Vivia
Sur la place, certains jouent des coudes pour être aux premières loges, après tout il paraît que c'est un événement, enfin c'est que certains racontent. Il paraît qu'aujourd'hui une Corleone va être vendue en esclave au plus offrant. Il paraît même que c'est la fille d'un Barbier Fou, ou même d'un Boucher Fou qui aurait sévit à la Cour des Miracles des années durant. Il paraît qu'il exerçait cette science obscure sur des corps vivants et que la Prévoté n'aurait jamais retrouvé cet aliéné...Il paraît même qu'il dépeçait les enfants vivants pour observer leurs organes en action, qu'il éventrait les femmes enceintes pour contempler de plus près, comment était fait cet organe de Vie. D'autres horreurs furent répandues des semaines durant dans les ruelles crasseuses et putrides de la Cour, la vérité fut déformée, amplifiée mais parfois elle se fit juste et cruelle. L'annonce avait volontairement été diffusée, clamée pour amasser le plus de monde sans prendre en considération que cette propagande pouvait, attirer d'autres indésirables.
Si cette vente apparaissait comme une victoire pour la Justice, en réalité, il n'en fut rien. Aucune preuve ne fut trouvée à l'encontre de la Corleone, et ce malgré ces interrogatoires et ces rumeurs qui circulèrent des mois durant après qu'ils leurent relâchée. Il ne s'agit que d'une façade et si la pendaison ne pouvait être envisagée, la Justice elle-même trouva une parade pour réduire à néant l'esprit et la liberté de celle, dont ils furent incapable d'exécuter le père pour ses actes odieux et immoraux.
Ainsi, entre trois autres lots et produits parfois exotiques se nichait une Sicilienne, dont le nom était au bord de toutes les lèvres. Parmi ces deux blondes au teint hâlé, l'une pouvait se prévaloir d'un teint naturel tandis qu'une autre, l'avait gagné à la sueur de travaux réalisés sous un soleil irritant. Pourtant, si certains furent amenés à croiser la Sicilienne alors qu'elle venait d'installer son cabinet à la Cour, nul doute qu'ils seraient, à ce jour, presque incapables de la reconnaître.
Pieds et mains liés par des fers, la Corleone revêtue de vulgaires haillons est méconnaissable. Sous ce froid qui lui mord les lippes et saisit ses diverses plaies, les traits sont usés, creusés et ce regard autrefois vifs et passionnés par ses écrits est éteint. Ses formes autrefois criantes de féminité se sont asséchées, comme l'on gommerait d'un simple geste les traits hasardeux d'une esquisse trop charnelle. De cet héritage féminin et maternel, la Sicilienne ne conserve désormais que se teint qui se fane et se blanchit sous ces isolements répétés et sous cette crasse tenace qui recouvre ses formes amaigries. Alors que la foule crache et vocifère et que cette puanteur environnante étreint ses narines, les iris de la Corleone restent de marbre, incapables de se détacher de cette foule. Pourtant, elle ne cherche pas à dévisager, à observer ou à contempler ces futurs acquéreurs, non, son esprit brisé se contente de ce rien, de ce vide qui flotte au delà de cette masse informe et néfaste.
Lentement, une main ferme vient à se poser contre sa tignasse pour la contraindre à bouger son visage. Lasse, elle laisse cette main saisir désormais l'arête de sa mâchoire et écarter ses lippes pour avouer l'état de sa dentition comme si cette information pouvait rassurer ces acheteurs, comme si cette bonne dentition pouvait balayer d'un revers de main toutes ces interrogations que sa maigreur pourraient engendrer. Sous cette douleur qui lui saisit les gencives, Vivia réalise un mouvement de recul comme pour se convaincre qu'elle était encore vivante et tenace. Sous cet affront, la tignasse blonde est tirée, contraignant alors l'herboriste à étouffer une énième supplique. Devant le spectacle et cette résignation, la foule se réjouit. Ils ont devant eux, une Corleone docile, brisée par la Justice, humiliée et rabaissée au rang d'esclave. Pourtant, cette haine, cette honte, Vivia se contente de la laisser couler...
