Eve_desvilles
[du quartier des courtisans au bureau d'Alphonse]
Seule au milieu de l'abside, Eve regarde la rue. Les souvenirs de la nuit remuent derrière ses paupières. À chaque battement, des ombres incongrues se mêlent aux passants. Elle a peu dormi, les figures décharnées dans le bois de sa chambre riaient trop fort. Le soleil écrase Paris. Les oiseaux ont cessé de voler. Elle voudrait y être. Dehors, inondée de lumière, aveuglée étourdie, étouffant de chaleur, brûlée vive sous le soleil. Dehors, n'importe où, avancer jusqu'à la Seine, jeter quelque chose de lourd. Encore. Et encore. Porter, lâcher prise. Tout faire tomber. Plus légère qu'une abeille ensuite.
Un passereau de plumage vert et jaune se pose sur le rebord d'une des fenêtres. Vif, il sautille, lance ses trilles avec ardeur. Leur regard se croisent. Sa robe est jaune aujourd'hui, ses cheveux sont repliés. Elle a sautillé toute la nuit. Le serin la regarde, se tourne, la regarde d'un autre il. Il donne un coup de bec sur la fenêtre.
Eve serre le sac qu'elle a préparé. Il doit être l'heure à présent. Sûrement qu'il doit être l'heure. Elle se tourne, le couloir des chambrettes des courtisans glisse dans la pénombre, les volets de la petite cour n'ont pas encore été relevés. Elle s'y plonge dans le mouvement voletant des pans de sa robe, ailettes de soie liquide disparaissant dorées dans l'obscurité de l'Aphrodite.
Elle parvient à la coursive, la traverse à pas feutrés en direction de la Maison Basse. Le hall en bas semble enfoui dans une eau plus noire qui trouble l'inertie des meubles et des objets, contours dilués confondant leurs frontières, paraissant dissimuler une respiration en attente, paressant dans le mouvement lent d'un sommeil trompeur. Elle pose sa main sur la poignée. Ouvre la porte sur le repaire où vit le Maître. Le couloir s'ajoure en sa seconde moitié de la cour au puits de la cuisine. Au delà se trouve la porte qui donne sur le cur de l'antre. Eve s'avance. Un marmiton tire de l'eau au puits. Un frisson lui parcourt l'échine, sa gorge se serre. Il doit déjà l'attendre. On ne lui a rien dit pendant toute cette semaine. Habituellement c'est le jour du dimanche. Mais est-ce dimanche ? Il lui semble que oui, qu'elle a entendu les cloches. Mais est-ce le dimanche, il fallait peut-être venir dès hier. Elle est certaine d'avoir oublié quelque chose. Il doit déjà l'attendre. Le marmiton disparaît. Eve tremble légèrement, elle regarde le soleil, elle se dit que si elle n'est pas trop bleue, elle ira ensuite, plus légère qu'une abeille. Elle ouvre la seconde porte. Le couloir est obscur, à peine éclairé à droite d'un lucarne à l'extrémité. De nombreuses portes fermées, dissimulant les secrets de la Maison Basse, refermant, toutes, les choses interdites, qu'il ne faut pas savoir. Des choses qui ne doivent pas exister. Eve se dirige à gauche, prenant un soin méticuleux de n'approcher aucun des deux côtés du couloir.
La deuxième porte à droite, se souvient-elle. C'est là. C'est lui. Elle effleure le mur jusqu'à trouver le bois, ses doigts rencontrant le ligne du mortier entre les pierres.
Elle frappe. Elle attend.
Eve ne tremble plus. Eve n'a plus la gorge serrée. Eve ne frisonne pas.
Elle sourit.
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Seule au milieu de l'abside, Eve regarde la rue. Les souvenirs de la nuit remuent derrière ses paupières. À chaque battement, des ombres incongrues se mêlent aux passants. Elle a peu dormi, les figures décharnées dans le bois de sa chambre riaient trop fort. Le soleil écrase Paris. Les oiseaux ont cessé de voler. Elle voudrait y être. Dehors, inondée de lumière, aveuglée étourdie, étouffant de chaleur, brûlée vive sous le soleil. Dehors, n'importe où, avancer jusqu'à la Seine, jeter quelque chose de lourd. Encore. Et encore. Porter, lâcher prise. Tout faire tomber. Plus légère qu'une abeille ensuite.
Un passereau de plumage vert et jaune se pose sur le rebord d'une des fenêtres. Vif, il sautille, lance ses trilles avec ardeur. Leur regard se croisent. Sa robe est jaune aujourd'hui, ses cheveux sont repliés. Elle a sautillé toute la nuit. Le serin la regarde, se tourne, la regarde d'un autre il. Il donne un coup de bec sur la fenêtre.
Eve serre le sac qu'elle a préparé. Il doit être l'heure à présent. Sûrement qu'il doit être l'heure. Elle se tourne, le couloir des chambrettes des courtisans glisse dans la pénombre, les volets de la petite cour n'ont pas encore été relevés. Elle s'y plonge dans le mouvement voletant des pans de sa robe, ailettes de soie liquide disparaissant dorées dans l'obscurité de l'Aphrodite.
Elle parvient à la coursive, la traverse à pas feutrés en direction de la Maison Basse. Le hall en bas semble enfoui dans une eau plus noire qui trouble l'inertie des meubles et des objets, contours dilués confondant leurs frontières, paraissant dissimuler une respiration en attente, paressant dans le mouvement lent d'un sommeil trompeur. Elle pose sa main sur la poignée. Ouvre la porte sur le repaire où vit le Maître. Le couloir s'ajoure en sa seconde moitié de la cour au puits de la cuisine. Au delà se trouve la porte qui donne sur le cur de l'antre. Eve s'avance. Un marmiton tire de l'eau au puits. Un frisson lui parcourt l'échine, sa gorge se serre. Il doit déjà l'attendre. On ne lui a rien dit pendant toute cette semaine. Habituellement c'est le jour du dimanche. Mais est-ce dimanche ? Il lui semble que oui, qu'elle a entendu les cloches. Mais est-ce le dimanche, il fallait peut-être venir dès hier. Elle est certaine d'avoir oublié quelque chose. Il doit déjà l'attendre. Le marmiton disparaît. Eve tremble légèrement, elle regarde le soleil, elle se dit que si elle n'est pas trop bleue, elle ira ensuite, plus légère qu'une abeille. Elle ouvre la seconde porte. Le couloir est obscur, à peine éclairé à droite d'un lucarne à l'extrémité. De nombreuses portes fermées, dissimulant les secrets de la Maison Basse, refermant, toutes, les choses interdites, qu'il ne faut pas savoir. Des choses qui ne doivent pas exister. Eve se dirige à gauche, prenant un soin méticuleux de n'approcher aucun des deux côtés du couloir.
La deuxième porte à droite, se souvient-elle. C'est là. C'est lui. Elle effleure le mur jusqu'à trouver le bois, ses doigts rencontrant le ligne du mortier entre les pierres.
Elle frappe. Elle attend.
Eve ne tremble plus. Eve n'a plus la gorge serrée. Eve ne frisonne pas.
Elle sourit.
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