Daedra_ Paris, capitale du Royaume de France. Ville aux hautes murailles et aux rues tortueuses, centre du commerce septentrionnal et du passage des foires de l'Artoi à la Champagne jusqu'aux Flandres ... A ce qu'on lui avait dit. De tout ça, il n'en connaissait que les noms. Trop longtemps parti, trop longtemps exilé, le monde, envolé, n'était plus à sa portée, du moins en ce moment. Tout apprendre: connaître un univers, se refondre dans une société qui ne l'accepterai peut-être pas, sortir du désert ... ou y rentrer à nouveau. La guerre l'emporta dès son retour, le maintenant tête baissée dans ce quotidien de flamme et d'acier qu'il ne connaissait que trop bien. Noble désargenté rejeté par la bonne société, soldat n'ayant pour seul habit que son armure et ses armes pour seuls amies,la précarité et la solitude était ses deux maîtresses avec lesquelles il se couchait le soir. De retour de campagne d'Italie, il avait préféré fuir l'emprise de sa famille pour gagner la France. Ses pérégrinations depuis Milan le conduisirent jusqu'à Paris, où il espérait pouvoir vendre le résultat de ses rapines, trésor de guerre, fruit du pillage des belles cités italiennes et qui était là, plus que l'honneur, le véritable motif des petits soldats comme lui.
Après avoir claqué son maigre pécule pour la réservation d'un chambre tout aussi maigre dans une des auberges crasseuses de la basse-ville, il se dirigea vers les ruelles marchandes, tentant de repérer quelques forgerons ou receleurs de métaux. Son accoutrement, il le savait, n'était certainement pas sans attirer le regard sur lui. Car en effet, qui se baladait dans les rues de France avec un casque gravé de l'aigle impérial ? Mais il n'en avait cure. Il n'était pas là pour être aimé mais pour grossir sa bourse. Au fur et à mesure de sa marche, il quittait les rues pavées, et le chemin devenait terre battue. Aux belles et élégantes lignes de pierre succédaient terre et boue. Les sombres établis se substituaient à présent aux belles échoppes et boutiques. On se serait subitement cru ailleurs. Seul le haut béfroi gothique à quelques pas de là indiquait qu'il était toujours à Paris. D'ailleurs, en regardant bien, d'autres signes lui indiquait qu'il était à Paris. De là où il était il pouvait voir les tours de Notre-Dame, le clocher de Saint-Germain et la Seine coulait à quelques encablures de là.
En jetant un regard circulaire tout autour de lui, il repéra une petite forge isolée qu'il résolu de pénétrer. Aucun signe ni enseigne n'indiquait que la masure de pierre et de chaux était un établi de forgeron, néanmoins le bruit du fer battant le fer était un signe caractéristique qui ne pouvait tromper. Le feu qui rôtissait dans le fourneau produisait une belle flamme. Le forgeron était là, torse ruisselant de sueur sous un tablier de cuir vieilli, plongant dans l'eau froide le fruit de son labeur qui, au contact du liquide émit un épais nuage de vapeur qui emplit toute la pièce avant de rapidement disparaitre.
'jour. dit le visiteur d'un ton rauque. Bien qu'il parla ainsi français, son accent trahissait certainement une origine étrangère.
Vous achetez et revendez ? Combien me donnez-vous pour ça?
Il sorti une épée qu'il posa sur une table non loin. L'arme avait les allures d'une épée à une main, bien que plus petite et un peu plus large. La garde, d'un métal doré et composée d'un pas-d'âne circulaire, formait un S pour protéger la main. Un oeil expert y eut pu voir là la patte de fabrication Helvète. Sur le bas de la lame était gravé l'emblême d'un dragon tricéphale flanqué d'une inscription: Valyriae. Ignis Sanguisque.
Katzbalger, "Etripe-chat". Une épée pour combats rapprochés ou de rues, pratique pour les ... disparitions, si vous voyez ce que je veux dire. Acier, fabrication germanique.
Il posa ainsi son baluchon à même le sol, qui produisit un bruit de ferraille une fois à terre. Marchandons.
