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[RP] Dix petits courtisans

Gysele
Si tu as irrité les oreilles du Dentraigues, tu ne l'as pas réalisé. Issue des quartiers plus malfamés de Paris, tu as pris l'habitude de tutoyer tes collègues, surtout quand vous n'êtes pas en représentation. Tu n'as donc aucun problème à en user devant Lucas bien qu'il ne soit pas du même genre de personnalité que toi. L'invitation à entrer se fit et, encore particulièrement préoccupée par ce que tu viens de vivre avec les patrons tu passes le pas de la porte, sourcils froncés et main crispée sur un pan du châle.

Quand finalement tu relèves le minois pour découvrir l'homme dans son bain, tu hausses à peine les sourcils, peu surprise. Non pas que tu sois habituée à voir Lucas dans cette situation. Au contraire, tu n'es absolument pas proche de lui et vous n'avez jamais eu l'occasion de vous connaître davantage. Mais tu n'as plus vraiment de pudeur, aussi un bain ne représente-t-il pas une raison suffisante pour bredouiller ou détourner le regard. Et puis, si le Maître était dérangé, il n'aurait certainement pas lancé l'invitation.

Tu observes le verre et la pipe et hume les délicats parfums qui embaument la pièce. Pourtant tu n'approches pas plus que quelques pas dans la pièce, poussant juste un peu le battant de la porte pour préserver l'intimité de ton collègue.


    - Bonjour Lucas. j'ne te dérange pas longtemps. J'viens juste te dire que les patrons te demandent dans le bureau.

Ne pas t'étaler sur la question, encore moins sur l'un des courtisans que tu estimes privilégié de par ses manières qui semblent plaire davantage à tes supérieurs et ce depuis le début. Loin d'être jalouse, tu l'envies néanmoins de posséder cette élégance et cette aisance dans le beau monde, deux points qui te font défaut et que tu compenses par une bonne dose de jeu et de provocation. Finalement ton départ te permettra peut-être de réaliser que tu as été chanceuse d'être ici, mais que ta place n'est peut-être pas à l'Aphrodite. Ta grossesse te donnera l'occasion d'y réfléchir. Tu viens retirer négligemment une mèche rousse qui te chatouille le bout du nez et tes yeux parcourent la pièce avec curiosité. Avant de partir, il est toujours intéressant de connaitre l'antre de tes compagnons de nuit.
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Lucas.

Les volutes de fumée commençaient à peine à prodiguer leur effet relaxant sur le corps du Dentraigues. La chaleur de l’eau le poussait vers d’autres rivages. Maître des lieux, maître de son environnement, de ses sens. Seulement voilà, il semblait que quelqu’un en avait décidé autrement, quelqu’un qui en ces lieux avait plus de pouvoir décisionnel que lui. Reprendre contact avec la réalité qu’il voulait oublier l’espace d’un instant demanda un effort de volonté qu’il n’avait pas envie de donner. Donner ne fait pas partie de ses habitudes, prendre oui. Cependant il est des pions qu’il fallait déplacer même si l’envie n’était pas là parce que si l’on délaissait le centre de l’échiquier alors il ne restait plus qu’à subir tout le reste de la partie. Subir n’était pas dans les habitudes du Dentraigues.

Gysèle… Le Maître ne connaissait pour ainsi dire cette galante. Il ne l’avait jamais fréquenté, ils n’en n’avaient pas eu l’occasion et manifestement ils n’avaient pas la même clientèle. Les syllabes grinçantes qui atteignirent le pavillon de son oreille lui en rappelèrent la raison: ils n’offraient pas l’un et l’autre le même côté du charme de Paris, ils ne fréquentaient pas les même frayères. Les mots écornés qui sortaient de la bouche de la galante suintaient une origine avec laquelle Lucas n’avait que peu d’affinités. Si le Maître ne jugeait pas une personne à sa naissance (Lui-même n’était après tout pas membre à la naissance de l’élite auquel il aspirait), en revanche ne pas faire l’effort de s’améliorer était un manque évident d’ambition. Lucas s’était toujours demandé pourquoi Flav avait recruté des personnes comme Gysèle et Monty. Se pouvait-il que certains membres du cercle de l’Aphrodite aimaient à se vautrer dans la fange avec la fange? Vraiment? L’établissement ne devait-il pas prendre une orientation plus luxueuse? Plus haut de gamme? Décidément, les décisions de Flav étaient parfois sujette à caution. Oubliait-il parfois le chemin qu’il devait prendre? C’était à se demander si le parisien avait eu raison de lui faire confiance.


- Une femme a rarement eu le privilège de me déranger Gysèle. En règle générale, je ne fréquente pas les laiderons.

Puant d’orgueil? Non: tellement Dentraigues. A ces mots, Lucas lâcha la pipe qui rebondit une fois sur le sol avant d’étaler ses cendres sur la céramique. La tête penchée vers l’arrière en dehors du bain, il réouvrit lentement les yeux sur une galante n’osant prendre pied dans l’antre du Maître. Étrange sensation: les femmes qu’il voyait la tête en bas et les jambes en l’air étaient habituellement beaucoup moins habillées que la rousse présentement. Le verre glissa à son tour de sa main. vacilla un instant sur son pied, perdit l’équilibre et roula sur le dallage de la chambre. La dernière goutte de vin se répandit au sol alors qu’un mot perça enfin la conscience de son esprit: patrons. Patrons? Lucas n’avait pas de patrons. Ici, il avait un directeur… qu’il comptait bien manipuler à sa guise. Il avait aussi des associés, des propriétaires mais des patrons? Quelle laideur! Voilà encore bien un mot qui dénotait de l’origine de Gysèle. Décidément, il faudrait qu’il en parle à Flav. S’il décidait de la garder, il faudrait de toute évidence donner un peu plus de corps et de maintien à son verbiage. Avoir des talents dans le domaine charnel ne suffisait pas si ce qui sortait de la bouche faisait perdre vigueur à celui qui écoutait d’une oreille tendue. « Celui qui écoutait d’une oreille tendue » ? Oui, Lucas détestait aussi le mot « client » .

Les « patrons » attendaient donc. De qui voulait-elle parler? De ceux qui tiraient les ficelles de Flav? Peut-être. Lucas ne les avait jamais réellement croisé. Il paraissait qu’ils étaient présents à la soirée de réouverture de l’Aphrodite. Peut-être…Mais cette soirée avait été fort occupée pour le Maître et il était possible qu’il eut manqué quelque chose d’important…même si ce n’était pas dans ses habitudes.

