l'utopie à laquelle rêvaient toutes les catins de Paris, et elle, avait une chance d'y accéder.

«Que puis-je pour vous, Mademoiselle ?»
Comment allait-elle tourner cela ? Ma mère m'a dit de venir alors je suis venue ? Non. Et faux, partiellement. Elle aurait très bien pu se marier à ce fils de boucher si elle avait voulu éviter de passer sa vie dans un lupanar. Mais non. Elle ne voulait pas abîmer sa jeunesse resplendissante à découper de la viande sur un marché, faire des gosses à la pelle et se faire peloter le cul par des hommes qui n'auraient même pas eu les moyens de s'offrir un baiser d'elle, même si elle était restée avec sa mère.

Alors quoi ? Déjà, elle met un frein à la vivacité de son regard. L'heure n'est plus à la découverte. Un peu nerveuse, elle remet la mèche rebelle en place derrière son oreille. Le sourire se fait un peu plus timide, on dirait une enfant qui n'ose pas prendre la parole devant sa classe pour réciter sa leçon, et qui minaude le temps de rassembler tout son courage. C'est parti, et son timbre un peu grave se fait entendre, contrastant avec la juvénilité de ses traits.


- Messire Tabouret. Bonjour. Je me nomme Sybil, j'ai dix-sept ans, et... Je cherche une place. On m'a conseillé l'Aphrodite.

Ce devait être assez explicite ainsi.

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Alphonse_tabouret
Explicite cela l’était, comme l’ensemble des petits gestes sur Sybil semait dans sa présentation, de la porte fermée au sourire qui creusait adorablement sa joue, et cette façon se tenir à l’orée de la présence pour ne point s’imposer dans le dérangement.

- Messire Tabouret. Bonjour. Je me nomme Sybil, j'ai dix-sept ans, et... Je cherche une place. On m'a conseillé l'Aphrodite.

Le chat s’autorisa un sourire effilé, délicat dans le trait, définitivement carnassier jusque dans sa douceur, car si le bordel convenait autant à ces messieurs qu’à ses dames, il était vrai que peu de courtisanes savaient rester dans les murs de cette maison male sous ses airs de déesse. Amourachées, fiévreuses ou trop seules parfois même pour supporter cet accablant paradoxe qui voulait que l’on arpente les murs en solitaire quand chaque chambre regorgeait pourtant de la vie la plus brute qui soit dans ses desseins, elles avaient déserté l’horizon… Marie Onelia, Eve, Cersei… Autant de visages qui avait clôt la porte, malmenées par elles-même et la cruauté de leurs sentiments qu’elles croyaient morts, fœtus de vie qu’elles n’auraient jamais et dont le souvenir persistait à s’accrocher jusqu’à s’assurer assez pour tenter de s’acheter un ailleurs, un espoir qui, elles le savaient, ne se trouvaient pas ici.
Et à la façon d’une première et dernière neige de printemps, apparaissait la blonde Sybil , sa moue mutine, sa voix envoutante et son sens de l’à-propos.


Alphonse, précisa-t-il une fois qu’elle se fut tue, ne pouvant s’empêcher de penser à son père dès que résonnait le nom et la dénomination, au chaud de ce prénom anonyme qui le détachait un temps de ce lien paternel étouffant. Asseyez-vous, je vous en prie, lui proposa-t-il courtoisement, cherchant volontairement à mettre en avant ce qu’elle ne trouverait pas ailleurs, commerçant fidèle à ses dogmes, à cette clef libératrice qui avait la couleur de la routine et qui lui assurerait sa porte de sortie. Bordel utopique, prison aux portes ouvertes, l’Aphrodite vivait des autres mais pas de ses employés, point d’orgue du comptable dans sa lente procession de foi et il s’attachait, intraitable à ce que chacun comprenne qu’il était libre tant qu’il choisissait sa geôle. Son regard resta dans les prunelles de la donzelle sans glisser une seule fois sur son corps velouté quand il aurait pourtant aimé avoir le loisir de gouter à la vue proposée, esthète des jolies courbes, des jolies bouches et des jolis soupirs.
Nous avons en effet quelques chambres de libre… Lit moelleux, confort sommaire mais indiscutable, propreté des draps, soins, repas servis aux heures décalées des horaires de ce ventre affamé dont le bourdonnement de l’activité résonnait à tout heure, Alphonse avait le gout des jolies choses, et les jolies choses se protégeaient des aléas du temps autant que possible, s’entretenaient avec patience et attention pour que le sourire, aussi professionnel soit-il, ne tire jamais les traits jusqu’à la trahison. Si nous nous mettons d’accord sur quelques points inhérents au fonctionnement de la Maison Haute, je demanderai à ce qu’on vous les fasse visiter pour que vous puissiez y arrêter un choix… Pour l’heure, permettez-moi de vous demander si ,en plus du conseil avisé qui vous mène jusqu’à moi… Il s’adossa au moelleux du fauteuil, inclina la tête dans un sourire discrètement plus appuyé, aux teintes espiègles trahissant la possible cruauté de ses crocs, amenant étrangement un accent plus lascif à ses lèvres …on vous a expliqué les valeurs en cours au sein de l’Aphrodite ?
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--Sybil


