Liette
[Angers, taverne du Dragon mésangé grange, infirmerie de fortune, refuge]
Surtout ne rien montrer, nourrir ton corps, panser tes blessures, donner le change et monter ton courage. Rien nest finit encore, rien nest perdu. Ce soir tu seras debout pour combattre jusquà la fin, jusquau dernier souffle. Guerre opportune qui sait noyer dans le sang le mal qui thabite. Tu naurais su rêver mieux. Des hommes à haïr, des chairs à pourfendre, une cause que tu épouses comme dautres le font dune foi, contre poids à ton déséquilibre. Tu ten balances, tu penches, oscilles au-dessus du gouffre, ploies mais jamais ne te rompt.
Toujours tu as su compenser la faiblesse de ton corps en décuplant ta hargne mais quand il ne suit plus ? Quand il demande grâce ? Il suffit de mordre un peu plus fort, serrer la tenaille de tes mâchoires sur le vide. Est-ce suffisant pour étouffer la douleur qui te brise ? Te voilà minable Liette. Misérable petite brindille destinée à être soufflée au premier coup de vent. Tu le lis dans leur regard à eux qui sont tes frères. Ce regard que tu abhorres, celui de la pitié.
Tu songes alors à cet homme en armure, à ce soleret de fer sécrasant sur ton bras en un bruit sourd dos cassé. A cette main arrachant ton bouclier et pliant ton membre brisé en une position innaturelle. Tu songes au cri quittant ta poitrine pour percer ses tympans. Ce hurlement instinctif et primordial, sans plus rien qui le bride lâchant le grappin sur ta douleur.
Tu as hontes, honte dêtre tombée, honte davoir hurlé, honte de ne pas avoir su faire ta part comme à laccoutumée. Ton cur appelle vengeance et ce désir te tient debout.
Puisquil semble que les assaillants vous accorde une trêve dans les combats tu en profites pour récupérer quelques forces, plaisantes avec les autres sur leurs étranges murs, cette façon quils ont de reculer chaque jour pour regagner leur base. Dimanche ! On risque rien cest leur jour de lessive ! Tu nvoudrais quand même pas que la France vienne combattre toute chiffonnée ? Et les rires fusent simples et joyeux, reposants.
Tu disparais le jour dans de vaines recherches. Tu retournes tout Angers, les beaux quartiers, comme les bas-fonds les plus merdiques où grouille la chierie la plus infâme dAnjou. Et dieu sait quAnjou sy connait en matière de profundis. Rien pas une trace, le néant le plus total. Le fantôme semble sêtre volatilisé pour toujours, évaporé comme sa nature le lui commande te confortant dans ta foi en son inexistence. Tu voudrais encore quil te hante. Damnation.
Le soir tu fais bonne figure, ou du moins lintention y est. Et ça fonctionne sans doute avec la plus part des ombres qui tentourent. Pour les autres tu espères que, tant bien que mal, la douleur physique camouflera le reste et leur donnera le change.
Et puis avoue-le donc la douleur physique est bien véritable. Si présente par instant que tu en oublies de feindre. Ta terreur fut réelle quand cet étranger a mis le doigt sur la gravité de ton cas, la possibilité de perdre ton bras. Ta réaction instinctive te pousse à ne plus le laisser approcher malgré les regards dincompréhensions qui te couvent, les sourcils qui se froncent face à ton incapacité à te fendre dun simple merci. Il a sauvé ton bras réduisant la fracture, tu le sais évidemment, tu nes pas dupe de toi-même. Un jour peut-être qui sait tu sauras lui en être grée. Ingratitude de lâge ou de la condition tu voudrais faire payer tous les royaumes pour la douleur.
Maryah, la petite fée clochette aux épices douce, distille le savant parfum qui apaise ton corps pour quelques heures toffrant un peu de sommeil. Quelques heures, un répit avant une nouvelle bourrasque royale.
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Voici le temps passé de cette sombre lutte ;
Vivant, mais épuisé, mais meurtri par la chute,
A la taille de l'homme enfin redressons-nous !
Si l'avenir nous garde encore quelque disgrâce,
Demeurons invincible à sa froide menace,
Le regardant en face,
Pour attendre ses coups.
Vivant, mais épuisé, mais meurtri par la chute,
A la taille de l'homme enfin redressons-nous !
Si l'avenir nous garde encore quelque disgrâce,
Demeurons invincible à sa froide menace,
Le regardant en face,
Pour attendre ses coups.
Surtout ne rien montrer, nourrir ton corps, panser tes blessures, donner le change et monter ton courage. Rien nest finit encore, rien nest perdu. Ce soir tu seras debout pour combattre jusquà la fin, jusquau dernier souffle. Guerre opportune qui sait noyer dans le sang le mal qui thabite. Tu naurais su rêver mieux. Des hommes à haïr, des chairs à pourfendre, une cause que tu épouses comme dautres le font dune foi, contre poids à ton déséquilibre. Tu ten balances, tu penches, oscilles au-dessus du gouffre, ploies mais jamais ne te rompt.
