Citation:Garde à moi, toujours !
Je n'y songeais nullement, je me doute bien que vous ayez quelques affections pour ma personne, mais cela peut être une affection toute amicale ou fraternelle. En cela je ne voulais pas me méprendre.
Je n'ai point besoin de garde-fou, je connais mon devoir envers mon nom et rien ne ferai pour y nuire, et rien ne ferai non plus qui vous nuirait, en tous les cas je m'y ingénierai.
Passons aussi, je ne goûte guère à laisser mes pensées vagabonder en ce futur incertain, cela me plonge dans une sorte de malenconie. Je vis l'instant, demain me paraît si nébuleux que l'envisager de concret me paraît impossible.
Nous quittons ce soir, M., j'y ai trouvé mon pigeon, pour l'heure j'userai encore des services de Vinçu, le temps que nous nous apprivoisions. Il faut que je lui trouve un nom, si vous avez quelques suggestions à me souffler, je veux bien, je crains que "Pigeon" ou "Hep toi la bestiole" ne soient guère appropriés, néanmoins ne vous cassez point la tête, je trouverai sûrement avec le temps.
J'aimerai vous décrire la cité avec le même soin dont vous faites preuve dans vos lettres, j'ai aimé y séjourner et ce, même si je n'entends rien à leur verbiage, il y a certes de l'allemand, mais j'ai noté que le populaire use d'un autre dialecte, qui sonne presque plus doux à mes oreilles, les gens font bon accueil en toute simplicité. Le climat y est frais mais guère plus que par chez moi, et il y a des vignes à profusion, on y prépare semble-t-il une grande fête pour les vendanges (si j'ai bien tout compris) la semaine prochaine. M. est entourée de nombreuses collines qui au plus tôt du jour se libèrent avec peine de l'étreinte éthérée de la brume. Telles de vieilles amies qui ne peuvent se quitter.
Nous passerons ... dans plus d'une semaine, une dizaine de jours peut-être même et nous avancerons en morne désert sans croiser ni bourgs ni cité, nous nous devons astreindre à la plus grande des prudences, l'endroit y mal fréquenté, une horde de barbares y fait sa loi, un genre de Fatum "local".
Je vous écrirai de courts billets pour vous rassurer, le plus souvent possible.
Il est bien, curez-vous, pour ma part je n'ai pas trouvé un seul office de médecin ouvert dans les villes traversées, à croire qu'ils ne sont jamais malades dans ces coins-là !
Je vais vous imiter sinon vous allez encore me picanier sur le désordonné de mon épistolaire. Je vous répondrai point après point pour ne rien -ou tout du moins essayer- oublier.
Je vous pensais plus fin d'esprit, ou n'avez vous point saisi le trait ? Pourquoi "un" Gabriel ? Parce que "une" Perceval. Cela était d'une évidence.
Et puis vous m'êtes précieux, cela me donne un peu l'impression que vous êtes mon prolongement, que vous êtes un peu là, à me veiller.
De finesse, j'en suis loin, j'ai encore beaucoup à acquérir, de la force, de la précision et surtout une grande endurance, j'ai néanmoins une grande ténacité.
Oui je m'en servirai.
Vous n'êtes point sot, loin de là, vous ne me voyez guère en guerrière simplement car je n'en ai point l'allure, ni même l'attitude probablement, trop douce peut-être pour l'incisif des combats ? Il est vrai qu'un pied dans l'enfance et un autre dans l'âge adulte n'aide guère à me doter d'une aura d'implacable férocité.
La suite m'est un peu complexe, tant à vous entendre qu'à vous répondre, trop de questions peut-être ? Je vais tâcher d'être au plus juste.
Physiquement je ne vous trouve point de grands attraits, ni d'une émerveillable beauté, vous devez sûrement séduire à tas les demoiselles, vous êtes loin d'être laid mais personnellement je ne goûte point à vos charmes, tout du moins point à votre aspect charnel.
Pourtant il y a en vous quelque chose qui me touche, me cause tumultes et émois, sans grande raison et sans que j'en puisse en discerner de vérité sa nature ni sa provenance.
