Alphonse_tabouret
(* Jules Renard )
Depuis plusieurs jours déjà, le chat en était réduit à dormir dans des creux de literie, délaissant le luxe de son opulent enfer parisien pour suivre le long des sentiers, lodeur laissée dans lair par les ordres hauts placés. Sil ne se plaignait pas, y retrouvant presque le gout similaire de sa fugue et de ses dix-sept ans, il nallait pas non plus jusquà sen réjouir, éternel spectateur de ses propres actes, retranchant derrière la façade polie quil exhibait à ces autres qui cheminaient à ses côtés, une humeur éternellement égale, et si Axelle avait droit à une moue plus personnelle à la faveur de leurs heures de libre, son attention nen demeurait pas moins tendue vers la cavalcade entreprise. Ils avaient quitté la Bretagne avec la bénédiction de la mégère, un encouragement presque, pour rejoindre lombre discrète qui leur était réservée, suivant le schéma simple et placide de ceux qui obéissent sans plus penser.
Si Alphonse aimait sa liberté, le gout des choses que lon choisit de faire, le sel des idéaux personnels qui poussaient et mordaient lâme jusquà la rendre forte et résolue, il nen demeurait pas moins, lové au creux de sa chair une presque quiétude, un presque soulagement à ne plus avoir à se positionner pour avancer. Au départ simple enjeu de force avec la gitane, la balade sétait finalement revêtue dun étrange air de vacances quand bien même la vie de camps quon leur imposait, neut rien de réellement bucolique
Se rappeler de la raison pour laquelle il se retrouvait en face de langevine une dizaine de jours après avoir entamé ce périple était également assez obscure, risible quand il y repensait, entrainés lun et lautre dans une succession de fanfaronnades imbéciles à la sortie dune réunion tardive qui se soldait ce jour à la faveur dun crépuscule sur fond de leçon de vie, la douceur en moins, le gout du fer en plus. Plus il y repensait, moins ses tempes saccordaient à rejouer convenablement la scène qui sétait déroulée à la sortie de la tente ducale, cherchant à comprendre pourquoi lui, dont le silence était lune des qualités premières, avait choisi de sortir une griffe quand il aurait suffi de faire le dos rond aux remarques, surtout lorsquelles étaient teintées dune provocation jouée.
Vivre ne lui réussissait pas toujours il fallait croire, encore enclin par de brusques sursauts incontrôlables à chercher dans le conflit, le parfum dune existence dont il doutait encore parfois, en sursis depuis la mort du Lion, la résurrection implacable infligée par Axelle, et la naissance vagissante de Morvan.
Le chat poussa un soupir, la silhouette élancée se découpant dans un ciel encore bleu mais dont la ligne céruléenne se dissolvait lentement au-dessus des arbres à la faveur dune dorure attardée, signalant au-delà de la masse arboricole, lOuest salé et son océan. Eduqué au milieu des livres, des chiffres, et des senteurs variées de la parfumerie, pris en charge par des professeurs tachant de lui enseigner le latin et le grec aussi bien quils lui demandaient de savoir servir le vin ou bien de découper la volaille, il lui avait fallu aussi apprendre à tenir lépée, apprentissage obligatoire pour tout bourgeois qui se respecte, exercice visant à former le corps aussi bien que la tête et sil avait enchainé les leçons à la faveur daprès-midi adolescentes, il savait parfaitement quil représentait un trop bel investissement pour être envoyé à la guerre défendre une couleur qui ne serait pas celle de lhéritage familial. Indolent, et paresseux, il avait accordé une attention mesurée au maniement de la lame, préférant la danse du maitre darme à celle de son savoir, et sil avait assez appris pour placer quelques attaques ou sesquiver grâce à deux ou trois parades , il se savait affreusement académique dans chacun de ses gestes et certainement plus agile à mains nues, rompu comme la plus part des enfants aux franches empoignades qui avaient jalonné ses liens fraternels. Une moue presque ennuyée sur la lippe, mais le regard attentif dans lequel louvoyait une fluidité féline, le comptable se tenait droit sans être raide, évaluant froidement, sans se faire dillusions, en regardant la silhouette élancée de Selene, les chances quil avait de se retrouver au sol pour mordre la poussière, et sil ne sagissait somme toute que dune joute amicale, il nen restait pas moins une étincelle vive et étrangement gracieuse dans lil de sa duelliste du soir qui naugurait rien de bon pour légo. Chance ou malformation, lhonneur du brun ne se situait jamais au même niveau que les autres, mille fois forcé à sagenouiller quand il aurait voulu se lever, foudroyé à chaque fois quil avait eu un mot de trop, brisé pour chaque geste jugé déplacé par lautorité du père. Lhonneur tout comme lorgueil restaient des choses abstraites pour le fauve, affranchi des autres pour nêtre soumis quà ses propres règles, plus colorées, mais tellement plus tranchantes.
