Gerard. C'est dit. Tout était né depuis une conversation en taverne. Elle avait jaillit de nulle part, fait irruption et s'était montée de fil en aiguille sur une base de bonne humeur. La bonne humeur, pas sûr qu'elle régnera suite à leur petit plan. Les fervents adorateurs de la sieste leur en voudront certainement, encore qu'il fallait deviner que ça serait eux les fautifs. Le tout, c'est de ne pas se faire attraper. Une petite pensée allait vers Vitali. A cette heure ci tout laissait présager que leur bêtise allait certainement le rendre grognon. On apprendra plus tard, après coup, que le malin avait fourré ses oreilles de cire.
Quant à Gerard, il avait anticipé le coup et avait envoyé sa complice du moment en éclaireuse. Coïncidence ? Il profita du temps libre juste après le repas pour décaler sa propre sieste plus tôt dans l'après midi. Car la sieste, c'est sacré.
Cette fois ci il s'était endormi au pied d'un arbre. Il choisissait précautionneusement l'endroit car une mauvaise expérience, une histoire de chute de pomme, lui avait donné une leçon. Malgré cette aventure, il ne découvrira pas les lois que ce cher Newton dégotera quelques bonnes années après. La pomme finit tout simplement dans son estomac. La loi de la gourmandise. En parlant de péché, il était plus que temps de se rendre à l'église et pas pour se confesser non... De toute manière les confessionnaux et lui, ça ne donnait jamais rien de bon.
Le soleil était haut dans le ciel, la chaleur accablait l'atmosphère et les rayons agressaient les peaux les plus sensibles. Fort heureusement, la sienne était immunisé aux sévices de l'astre de feu. Natif du sud, il était habitué. Chemin faisant, il s'octroya un petit saut par la taverne de l'anguille pour se désaltérer. La sieste, ça donne soif.
Il arriva devant l'église en quête de son informatrice. Devant la grande porte rien, il fit le tour, rien. Il supposa qu'elle était en train d'analyser les lieux de l'intérieur. Il profita donc de l'ombre apportée par l'épais feuillage d'un chêne pour attendre patiemment. Il n'eut pas le temps de s'asseoir qu'elle fit son apparition. Son coeur s'emballa d'excitation, comme celui d'un enfant qui s'apprêtait à faire une bêtise. La petite crainte de se faire attraper galvanisait son taux d'adrénaline. Comme quoi, on a beau avoir presque la quarantaine et aimer les farces.
Comment ça que je viendrais pas? je suis pas du genre à me dégonfler môdame.
Très appuyé le "môdame", surtout le "ô"
Alors? Comment ça se présente? Une trappe? Fermé? Il y a t'il du monde? faut il faire diversion? J'écoute vos...tes observations.
Gerard. Tout en écoutant les nouvelles, il extirpa une pomme de sa poche. Il acquiesça à quelques unes de ses révélations qui pourraient s'avérer utiles par la suite et croqua à pleines dents dans le fruits juteux et mûr. Il se pencha vivement en avant d'ailleurs pour ne pas faire couler de jus sur sa chemise blanche. Elle ne payait pas de mine, n'était plus toute neuve mais il prenait soin à la tenir impeccablement propre. Elle avait une certaine valeur sentimentale pour lui, son écusson brodé de Cahors lui remémorant quelques bons souvenirs.
Un sourire s'arracha sur son visage lorsqu'il appris l'état somnolent du curé. Il n'allait pas roupiller longtemps pour sûr...Il croqua à nouveau dans la pomme en faisant attention cette fois ci, une fois mais pas deux.
Il l'observa longuement, de son regard curieux, lorsqu'elle pencha la tête sur le côté tout en laissant voguer le silence l'espace de quelques secondes. Mais que pouvait il bien se passer dans la petite tête de la jeune femme? Cela faisait des années qu'il avait abandonné la recherche éternelle de tous les hommes, le saint Graal...Ce que pensent les femmes. Des années plus tard, encore une fois, il aurait pu demander conseil à un certain Mel Gibson.
Dans sa tête à lui tout était plutôt simple pour ce coup ci. Un vaste mélange d'espièglerie retrouvée, de malice enfouie, d'impatience enfantine, de stress exaltant.
C'était à son tour de parler. Il prit un air résolu.
J'ai prévu un plan de secours. Je t'explique. Si le curé venait à sortir de son sommeil subitement tu me préviens. Comment tu vas me dire? et bien...tu vois Lobe? le hibou du gardon tranquille ? oui je sais c'est la concurrence mais tu imites son cri. Oui car oui, les hiboux c'est fréquent dans les églises oui oui...Suite à quoi, le temps que je prenne la poudre d'escampette et si le curé est vif, faudrait que tu le retienne. Tu racontes un truc du genre "oh mon père pardonnez moi car j'ai péché une carpe" enfin tu vois le genre.
