Eve_desvilles
La mine fraîche, le teint encore coloré de bronze malgré la fuite du soleil sous l'approche de l'automne, Ève s'avance vêtue d'une robe couleur sable et d'une châle d'un bleu éclatant. Ses atours n'ont plus l'allure demi monde légèrement défraichis des premières semaines, à la limite de disconvenir au raffinement affiché par l'Aphrodite. Mais ils ont conservé cette simplicité de mise, cette sobriété qui les désignent comme issus de facture inférieure aux étoffes couramment arborées par les clients et les courtisans du lupanar. Monde d'apparences et d'illusions friand de travestissements, l'Aphrodite a cependant trouvé sa place à Ève qui incarne si naturellement la provinciale ou la roturière, étrangère à l'empire des jugements silencieux qu'exerce continuellement sur elle-même une société sybarite vouée derrière le culte du libertinage à toutes les joutes d'orgueil, de jalousie et d'inimitié qu'offent les plaisirs de la décadence. Fleur égarée d'une espèce inconnue, Ève est devenue le réconfort du bourgeois trop engoncé par sa famille pour s'autoriser une domestique et l'exotisme de l'aristocrate lassé de l'expertise convenue des intrigantes. Des amours ancillaires aux amours pastourelles, Ève recueille sous des vux de libertés éphémères des fantasmes dignes de contes, sans que nul parmi ses clients ne ressentent jamais le poison qu'elle diffuse.
Sourire aux lèvres qu'elle ne perd jamais bien longtemps, Ève en ce soir simple et ordinaire porte quelque chose de différent.
Elle fredonne doucement.
Voix délicate d'alto qu'on ne lui soupçonnerait pas, son timbre attire l'oreille.
Paroles à demi audibles d'une comptine assez connue, la bêtise enfantine de la chanson se nappe pourtant d'un enchantement léger que l'on pourrait se maudire de trouver agréable, s'il n'y avait ces intonations particulières sur les mots invitant à une compréhension autre sans que le sens n'en soit jamais sûr.
La branche était sèche l'oiseau est tombé
l'oiseau est à la volette, à la volette
l'oiseau est tombé
mon p'tit oiseau, où t'es tu blessé ?
Où t'es tu à la volette, à la volette
Où t'es tu blessé*
La mélodie disparaît comme Ève quitte la galerie pour découvrir l'assemblée au bar. Une intrigue passe sur son visage le temps d'un souffle. D'être peu sensible aux ragots ne la rend pas moins perméable aux ambiances, et si le plus souvent elle n'écoute pas, quelque part en elle, elle entend toujours. Au bar comme au lac où viennent boire les bêtes, elle voit une réunion de ces fauves que narrent les récits d'Orient, mais là, ensemble, comme une impossible meute, tous d'espèces différentes, tous meurtris, tous hérissés, buvant le mal dans un qui-vive déguisé en eau douce. A l'exception de Trystan. Trystan qui luit dans les yeux d'Eve d'une aura particulière. Intensité de la stature et de la placidité. Elle approche. Dans le théâtre de l'Aphrodite chacun porte un masque et certains plusieurs. Eve ne sait que trop comme on peut se perdre à trop changer de visage, comme on peut confondre la personne qu'on était avec un nouveau voile, un voile avec un reflet, un reflet avec soi, et finir par échanger les souvenirs avec les mensonges, les besoins avec des parades, les véritès avec des fantômes. Puisant dans son plus grand génie à n'être personne, elle vient à pas légers pesant à peine sur le sol. Elle pourrait entrer dans l'eau sans que l'onde ne se propage. Aux abords du groupe de prédateurs, elle salue chacun d'un mot discret, d'un sourire de statue, glissant vers une place libre puis s'arrête. Sur l'écchymose portée par Alphonse. Cillement des yeux avant de se détourner enfouissant un trouble ; l'animal dominant était le plus marqué de tous. Ainsi il était donc possible de blesser le Maître... pas détourné vers Trystan dont elle fixe les épaules, le front puis les pommettes avant de trouver les yeux.