«Alphonse» dit-il.

- Alphonse, elle répète, dans ce sourire qui ne la quitte pas, comme si c'était la plus belle chose qu'on lui eut dite depuis longtemps. Alphonse. C'était la première fois qu'elle rencontrait un Alphonse. Sans doute la dernière, ce n'était pas un prénom courant. Tant mieux, il aurait une place particulière dans ses souvenirs.

A son invitation, elle s'assied. Au bord du siège, croisant les jambes, et prenant grand soin de cambrer son dos. Elle n'est pas encore engagée, il était là pour la juger, elle, le séduire, au moins un peu. Elle n'avait pas de lettre de recommandation signée par chaque homme qu'elle avait satisfait, hélas. D'ailleurs, la liste n'aurait pas été si longue, la maquasse était sa marraine et l'avait en affection ; elle ne lui avait jamais confié que des puceaux ou des hommes bien propres, ce qui réduisait considérablement la donne, là-bas.

Mais ce n'était pas son corps, pourtant mis en avant, qu'Alphonse regardait. Les yeux dans les yeux. Soit il était joueur, soit il avait peur d'être déconcentré. Le sourire carnassier qu'il avait arboré la fit pencher vers la première option. Jouons, alors. Elle bat de ses longs cils tandis qu'il lui annonce qu'il a des chambres, et qu'il peut les lui faire - faire - visiter. Alors comme ça le patron n'avait pas envie de l'emmener lui-même faire le tour du propriétaire ? Décevant. Mais la désapprobation n'est marquée que par le tapotement de trois de ses doigts sur son genou, l'un après l'autre. Le regard se baisse fugacement, avant de revenir au visage du comptable, qui à présent lui parle des valeurs en cours au sein de l'Aphrodite.


- Oui, Alphonse.

Elle répète ce prénom comme une litanie. La malice est toujours présente, avec un air de dire "je sais tout de l'Aphrodite, de toi, ce que tu as fait, qui tu es, où tu vas", et en même temps ce timbre envoûtant, qui sonne comme une promesse et un appel à la fois.

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Alphonse_tabouret
Le sourire s’étira, définitivement amusé pas la minauderie toute en délicatesse sur le visage gourmand, saisissant dans le malt des yeux, les mots qui ne se disaient pas si l’on savait de quoi il retournait, et si quelques secondes le chat chercha dans ses pensées qui avait pu se permettre d’éventer les secrets de l’Aphrodite, il entrapercevait également la possibilité de ces confidences imbéciles faites sur l’oreiller et dont se repaissait habituellement la Maison Basse sans aucun scrupule, tisseuse de liens dans les serments oubliés des nuits fauves.
Ainsi elle savait et de deux mots, donnait au mâle la pleine satisfaction de trouver face à lui l’assentiment, et la nomination, amenant le chat à définitivement s’étirer pour darder sur elle un regard luisant d’intérêt. Maline, parfaitement à l’aise dans l’image qu’elle renvoyait, la soumission fardée d’un soupçon d’impertinence, à la façon de ces jeunes filles qui d’un rire cristallisaient le ciel et d’une moue vous lardaient la nuque de givre… Une enfant sage qui ne demande que l’alcôve pour vous expliquer ce qu’est l’effronterie, voilà les allures que prenait Sybil au regard du jeune homme dont le sens du négoce s’éveillait, et s’il aurait pu se sentir flatté du ton concis et de la façon qu’elle avait eu de rouler son prénom sur sa langue, il fut surtout subjugué par le jeu déjà brillant et installé de la catin, flirtant avec une déconcertante spontanéité.
Un frisson lui mordit l’échine, accusant le charme inné de la demoiselle, resserrant à ses nerfs les saveurs d’une excitation sourde dans lesquelles se mêlaient le mercantile du commerce et les prémices d’un désir curieux.