Avec langueur, le Maître tira sur ses bras pour se soustraire à sa léthargie et à son bain. L’eau ruissela sur son corps. Les gouttes qui trainèrent à l’arrière n’eurent pas le temps de regagner la vasque et finirent sur le sol alors que le galant se dirigeait vers une longue chemise qui lui servait de sortie de bain. Il s’en drapa et retirant le catogan dans ses cheveux, il se mira dans le miroir en face de lui pour déterminer si sa barbe avait besoin de soins ou si elle était encore présentable.


- Et où ces… « patrons »… désirent me voir? Quel bureau? Celui de Flav? Savez-vous ce qu’ils me veulent?

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Gysele
Si Lucas pensait que tu allais faire un effort pour ses beaux yeux, il se mettait certainement le doigt dans l'oeil. Parler bien te demande de la concentration et un effort que tu n'appliques que lorsque c'est nécessaire. Et ce n'est certainement pas dans l'état d'esprit dans lequel tu es à présent que tu te plieras à cet exercice.
Perplexe à ses premiers propos, tu arques tes sourcils d'étonnement. Si la joliesse d'une personne devait suffire pour ne pas être dérangé, tu le saurais. Mais ton interlocuteur semble se contenter de l'enveloppe davantage que du contenu et tu comprends donc à présent que jamais tu ne trouverais d'entente avec lui. Les corps sont beaux pour toi, certains plus que d'autres, mais tu parviens à trouver du charme ou une qualité à chaque personne qui vient te voir et si tu n'y parviens pas, l'esprit peut encore embellir l'individu. Qu'importe si le physique ne correspond pas aux canons de beauté, le tien n'est d'ailleurs pas le plus joli qu'il existe et ça ne t'a jamais empêché de plaire.


    - J'ignorais qu'la beauté était le seul atout pour qu'une femme n'te dérange pas Lucas.

L'anthracite suit le rebond de la pipe et ainsi que le mouvement de la coupe au sol. Dentraigues pourrait passer pour un noble si tu n'étais pas certaine de sa condition. Toi qui te pensais arrogante, tu n'avais pas encore connaissance du caractère de ce courtisan. Sûr qu'il te détrônait de loin. Fort heureusement, tu n'avais pas accès à ses pensées à ton sujet, sans quoi tu lui aurais réservé quelques noms d'oiseaux dont toi seule a le secret.

C'est donc avec une simple curiosité que tu observes le départ du bain et l'habillage furtif. Tandis que le blond se mire dans la psyché, toi, tu t'impatientes, car tu n'as qu'une idée en tête : déguerpir d'ici.


    - Tu dois aller voir Justin et Axelle qui t'attendent à leur bureau. Quant à ce qu'ils te veulent... Ils ne m'en ont rien dit.

Tu mens à moitié car si tu te doutes à présent que tout le personnel est interrogé sur Flavien, le directeur et son épouse pourraient tout aussi bien vouloir promouvoir Lucas. Et puis, tu as décidé de ne plus te mêler des affaires de l'Aphrodite dès que tu as quitté leur bureau.

Tes mains tremblent un peu, parce que tu es en manque, parce que tu es contrariée et fatiguée. Tu les glisses l'une contre l'autre et entrecroises tes doigts pour apaiser tes spasmes légers. Les paumes posées sur le léger ventre qui perce sous l'étoffe, te rappellent que tu es dans une mauvaise situation et que tu as d'autres choses à faire que jouer les messagers.


    - J'ai fait mon travail. Je te laisse à ta contemplation Lucas. Bonne continuation.

Tu étouffes dans cette chambre dont les vapeurs du bain sont encore trop opaques pour toi. Tu as besoin de sortir et vite. Les parfums réveillent une nausée désagréable et tu es déjà en train de te retourner vers la porte. Tu ne lui accordes pas un regard de plus, tu n'as plus envie de faire d'efforts et ça se sent à tes manières crispées car tes dernières barrières de bonne tenue cèdent petit à petit et tu sens que si tu restes un peu plus, le Dentraigues risque de vraiment découvrir la sauvage des Miracles que tu es. Le souffle est plus court quand tu t'éclipses par la porte et plus loin, on pourra entendre un claquement de porte furieux quand tu iras ramasser tes affaires dans ta chambre.
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Lucas.

Les femmes sont comme les oignons: c’est par l’extérieur qu’elles se découvrent. Lucas Dentraigues effeuillait les femmes - au propre comme au figuré - comme il savourait ce bulbe: couche après couche. Si certains passaient outre une pelure gâtée ou tout simplement moins appétissante, cela n’était pas son cas. La joliesse était de mise avec le parisien. « Nécessaire mais pas suffisant » auraient dit les mathématiciens les plus réputés. L’homme était exigeant avec lui-même et il requérait la même rigueur chez ceux et celles qui le côtoyaient, y compris chez celles qui payaient pour disposer de ses services l’espace d’un soir. Et soyons clair: Le Dentraigues aussi était un oignon qui se découvrait pelure après pelure. Certaines payaient pour avoir accès à son corps, d’autres avaient le privilège de voir dans ses yeux un plaisir non feint. Rares étaient celles qui accédaient à son esprit et plus encore. D’aucun dirait c’était le privilège des esthètes, d’autres rétorqueraient que c’était plus une malédiction d’être ainsi. Lucas jubilait autant d’être adulé que d’être détesté. L’indifférence l’horripilait. Et pour une fois, cela valait autant pour la gente féminine que pour la masculine.

Le parisien avait souri lorsque les paroles de Gysèle lui revint à l’esprit: effectivement, ils ne se connaissaient que peu. Ses mots avaient figé les gestes du galant l’espace d’un instant. L’ex-avocat avait focalisé ses bleutés sur l’arrière-plan du miroir et son regard provocateur avait croisé celui de la galante sur la surface vitrée. L’effet des plantes envolées en fumée plongeait son esprit dans une langueur qu’il avait recherché. Il lui fallait un moment pour assimiler les paroles de la rousse. Qu’importe: ce n’était pas ce jour qu’il mettrait le monde à ses pieds. Il pouvait bien remettre cela à demain, oui.

Voir Justin et Axelle? Oui, c’est ce qu’elle avait dit. Il y avait comme quelque chose qui le dérangeait dans cette façon de s’exprimer outre cette manie d’avaler les syllabes. Justin et Axelle… L’Aphrodite recrutait-elle ses domestiques par couple désormais? Ces pseudonymes sonnaient bien de manière familière dans son esprit mais le contexte des paroles de Gysèle perturbait un esprit déjà alangui par l’autre addiction du Dentraigues.


- Just…Oh! Vous voulez dire le Duc et la Duchesse d’Aunou?