Les lèvres sétirèrent pour glisser à la commissure, discrètes sur le visage sage du jeune homme, une pointe de fatalité au creux dune aura flegmatique, ajoutant intentionnellement un air morgue à son dessin, songeant non sans un discernement dont il ne se séparait jamais, amoureux de la salvatrice et toujours franche logique, à quel point les hommes étaient sots et la parole trop prompte, se promettant sil lui restait encore un peu dhonneur à la fin de ce duel, de revoir lusage de linsolence et de sa surenchère à légard de certains caractères. Son salut ne serait certainement pas dans lexpérience, mais uniquement dans ses réflexes.
-Et bien quoi ? , fit il à Selene dans une moue taquine, le poignet avancé, souple, les manches de sa chemise retroussées jusquaux coudes, tenant lépée avec une assurance qui, si elle était feinte nen demeurait pas moins étrangement consistante, à la façon de ces chats dont le calme est trompeur sous leurs paupières mi closes. Honneur aux dames
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Depuis plusieurs jours déjà, le chat en était réduit à dormir dans des creux de literie, délaissant le luxe de son opulent enfer parisien pour suivre le long des sentiers, lodeur laissée dans lair par les ordres hauts placés. Sil ne se plaignait pas, y retrouvant presque le gout similaire de sa fugue et de ses dix-sept ans, il nallait pas non plus jusquà sen réjouir, éternel spectateur de ses propres actes, retranchant derrière la façade polie quil exhibait à ces autres qui cheminaient à ses côtés, une humeur éternellement égale, et si Axelle avait droit à une moue plus personnelle à la faveur de leurs heures de libre, son attention nen demeurait pas moins tendue vers la cavalcade entreprise. Ils avaient quitté la Bretagne avec la bénédiction de la mégère, un encouragement presque, pour rejoindre lombre discrète qui leur était réservée, suivant le schéma simple et placide de ceux qui obéissent sans plus penser.
Si Alphonse aimait sa liberté, le gout des choses que lon choisit de faire, le sel des idéaux personnels qui poussaient et mordaient lâme jusquà la rendre forte et résolue, il nen demeurait pas moins, lové au creux de sa chair une presque quiétude, un presque soulagement à ne plus avoir à se positionner pour avancer. Au départ simple enjeu de force avec la gitane, la balade sétait finalement revêtue dun étrange air de vacances quand bien même la vie de camps quon leur imposait, neut rien de réellement bucolique
Se rappeler de la raison pour laquelle il se retrouvait en face de langevine une dizaine de jours après avoir entamé ce périple était également assez obscure, risible quand il y repensait, entrainés lun et lautre dans une succession de fanfaronnades imbéciles à la sortie dune réunion tardive qui se soldait ce jour à la faveur dun crépuscule sur fond de leçon de vie, la douceur en moins, le gout du fer en plus. Plus il y repensait, moins ses tempes saccordaient à rejouer convenablement la scène qui sétait déroulée à la sortie de la tente ducale, cherchant à comprendre pourquoi lui, dont le silence était lune des qualités premières, avait choisi de sortir une griffe quand il aurait suffi de faire le dos rond aux remarques, surtout lorsquelles étaient teintées dune provocation jouée.