Et bien, Sybil…, reprit il en se redressant pour saisir un vélin sur son bureau et le placer devant lui, la quittant des yeux quelques secondes pour attarder le pli de la voyelle, trainant le long des consonances pour en saler le tout, lui destinant un sourire entendu logé à la commissure de ses lèvres… je me contenterai donc de vous confirmer ce qu’on vous a signalé. Vous serez logée, nourrie, blanchie, libre de fixer le prix de vos prestations, en contrepartie de quoi… La plume encrée traça les premiers mots du contrat qu’il préparait, pacte de la brulure à la fraicheur, commerçant sachant flairer l’occasion de faire fleurir les pavés si elle se présentait… vos oreilles et votre discrétion appartiennent à la Maison. Les onyx délaissèrent le parchemin pour quérir ses prunelles, s’y lovant quelques instants, délayant sans fard la danse des mots cachés derrière ceux-là, avant de s’autoriser à suivre le dessin des lèvres polies qu’elle lui adressait.
Vous avez un joli sourire, lui dit-il en délaissant les tracés de l’encre, éloignant le poignet et la plume du contrat, comme si l’évidence lui sautait aux yeux quand le sien s’affinait pour se pincer d’un soupçon d’arrogance, chat insolent dont les envies d’impertinence inondaient joyeusement ses tempes, tendant la patte sans les griffes pour vérifier si la proie, en plus d’être belle, saurait jouer avec l’élégance que le laisser présager l’étincelle de son regard.
Qu’en est-il de vos seins ?
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--Sybil


Sa mère l'aurait-elle envoyée dans un lieu dont elle ne savait pas tout ? Cela aurait été mal la connaître. Ainsi, en frappant à la porte de l'Aphrodite, Sybil savait exactement ce qu'elle quittait, et ce qu'elle gagnait. La discrétion n'était pas un problème pour elle, et si d'où elle venait elle n'était l'apanage que des filles les plus consciencieuses, elle se doutait bien que dans un bordel de luxe elle devait être de mise, ne serait-ce que pour préserver la réputation des clients.

Des yeux, elle suit le parcours de la plume d'Alphonse, qui trace ces entrelacs, ces traits et ces points auxquels elle n'entend rien. Le regard glisse, s'accroche au sourire, avant de remonter lorsqu'elle sent le sien s'attarder sur elle. De prunelle à prunelle, elle communique la confiance, et d'une nouvelle esquisse au coin des lèvres, l'assentiment.

«Vous avez un joli sourire», lui dit-il. Il n'écrit plus mais la détaille encore, et elle offre son visage à l'appétit du félin. Sculpture de chair et d'os, vivante, et bientôt trophée de ce temple des vanités. «Qu’en est-il de vos seins ?», le sourire se fait plus aiguisé, malgré la fausse pudeur dont elle se pare encore, le temps de laisser ses yeux, cachés derrière les franges de ses cils, suivre le chemin de ses mains, qui viennent dégrafer la cape dont elle s'était couverte.


- Le mieux est, je crois...

Cette étoffe ainsi retirée, on voit apparaitre, dans le creux de son décolleté, la prometteuse naissance de deux seins blancs, comme deux coussins sur lesquels chaque homme aurait envie de reposer sa tempe. Mais pourquoi s'arrêter là ? Prenant leur temps, les doigts agiles viennent dénouer les attaches de son corsage, un peu élimé aux coutures, tandis que ses prunelles ont repris la direction du visage d'Alphonse, et qu'une mèche de cheveux blonds glisse contre la courbe de son épaule.


- Que vous jugiez par vous-même.


Et, enfin, les deux pans du corsage sont écartés, dévoilant la rotondité de la poitrine de la putain qui s'offrait dans tout l'orgueil de la jeunesse. Alphonse n'était après tout qu'un autre Saint Thomas, dès qu'il s'agit de beauté, les hommes n'ont tendance à croire que ce qu'ils voient. Le regard redevient malice. Juge donc, Alphonse, si cette gorge-là n'est pas digne de ton établissement. Elle le contemple et sourit, tandis que l'air frais de janvier hérisse sa chair le temps d'un frisson.