La galant n’avait jamais rencontré les propriétaires de l’Aphrodite et il se demandait bien ce que le couple ducal pouvait avoir à lui dire. Avaient-ils besoin de ses services en préparation d’une soirée pour une invitée d’exception? Ou était-ce à l’ex-avocat qu’ils désiraient s’entretenir? Avaient-ils eu vent de son entrevue avec la comtesse de Remscheid? S’enquerraient-ils de ses projets d’avenir? Et pourquoi envoyer une galante porter le message au lieu de faire appel à l’une des domestiques de l’établissement? N’étaient-ils pas là pour cela après tout? Gysèle n’étant que peu bavarde sur le sujet, il n’en sut pas plus avant que celle-ci ne repasse par la porte. Il est des mystères dans la vie qu’il ne sert à rien de percer. Pour Lucas Dentraigues, Gysèle était un de ceux-là.

- Mes resp…

Trop tard. Trop lent. La vivacité d’esprit ou le plaisir de fumer, il fallait choisir. Ce jour-là, le parisien avait fait son choix et il lui faudrait l’assumer devant ceux qui lui ont offert une tanière au plus fort de la tempête.

- …ects Gysèle!

Gysèle… Oui, un mystère qui ne serait sans doute jamais percé.

Ce fut un Lucas Dentraigues vêtu à la dernière mode de Paris qui vint toquer au bureau de la direction peu de temps après que la rousse galante eut quitté sa chambre. Un ruban de velours noir attachait ses cheveux peignés avec soin en catogan. Il portait un jabot de dentelles du Puy-en-Velay au dessus d’une chemise du blanc le plus pur. Un pourpoint bourgogne aux entrelacs dorés recouvrait le haut de son corps. Le pantalon était assorti au pourpoint. Il était fixé sous les genoux par un bouton de cuivre. Des bas de soie blancs et des chaussures à boucle noires terminaient de l’habiller. Ajoutez à cela une barbe soigneusement peignée et une touche de la Lyre d’Eurydice à la naissance du torse et vous aurez une bonne idée du Lucas Dentraigues qui se trouvait derrière cette porte close, un cristal de Figeac à la main.

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Flav
Quelque part, le long des côtes de France.

Un sac de toile sur la tête, les mains liées dans le dos, ses bourreaux l'ont enfin sorti de ce cageot dans lequel il a été longuement balloté, qui jusque là, devait certainement servir à l'usage de transports du petit bétail.

Parfaitement inutile que cette vulgaire toile qui lui recouvre le visage, il a eu tout le temps de reconnaître ses ravisseurs, c'est sans doute l'endroit dans lequel ils font halte qu'il ne peut voir.

Pourquoi a t'il fait confiance à ces hommes? C'est que jusque là tout se passait bien. Il avait réussi à amasser quelques fonds propres, s'était allié quelques personnes fortunées, et n'avait pas hésité à donner de sa personne pour y parvenir en séduisant une veuve non dénuée de charme. Son petit trafic allait bon train, dans la grange qu'il loue s'amasse de plus en plus de denrées exotiques... A force de persévérance, il était devenu un des principaux fournisseurs de l'Aphrodite.

Il aurait dû rester vigilent, quand on côtoie la racaille, ça finit toujours par se retourner contre soi.

Tandis qu'on le rudoie pour qu'il s'assied au sol. Il reconnait la voix d'un des marins avec lequel il a déjà fait affaire qui dit de faire attention à son complice, de ne pas l'abîmer s'il veut en tirer un bon prix.

Ainsi il est fixé sur son sort. Ils comptent le vendre comme un vulgaire esclave, ils ne l'égorgeront pas tel un verrat, d'ailleurs ils auraient, depuis son enlèvement, eu tout le loisir de le liquider s'ils l'avaient voulu.

Il s'en veut de n'avoir pas été plus perspicace. Il lui faut trouver le moyen de s'échapper. Ils doivent être loin de Paris. Il a pu, au travers des planchettes, apercevoir la mer, évidement que si on veut l'expédier sur une galère, ils doivent atteindre un port.

Mais qui a voulu se débarrasser lui de la sorte? D'emblée il pense à Justin, qui apprenant son petit commerce, décide de l'expédier au plus loin, ou quelques négociants qu'il a roulés.

Il aura tout le temps de penser à cela plus tard. Il lui faut trouver la bonne occasion pour filer, car il n'y en aura pas deux. Ils sont trois. Celui qui conduisait la charrette, qui bavardait avec un deuxième probablement assis à ses côtés. Et de temps à autre, ils devisaient avec un cavalier qui faisait des aller-retour fréquents.

Dans cette masure qui sent le renfermé, y a t'il quelqu'un d'autre? Il lui faut tendre l'oreille, s'en assurer. Attendre la nuit, quand ils dormiront pour leur fausser compagnie.

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Axelle
La porte s'était refermée sur la silhouette rousse sans que la manouche ne daigne se retourner pour la regarder une ultime fois. Ainsi allait la vie et nul doute qu'elle continuerait sans que, ni remords, ni regrets, de s'être montrée sans concession ne vienne troubler le sommeil manouche. Définitivement, le jour n'était pas arrivé où une femme saurait se faire incontournable et véritablement précieuse dans sa vie. Ainsi soit-il.

Un moment, elle regarda encore par la fenêtre, sans n'avoir plus rien à y voir, le temps de se recomposer un visage plus clément, débarrassé du pli trop sévère marquant le coin de sa bouche. Elle n'avait plus qu'une envie. Une envie qui se faisait de plus en plus impérieuse. Boire, les yeux paumés dans ceux de Justin, à parler de tout et de rien. Et surtout de rien. Lovée au creux réconfortant de ses bras. Mais la galerie de portraits devait se poursuivre sur une nouvelle entrevue.

De celui qui se présenterait à la porte, la manouche ne savait rien, n'ayant pu que remarquer lors de la soirée d'ouverte, la parfaite éducation dont il semblait parfumé. Et cette consolation n'avait rien de maigre tant elle annonçait un entretien bien plus paisible et limpide que les précédents.

Revenant vers le fauteuil de Justin, elle glissa une main chaleureuse dans les mèches brunes et se pencha pour murmurer à l'oreille maritale.
J'espère que tu as une bonne réserve de cette boisson de chez toi. Je ne sais pas toi, mais en ce qui me concerne, je vais en avoir foutrement besoin. Sans compter qu'ensuite, je compte bien t'épuiser.

Mais la détente n'avait pas encore gagné ses minutes et, déjà, à la porte, des coups résonnaient. Inspirant de dépit de devoir si rapidement s'arracher au parfum mâle, elle se redressa, sans pourtant délier sa main de la nuque du Faucon et, d'une voix blanche, accorda le sésame.

