Alphonse_tabouret
(*) Charles Baudelaire
-Alors, quen penses-tu ? lui demanda Françoise en lui tendant une petite fiole dont les quelques centilitres dessence promettaient déjà les saveurs de lorient au travers du bouchon quon lui avait ôté.
Souriant, et se pliant à lordre quon lui donnait sans en ressentir la moindre chaine au cou, Alphonse sexécuta, portant son nez non loin du flacon, laissant se diffuser à une dizaine de centimètres les délices de lhuile.
Des dizaines de tournées auxquelles lentreprise familiale lavait plié durant toute son adolescence, il navait gardé dans sa vie actuelle que quelques escales, pour la plus part, des hommes qui sitôt qu'il avaient fini de compter les écus du père, sétaient empressés de fêter la transaction à la bouche du fils, dans lhypocrite silence de chaque partie. Son patriarche avait évidemment tout ignoré de ces jeux là, convaincu que lorsque lon avait les mains aussi épaisses que celles du menuisier qui habillait de coffrets luxueux les parures commandées par la noblesse pour vêtir le flacon, on ne pouvait que les poser sur les seins dune femme, et pas aux hanches dun homme Sûr, de la même façon, que lorsque lon mesurait près de deux mètres comme le paysan qui leur livrait les fleurs par kilos pour les réduire en huile, on ne sagenouillait que devant le Très Haut, et pas à hauteur de braies ouvertes.
Françoise avait déjà quarante ans passés quand les quinze ans dAlphonse les avaient rencontrées elle et ses filles. Sous ses airs racés, embaumés, précieux, il avait découvert de quoi encore contredire ce père qui voyait dans la silhouette fluette de cette veuve, une timidité flagrante, presque maladive, quand il suffisait pourtant de lintimité dune nuit pour se heurter à une bête dune rare démesure. Désormais, les cheveux de la commerçante avaient blanchi, peignant ses tempes dune aura de vieillesse quaccusaient doucement ses traits, et la mort de ses deux filles quelques années plus tôt avait creusé dans son regard un vide béant qui rien ne savait refermer. Une mauvaise chute avait paralysé sa jambe, la forçant à se déplacer méthodiquement, lentement, une canne à la main, et le corps nerveux dont elle avait fière si longtemps dans la chaleur fauve de ses envies, avait été ravagé durant lété par une vilaine maladie qui lavait considérablement affaiblie et laissé essoufflé du moindre effort. Françoise mourait à petits feux, et le chat, dernier vestige de cette époque où la vie ne lavait pas encore condamnée, venait la voir dès que les mauvais jours revenaient, conscient que sa bonne humeur sombrait au même rythme que les jours raccourcissaient
-Cest exactement ce que je cherchais, remarqua le jeune homme dans un sourire tandis que la commerçante hochait la tête, satisfaite de la réflexion quand le carillon de la porte tinta, les amenant à se retourner vers la porte dentrée pour contempler la jeune femme qui venait dentrer dans la boutique.
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-Alors, quen penses-tu ? lui demanda Françoise en lui tendant une petite fiole dont les quelques centilitres dessence promettaient déjà les saveurs de lorient au travers du bouchon quon lui avait ôté.
Souriant, et se pliant à lordre quon lui donnait sans en ressentir la moindre chaine au cou, Alphonse sexécuta, portant son nez non loin du flacon, laissant se diffuser à une dizaine de centimètres les délices de lhuile.
Des dizaines de tournées auxquelles lentreprise familiale lavait plié durant toute son adolescence, il navait gardé dans sa vie actuelle que quelques escales, pour la plus part, des hommes qui sitôt qu'il avaient fini de compter les écus du père, sétaient empressés de fêter la transaction à la bouche du fils, dans lhypocrite silence de chaque partie. Son patriarche avait évidemment tout ignoré de ces jeux là, convaincu que lorsque lon avait les mains aussi épaisses que celles du menuisier qui habillait de coffrets luxueux les parures commandées par la noblesse pour vêtir le flacon, on ne pouvait que les poser sur les seins dune femme, et pas aux hanches dun homme Sûr, de la même façon, que lorsque lon mesurait près de deux mètres comme le paysan qui leur livrait les fleurs par kilos pour les réduire en huile, on ne sagenouillait que devant le Très Haut, et pas à hauteur de braies ouvertes.
Françoise avait déjà quarante ans passés quand les quinze ans dAlphonse les avaient rencontrées elle et ses filles. Sous ses airs racés, embaumés, précieux, il avait découvert de quoi encore contredire ce père qui voyait dans la silhouette fluette de cette veuve, une timidité flagrante, presque maladive, quand il suffisait pourtant de lintimité dune nuit pour se heurter à une bête dune rare démesure. Désormais, les cheveux de la commerçante avaient blanchi, peignant ses tempes dune aura de vieillesse quaccusaient doucement ses traits, et la mort de ses deux filles quelques années plus tôt avait creusé dans son regard un vide béant qui rien ne savait refermer. Une mauvaise chute avait paralysé sa jambe, la forçant à se déplacer méthodiquement, lentement, une canne à la main, et le corps nerveux dont elle avait fière si longtemps dans la chaleur fauve de ses envies, avait été ravagé durant lété par une vilaine maladie qui lavait considérablement affaiblie et laissé essoufflé du moindre effort. Françoise mourait à petits feux, et le chat, dernier vestige de cette époque où la vie ne lavait pas encore condamnée, venait la voir dès que les mauvais jours revenaient, conscient que sa bonne humeur sombrait au même rythme que les jours raccourcissaient
-Cest exactement ce que je cherchais, remarqua le jeune homme dans un sourire tandis que la commerçante hochait la tête, satisfaite de la réflexion quand le carillon de la porte tinta, les amenant à se retourner vers la porte dentrée pour contempler la jeune femme qui venait dentrer dans la boutique.
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