Elle lui dit qu'elle est Eve, qu'elle travaille ici, qu'elle est enchantée. Elle le regarde un instant encore, avec, la bienveillance courtoise que l'on réserve aux étrangers, à moins que, ce ne soit la bienveillance courtoise que réservent les étrangers.
Elle s'assoit, plonge ses yeux sur le poli du bois de la partie opposée du bar puis prononce dans le vide
Bonsoir Adryan... voudriez vous me servir un jus de citron s'il vous plait ?... avec... du piment, beaucoup de piment.
L'élocution est enjouée, Ève laisserait presque croire qu'elle est plus vivante. Peut-être même heureuse.
(* extrait de http://www.branche-rouge.org/chansons/chansons-medievales-et-traditionnelles-francaises/a-la-volette)
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Sourire aux lèvres qu'elle ne perd jamais bien longtemps, Ève en ce soir simple et ordinaire porte quelque chose de différent.
Elle fredonne doucement.
Voix délicate d'alto qu'on ne lui soupçonnerait pas, son timbre attire l'oreille.
Paroles à demi audibles d'une comptine assez connue, la bêtise enfantine de la chanson se nappe pourtant d'un enchantement léger que l'on pourrait se maudire de trouver agréable, s'il n'y avait ces intonations particulières sur les mots invitant à une compréhension autre sans que le sens n'en soit jamais sûr.
La branche était sèche l'oiseau est tombé
l'oiseau est à la volette, à la volette
l'oiseau est tombé
mon p'tit oiseau, où t'es tu blessé ?
Où t'es tu à la volette, à la volette
Où t'es tu blessé*
La mélodie disparaît comme Ève quitte la galerie pour découvrir l'assemblée au bar. Une intrigue passe sur son visage le temps d'un souffle. D'être peu sensible aux ragots ne la rend pas moins perméable aux ambiances, et si le plus souvent elle n'écoute pas, quelque part en elle, elle entend toujours. Au bar comme au lac où viennent boire les bêtes, elle voit une réunion de ces fauves que narrent les récits d'Orient, mais là, ensemble, comme une impossible meute, tous d'espèces différentes, tous meurtris, tous hérissés, buvant le mal dans un qui-vive déguisé en eau douce. A l'exception de Trystan. Trystan qui luit dans les yeux d'Eve d'une aura particulière. Intensité de la stature et de la placidité. Elle approche. Dans le théâtre de l'Aphrodite chacun porte un masque et certains plusieurs. Eve ne sait que trop comme on peut se perdre à trop changer de visage, comme on peut confondre la personne qu'on était avec un nouveau voile, un voile avec un reflet, un reflet avec soi, et finir par échanger les souvenirs avec les mensonges, les besoins avec des parades, les véritès avec des fantômes. Puisant dans son plus grand génie à n'être personne, elle vient à pas légers pesant à peine sur le sol. Elle pourrait entrer dans l'eau sans que l'onde ne se propage. Aux abords du groupe de prédateurs, elle salue chacun d'un mot discret, d'un sourire de statue, glissant vers une place libre puis s'arrête. Sur l'écchymose portée par Alphonse. Cillement des yeux avant de se détourner enfouissant un trouble ; l'animal dominant était le plus marqué de tous. Ainsi il était donc possible de blesser le Maître... pas détourné vers Trystan dont elle fixe les épaules, le front puis les pommettes avant de trouver les yeux.
Elle lui dit qu'elle est Eve, qu'elle travaille ici, qu'elle est enchantée. Elle le regarde un instant encore, avec, la bienveillance courtoise que l'on réserve aux étrangers, à moins que, ce ne soit la bienveillance courtoise que réservent les étrangers.
Elle s'assoit, plonge ses yeux sur le poli du bois de la partie opposée du bar puis prononce dans le vide
Bonsoir Adryan... voudriez vous me servir un jus de citron s'il vous plait ?... avec... du piment, beaucoup de piment.
L'élocution est enjouée, Ève laisserait presque croire qu'elle est plus vivante. Peut-être même heureuse.
(* extrait de http://www.branche-rouge.org/chansons/chansons-medievales-et-traditionnelles-francaises/a-la-volette)
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