Entrez.

Fichu Flavien.
Lucas.
La porte s’était ouverte sur un Lucas Dentraigues dont le sourire avait fait place à la surprise. Il ne connaissait pas réellement le Duc et la Duchesse. Il les avait à peine aperçu en quelques occasions lorsque Aphrodite réunissait ses ouailles. La pose, la main sur la nuque de la femme sur son homme avait un parfum sauvage de possession, celui de la louve ayant conquis son mâle et ne désirant plus le lâcher pour… des raisons qu’il est aisé d’imaginer. Gysèle l’aurait-elle envoyé ici dans le seul but de le faire mal paraître aux yeux des propriétaires des lieux en arrivant à un moment inopportun? Ou était-ce tout simplement une malheureuse coïncidence? Lucas n’était pas homme à croire aux coïncidences. Le monde qu’il côtoyait en était dépourvu. Tout n’était que calcul savamment imaginé, fait et refait pour optimiser l’atteinte de l’objectif recherché. Et puis…

…Et puis, L’Aphrodite était un microcosme représentatif de la société parisienne. Après tout, de part les services qu’il offrait à ses membres, ses employés n’étaient-ils pas tous, à leur façon, ferrés aux relations humaines et sociales? N’était-ce pas là une partie de la tâche que l’on attendait d’eux? Comprendre, deviner et jouer des addictions? Petites ou grandes? Qu’y aurait-il d’étonnant que dans un tel creuset se développe les germes de l’égoïsme au sens premier du terme, ceux des intrigues, des luttes de pouvoir où chacun se cherche les appuis pour progresser vers les sommets. Et quand une marche est gravie, il n’est pas question de la lâcher. L’on s’y attache avec force, l’on défend son territoire, l’on affirme ses prétentions. Cette main sur cette nuque représentait l’essence même de l’Aphrodite. Oui, à n’en point douter, Gysèle sera une redoutable opposante pour Lucas Dentraigues.


- Duc, duchesse, mes respects.

Les pieds joints, le verre de Figeac à la main, Lucas Dentraigues se courba en une gracieuse révérence devant le couple d’Aunou.

- Une rumeur est parvenue jusqu’à mes oreilles prétendant que vous m’aviez fait mandé.

En d’autres temps, l’ex-avocat aurait profité d’une telle entrevue avec la haute noblesse. Il l’aurait préparé avec soin et se serait assuré que les atouts maîtres se trouvaient dans son jeu et non dans le talon, encore moins dans le jeu adverse. Là, il avait été pris à froid, dans son bain et la fumée blanche berçait encore son esprit d’une langueur qui n’avait rien de monotone. Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Il serait bien temps de se remettre à l’offensive. Pour l’instant, comme disait la paysannerie qui se vautrait dans la boue et dans la bière lors des matchs de soule: mieux valait ne pas marquer dans son propre but.

- Je doute qu’une de nos membres ait à reprocher quoi que ce soit à la qualité de mes services alors peut-être que cette entrevue est due à une demande particulière d’une de nos visiteuses d’un soir? A moins que vous ne désiriez avoir recours à mes talents juridiques comme notre cher directeur… ou encore que vous ne souhaitiez me confier les rênes de l’Aphrodite en son absence? Demandez et vous serez servis.

Le blond galant leva son verre et en but une gorgée. Vous avez dit « Lucas Dentraigues » ?
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Bakhtan
Un peu d'Élixire D'Anvers?

Il est rare qu'il nomme cette boisson autrement qu'en flamand. Bien qu'il tente de faire attention à son français, surtout à l'Aphrodite, la ville éponyme du breuvage n'en demeure pas moins écorchée, le "s" final que tout bon français qui se respecte occulte, étant prononcé, trahissant ses origines.

J'en ai toujours de stock, aurais-tu besoin d'un petit remontant. Tu trouves que nous avons été trop rude avec? Je t'ai sentie parfois à cran avec cette fille. Mais passons, elle ne pourra pas dire que nous l'avons laissée à la rue avec son rejeton. Je ne comprendrais jamais ses gens qui n'ont rien, et refusent les mains tendues.

Si tu comptes m'épuiser autrement qu'à coup d'alcool, dans ce cas, finissons en vite avec le maître, je doute qu'il puisse nous apprendre quoi que ce soit sur la disparition de Flavien.


Et tandis qu'elle précipite la dernière entrevue, la main posée sur sa nuque, il la sent se redresser, il en fait autant dans son siège. L'image du duo ducal, dans pareil posture a tout d'une œuvre flamande de leur contemporain Jan Van Eyck, un de ses peintres en vogue qui comme ses paires seront communément appelés plus tard, les primitifs flamands. Les historiens de l'art comme l'entrant pourront se poser moultes questions sur le pourquoi du comment de cette main féminine posée dans le cou du duc. Signe d'autorité, rang social ou fortune plus élevée, aucun ne pensera à de la complicité, tout n'est il pas codé en ce 15ème siècle?


Justin est loin de ces considérations, tandis que Lucas, entre. Il l'écoute attentivement, interloqué et par sa proposition, tout comme par sa tenue, qui se fond à la perfection avec l'endroit.


Nous n'avons rien à vous reprocher, et il n'est pas arrivé à nos esgourdes que de nos membres se soient plaint de vous.

Ca vous intéresserait vraiment de prendre la place du gérant? Vous n'avez pas une idée d'où il peut trainer? Vous ne l'auriez pas jeter au fond de la Seine dans le but de nous proposer vos services?


Justin de rire doucement, tout en se trouvant piètre enquêteur.
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Lucas.

La question n’en n’était pas une en réalité et pourtant le duc ressentit le besoin de le lui confirmer : aucun reproche…des membres. Cela sous entendait-il que certains employés avaient émis des plaintes à son égard? Qui? Angèle qui fouinait partout? Justine qui s’intéressait d’un peu trop près à tout ce qui touchait au Maître? Ou Flav qui couvrait ses arrières en dénigrant sur tout ceux qui montrait un brin d’ambition? Se méfier de tous, établir des alliances solides comme celle qu’il avait avec la florale et attendre l’impair, avancer ses pions avec précautions sur l’échiquier et utiliser les pièces maitresses à bon escient: telle avait toujours été la façon d’aborder les problèmes de Lucas Dentraigues et elle sera toujours ainsi.