Il fit une petite pause en affichant un grand sourire.
Tout ça c'est dans l'éventualité qu'il se réveille vraiment avant que je fasse du tintamarre.
Sinon, j'aurai une petite fenêtre pour prendre les jambes à mon cou...j'vais encore me casser la binette...mais pendant ce temps je pense qu'il serait plus sage si tu faisais semblant de prier. Après tu es libre, amusons nous!
On se rejoint dans la cave de L'anguille sous roche d'accord?
Ni une ni deux, le Gerard balança le trognon de pomme par dessus son épaule et et se dirigea vers la grande porte, poussez vous on arrive!
Gerard. Il n'avait pas choisit le hululement par hasard...enfin...si...non. A vrai dire, ça lui était venu tout naturellement en mémoire de sa conversation avec Tonia l'autre jour. L'idée avait ensuite germé, sous un arbre, juste avant qu'une pomme subisse les lois de la gravité. Comme quoi l'ombre des arbres ça pousse l'inspiration. Il est juste de dire que ça l'amusait de l'imaginer faire la chouette au beau milieu de l'église avec le poids du regard de hibou du diacre. Risquait elle l'emprisonnement pour trouver cure à la folie? Il souriait intérieurement et progressait vers la grande porte.
Il s'arrêta lorsqu'elle attrapa sa manche. Il crut tout d'abord que l'objet caché à son flanc, sous sa cape de fortune, l'avait interpellé. Il lâcha un discret soupire de soulagement quand elle ronchonna sur le hululement. L'effet de surprise était intact.
Il pénétra dans l'enceinte sacrée et l'air frais aux senteurs rocailleuses ébouriffa sa tignasse. Le calme plat, ou presque, une vague impression que quelqu'un sciait du bois dans l'écho. Les rais de lumières transperçaient les vitraux et amplifiaient l'air de sainteté. Ces endroits lui collaient toujours la chair de poule, il n'a jamais su pourquoi mais c'était un fait avéré. Il plongea la pulpe de ses doigts dans l'eau gelée du bénitier et les colla sur son front, sternum et épaules respectives. Concernant la suite, ce rituel aurait pu sembler hypocrite mais il en était rien. L'action qui allait suivre partait d'un bon sentiment, du moins ça ne partait pas d'un sentiment malveillant. Il était joueur le gégé.
En avant.
Il bifurqua rapidement sur la gauche et poussa une porte entrouverte. De là, il posa ses mains sur les barreaux de l'échelle et pencha la tête en arrière pour voir ce qui l'attendait. Il avait joué sur le poids de son âge en taverne, c'était de l'autodérision. En réalité, il s'appuyait la dessus pour mieux pouvoir surprendre son monde. Les cloches étaient belles et bien là, culminant à quelques mètres de hauteur. L'ascension pouvait commencer. Il avait l'habitude de la grimpette. Il travaillait sur les toits dans le passé et son loisir favori, en dehors de la sieste, est l'escalade à l'abri des regards. Pourquoi à l'abris des regards? tout simplement pour entretenir son image de "vieux" afin qu'on lui demande de faire le moins de tâches ingrates possible.
Il monta en deux temps trois mouvements et se trouva désormais sur un pallier au niveau de la première cloche. Il jeta un oeil aux alentours, non cet étage ne lui convenait pas. Il grimpa à l'échelle jusqu'à l'étage du dessus. Une fenêtre. Parfait. Il se pencha par l'ouverture pour estimer la hauteur. Autant dire qu'il ne fallait pas avoir le vertige ici...Il empoigna l'épaisse corde et lorgna sur la cloche. Elle était plus grosse que ce qu'il avait imaginé. Soudain il réalisa une chose...il allait perdre ses tympans! il se maudit d'avoir oublié de prendre de la cire. Il dénoua sa cape, posa l'objet mystère qui était accroché à sa ceinture au sol, retira sa chemise et l'enroula en bandeau autour de ses oreilles en prenant le soin de bien serrer. Il noua à nouveau sa cape autour de son coup. Il devait avoir une belle dégaine...
Il tira sèchement sur la corde
Bordel c'est lou....DOOOOOONG
Le filtre acoustique ne marchait pas aussi bien que prévu, il fut désorienté par la puissance du son de cloche mais ne ralentit pas.
