Alphonse_tabouret
(*) Stéphane Mallarmé
Une fantaisie, voilà comment le chat aurait pu sexpliquer sa présence dans les rues de Paris, où les hôtels particuliers sentassaient avec élégance, havres de la noblesse au creux des bras mouvant de la capitale. La fantaisie était toujours plus tolérable que la cruauté du hasard, il en était convaincu, animal frileux dès lors quil s agissait du destin depuis que celui-ci lavait pris en grippe en lui brisant les pattes au printemps dans une chute vertigineuse.
Paris grouillait à cette heure-ci dune vie pressée, bruyante, dont le flot se saccadait au rythme des derniers arrivages de la journée, rivière charriant les notables qui se retiraient chez eux et les domestiques qui achevaient les courses de la journée avant de rentrer se terrer dans les petites pièces de ces grands bâtiments. Et lui, étranger à cette cohue, ne faisant parti daucun des mondes qui se confrontaient alors, avançait dun pas léger, silencieux, louvoyant le long dépaules poudrées, évitant le sabot rapide dun cheval, un flacon joliment empaqueté à la main, en direction de sa destinataire.
La parfumeuse navait pas eu à insister pour quil accepte de livrer le produit, argumentant uniquement ses jambes fatiguées pour quAlphonse lui demande ladresse sans même songer à senquérir du nom. Si son travail le noyait dans des heures pleines de comptabilité, la notoriété du bordel et les contrats engagés avec la plus part de leurs producteurs étaient à ce point établis que les affaires prospéraient désormais sur le terreau sain de la fange commerciale parisienne. Disposé donc, reposé, les traits agréablement détendus dune matinée ensommeillée, dune après-midi loin des murs du bordel, le chat était presque fringuant, si ce nétait cette lueur dans la prunelle où se mêlait le recul perpétuel de lanimal qui a connu le gout du fouet et la nonchalance distance quil imposait à la vivacité du monde dès lors quil y prenait place. La tête définitivement ailleurs, les pensées perdues entre une envie de frais et quelques souvenirs doucereux ressassés par la parfumeuse, il sétait permis pour une poignée dheures une escapade, persuadé qul ny avait plus rien désormais pour lui gâcher ce genre de folies, pas même lombre paternelle, mais quest ce , la folie dun père face à limplacable cours des choses ?
Trop lointain sur linstant pour songer à ce que Hubert lui avait pourtant ramené comme précieuses informations le soir où le Griffé avait choisi de sendetter auprès de lui, laissant affluer à ses tempes une bile aussi noire que brulante, il ne sattacha pas aux détails qui lui auraient en temps normal fourmillés aux tempes, et arrivant devant la porte indiqué, frappa avec le butoir, innocent, candide, comme il ne lavait été quune seule fois dans sa vie, en entrant à ses quatorze ans dans les murs de lAphrodite.
La porte souvrit, découvrant un domestique auquel Alphonse adressa un sourire courtois, doux, comme le faisait tout bon livreur à sa clientèle. A cet instant ci, le chat se faisait aimable jusque dans son regard, annonçant en sinclinant doucement, puisquil ne valait pas plus cher que le valet devant lui :
-Bonjour. Une commande pour la demoiselle de la maison. Un parfum, précisa-t-il en montrant et le petit coffret et la note, savamment tenue contre le bois précieux, discrète mais qui néchapperait pas à lil aiguisé du personnel de maison, bien souvent le seul à parler des futilités comme de largent avec les commerçants.
-Entrez, fit le domestique en le laissant passer dans le hall de lhôtel. Je vais aller chercher de quoi vous régler, le prévint il en prenant la note pour disparaitre, laissant le félin seul dans le nid quil visitait, le regard trainant sur les tapisseries alentours, précieuses à nen pas douter mais si peu entretenues quelle finirait par sabimer très certainement sous peu Le regard sétirant, Alphonse apporta une attention plus soutenue aux lieux, découvrant partout dans de minuscules détails , la trace dune richesse étrangement ensommeillée, presque ternie par le temps Ici, tout avait un parfum suspendu, une odeur fatalement familière qui aiguisa brusquement les sens du fauve en lui faisant ouvrir un il au chaud de ses frontières
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Une fantaisie, voilà comment le chat aurait pu sexpliquer sa présence dans les rues de Paris, où les hôtels particuliers sentassaient avec élégance, havres de la noblesse au creux des bras mouvant de la capitale. La fantaisie était toujours plus tolérable que la cruauté du hasard, il en était convaincu, animal frileux dès lors quil s agissait du destin depuis que celui-ci lavait pris en grippe en lui brisant les pattes au printemps dans une chute vertigineuse.