Pion fut avancé et intérêt, feint ou non, pour celui-ci fut affirmé. Si la place de gérant l’intéressait? Et celle de posséder l’Aphrodite? Hum? D’avoir l’oreille des puissants à la hauteur de ses lèvres? De revenir en grâce et d’avoir le tout-Paris à ses pieds? Tout cela l’intéressait-il encore? Les paroles du Duc firent sourciller le parisien: Flav était-il la raison de sa présence ici? Le Duc et la Duchesse étaient-ils eux aussi sans nouvelle de leur directeur? Lucas avait lui aussi dénoté l’absence de Flav dans les murs de l’établissement mais il s’y était habitué. L’homme n’y était que peu présent en règle générale. Visiblement, l’établissement devait tourner sans lui. Et puis l’avocat savait aussi que le basané avait quelques affaires juteuses qui mijotaient sur le feu. Il s’en était ouvert à Lucas. Flav connaissait le passé de l’ex-avocat. Il savait que le parisien avait fait fortune non seulement en devenant un avocat ayant la réputation de gagner ses causes même les plus ardues mais également en investissant de manière opportune le petit pécule accumulé à la sueur du front de ses victimes. Le Duc était-il sérieux dans sa proposition de remplacer Flav? Ou lui lançait-il un hameçon pour tester sa loyauté envers son supérieur à l’Aphrodite?


- Eh bien, nous devons bien admettre vous et moi que si notre cher directeur se démène pour amener certains produits de luxe à l’Aphrodite, sa gestion de l’établissement est pour le moins défaillante: pas de présence auprès des employés, peu ou pas de directives pour améliorer notre relation avec nos membres, pas de relance pour les voir remplir plus souvent les caisses d’Aphrodite et c’est sans compter sur le travail lié à l’image de l’Aphrodite dans le royaume. Où sont les soirées à thème qui feraient notre renommée? Une nuit où les masques ne tomberaient … ou pas… que lorsque la lie de l’indécence serait totalement consommée nous amènerait sans doute plus de membres, qui dépenseraient plus. Et dans l’addiction se trouve une des sources du pouvoir ne croyez-vous pas?

Taper sur le clou sans le tordre complètement. Suggérer des pistes d’améliorations et convaincre les dirigeants qu’il était le mieux placé pour les mettre en oeuvre. Le pied du verre de vin tournait entre les paumes de ses doigts. la robe du liquide rubis s’étalait sur les rebords du cristal et s’effaçait progressivement comme une femme qui aime à attiser le désir sans vouloir s’offrir hâtivement. Le maître esquissa un sourire de circonstance aux paroles du Duc, lui notifiant ainsi poliment qu’il appréciait sa touche d’humour, qu’il la prenait comme telle et non comme une marque de suspicion.

- La Seine est sans doute un lieu bien trop humide pour nôtre aventurier. Je pense que vous auriez plus de chance de le retrouver eunuque dans le harem d’un sultan ou mourant de soif dans le désert autour d’Alexandrie. Outre devant le corps des femmes, notre cher directeur doit parfois atteindre l’extase devant un coffre rempli d’or et de pierres précieuses. J’espère que son appétit pour les richesses matérielles ne vont pas l’amener à prendre des risques inconsidérés.

… Surtout quand une petite partie de la fortune du Maître se trouvait investie dans les combines de l’égyptien.

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Axelle
Peut-être était-ce le contre-coup de la déception encore fraîche que Gysèle lui avait fait avaler. Peut-être était-ce l'envie prégnante de s'échapper de ce bureau maudit, pour enfin profiter du rire de Justin. Peut-être était-ce simplement la fatigue et la lassitude. Peut-être bien, oui. Mais il ne fallut guère de temps à la manouche pour se forger une certitude. Ce blond, face à eux, elle ne l'aimait pas. De cette façon qu'il avait de tenir son verre jusqu'à cette manière grossière de profiter de l'absence de Flavien pour lui casser du sucre sur le dos dans le seul dessein manifeste de prendre du galon. Lucas, en quelques instants de présence, représentait déjà tout ce qu'elle méprisait, loin de valeurs de loyauté et de droiture sous lesquelles elle ployait son existence. Et furtivement, sa narine frémit d'envie de foutre cet arrogant tout pétrit de suffisance la porte, incapable qu'elle se trouvait de lui trouver la moindre qualité malgré la justesse des arguments et idées déballés à leurs pieds.

Pourtant, bien que campée dans son opinion que l'homme n'était rien de moins qu'un arriviste pompeux, la Casas était consciente que rien ne pouvait lui être reproché hors cette montagne déplacée d'ambition, et surtout, depuis le début des entretiens, il semblait être le seul à avoir quelques information sur le métisse. Aussi ravala-t-elle comme elle le put son aversion, tout en notant en grandes lettres rouges dans sa cervelle de se méfier de lui comme de la peste. Et pour la teigne butée et intransigeante qui ne savait que rarement tenir sa langue, l'exercice était pour le moins compliqué.

La main toujours ancrée à la nuque du Faucon, tel un pied de nez à la surprise de Lucas qui ne lui pas échappée à son l'entrée, la manouche resta quelques instants songeuse, cherchant le meilleur moyen de l'amener à leur confier ce qu'ils cherchaient à savoir. Aussi dessina-t-elle à son visage un de ces sourires de circonstance qu'elle avait parfaitement appris à exécuter au Louvre.

Vos talents juridiques... Voici qui peut être fort intéressant, et ce même au-delà des murs de l'Aphrodite... Elle laissa le temps filer quelques instants, juste le temps nécessaire pour que Lucas puisse prendre toute la mesure de l'opportunité qu'elle déployait mensongèrement devant ses mirettes avides. Devons-nous nous sentir menacés par les agissements de Flavien ? S'il a dû faire appel à vos compétences juridiques, était-ce pour bénéficier de votre précieuse protection ?

Ou comment une manouche rompue aux combats et faite duchesse cherchait à se faire petite oie blanche et craintive.
Lucas.

Elle prenait la parole, la direction des opérations… à moins que ça ne soit un interrogatoire mené en commun? Le Maître jaugea ses interlocuteurs un à un et il avait du mal à dire qui de elle ou de lui menait vraiment le bal dans leur couple. Cette Axelle était-elle une jolie potiche ou une habile marionnettiste? Duquel devait-il se méfier? De qui pourrait-il se faire un allié utile? Sur qui serait-il bon qu’il eut quelques dossiers secrets? Leur union était-elle une simple façade, une alliance de circonstance ou un réel amour? Lucas Dentraigues ne croyait pas à cette dernière possibilité pour la bonne est simple raison que l’amour dépourvu de tout intérêt n’existait pas. D’un côté de l’échelle, le soit-disant amoureux pouvait se contenter d’une intérêt purement charnel. L’autre extrémité du panel de possibilités n’avait, quand à lui aucune limite: argent, pouvoir, chantage, titre… Non l’amour réel tel que décrit par certains littéraires idéalistes n’existait pas. Le couple en face de lui ne faisait pas exception à la règle, il en jurerait.