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Alphonse_tabouret
La balle fut prise au bond, avec la légèreté de celles à qui l'on n'en comptait plus et la délicatesse de ce que la pudeur avait de charmant avant de devenir obsolète, laissant sur le visage du chat, l'aube d'une satisfaction pleine. La cape desserrée, laissa entrapercevoir le pommelé des seins joliment arrondis au chaud d’un corset baillant, un corset qui, s'il était vieux, n'était pas de trop mauvaise facture. L'œil se fit plus aguerri, notant les détails jusque-là estompés par le jeu de la présentation, et d'amateur, le félin se fit critique, observant la couleur des jupons, la propreté des ongles qui papillonnaient le long des filins pour les défaire et offrir à sa vue les lignes blanches de sa poitrine.
S'il ne s'y attarda pas de suite, préférant d'abord se repaitre du regard qu'elle lui adressait, animal aimant par-delà le geste, l'intention qui le soumettait, certain que c'était de cette façon que l'on apprenait le plus des autres, il finit par délaisser l'ambre sombre des yeux pour glisser à la gorge, attardant le temps, laissant à l'air ambiant le secret du sortilège qui amèneraient ces seins délicieux à frémir , se délectant de l'impatience des autres à surprendre ses réactions quand il savait les maitriser jusqu'à oublier parfois les bases de la spontanéité.

C'est vrai que ta gorge est digne... Digne des mains blanches, des parfums bourgeois, des crocs de la noblesse... Ils paieront le vin pour t'enivrer, l'audace pour la quérir, le prix pour s'en nourrir...

A la ligne du cou, se substituèrent les premières formes, opalescentes, peau veloutée sans la moindre grêle, qui picotaient jusqu'à la pulpe des doigts qui tenaient toujours la plume et, embrassant l'adorable spectacle impudiquement encadré de tissu d'un dernier louvoiement, le comptable remonta vers elle l'épice de ses prunelles.

Tout aussi ravissants, lui certifia-t-il avec l'espièglerie et la distance nécessaire à la faire sourire, replongeant à la rédaction de son contrat de la manière la plus naturelle qui soit, étouffant en une seconde la lueur de la prédation qui gagnait son sourire pour l'enrubanner du professionnalisme doucement insolent dont il avait coutume.
La prochaine fois, si je vous demande de me montrer vos jambes, refusez, la taquina-t-il dans un sourire en coin, signant le vélin et se saisissant d'un bâtonnet de cire pourpre qu'il approcha de la flamme d'une petite bougie dont les lueurs se reflétaient nuit et jour dans la verdure d’une bouteille d'absinthe éventrée sur l'étagère. Mes bonnes manières ont des limites, lui avoua-t-il d'un air faussement contrit, étirant un coup d'œil amusé aux yeux sibyllins tandis qu'il apposait le sceau du bordel. Ma chère... La main longiligne jeta son ombre sur le parchemin avant de le retourner vers sa destinataire, la soumettant au dernier test qui achevait chacun des entretiens: La signature.
Vestige de quelques bases apprises ou bien maitrise d'un savoir indispensable, le chat tenait avec un impitoyable acharnement à ce que chacun des enfants du bordel aient des armes à hauteur de la fange qu'ils croisaient en ces murs et si la réputation d'un bordel de luxe allait avec la culture de ses catins, cet acharnement à ce que tous sachent lire et ecrire tenait avant tout d'une certitude qu'il avait experimenté: l'illusion la plus redoutable venait avec la connaissance.

… Bienvenue à l’Aphrodite, conclut-il, attentif à ce qui suivrait, suspendu aux gestes, à l’assurance, au lettrage qui naitrait des doigts juvéniles

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--Sybil


Le buste s'expose. On lui couperait les bras, elle serait Vénus de Milo. Vénus à l'Aphrodite, cela sonnait comme quelque chose d'assez redondant. Néanmoins, Alphonse semblait plutôt satisfait de ces courbes qui s'offraient à ses yeux. «Tout aussi ravissants», lui avait-il assuré. Elle sourit donc encore, satisfaite du compliment, et de l'étincelle fugace qui perce au bord de ses pupilles, avant de s'éteindre aussitôt. Elle y voit là le signe du désir brimé, mais pas par volonté de se montrer imprévisible, non, plutôt par contrainte morale. Un genre de "on ne couche pas avec les employées". Peut-être Alphonse avait-il une femme. L'aimait-il ? Et des enfants ?

