Alphonse_tabouret
(* Roland Topor)
Le manoir des Belrupt était immense, Alphonse sen était rapidement rendu compte dès la première fois quil avait hasardé un pas à lintérieur, dissimulé dans lombre tenace de son père et de sa mallette en bois sculpté contenant les essences commandées, et limpression perdurait, dès quil voyait les portes se dessiner à ses yeux à chaque nouvelle visite.
Quatorze cent cinquante-quatre se voyait enrobé dun hiver particulièrement rigoureux, mauvais, où la pluie et le givre sabattaient pour tout délaver jusquà la boue quand des bourrasques de neige nentravaient pas le moindre chemin pour priver tout un chacun de la moindre lisibilité géographique. Exceptionnellement logés sur place tant il était compliqué de circuler en ville, les Tabouret sétaient vus installés dans laile réservée aux domestiques aussi longtemps que seraient nécessaires les arrangements liés aux négoces en cours entre les deux familles.
Thomas lui avait plu au premier coup dil, avec son air denfant sage et bonhomme, ses manières distinguées, sa façon de dire « nous » au lieu de « je » La noblesse avait des devoirs dont les emplois échappaient au jeune homme qui, du haut de ses dix-sept ans avait eu le loisir de voir et de subir certains dentre eux, apprenant de tous et bâtissant soigneusement ses manières et ses lubies les plus extrêmes à la face de ce monde poudré dont la souillure aux lèvres rosies avaient tout de la plus poignante quintessence à ses tempes bileuses.
Ce à quoi ne sétait pas attendu Alphonse, cétait cette entente immédiate qui les avait lié, le nobliau et lui, à la faveur dun moment où on les avait laissés sans surveillance. Lalchimie avait prise, légère, futile, agréable, étrangement saine, et les premières soirées passées ensembles avaient vu livresse les ceindre dans un gout commun des tavernes bruyantes, enfumées, où les filles dansaient et riaient fort, finissant systématiquement par ouvrir leurs lèvres et leurs cuisses quand elles navaient plus soif.
Trois mois après la première visite des flamands sur le sol des Belrupt, Alphonse en franchissait les portes avec un sourire soigneusement retranché pour que son père ne laperçoive jamais, et vivait chacune de ces escales avec le plus grand plaisir, trouvant chez Thomas une chaleur tendre, une complicité rafraichissante. Il y avait bien quelques fois où à la faveur dune étreinte amicale avant de se quitter dans les couloirs de la bâtisse, lenlacement sétait attardé dans la légèreté de caresses, saoules, une fois ou deux où les lèvres sétaient jointes, avinées, entêtées jusquà gouter la langue, et cette nuit le mois dernier où lamplitude des mains les avait presque surpris de leur audace, adossés au mur sombre menant aux cuisines, mais ni lun ni lautre navait encore poussé linsolence à exiger ce quils suggéraient avec tant de parcimonie. Alphonse commençait juste à chercher chez les uns et les autres la collection de détails et de déductions quils entrainaient pour nêtre surpris de rien, mais se laissait encore à cette époque, le loisir de ne pas penser
Dix-sept ans, le bel âge Bercé par lamour inconditionnel de son lion, jeté au travers des bras quil rencontrait, avide, gourmand, coq en pâte dans sa malédiction, esclave le jour, incube la nuit, le jeune Tabouret avait encore à cette époque le temps davoir des aspirations. Cette nuit-là, il arpentait les couloirs, un sourire aux lèvres, chat déjà, silencieux, allégé dombres, avançant vers la chambre de Thomas, le parfum dune camériste encore rivé au ventre, une bouteille de vin de bordeaux à la main. Trop éveillé encore pour aller retrouver le lit qui avait été mis à sa disposition dans lune des chambres des valets de maison, trop égayé par lalcool pour ne pas partager lheure qui suivrait, avant que le sommeil nait raison de lui et ne le pousse à rejoindre sa couche, le jeune homme sarrêta à la porte de Thomas pour tendre loreille contre, sassurant que nulle donzelle nétait venu assouvir la faim épicée du nobliau, puis une fois sûr quil ny avait dedans personne de trop, la gratta doucement, y rentrant sans attendre, évitant de rester trop en vue dun potentiel tardif noctambule, sachant que son comparse ne sen offusquerait nullement.
-Thomas ?, appela-t-il doucement en laissant ses yeux habitués à lobscurité courir dans la pièce luxueusement décorée en découvrant le lit vide, laissant une moue curieuse peindre ses traits, étonné de ne point trouver le Belrupt au creux de ses draps. Thomas ? répéta-t-il en se déplaçant, furtif, posant la bouteille de vin sur le secrétaire à portée de sa main.