Toujours tu as su compenser la faiblesse de ton corps en décuplant ta hargne mais quand il ne suit plus ? Quand il demande grâce ? Il suffit de mordre un peu plus fort, serrer la tenaille de tes mâchoires sur le vide. Est-ce suffisant pour étouffer la douleur qui te brise ? Te voilà minable Liette. Misérable petite brindille destinée à être soufflée au premier coup de vent. Tu le lis dans leur regard à eux qui sont tes frères. Ce regard que tu abhorres, celui de la pitié.
Tu songes alors à cet homme en armure, à ce soleret de fer sécrasant sur ton bras en un bruit sourd dos cassé. A cette main arrachant ton bouclier et pliant ton membre brisé en une position innaturelle. Tu songes au cri quittant ta poitrine pour percer ses tympans. Ce hurlement instinctif et primordial, sans plus rien qui le bride lâchant le grappin sur ta douleur.
Tu as hontes, honte dêtre tombée, honte davoir hurlé, honte de ne pas avoir su faire ta part comme à laccoutumée. Ton cur appelle vengeance et ce désir te tient debout.
Tenons au fond du cur toute douleur captive,
Qu'elle y fasse sa plaie ardente, et toujours vive,
Qu'elle saigne au-dedans mais ne se montre pas ;
Si l'on nous cherche au front quelque ride profonde,
Jetons un fier sourire au regard qui nous sonde,
Et soyons pour le monde
Un heureux d'ici-bas.
Qu'elle y fasse sa plaie ardente, et toujours vive,
Qu'elle saigne au-dedans mais ne se montre pas ;
Si l'on nous cherche au front quelque ride profonde,
Jetons un fier sourire au regard qui nous sonde,
Et soyons pour le monde
Un heureux d'ici-bas.
Puisquil semble que les assaillants vous accorde une trêve dans les combats tu en profites pour récupérer quelques forces, plaisantes avec les autres sur leurs étranges murs, cette façon quils ont de reculer chaque jour pour regagner leur base. Dimanche ! On risque rien cest leur jour de lessive ! Tu nvoudrais quand même pas que la France vienne combattre toute chiffonnée ? Et les rires fusent simples et joyeux, reposants.
Tu disparais le jour dans de vaines recherches. Tu retournes tout Angers, les beaux quartiers, comme les bas-fonds les plus merdiques où grouille la chierie la plus infâme dAnjou. Et dieu sait quAnjou sy connait en matière de profundis. Rien pas une trace, le néant le plus total. Le fantôme semble sêtre volatilisé pour toujours, évaporé comme sa nature le lui commande te confortant dans ta foi en son inexistence. Tu voudrais encore quil te hante. Damnation.
Le soir tu fais bonne figure, ou du moins lintention y est. Et ça fonctionne sans doute avec la plus part des ombres qui tentourent. Pour les autres tu espères que, tant bien que mal, la douleur physique camouflera le reste et leur donnera le change.
Quand le chaume s'embrase on ne voit pas encore
Le feu qui sourdement le broie et le dévore ;
La surface au soleil étincelle et reluit ;
Mais vienne l'ouragan, la flamme alors s'irrite,
L'incendie apparaît, le toit se précipite,
Et tout disparaît vite,
Chaume, lumière et bruit.
Le feu qui sourdement le broie et le dévore ;
La surface au soleil étincelle et reluit ;
Mais vienne l'ouragan, la flamme alors s'irrite,
L'incendie apparaît, le toit se précipite,
Et tout disparaît vite,
Chaume, lumière et bruit.
Et puis avoue-le donc la douleur physique est bien véritable. Si présente par instant que tu en oublies de feindre. Ta terreur fut réelle quand cet étranger a mis le doigt sur la gravité de ton cas, la possibilité de perdre ton bras. Ta réaction instinctive te pousse à ne plus le laisser approcher malgré les regards dincompréhensions qui te couvent, les sourcils qui se froncent face à ton incapacité à te fendre dun simple merci. Il a sauvé ton bras réduisant la fracture, tu le sais évidemment, tu nes pas dupe de toi-même. Un jour peut-être qui sait tu sauras lui en être grée. Ingratitude de lâge ou de la condition tu voudrais faire payer tous les royaumes pour la douleur.
Maryah, la petite fée clochette aux épices douce, distille le savant parfum qui apaise ton corps pour quelques heures toffrant un peu de sommeil. Quelques heures, un répit avant une nouvelle bourrasque royale.
Ainsi de nous, mon âme ! Ainsi de notre vie !...
Chaume vivant, en proie au muet incendie,
Quand tout n'est plus que cendre, arrive l'aquilon !
Qu'en nous voyant tomber sans plainte et sans murmure,
Le vulgaire s'écrie : Où donc est la blessure ?
Point de sang à l'armure ;
Douleur, n'es-tu qu'un nom ?
Chaume vivant, en proie au muet incendie,
Quand tout n'est plus que cendre, arrive l'aquilon !
Qu'en nous voyant tomber sans plainte et sans murmure,
Le vulgaire s'écrie : Où donc est la blessure ?
Point de sang à l'armure ;
Douleur, n'es-tu qu'un nom ?
* Antoine de Latour. Douleur
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