La suite du discours du Chat la conforte dans son idée : Ne pas lui montrer ses jambes, ou il ne répond plus de ses bonnes manières. L'idée lui vient de les lui montrer tout de même, par pure provocation. Elle se retient néanmoins, la malice a des limites, et il ne faudrait pas risquer de froisser celui dont dépendait son embauche en lui désobéissant avant même d'avoir signé le contrat.

D'ailleurs, c'est ce qu'il lui demanda de faire. Signer. Elle ne peut cette fois s'empêcher de lui jeter un regard surpris. Pas de période d'essai ? De test ? Comment saurait-il s'il n'embauchait pas la plus mauvaise baiseuse de Paris ? Les prunelles bifurquent sur le parchemin qu'il lui tend, tandis qu'elle se rhabille un peu. Peut-être est-ce écrit là-dessus. Maudit parchemin. Ne pouvait-on pas juste se serrer la main ? Non, il fallait qu'elle signe.

De la main gauche, par instinct, elle attrape la plume, la trempe dans l'encrier, et la tapote même contre le bord du récipient pour faire tomber le surplus. Elle a vu faire. Sur son front blanc vient naître un pli de concentration, et comme une écolière, elle se penche sur sa copie, pour lentement, tracer les lettres de son prénom. Le "Ssss", qui ressemble à un serpent. Puis, le Y, qui est un U avec une boucle en dessous. Le "Bbb", une grande boucle au dessus, on remonte, et on fait un petit trait droit. A ce trait droit, on en ajoute un autre, qui part vers le bas, pour former une canne. Et on met un point, dessus. C'est le "i". Et enfin, on fait une autre boucle, de la même taille que celle du "Bbb", mais sans le trait droit. Et celle-là forme le son "Lll".

Le poignet se relève, elle est plutôt satisfaite de son travail. C'est dire, elle ne s'est pas trompé, et n'a pas fait de tache. Néanmoins, ses difficultés à écrire avaient dû se voir comme le nez au milieu de la figure. Aussi garde-t-elle les yeux baissés, par crainte de lire la réprobation dans ceux d'Alphonse. Diable, fallait-il savoir lire pour donner du plaisir à un homme ?

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Alphonse_tabouret
Sous la pantomime parfaite de ces gestes, Alphonse savait que tout pouvait être réordonné, arrangé, affiné, avec ou sans le consentement de l’intéressé et ne doutait pas une seconde que si Sybil n’avait pas su tirer un soupir à un puceau, les catins en charge à la maison aurait eu tôt fait de lui apprendre les bases du métier, mais l’idée, en fait, ne lui effleura même pas l'esprit.
Silhouette agréable, entretenue, mise en avant sans avoir besoin d'être racoleuse… la jeune fille avait été soignée, sans jamais la soumettre à un client douteux qui l’aurait défigurée d’une quelconque maladie, nourrie convenablement pour garder ce teint de pêche et ses jolies joues, éloignée des brutes… Il reconnaissait ceux qui comme lui avait eu le physique pour s’épargner les griffes d’une quelconque déception parce que tout commerçant digne de ce nom savait que l‘on n’abimait pas sa meilleure marchandise… Sybill avait peut-être eu une enfance moins sinistre que lui à sa façon, mais possédait dans ses gestes et le jeu de ses miroirs, l’assurance des joyaux, ayant pris l’habitude tout comme lui d’être exhibée dans l’écrin le plus soigné que l’on possédait, et si elle n’avait pas eu la vocation ou le talent nécessaire, elle aurait sans nul doute disparu au bras d’un petit notable assez fou et assez jeune pour s’enticher d’une catin et l’épouser.
Elle pouvait tout aussi bien s’étonner de la facilité avec laquelle elle était embauchée, le chat était certain de sa trouvaille, et se fierait pour la suite, aux rondes de garde des hommes de mains patrouillant dans les couloirs courant le long des chambres du bordel.
Gauchère, la plume trouva refuge dans les doigts blancs de la blonde, et Alphonse délaissa son visage pour regarder le vélin se noircir d’arabesques lentes, hésitantes, accouchement concentré et difficile d’une leçon durement apprise, maitrisée avec témérité mais sans la grâce que promettait ses charmes. Un instant il fut tenté, pour le plaisir de voir se décomposer un si joli minois, chat devant l’éternel, portant en lui la cruauté innocente des félins devant leur proie, de lui signaler qu’il manquait la date, mais choisit finalement, devant l’expression puérilement satisfaite de la courtisane, de rentrer ses griffes pour ne montrer que la blancheur des crocs.