Entre ses tempes, le chaos s'installe tandis que des crachas lui parviennent jusqu'aux chevilles. Soulagée, elle paye enfin pour ce que son père a commis, pour ce Mal qu'il lui a transmis, pour cette voix, cette passion qui de temps à autre est tellement prenante et entêtante, qu'elle ne peut que se résoudre à l'assouvir. Elle se revoit pousser cette porte alors qu'elle n'était âgée que de neuf ans, croiser le regard de cet enfant assis sur cette chaise et dont le haut de son crâne était entaillé. Elle revoit cette horreur, ce père présent aux côtés de môme, trifouillant dans cet amas laiteux sans éprouver une once d'empathie et de conscience. Elle revoit ce traumatisme, cette douleur dans son regard enfantin, celui-là même qu'elle su étouffer des années durant comme s'il s'agissait d'une vérité trop lourde à porter et à assumer. Pourtant, ce passé finit par lui éclater au visage lorsque les maréchaux apprirent que la jeune femme s'était installée à la Cour. Sous ces interrogatoires, sous ces preuves, sous le nom incalculable de ces disparus et de ces divers témoignages attestant de l'horreur dont était capable le Boucher Fou, la mémoire de Vivia finit par s'éclaircir et par sagrémenter de nouveaux tourments. Coupable, elle l'est assurément car dans la génétique transmise par son père, s'était nichée un Mal qui telle une nécrose rongeait ses dernières réticences. Tout comme Lui, elle avait voulu comprendre ce corps humain, tout comme Lui, elle se sentait capable pour la Science de franchir ces limites immondes...
350 écus en mise de départ pour la Corleone. Voici, la fille du Barbier Fou..Certains le connaissent sous le nom du Boucher Fou qui au nom de la Science, éventra, disséqua et découpa des femmes, des enfants, des mères et ce, alors qu'ils étaient encore vivants ! Nous connaissons tous ces horreurs, nous les avons entendus, nous avons pour certains croisé au détour d'un cul de sac les travaux..ou plutôt les cadavres que ce Fou avait dépecé. Si nous n'avons pu voir cette ordure au bout d'une corde, la Prévoté nous offre en compensation sa fille...soupçonnée de suivre cette voie paternelle ! Nous vous en offrons un bon prix...400 écus ici ! 415 écus par là...
Les enchères montent mais qu'importe, seul raisonne entre ses tempes ces propos que cette ordure vocifère à haute voix. Devant eux, la Corleone est exhibée. Les haillons sont baissés pour avouer sa poitrine menue et ronde, ses miches sont quant à elle saisie par cette même main grasse pour en attester de la fermeté et les bras et les jambes sont malaxées pour en assurer la qualité musculaire...Pour la première fois, Vivia réalise qu'elle n'est plus qu'un animal que l'on vend aux enchères, une chèvre qui finira les deux pattes arrières bloquées dans une botte pendant que son acheteur fait son affaire. Mais, en réalité, ce qu'elle craint, c'est de n'être qu'un exécutoire à la folie et à la rage d'un homme dont sa famille ou un proche aurait pu être enlevé par son père..
Comment en était-elle arrivée là...Comment était-elle passée d'une herboriste et d'un barbier respectable en ça...Cet amas de chair qui ne tient debout que par la simple volonté de ses muscles et de cet instinct de survie. Comment avait-elle pu survivre à ces mois d'emprisonnements et de maux pour finir aux enchères à côtés d'autres esclaves..Sous le poids de cette douleur, sa gorge déjà asséchée par le froid et la faim se serre et son regard, vide de tout...finit par croiser le regard d'un homme dont les traits lui évoquèrent, de façon abstraites, le goût et l'odeur de vapeurs d'opium..Voici le reflet de la Déchéance..
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Si cette vente apparaissait comme une victoire pour la Justice, en réalité, il n'en fut rien. Aucune preuve ne fut trouvée à l'encontre de la Corleone, et ce malgré ces interrogatoires et ces rumeurs qui circulèrent des mois durant après qu'ils leurent relâchée. Il ne s'agit que d'une façade et si la pendaison ne pouvait être envisagée, la Justice elle-même trouva une parade pour réduire à néant l'esprit et la liberté de celle, dont ils furent incapable d'exécuter le père pour ses actes odieux et immoraux.
Ainsi, entre trois autres lots et produits parfois exotiques se nichait une Sicilienne, dont le nom était au bord de toutes les lèvres. Parmi ces deux blondes au teint hâlé, l'une pouvait se prévaloir d'un teint naturel tandis qu'une autre, l'avait gagné à la sueur de travaux réalisés sous un soleil irritant. Pourtant, si certains furent amenés à croiser la Sicilienne alors qu'elle venait d'installer son cabinet à la Cour, nul doute qu'ils seraient, à ce jour, presque incapables de la reconnaître.
Pieds et mains liés par des fers, la Corleone revêtue de vulgaires haillons est méconnaissable. Sous ce froid qui lui mord les lippes et saisit ses diverses plaies, les traits sont usés, creusés et ce regard autrefois vifs et passionnés par ses écrits est éteint. Ses formes autrefois criantes de féminité se sont asséchées, comme l'on gommerait d'un simple geste les traits hasardeux d'une esquisse trop charnelle. De cet héritage féminin et maternel, la Sicilienne ne conserve désormais que se teint qui se fane et se blanchit sous ces isolements répétés et sous cette crasse tenace qui recouvre ses formes amaigries. Alors que la foule crache et vocifère et que cette puanteur environnante étreint ses narines, les iris de la Corleone restent de marbre, incapables de se détacher de cette foule. Pourtant, elle ne cherche pas à dévisager, à observer ou à contempler ces futurs acquéreurs, non, son esprit brisé se contente de ce rien, de ce vide qui flotte au delà de cette masse informe et néfaste.
