--Adryan
Si souvent le Castillon se demandait ce quil foutait à lAphrodite, cet après midi là, la question ne se posait même plus tant la réponse laurait accablé. Mais par chance, quelques vapeurs de la drogue malicieusement distillée par Fleur dans une bouteille de bourdon flânaient encore dans ses veines, et même sil faisait les cent pas, agacé par lattente, il restait dun calme placide, presque encore débonnaire.
Et du calme, il en fallait, pour dune part rester à tourner en rond quand le Castillon détestait prendre son temps et que la soirée sannonçait chargée, et quand dautre part lattente interminable devait saccompagner de la présence du comptable, dont les traits sils lui paraissaient tout aussi désirables que la veille, sétaient vu délester durant les quelques heures de sommeil quil avait pu saccorder de la majeur partie de lentente bon enfant que la drogue avait tissée, fourbe complice.
Mais pourtant Adryan restait suspicieux. Pour Alphonse, à nen pas douter, les stigmates toxiques de la potion étaient persistants. Comment sinon aurait t-il pu embaucher
ça ? Cet être gesticulant et musculeux, tout juste vexant par sa simple présence, comme si le comptable et le barman ne savaient pas se défendre seuls. Et le Castillon taiseux ressassait loffense. Mais la panacée chez cet homme était sa langue. Il semblait purement et simplement incapable de se taire, et pour le solitaire, cétait épuisant.
Vêtu avec un soin particulier pour camoufler les traces de la beuverie trop récente, cachant les traits tirés de son visage sous une élégance sobre, sombre mais dun rare raffinement, il ne relevait le nez que dans lespoir de voir le chargement enfin arriver, se concentrant sur le claquement sec de ses bottes pour étouffer les élucubrations du demi-colosse.
Mais lorsque celui-ci ramena sa fraise coiffé dun casque improbable, le nobliau neut pas dautre choix que darrêter son piétinement et figé de stupéfaction, sourcils dressé dans un ahurissement rarement égalé, ne put que regarder. Mais le plus étrange dans cette scène rocambolesque fut quil chercha ensuite le regard dAlphonse, sans que les restants de drogue ny soient pour quelques chose, réflexe frisant la complicité devant limprobable à létat le plus pur. Et même si le regard gris cueillit le visage du flamand caché sous une main se voulant discrète, le rire quelle cachait était palpable malgré les propos tenus par le cerbère. Le Castillon se gratta la tête, incapable de savoir au final laquelle des attitudes des deux hommes face à lui était la plus incongrue.
Et dailleurs, à nen pas douter, devant linvective, si Adryan navait pas encore baigné dans les reliquats de leuphorie, certainement se serait-il rué sur le garde, indifférent aux muscles saillant sous le costume, pour lui faire ravaler ces mots qui lui crachaient en pleine face sa propre honte sur la nature ondulant sournoise dans ses veines et quil sappliquait avec tant dacharnement à museler.
Et à cet instant ci, sil en avait eu conscience, il aurait pu chanter les louanges de Fleur sur tous les diapasons de lui épargner un sale coup dans le nez, mais surtout au final de se trahir par une colère toute délatrice. Et ce fut finalement lironie qui lemporta.
Reportant son attention sur le garde, sourire habilement travaillé pour paraître plus courtois que narquois approcha de quelques pas le ridicule couronné. Voilà qui est bien dit ! Je suis des vôtres. Puis se tournant vers le comptable, Alphonse, vous en serez aussi nest-ce pas ?
--Adryan
Et cétait à Adryan de baisser le nez, de se mordre les joues pour ne pas pouffer comme le dernier des idiots devant la provocation à peine voilée du comptable. Si des relents de drogue navaient encore paressé dans son sang, le Castillon aurait certainement vomi tripes et boyaux de cette complicité secrète avec le flamand qui pourtant saffichait si franchement. Mais quelque part dans le gris des yeux dAdryan, deux soleils brillaient encore.
Néanmoins, soleils ou non, « lamicale tapotage » dépaules lui coupa net toute envie de rire. Dune part car les battoirs servant de mains au garde lui avait déboité lépaule, dautre part car Adryan ne supportait pas dêtre touché par un homme ou même par une femme sans quil nait donné son assentiment, et ce pour des raisons bien éloignées que celles soulignées par le colosse. Noblesse oblige et plus si affinités.
Son regard, fugitivement glacé remonta vers le garde et dune voix sourde assena. Bougres ou non, si un inconnu saventure à me toucher, cest mon amical poing dans la tronche quil recevra en retour. Mais le soleil semblait tenace et réchauffant le regard dun rayon, un sourire franc arqua sa bouche. Mais nous sommes en honnête compagnie, lançât-il en tapotant sèchement lépaule de son vis-à-vis en retour. Puis fronçant les sourcils, sembla entrer en profonde méditation. Mais méfiez vous, ils peuvent être encore plus fourbes que vous ne le pensez. Gardez en mémoire votre tapette amicale et regardez. Trois pas vers le comptable assortis de trois tapes, de toute évidence semblables aux précédentes, sauf sa main sattarda sur la dernière, serrant lépaule du flamand dune poigne forte en la secouant doucement. Vous voyez, rien dalarmant dans ce geste non plus. Pourtant, comment pouvez-vous savoir si la main dun homme sattarde dans une poignée amicale de vrais mâles ou par simple envie de toucher ? Il relâcha le comptable après avoir furtivement plongé dans son regard noir pour se tourner à nouveau vers le garde. Et bien vous être dans la moise car vous ne pouvez pas savoir, comme
son regard se fit volontairement suspicieux avant de séclairer dune lueur sournoisement taquine, comme je naurais pas pu savoir pour quelle raison vous mavez touché si nous navions été ami.
--Adryan
« Trois ptits chats, trois ptits chats, trois ptits chats, chats, chats, chats. »
Certainement encore bien plus imbibé de drogue quil ne lavait cru, Adryan suivit stoïquement la chorégraphie du flamand, replongeant dans un passé coloré où son enrubannée de petite sur rose bonbon le harcelait jusquà ce quenfin il plie à jouer avec elle.
« Chapeau dpaille, chapeau dpaille, chapeau dpaille, paille, paille, paille. »
Tant concentré à sa chorégraphie, presque fier de pouvoir ainsi étaler sa culture artistique, si appliqué quil pinçait le bout sa langue entre ses lèvres pour ne louper aucun enchainement, le Duc de Castillon, duelliste dans lâme, bretteur accompli, sanguinaire à ses heures dévoilait ses talents cachés indifférent au grotesque de leur duo improvisé.
« Paillasson, paillasson, paillasson, -son, -son, -son »
Et incroyablement, une lueur de défit toute enfantine passa dans son regard quand il accéléra le mouvement, curieux de voir si le Flamand saurait tenir la cadence.
« Somnambule, somnambule, somnambule, -bule, -bule, -bule»
Mais il perdit. Devant le refus du garde à applaudir leur prestation, il loupa le fameux et ô combien complexe « une paume vers le haut, une paume vers le bas » et manqua de justesse de recevoir ladite paume du brun dans la poire. Agacé davoir failli, il se tourna vers le garde, lil mauvais.
Comment ? Vous insinuez que Messire Tabouret ici présent est homme à se laisser embobiner par lopium ? Pensez vous réellement que la drogue suffise à le faire flancher au point dembrasser une bouche mâle et détestée? S'offusqua t-il alors que ses lèvres étaient encore pleines de la saveur de celles dAlphonse. Je ne peux y croire !
Mais au loin, un brinquebalement capta son regard, enfin la charrette et sa précieuse livraison apparaissaient au coin de la ruelle.