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Le manoir des Belrupt était immense, Alphonse sen était rapidement rendu compte dès la première fois quil avait hasardé un pas à lintérieur, dissimulé dans lombre tenace de son père et de sa mallette en bois sculpté contenant les essences commandées, et limpression perdurait, dès quil voyait les portes se dessiner à ses yeux à chaque nouvelle visite.
Quatorze cent cinquante-quatre se voyait enrobé dun hiver particulièrement rigoureux, mauvais, où la pluie et le givre sabattaient pour tout délaver jusquà la boue quand des bourrasques de neige nentravaient pas le moindre chemin pour priver tout un chacun de la moindre lisibilité géographique. Exceptionnellement logés sur place tant il était compliqué de circuler en ville, les Tabouret sétaient vus installés dans laile réservée aux domestiques aussi longtemps que seraient nécessaires les arrangements liés aux négoces en cours entre les deux familles.
Thomas lui avait plu au premier coup dil, avec son air denfant sage et bonhomme, ses manières distinguées, sa façon de dire « nous » au lieu de « je » La noblesse avait des devoirs dont les emplois échappaient au jeune homme qui, du haut de ses dix-sept ans avait eu le loisir de voir et de subir certains dentre eux, apprenant de tous et bâtissant soigneusement ses manières et ses lubies les plus extrêmes à la face de ce monde poudré dont la souillure aux lèvres rosies avaient tout de la plus poignante quintessence à ses tempes bileuses.
Ce à quoi ne sétait pas attendu Alphonse, cétait cette entente immédiate qui les avait lié, le nobliau et lui, à la faveur dun moment où on les avait laissés sans surveillance. Lalchimie avait prise, légère, futile, agréable, étrangement saine, et les premières soirées passées ensembles avaient vu livresse les ceindre dans un gout commun des tavernes bruyantes, enfumées, où les filles dansaient et riaient fort, finissant systématiquement par ouvrir leurs lèvres et leurs cuisses quand elles navaient plus soif.
Trois mois après la première visite des flamands sur le sol des Belrupt, Alphonse en franchissait les portes avec un sourire soigneusement retranché pour que son père ne laperçoive jamais, et vivait chacune de ces escales avec le plus grand plaisir, trouvant chez Thomas une chaleur tendre, une complicité rafraichissante. Il y avait bien quelques fois où à la faveur dune étreinte amicale avant de se quitter dans les couloirs de la bâtisse, lenlacement sétait attardé dans la légèreté de caresses, saoules, une fois ou deux où les lèvres sétaient jointes, avinées, entêtées jusquà gouter la langue, et cette nuit le mois dernier où lamplitude des mains les avait presque surpris de leur audace, adossés au mur sombre menant aux cuisines, mais ni lun ni lautre navait encore poussé linsolence à exiger ce quils suggéraient avec tant de parcimonie. Alphonse commençait juste à chercher chez les uns et les autres la collection de détails et de déductions quils entrainaient pour nêtre surpris de rien, mais se laissait encore à cette époque, le loisir de ne pas penser
Dix-sept ans, le bel âge Bercé par lamour inconditionnel de son lion, jeté au travers des bras quil rencontrait, avide, gourmand, coq en pâte dans sa malédiction, esclave le jour, incube la nuit, le jeune Tabouret avait encore à cette époque le temps davoir des aspirations. Cette nuit-là, il arpentait les couloirs, un sourire aux lèvres, chat déjà, silencieux, allégé dombres, avançant vers la chambre de Thomas, le parfum dune camériste encore rivé au ventre, une bouteille de vin de bordeaux à la main. Trop éveillé encore pour aller retrouver le lit qui avait été mis à sa disposition dans lune des chambres des valets de maison, trop égayé par lalcool pour ne pas partager lheure qui suivrait, avant que le sommeil nait raison de lui et ne le pousse à rejoindre sa couche, le jeune homme sarrêta à la porte de Thomas pour tendre loreille contre, sassurant que nulle donzelle nétait venu assouvir la faim épicée du nobliau, puis une fois sûr quil ny avait dedans personne de trop, la gratta doucement, y rentrant sans attendre, évitant de rester trop en vue dun potentiel tardif noctambule, sachant que son comparse ne sen offusquerait nullement.
-Thomas ?, appela-t-il doucement en laissant ses yeux habitués à lobscurité courir dans la pièce luxueusement décorée en découvrant le lit vide, laissant une moue curieuse peindre ses traits, étonné de ne point trouver le Belrupt au creux de ses draps. Thomas ? répéta-t-il en se déplaçant, furtif, posant la bouteille de vin sur le secrétaire à portée de sa main.
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