Le Dentraigues jeta un coup vers le fauteuil libre devant le bureau. On ne lui avait pas proposé d’y prendre place. Son regard perçant se posa alors sur elle. La réponse à ses questions se trouvait quelque part là, dans le creux d’une main posée sur la nuque masculine, dans quelques mèches rebelles, sur l’arrondi d’une lippe ou dans sa posture qui lui faisait presque draper son époux d’une couverture de sensualité. Lèvres closes, l’ouïe attentive à la moindre variation d’intonation qui aurait pu révéler par mégarde une information non consentie, le parisien s’abreuvait des paroles de la Casas, à défaut d’un verre où le Figeac s’était dissipé comme par enchantement.


- Vous sentir menacé par notre directeur? Que nenni! Je doute que notre ami soit assez fat pour risquer de perdre un emploi lucratif. D’autant plus que si l’on porte intérêt aux rumeurs, l’homme apprécierait grandement de travailler pour un établissement comme le vôtre qui propose certains avantages secondaires substantiels.

Il était inutile d’en dire plus. Trop insister eut été inconvenant. Et puis, Lucas aimait à diriger ses affaires comme il le faisait avec la gente féminine: laisser libre cours à l’imaginaire apportait souvent son lot d’imprévus stimulants. L’ex-avocat posa son verre sur le guéridon situé proche du mur senestre et s’approcha du fauteuil laissé libre. Les paumes de l’index et du majeur parcouraient de manière évocatrice les entrelacs de velours qui se dessinait sur le bras de celui-ci.

- Flav n’a pas fait appel à moi pour mes talents juridiques. Pas encore. D’ailleurs il sait qu’à la suite d’une affreuse méprise, je ne puis plus plaider en cour. Non, voyez-vous, c’est à ma fortune personnelle qu’il s’intéressait. Si Aphrodite a besoin de merveilles pour satisfaire sa clientèle exigeante, notre ami a besoin de beaucoup d’écus pour satisfaire aux envies les plus raffinées que le Très-Haut a mis sur cette terre. En cela, ni vous ne moi ne pouvons le blâmer. Qui ne ferait pas de même dans sa situation? Or, il se trouve que les occasions d’affaires lucratives nécessitent parfois une mise de fond substantielle.

La main roulait sur le tissu du fauteuil comme si le galant jouait avec le derme d’une de ces belles de nuit venue chercher le frisson de l’interdit au creux de son imaginaire débordant. Le galant provoquait, évaluait, soupesait, jaugeait. Il était comme le pécheur prenant patience en voyant le poisson tourner autour de l’hameçon. Mordra t-il ou fera t-il preuve de prudence? Ah si seulement son esprit n’était pas embrumé par ces effluves d’indolence parties en fumée.

- Flav avait une affaire lucrative en vue et je l’ai aidé à la réaliser. Je le pense homme de parole et respectueux des termes d’un contrat d’affaires.

Plusieurs personnes avaient déjà essayé de le flouer, peu en avait tiré un quelconque avantage.

- J’espère simplement qu’il ne s’est pas mis dans de mauvais draps. Je m’en voudrais terriblement de m’être fourvoyé sur ses aptitudes commerciales.

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Bakhtan
La main toujours posée sur son cou, si il est questions d’échanger quelques godets, c’est la promesse du corps à corps proposé par la duchesse qui attise et enivre le duc. Entre jambe à l’étroit dans ses braies, c’est à milles lieux de la recherche de Flavien qu’il se trouve en pensée.

Et si il a hâte de se retrouver seul avec Axelle. Il est évident que Lucas en sait plus que les autres, que l’extase se ne sera pas pour tout de suite. Contrairement à Axelle qui est méfiante, Justin est réceptif au propos du maître, il le trouve direct, il ne tourne pas autour du pot, et même si l’objectif déguisé est de supplanter le gérant, une graine est plantée.

Cela plaît au proprio, il aime les gens qui ont un esprit de compétition, tant que ce n’est pas lui que l’on cherche à détrôner. Tout comme en bon flamand, il aime le commerce et si il n’est pas dans le besoin, il n’est jamais contre le fait de faire une bonne affaire. Il n’est pas de ses ducs qui dépensent sans compter, et vivent à l’ombre des créances.

Lucas voit grand pour l’Aphrodite, il s’inscrit dans la vision que Justin a de l’endroit. De grandes fêtes et banquets qui doivent faire la renommée de l’établissement, plus de communication, concernant la gestion des courtisans, il ne parvient pas à s’imaginer ce qu’elle devrait être, sur ce point, il a laissé toute les latitudes à Flavien.

Il ne peut s’empêcher de rire quand Lucas, suggère que Flavien serait devenu eunuque dans un harem, mais retrouve vite son sérieux quand il parle d’un appât du gain qu’il n’avait pas déceler chez le métis.

C’est Axelle qui rebondit et relance l’entretient. Il commence à bien la connaître et voit ou elle veut en venir, décidément, il n’est pas bon enquêteur.

L’entretient n’est pas prêt de se terminer, le maître a des éléments qu’ils n’ont pas, aussi Justin montre de la main le siège dont Lucas effleure et triture de ses mains le dossier.


Ce qui m’étonne, c’est qu’il ait besoin de débloquer des fonds, quand il a procuration sur une de mes cassettes que gère mon ami Lombard en ville. Ce que je suppute, c’est qu’il tente de faire cavalier seul sur quelques transactions, ou avec votre aide. Je ne peux le blâmer d’essayer de s’enrichir, tant que l’Aphrodite tourne, c’est après tout, uniquement ce que je lui ai demandé, nous venons de lui trouver une qualité à notre gérant.

Justin d’éclater de rire. Un rire dans lequel une pointe de dépit, est plus que décelable.

Bon sang ne saurait mentir après tout. Quoi que cela, ne nous explique pas sa disparition. Avez-vous une idée des gens avec qui ils traitaient ? Je pense que cela pourrait nous être utile.

Méditant un instant. Il ne lui laisse pas vraiment le temps de répondre, avance une autre carte, proposant une sorte de donnant-donnant.

Je n’ai rien à reprocher sur les livres de comptes de Flavien, il s’avère même être un bon gestionnaire. Par contre, comme vous le mentionnez, à trop bien gérer les comptes, sans doute ne s’occupe t’il pas assez des courtisans et des réceptions que nous devrions donner ici lieu.