Lentement, une main ferme vient à se poser contre sa tignasse pour la contraindre à bouger son visage. Lasse, elle laisse cette main saisir désormais l'arête de sa mâchoire et écarter ses lippes pour avouer l'état de sa dentition comme si cette information pouvait rassurer ces acheteurs, comme si cette bonne dentition pouvait balayer d'un revers de main toutes ces interrogations que sa maigreur pourraient engendrer. Sous cette douleur qui lui saisit les gencives, Vivia réalise un mouvement de recul comme pour se convaincre qu'elle était encore vivante et tenace. Sous cet affront, la tignasse blonde est tirée, contraignant alors l'herboriste à étouffer une énième supplique. Devant le spectacle et cette résignation, la foule se réjouit. Ils ont devant eux, une Corleone docile, brisée par la Justice, humiliée et rabaissée au rang d'esclave. Pourtant, cette haine, cette honte, Vivia se contente de la laisser couler...
Entre ses tempes, le chaos s'installe tandis que des crachas lui parviennent jusqu'aux chevilles. Soulagée, elle paye enfin pour ce que son père a commis, pour ce Mal qu'il lui a transmis, pour cette voix, cette passion qui de temps à autre est tellement prenante et entêtante, qu'elle ne peut que se résoudre à l'assouvir. Elle se revoit pousser cette porte alors qu'elle n'était âgée que de neuf ans, croiser le regard de cet enfant assis sur cette chaise et dont le haut de son crâne était entaillé. Elle revoit cette horreur, ce père présent aux côtés de môme, trifouillant dans cet amas laiteux sans éprouver une once d'empathie et de conscience. Elle revoit ce traumatisme, cette douleur dans son regard enfantin, celui-là même qu'elle su étouffer des années durant comme s'il s'agissait d'une vérité trop lourde à porter et à assumer. Pourtant, ce passé finit par lui éclater au visage lorsque les maréchaux apprirent que la jeune femme s'était installée à la Cour. Sous ces interrogatoires, sous ces preuves, sous le nom incalculable de ces disparus et de ces divers témoignages attestant de l'horreur dont était capable le Boucher Fou, la mémoire de Vivia finit par s'éclaircir et par sagrémenter de nouveaux tourments. Coupable, elle l'est assurément car dans la génétique transmise par son père, s'était nichée un Mal qui telle une nécrose rongeait ses dernières réticences. Tout comme Lui, elle avait voulu comprendre ce corps humain, tout comme Lui, elle se sentait capable pour la Science de franchir ces limites immondes...
350 écus en mise de départ pour la Corleone. Voici, la fille du Barbier Fou..Certains le connaissent sous le nom du Boucher Fou qui au nom de la Science, éventra, disséqua et découpa des femmes, des enfants, des mères et ce, alors qu'ils étaient encore vivants ! Nous connaissons tous ces horreurs, nous les avons entendus, nous avons pour certains croisé au détour d'un cul de sac les travaux..ou plutôt les cadavres que ce Fou avait dépecé. Si nous n'avons pu voir cette ordure au bout d'une corde, la Prévoté nous offre en compensation sa fille...soupçonnée de suivre cette voie paternelle ! Nous vous en offrons un bon prix...400 écus ici ! 415 écus par là...
Les enchères montent mais qu'importe, seul raisonne entre ses tempes ces propos que cette ordure vocifère à haute voix. Devant eux, la Corleone est exhibée. Les haillons sont baissés pour avouer sa poitrine menue et ronde, ses miches sont quant à elle saisie par cette même main grasse pour en attester de la fermeté et les bras et les jambes sont malaxées pour en assurer la qualité musculaire...Pour la première fois, Vivia réalise qu'elle n'est plus qu'un animal que l'on vend aux enchères, une chèvre qui finira les deux pattes arrières bloquées dans une botte pendant que son acheteur fait son affaire. Mais, en réalité, ce qu'elle craint, c'est de n'être qu'un exécutoire à la folie et à la rage d'un homme dont sa famille ou un proche aurait pu être enlevé par son père..
Comment en était-elle arrivée là...Comment était-elle passée d'une herboriste et d'un barbier respectable en ça...Cet amas de chair qui ne tient debout que par la simple volonté de ses muscles et de cet instinct de survie. Comment avait-elle pu survivre à ces mois d'emprisonnements et de maux pour finir aux enchères à côtés d'autres esclaves..Sous le poids de cette douleur, sa gorge déjà asséchée par le froid et la faim se serre et son regard, vide de tout...finit par croiser le regard d'un homme dont les traits lui évoquèrent, de façon abstraites, le goût et l'odeur de vapeurs d'opium..Voici le reflet de la Déchéance..
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