Vivre ne lui réussissait pas toujours il fallait croire, encore enclin par de brusques sursauts incontrôlables à chercher dans le conflit, le parfum dune existence dont il doutait encore parfois, en sursis depuis la mort du Lion, la résurrection implacable infligée par Axelle, et la naissance vagissante de Morvan.
Le chat poussa un soupir, la silhouette élancée se découpant dans un ciel encore bleu mais dont la ligne céruléenne se dissolvait lentement au-dessus des arbres à la faveur dune dorure attardée, signalant au-delà de la masse arboricole, lOuest salé et son océan. Eduqué au milieu des livres, des chiffres, et des senteurs variées de la parfumerie, pris en charge par des professeurs tachant de lui enseigner le latin et le grec aussi bien quils lui demandaient de savoir servir le vin ou bien de découper la volaille, il lui avait fallu aussi apprendre à tenir lépée, apprentissage obligatoire pour tout bourgeois qui se respecte, exercice visant à former le corps aussi bien que la tête et sil avait enchainé les leçons à la faveur daprès-midi adolescentes, il savait parfaitement quil représentait un trop bel investissement pour être envoyé à la guerre défendre une couleur qui ne serait pas celle de lhéritage familial. Indolent, et paresseux, il avait accordé une attention mesurée au maniement de la lame, préférant la danse du maitre darme à celle de son savoir, et sil avait assez appris pour placer quelques attaques ou sesquiver grâce à deux ou trois parades , il se savait affreusement académique dans chacun de ses gestes et certainement plus agile à mains nues, rompu comme la plus part des enfants aux franches empoignades qui avaient jalonné ses liens fraternels. Une moue presque ennuyée sur la lippe, mais le regard attentif dans lequel louvoyait une fluidité féline, le comptable se tenait droit sans être raide, évaluant froidement, sans se faire dillusions, en regardant la silhouette élancée de Selene, les chances quil avait de se retrouver au sol pour mordre la poussière, et sil ne sagissait somme toute que dune joute amicale, il nen restait pas moins une étincelle vive et étrangement gracieuse dans lil de sa duelliste du soir qui naugurait rien de bon pour légo. Chance ou malformation, lhonneur du brun ne se situait jamais au même niveau que les autres, mille fois forcé à sagenouiller quand il aurait voulu se lever, foudroyé à chaque fois quil avait eu un mot de trop, brisé pour chaque geste jugé déplacé par lautorité du père. Lhonneur tout comme lorgueil restaient des choses abstraites pour le fauve, affranchi des autres pour nêtre soumis quà ses propres règles, plus colorées, mais tellement plus tranchantes.
Les lèvres sétirèrent pour glisser à la commissure, discrètes sur le visage sage du jeune homme, une pointe de fatalité au creux dune aura flegmatique, ajoutant intentionnellement un air morgue à son dessin, songeant non sans un discernement dont il ne se séparait jamais, amoureux de la salvatrice et toujours franche logique, à quel point les hommes étaient sots et la parole trop prompte, se promettant sil lui restait encore un peu dhonneur à la fin de ce duel, de revoir lusage de linsolence et de sa surenchère à légard de certains caractères. Son salut ne serait certainement pas dans lexpérience, mais uniquement dans ses réflexes.
-Et bien quoi ? , fit il à Selene dans une moue taquine, le poignet avancé, souple, les manches de sa chemise retroussées jusquaux coudes, tenant lépée avec une assurance qui, si elle était feinte nen demeurait pas moins étrangement consistante, à la façon de ces chats dont le calme est trompeur sous leurs paupières mi closes. Honneur aux dames
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