Nous avons d’ailleurs du confier le recrutement à Elle. Elle est un excellent atout de l’Aphrodite, je pensais à lui donner plus d’importance au sein de l’Aphrodite, j’ignore si elle sera preneuse. Sans vraiment empiété sur le gérant, on peut le décharger de quelques tâches.

Elle pourrait être la courtisane première de l’établissement et insufflé aux autres ce qu’ils convient de faire ou non. Vous pourriez, de votre côté, gérez le pendant masculin. Voir si vous avez des idées de réceptions détonantes, et des talents d’organisateurs, prendre en main la communication de nos évènements à venir. Aidez-nous à mettre la main sur le gérant, proposer vos idées, et vous pourriez prendre un peu plus de galon.

Je veux que vous me dites, tout ce que vous savez sur les projets commerciaux de Flavien, ceux passé ou à venir.

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Lucas.
 
« Il mène aussi». Ce furent ces paroles qui s’imposèrent au Dentraigues après la tirade du duc d’Aunou. « Cela lui plait-elle ? ». Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour cataloguer la duchesse car oui, Lucas était ainsi: il triait, classait, évaluait même les personnes. Aussi peu qu’il avait vu Axelle, il l’avait mise dans le tiroir des dominants, de ceux qui ont ce désir de mener, de se faire entendre et d’imposer ses points de vue. Imposer lorsque convaincre n’amenait è rien…même si la deuxième solution était plus jouissive que la première. Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour cerner Axelle car Lucas était dans la même catégorie. Il le savait et en était fier. Le duc? Après ces paroles, Lucas le rapprochait de Rose : moins direct, moins bousculant, plus subtil et tout aussi dangereux. Rose, autant que le duc d’Aunou jouait plus de finesse pour atteindre son objectif et cela pouvait être terriblement efficace. Le galant l’avait perçu et le potentiel de la Florale devait tomber dans son escarcelle. Pacte fut scellé… de la plus belle des manières qui soit.

Le fessier du galant vint trouver le velours du fauteuil qui lui faisait de l’oeil depuis son entrée. Les troupes devaient se mettre en ordre de bataille et le général avait la tête qui tournait. Les plaisirs enfumés se conjuguaient mal avec un ferraillage verbal. Cette fois, ce furent les traits du duc que Lucas détailla. Oh non, pas pour des raisons esthétiques: notre ex-avocat n’avait aucune tentation de l’autre côté de la barrière. Il se gardait jalousement et en exclusivité à la gente féminine: à chacun ses faiblesses. Un visage trahit souvent une pensée, une émotions, un état d’esprit. « Qu’y a t-il dans ta tête cher duc? Je veux dire: au delà du rideau charnel que la duchesse tisse sur ta nuque. »


- Je ne doute pas que notre directeur ait à coeur la prospérité de l’Aphrodite duc. Je pense que certaines de ses faiblesses lui coutent cher et que vous verriez sans doute d’un mauvais oeil que votre cassette soit ouverte pour partir en fumée entre ses lèvres ou pour faire briller d’envie le regard de ses amants et maitresses d’un soir.

En réalité, Lucas ne connaissait en rien les addictions et les petites faiblesses de son directeur. Le dossier Flav ne faisait que s’étoffer depuis peu chez le Dentraigues mais c’était ainsi qu’il le voyait. Et puis ici comme en cour, plaider sa cause ne signifiait pas forcément avoir raison. La vérité n’était pas toujours garante de succès. Les apparences, quand à elles, étaient un atout essentiel, souvent suffisant.

- Flav était en affaires avec un certain Ibn Al Azif, un marchand oriental bien connu de Paris. L’homme a un accès privilégié à certains trésors d’Orient. Il a fait sa fortune ainsi, comme tout le monde, en se rendant essentiel. Je le connais car je l’ai déjà sorti une fois d’un mauvais pas. L’homme est riche et il tient à le rester. Il a pris le meilleur avocat qui soit. Cela lui a couté cher, tant en écus qu’en douceurs orientales. Si vous n’avez jamais mis l’orient dans votre lit duc, je vous le conseille. C’est un pur ravissement.

Provocation? Pour sur. Pourquoi? Allez savoir! L’aurait-il fait si ses sens n’avaient pas été aussi embrumés par l’opium? Allez savoir!

- Al Azif l’a mis en contact avec un de ses fournisseurs. Je ne sais comment Flav a réussi ce tour de passe-passe car l’homme ne révèle jamais ce genre d’information. Il tient à se rendre indispensable et ma foi, cela se comprend. C’est après que Flav est venu me quérir pour investir dans ses affaires et ma foi, ce qu’il m’a montré m’a convaincu de lui faire confiance. J’ai pu moi-même constater de son efficacité. D’ailleurs, la remise de L’Aphrodite contient non seulement des merveilles dont peuvent profiter nos fils et nos filles mais également de certains trésors personnels estampés Flavien, sa caverne aux trésors en somme. Vous avez raison duc : Flavien a bien la fibre des affaires. Gare à lui cependant de ne pas se bruler les ailes. A force de s’ouvrir l’appétit, l’on devient aussi gras et pataud qu’un eunuque.

Rose? L’arrivée de la florale dans la discussion fit sourciller le Dentraigues. Le couple ducal était-il au fait de sa relation tant commerciale que personnelle avec la galante? « Duc mon ami, tes bottes sont bruyantes. Je te pensais plus subtil que cela. Me serais-je trompé sur ton compte? Amener Rose ici est…indécent et limite insultant pour ma personne tant ta manière de subtilité… A moins bien entendu que tu veuilles t’assurer d’équilibrer le rapport de nos forces. »

- Rose est le joyau d’Aphrodite, duc. Confiez-lui des responsabilités et elle fera fleurir et épanouir votre investissement. Son talent hors pair de galante met le tout-Paris entre vos mains. Mais elle a bien plus de d’atouts que cela. Quand aux galants, ils n’ont pas besoin d’un sous-directeur mais de quelqu’un qui puisse rendre florissantes nos affaires.

Nos affaires? Oui, il avait bien dit « nos affaires ».