Il y a une foultitude de petits riens qui vous rendent à mes yeux unique, plaisant même, vos lèvres qui s'ourlent en un sourire, l'éclat et la belle couleur de vos yeux, la manière dont vous regardez les gens, votre intelligence et votre curiosité mais en toute finalité rien de bien précis qui vous distingue du commun.
Juste mon regard sur vous qui n'est point le même que celui que je porterais sur un autre.
A bien y penser, au delà de vous avoir trouvé par l'âme, c'est la sensation, étrange et improbable que je ne sais expliquer ni exprimer avec exactitude, d'une sorte de retrouvaille.
Peut-on se reconnaître sans s'être rencontrés ?
Je vais y songer plus en profondeur, vos questions amènent quelques réflexions et sont semblables à celles qui parfois me font tourner chèvre. Il est tard, j'ai usé bien trop de pouces à ma chandelle et il est l'heure de sonner le boute-selle et de prendre brides.
Demain, je reprendrai le fil de cette écriture.
La nuit, ne m'a guère apportée de réponses, je le crains.
La destinée, ou le dessein du Très-Hauct sont des possibilités, des éventualités, mais je ne pense pas avoir de réelles explications, il faut en accepter la part de secrets.
Oui-da, vous aviez déjà mon affection, j'avais déjà l'envie, le besoin de rester en lien étroit avec vous, de vous revoir, sans saisir pleinement le fond de ce désir.
Je n'ai jamais ressenti les choses que vous décrivez, parfois juste un léger trouble en votre compagnie, surtout lorsque je vous ai baillé en prêt mon bien.
Plus qu'un trouble, un vertige, le palpitant en cavalcade qui cogne jusqu'aux tempes.
Point agréable vraiment, juste un peu grisant, comme lorsque qu'on chevauche brides abattues, une peur mêlée à je-ne-sais-quoi qui vous rend douloureusement vivant.
A me relire, je me trouve si brouillon... l'impression que rien n'a de sens en ce que j'ai écrit.
Je souhaite que le premier de mes baisers me soit baillé par la personne pour laquelle je nourris un sentiment et non par un époux que l'on m'aura imposée pour le bien de ma maison, ou pour quelques alliances nébuleuses que mon père aura contractées.
En toute sincérité, je souhaite que cela soit vous dans la mesure de votre possible, sans que cela vous mette à mal, si cela est une requête trop difficile pour vous, j'y renoncerai, soyez sans crainte, je ne ferai jamais rien qui ne vous cause du tort.
Pour le blond, vous vous gaussez de moi, deux hommes ne peuvent s'épouser, cela est contraire aux lois de l'Unique et cela serait s'exposer au péril de la colère divine. Vous devez sûrement vous méprendre.
Pour les nouvelles, mon père est d'un mutisme effrayant, il ne m'adresse mie la parole, que je ne serai pas sa fille qu'il en agirait tout autant pareil.
Minah quant à elle se porte bien, elle s'est moquée de ma confession (oui je lui ai dit mon sentiment à votre égard, et elle en rit. Parfois, je la déteste !).
Elle trimbale - attendez que je trouve le moyen correct de dépeindre cet engin de malheur - un temple (autel) mobile pour son culte des bestioles crevées. Un machin peu discret, avec des roues, tout en bois, un Philémon sculpté et toutes ses comparses de bestioles pour lui tenir compagnie et ce... pour faire.. j'en sais fichtre rien, je n'ai rien compris à ce qu'elle souhaite en faire de vérité.
Non, en fait je ne sais pas comment vous décrire la chose, faut que je m'y arrête plus longuement mais cet engin c'est diablerie, c'est hérésie, c'est attirer sur nous l'oeil de Déos et nous faire craindre son ire.
Qu'allez-vous faire ? Flâner en Languedoc, faire les vendanges peux-être ? Comme toujours, je veux tout savoir, de vos aspirations, de vos gestes, de vos rencontres.
Cela me donne l'impression d'être un peu avec vous. Votre absence, de plus en plus, se fait pesante, et je n'aspire qu'à vous revoir promptement.
Déos vous veille, je ne le peux.
Votre dévouée et aimante Abeille.
PS I, II & III : Vos courriers ne sont jamais trop longs, JAMAIS !
PS IV : JAMAIS !