Merci.
S’il pouvait argumenter sans mentir que le standing de l’Aphrodite ne souffrait pas d’illettrisme lorsqu’il s’agissait de fréquenter la clientèle la plus huppée de Paris, la vérité se nouait plus loin dans les tempes brunes du comptable, dont le propre esclavage avait été la base même de sa renaissance, usant de chacune des leçons dispensées pour se glisser derrière tous les masques qu’il souhaitait pour finir par s’approprier chacun d’un, machine trop compétente, courant à sa recherche jusqu’à se perdre.
Nous commencerons vos leçons de lecture et d’écriture la semaine prochaine, fit-il sur un ton qui signalait la fin des pourparlers, prenant soin de ne pas entacher le travail fourni en amenant le parchemin vers une pile de documents à sa gauche. Treize heures, cela vous semble-t-il convenable ? conclut-il en relevant vers elle un visage courtois, et lui destinant un de ces sourires enfantins, trainant aux lèvres moelleuses, et qui a lui tout seul, n’envisageait même pas le refus.
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--Sybil


«Merci.» Simplement merci. Elle se croit tirée d'affaire, et relève ses yeux vers le comptable, guettant un signe, qu'il prenne congé, ou qu'il appelle quelqu'un pour lui montrer sa piaule, ce genre de choses. Mais non. «Nous commencerons vos leçons de lecture et d’écriture la semaine prochaine.» Des leçons ? Pour lire ? Et écrire ? Le sourcil droit se fronce, et c'est un regard amusé qu'elle sert au Chat. «Treize heures, cela vous semble-t-il convenable ?». Elle sourit, cette fois.

- Ce sera parfait.

Refuser ? Pourquoi l'envisager ? Savoir lire, ce pourrait toujours être distrayant. Écrire, sans doute beaucoup moins, puisqu'elle savait déjà tracer les lettres de son prénom, et qu'elle n'avait jamais ressenti le besoin d'autre chose. C'est drôle. L'écrit. Elle s'en était toujours passé. Pourtant, elle savait quelques poèmes, jouer quelques airs de luth aussi, et son catéchisme, Maman avait insisté, et puis elle avait connu un jeune curé qui adorait qu'elle lui récite ses prières au creux de l'oreille tandis qu'il la baisait fort peu chastement. Les hommes et leurs fantasmes...

Mais enfin ! Qu'irait-elle faire de livres ? Boarf. Aucun savoir n'était inutile, elle se persuada immédiatement qu'elle trouverait un intérêt à la chose une fois qu'elle la maîtriserait.

Toujours avec cette pointe d'amusement dans le regard, elle lui glisse alors un :


- Tenteriez-vous de faire de moi votre singe savant, Alphonse ?


L'air est à la plaisanterie, le regard, lui, s'aventure à y insinuer une pointe de sous-entendus, comme ça, l'air de rien. A vrai dire, elle est à deux doigts d'éclater de rire, de se lever, et de lui faire une démonstration de danse ou de mime, pour lui montrer combien elle serait un petit animal bien apprivoisé, trouvant tout d'un coup l'idée follement attrayante. Mais non, et seul un mouvement impatient du talon vint trahir toutes ces idées saugrenues qui lui passaient par l'esprit.

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Alphonse_tabouret
Pas de lutte, pas d’effroi, juste l’intelligence de savoir prendre ce qu’on lui proposait, et cela plut au chat qui, s’il permettait bien des travers à tous les membres de la maison, ne tolérez pas l’esclavage à soi-même, le gout ferreux de sa longue servitude encore en bouche

- Tenteriez-vous de faire de moi votre singe savant, Alphonse ?

Il jaugea l’œil pétillant de malice d’une taquinerie lovée dans la prunelle noire avant d’à nouveau s’adosser à son fauteuil, comme si le recul permettait plus de saveur à la vue délicieuse de la courtisane.