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Axelle
Non, elle ne l'aimait pas. Définitivement. Cette façon qu'il avait de caresser le dossier du fauteuil qui lui filait la nausée par trop de miel, avant de s'y asseoir sans y être invité. Cette façon d'observer Justin. Même la manière qu'il avait de prononcer ses « a » . Somme toute les prononçait-il comme tout le monde, mais dès lors que la manouche avait quelqu'un dans le pif, tout lui déplaisait, même ce qui aurait dû lui plaire. Alors que dire quand l'impudent « conseilla » au Faucon de mettre l'orient dans son lit ? Sa main se crispa furtivement dans la nuque de son époux et ses yeux rougeoyèrent d'une fureur difficilement contenue. Oh, cette main, comme c'était sur cette joue arrogante que la manouche rêvait de l'écraser dans une claque retentissante. Ou mieux encore, planter son couteau entre les deux yeux sans couleur. Et oui, des yeux sans couleur, forcement, il fallait s'en méfier comme de la peste, et ceci, elle aurait dû le deviner à peine l'ex-avocat passant le seuil de la porte.

Elle bouillait de le foutre, lui aussi, dehors. Les employés de l'Aphrodite s'étaient-ils vraiment tous passés le mot pour la foutre en rogne ? N'y en avait-il vraiment pas un pour rattraper l'autre ? Hormis Elle, la manouche venait d’assister à un défilé de têtes à claques et le spécimen devant eux gagnait le pompon, avec ses froissements de sourcils et ses... « nos ».

Sauf qu'il était le seul à détenir des informations sur Flavien, et de fait, avoir ainsi la langue ligotée était d'une frustration sans borne. Quand en outre, Justin, lui, semblait avoir le gus à la bonne. Sauf que méprise ou non, un avocat rayé du barreau devant gagner sa croûte à faire le tapin, même à l'Aphrodite, avait tout de suspect. Surtout s'il était riche. Pouvaient-ils vraiment croire aux paroles d'un tel homme ? Pour la manouche, une seule réponse était permise. Non.

Alors elle releva le museau.
Vous semblez bien connaître Flavien. Vous avez de l'argent. Vous êtes instruit. De fait, vous me rendez curieuse. Quelles étaient vos motivations pour intégrer l'Aphrodite ?

Et si toute cette histoire n'était qu'un sac de mensonges ? Ce qui de toute évidence faisait avancer le blond était son ambition. N'était-ce pas là le prétexte parfait pour faire disparaître Flavien et prendre sa place ?

Quelle que soit la vérité, le blond venait de récolter une Pupille accroché à son dos. Pupille qui, un jour ou l'autre, finirait par mettre le doigt où il ne fallait pas. Pour lui.
Lucas.

Un frisson glacé délicieux passa sur l’échine du galant. Comme un poisson dans l’eau, comme une grenouille dans son marais, un coq dans sa basse-cour ou…un avocat véreux plaidant en cour, la situation actuelle était du pain béni pour Lucas Dentraigues. C’était une source à laquelle il aimait s’abreuver, un nectar aphrodisiaque qui chassait peu à peu les brumes enfumées de son esprit. Elle ne l’aimait pas. Cela se voyait à quelques détails qui pouvait échapper n’importe quel quidam mais pas un homme qui vivait de sa capacité à se jouer de la nature humaine et cela était vrai tant pour l’avocat que pour le galant. Voir ce que d’autres ne percevaient pas avait fait sa fortune et sa réputation. Mettre volontairement de côté des détails qui pourtant lui était évident avait provoqué sa chute. Les yeux de la duchesse la trahissait. Pour le Dentraigues, cette femme était rompue à l’art de la manipulation. L’orgueil du galant le poussait à croire qu’elle lui était cependant inférieure. Elle avait des faiblesses évidentes. L’honneur en faisait peut-être partie. Il ne savait le dire. Il ne la connaissait pas suffisamment, ni elle ni le duc. Celui-ci d’ailleurs devait sans aucun doute apprécier ce frémissement des lèvres lorsqu’elle l’embrassait mais ici, face au Dentraigues, c’était un signe d’irritation, c’était la trahison de l’état d’esprit qui l’animait en cet instant. Était-il aussi transparent pour eux? Sans doute. Ni l’un, ni l’autre n’étaient de jeunes écervelés à qui on pouvait faire avaler des couleuvres, aussi subtiles soit-elles.

La question d’Axelle fit sourciller Lucas. Se pouvait-il que Flavien leur ait caché plus de choses qu’il ne le pensait? Ou était-ce le genre d’information qui n’avait cure pour eux? Un relent de vanité mal placé fit tiquer le galant. Ne pas connaître ce genre d’information sur Lucas Dentraigues de la part des propriétaires de l’Aphrodite était perçu par l’ex-avocat comme un affront personnel. Sans doute, faudrait-il qu’il leur montre de manière plus évidente à l’avenir l’importance qu’il avait au sein de l’Aphrodite et pourquoi ils ne pouvaient plus se passer de lui?

Lucas réajusta sa position dans le fauteuil, se penchant légèrement vers l’arrière, majeur dextre roulant sur le velours du bras du fauteuil, se remémorant certaines soirées passées en ces lieux: des découvertes, des lâcher-prises.


- Je suis ici pour satisfaire les dames n’est-ce pas? Alors soyez rassurée, je vais satisfaire votre curiosité.

Avec une lenteur exaspérante, son regard passa du fauteuil au duc, du duc à la duchesse. En ce jour, Lucas laissait l’initiative de la conversation à ses interlocuteurs. Par cette simple phrase, il lui signala qu’il les suivait là où elle voulait non pas contraint mais bien de son propre gré.

- La première des raisons est qu’il y a à Paris certaines personnes qui n’ont pas conscience de ma valeur et qui ont été frustré de ma réussite. Des hommes politiques, des religieux, des petits magouilleurs qui refusaient de partager le fruit de leurs succès, des maris qui n’aimaient pas se rendre compte que j’étais un meilleur amant qu’eux. J’ai manqué d’attention. Ce fut une erreur couteuse. Disons simplement que j’ai besoin de me faire oublier.

Pourquoi leur cacher ces faits? Flavien savait tout cela et pour Lucas, le directeur couchait dans le nid ducal. Enfin, comprenez par là que Lucas ne croyait pas un instant que Flavien pourrait leur cacher quoi que ce soit si ils lui demandait. L’homme était trop ambitieux alors autant que ce genre d’aveu serve sa cause à lui, au Dentraigues. Et puis si cela pouvait ôter un atout dans le jeu de Flavien, c’était ça de pris.

- L’autre raison est l’évidence même Duchesse. Mon goût pour les jolies dames font de l’Aphrodite un lieu idéal où partager mes talents. Nos membres viennent chercher ce que je puis leur donner et elles paient pour accéder à mes talents d’amants. Elles paient même doublement. De leur bourse, de leur corps. Certaines paient même plus cher de leurs corps que ce que moi je leur offre mais aucune ne quitte mes bras sans être pleinement satisfaites… et sans que je le sois en retour. Faut-il donc que je détaille mes motivations ou cela est suffisamment éloquent?


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