Paris grouillait à cette heure-ci dune vie pressée, bruyante, dont le flot se saccadait au rythme des derniers arrivages de la journée, rivière charriant les notables qui se retiraient chez eux et les domestiques qui achevaient les courses de la journée avant de rentrer se terrer dans les petites pièces de ces grands bâtiments. Et lui, étranger à cette cohue, ne faisant parti daucun des mondes qui se confrontaient alors, avançait dun pas léger, silencieux, louvoyant le long dépaules poudrées, évitant le sabot rapide dun cheval, un flacon joliment empaqueté à la main, en direction de sa destinataire.
La parfumeuse navait pas eu à insister pour quil accepte de livrer le produit, argumentant uniquement ses jambes fatiguées pour quAlphonse lui demande ladresse sans même songer à senquérir du nom. Si son travail le noyait dans des heures pleines de comptabilité, la notoriété du bordel et les contrats engagés avec la plus part de leurs producteurs étaient à ce point établis que les affaires prospéraient désormais sur le terreau sain de la fange commerciale parisienne. Disposé donc, reposé, les traits agréablement détendus dune matinée ensommeillée, dune après-midi loin des murs du bordel, le chat était presque fringuant, si ce nétait cette lueur dans la prunelle où se mêlait le recul perpétuel de lanimal qui a connu le gout du fouet et la nonchalance distance quil imposait à la vivacité du monde dès lors quil y prenait place. La tête définitivement ailleurs, les pensées perdues entre une envie de frais et quelques souvenirs doucereux ressassés par la parfumeuse, il sétait permis pour une poignée dheures une escapade, persuadé qul ny avait plus rien désormais pour lui gâcher ce genre de folies, pas même lombre paternelle, mais quest ce , la folie dun père face à limplacable cours des choses ?
Trop lointain sur linstant pour songer à ce que Hubert lui avait pourtant ramené comme précieuses informations le soir où le Griffé avait choisi de sendetter auprès de lui, laissant affluer à ses tempes une bile aussi noire que brulante, il ne sattacha pas aux détails qui lui auraient en temps normal fourmillés aux tempes, et arrivant devant la porte indiqué, frappa avec le butoir, innocent, candide, comme il ne lavait été quune seule fois dans sa vie, en entrant à ses quatorze ans dans les murs de lAphrodite.
La porte souvrit, découvrant un domestique auquel Alphonse adressa un sourire courtois, doux, comme le faisait tout bon livreur à sa clientèle. A cet instant ci, le chat se faisait aimable jusque dans son regard, annonçant en sinclinant doucement, puisquil ne valait pas plus cher que le valet devant lui :
-Bonjour. Une commande pour la demoiselle de la maison. Un parfum, précisa-t-il en montrant et le petit coffret et la note, savamment tenue contre le bois précieux, discrète mais qui néchapperait pas à lil aiguisé du personnel de maison, bien souvent le seul à parler des futilités comme de largent avec les commerçants.
-Entrez, fit le domestique en le laissant passer dans le hall de lhôtel. Je vais aller chercher de quoi vous régler, le prévint il en prenant la note pour disparaitre, laissant le félin seul dans le nid quil visitait, le regard trainant sur les tapisseries alentours, précieuses à nen pas douter mais si peu entretenues quelle finirait par sabimer très certainement sous peu Le regard sétirant, Alphonse apporta une attention plus soutenue aux lieux, découvrant partout dans de minuscules détails , la trace dune richesse étrangement ensommeillée, presque ternie par le temps Ici, tout avait un parfum suspendu, une odeur fatalement familière qui aiguisa brusquement les sens du fauve en lui faisant ouvrir un il au chaud de ses frontières
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