DONG DONG DONG DONG DONG
On s'habituerait presque au bruit...après une bonne vingtaines de coups il dut se reposer. Il réalisa à cet instant précis qu'il manquait tout de même d'endurance. Mains sur les genoux, incliné en avant il cherchait de l'oxygène. Il décala son nouveau bandeauchemise au dessus de ses oreilles pour percevoir le remue ménage plus bas.
Gerard. Tout ne se déroulait pas comme prévu. Il avait envisagé une fenêtre temporelle plus large pour pouvoir descendre par l'échelle. Sauf que ça rouspétait sec là en bas. Enfin il n'en savait rien. Il vit en effet l'homme de foi articuler quelque chose mais le contrecoup du boucan bourdonnait dans sa tête. Il n'en capta pas un mot mais il se doutait bien que ça n'avait rien de doux ou d'amical.
Il devait passer au plan B. Sauf que pour le plan B il avait besoin de sa complice, d'une légère distraction. D'ailleurs où était elle passée ? L'arrivée soudaine du diacre laissait présager qu'elle n'avait pas eu le temps de le retenir ou bien même...qu'elle avait pris les jambes à son cou...
Plus les secondes passaient et plus son joker était en train de prendre le feu. Il ne fallait pas le griller. Que faire? attendre une intervention divine, ou plutôt eudoxine? ou alors mettre tout de suite en oeuvre son plan de secours ?
Histoire de gagner quelques secondes...
Bon...me voilà fait comme un rat...je descend...
Il avait usé d'un ton résigné, honteux et c'est à cet instant précis qu'il décida de la jouer solo, plus le choix...Après tout c'était lui qui était le plus coincé des deux compères.
Il sortit l'atout de sa manche. Il se pencha, à l'abri du regard inquisiteur en contrebas, bien caché par la grosse cloche et il empoigna l'objet mystère qu'il avait amené avec lui. Une corde. La manoeuvre allait être risquée, il l'avait testé dans le passé mais pas à cette hauteur. D'ailleurs, il en avait gardé un mauvais souvenir.
Refoulant cette expérience, prenant son courage à deux mains, il s'exécuta en un éclair.
Il passa la corde autour d'une poutre et lança le reste par la fenêtre. Il glissa chaque coté sous ses bras, les croisa dans son dos, les repasse devant son ventre, les glisse dans chaque pli d'aine, les rejoins derrière ses fesses et enroule son avant bras autour des liens parallèles. Il recula jusqu'à la fenêtre et prit une profonde inspiration.
"Ne pas regarder en bas ne pas regarder en bas"
Il l'avait en effet déjà fait, mais il était plus jeune et plus vigoureux. C'était une réelle prise de risque mais il aimait l'adrénaline. Il franchit le cadre et disparu à l'extérieur en position de rappel, pieds contre la paroi. Son coeur explosait dans sa poitrine.
"Je suis trop vieux pour ces conneries bordel"
Les frottements de la corde brûlaient son avant bras et la peau sur ses cotes. Fort heureusement, il avait prit le soin de bien tout mettre en place au niveau de son entrejambe sinon il aurait d'ores et déjà pu dire adieu à une éventuelle progéniture et il aurait pu s'engager chez les moines.
La descente paraissait interminable, ses muscles commençaient à tétaniser. Il n'avait pas regardé en bas. En réalité ce fut assez bref mais sa conception du temps était largement faussée. Il vit le sol arriver plus vite que prévu, il se libéra de ses chaînes, ou cordes plutôt et constata les dégâts sur son avant bras, pas joli joli.
Pas le temps de flâner, le diacre pouvait se pointer à tout moment. Il prit la poudre d'escampette à au virage vers la forêt il manqua de peu de se vautrer sur une demoiselle à terre.
Pouvez pas regardez où vous allez?
Il reconnut Eudoxie. Il se rappela soudainement qu'il avait une "bandeauchemise" sur la tête et réalisa le burlesque de la situation, un petit rire sortit de sa bouche.Une multitude de choses se bousculèrent dans son esprit et ça donnait quelque chose de peu cohérent du genre :
T'étais où? Diacre!! pas content! fuyarde! t'as vu mes bras? faut qu'on s'tire!
Il l'attrapa par l'avant bras et la releva illico. Il la regarda un instant et se demanda si elle l'avait vu descendre...si tel était le cas sa couverture de "vieux fatigué" venait de voler en éclat, sinon il pourrait toujours inventer un bobard pour justifier l'état de sa peau à divers endroits.
En attendant il papotait et perdait du temps... est ce que ça leur sera fatal?