Je n’ai pas le gout de la possession, répondit-il sincèrement dans l’onde taquine d’un sourire aimable, n’expérimentant cette sensation qu’au travers de la chair et jamais des sentiments ou des choses, animal méfiant qui devait pouvoir survivre à chaque destruction de lui-même en se sauvant au plus vite, convaincu depuis longtemps que chaque bagage était une entrave supplémentaire à son salut… mais j’aime à croire que s’il est savant, le singe peut devenir humain, lui confia-t-il dans le filigrane d'un sous entendu qu'ils partageraient peut être, convaincu pour sa part de cette impitoyable véracité qui dominait le monde chargeant du poids de la naissance n'importe quelle âme voyant le jour, condamnant les uns à n'être rien sans rien quand d'autres étaient auréolés de tout, voire même du surplus dans la plus honteuse injustice, avant d’appeler en direction de la porte. Hubert?
Il ne fallut qu’une poignée de secondes au garde pour apparaitre, jetant un coup d’œil à la courtisane, puis au comptable, s’étonnant presque de ne point trouver la pièce parfumée des effluves musqués des étreintes.
Peux-tu montrer les chambres à Sybil, qu’elle choisisse la sienne ? demanda-t-il à l’homme de main qui lui opposa un assentiment du menton, invitant d’un geste la gracieuse blonde à le suivre. Un dernier regard fauve enveloppa la demoiselle à la façon du chat qui contemple l’oiseau à portée de patte avant que le jeune homme ne pousse un léger soupir fendant l’âme par sa simplicité, amenant à l’amusement par l’évidence voulue de son côté exagéré, acteur jusqu’au bout du petit théâtre déroulé à l’occasion de l’entrevue.
J’espère que nous nous reverrons sous peu, Sybil. , la salua-t-il tandis qu’Hubert lui désignait d’un geste, de la suivre dans le couloir attenant au ventre le plus chaleureux de l’Aphrodite.
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--Sybil


«Pas le goût de la possession.» Elle n'en doutait aucunement, car sinon, il aurait cherché à lier à l'Aphrodite tous ceux qui travaillaient pour lui. Une dette. C'est ainsi que les choses se faisaient, ailleurs, et chaque nouvelle fille qui entrait dans un bordel était considéré comme une acquisition, un investissement, que le tenancier devait rentabiliser au maximum.

La suite du discours la laissa un peu plus perplexe. «Mais j’aime à croire que s’il est savant, le singe peut devenir humain.» Vaste débat. Mais elle secoua la tête. Non, elle ne croyait pas à l'élévation sociale. Une pauvresse, catin, à qui on apprendrait à lire, ne trouverait jamais sa place au sein de la haute société de ce monde hors des murs de son bordel, ou des petites sauteries privées. Son origine, son métier même, étaient tatoués en lettres de sang sur son front. Les filles de mauvaise vie restaient à jamais marquées du sceau de l'infamie, tout comme les va-nu-pieds ne devenaient pas princes, à moins peut-être de trouver une lampe à huile magique.

Le regard se fait plus perçant, et un léger
«Non, je ne crois pas.» est adressé à Alphonse, comme s'il ne s'agissait que d'une chose sans importance, et qui ne valait pas la peine d'être discutée. Elle n'est pas habituée à la démocratie.

D'ailleurs, la discussion prend fin puisqu'il appelle le portier. Elle se lève, cape sur le bras, et achève de remettre de l'ordre à sa tenue, tandis qu'il lui annonce qu'elle va pouvoir choisir sa chambre. Sa chambre à elle, non un dortoir sous les combles avec les autres filles. Elle imagine la tête que ferait sa mère, et par plaisanterie, se pince discrètement la cuisse. Non, tu vois, Maman, je ne rêve pas.

Un soupir, à fendre l'âme, on dirait presque qu'il regrette de la voir partir. Pas dupe, elle se fend d'un clin d’œil, avant de passer devant lui en roulant exagérément des fesses. «J’espère que nous nous reverrons sous peu, Sybil.» Elle sourit, et tourne la tête pour le regarder par dessus son épaule.


- Lundi, au plus tard, pour la leçon !


Et hop la voilà qui repart pour rejoindre Hubert, en quelques lestes enjambées.
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