Daedra_ Grande et mince, la silhouette fine se mouvant dans le noir induisait ses yeux en erreur et seule sa voix trahissait une appartenance à l'ordre féminin. La mystérieuse créature venait de l'interrompre, l'interpellant depuis l'ombre et clamant son droit, lui sommait de faire retraite.
Z'êtes qui ? Claqua-t-il d'un ton sec et un peu abrupt, caractéristique du soldat bourru prit sur le fait par un visiteur un peu trop curieux. Bien que désargenté, son ascendance nobiliaire tout autant que son orgeuil de spadassin le faisait la regarder avec une lueur d'arrogance dans les yeux. Ses pupilles brunes roulèrent ça et là, scrutant de haut en bas l'apparition tentant, par un relexe bien naturel, d'accrocher son regard sur quelques parties de son physique.
La demoiselle était jeune et rousse, et sa peau pale légèrement rosie par endroit lui donnait un air triste. Toutefois son regard venant appuyer l'intonation de sa voix tranchait avec le reste en lui conférant une sorte d'assurance, que devait exprimer un caractère bien assumé et volontaire.
Sa voix se radoucit quelque peu en voyant l'intérêt qu'elle portait pour sa babiole et voyant par l'épée qu'elle portait, le même intérêt que lui pouvait avoir. Ça ? dit-il en soulevant l'épée. Ça, c'est l'avenir de l'escrime. Il regarda avec amour la lame puis la garde. Son regard s'assombrit en voyant l'index de la jeune femme indiquant le dragon incrusté dans l'acier.
Rien du tout. Dit-il d'un ton soudainement plus tranchant. Affaires familiales. Pourquoi ?
Daedra_ Qu... comment connaissez-vous mon père?!
Son sang ne fit qu'un tour à l'appélation du nom honnit. Avec le temps et frustration, dame misère lui il avait appris ce qu'était la haine, et celle-ci était vouée à son père. Son père qui le bannit, son père qui l'affubla d'un sobriquet qui devait rester son nom, lui enfin qui l'a maintenu exilé à l'autre bout du monde.
Dans sa hausse de tension soudaine, il avait esquissé sans le remarquer un pas vers le jeune femme et sentit sa main prête à saisir son col. Entendre le nom de son père dans un endroit pareil était de loin ce à quoi il s'attendait. Les fantômes des souvenirs faisaient monter la pression sanguine, ce qui lui fit battre la tempe. Il sentit ses yeux frétiller de colère. Il avait fait exprès de venir en France depuis l'Italie pour fuir la tyrannie paternelle et voilà qu'elle se rappelait à lui.
Il se resaisit néanmoins. Le sang continuait à battre, mais la fureur retombait en son for intérieur. Il remit l'épée dans son foureau, occulant le blason familial.
Je ne savais pas qu'il enverrai ses espions pour me suivre jusqu'ici. Dit-il d'un ton sec et cassant.
Il loucha à présent sur l'épée emballée que portait la jeune femme. Et d'un ton méfiant de circonstances, il dit enfin. Après m'avoir soustrait au monde, souhaite-t-il me soustraire à la vie ?
Daedra_ Et alors que le battement du fer indiquait que forgeron avait reprit son travail, le jeune coq se calma un peu. A la réflexion, il se sentait un peu ridicule d'avoir agit de la sorte. Son père était certes capable d'envoyer des espions et même des assassins, mais il était homme d'Eglise, il ne pouvait occir son propre fils. A la vérité, s'il l'avait retenu tout ce temps hors du monde, ce n'était pas pour l'y effacer à présent qu'il était de retour.
Un bruit bourru fut son seul mot d'excuse à destination de la jeune femme. De tout évidence, elle connaissait son père, mais au vu de sa réaction, pas au point d'être une de ses soudards impériaux. Si elle connaissait son père alors elle savait aussi que son tempérament n'était pas des plus placides et que le sang chaud coulait dans la famille.
Il fit un pas en arrière, laissa à son interlocutrice l'espace intime qu'elle avait précédement perdu. Elle voulait à présent obtenir son épée. Il n'était pas contre, après tout, une vente comme une autre ... Lame au clair sortie à nouveau de son carcan de cuir durci, il prit la garde en inverse pour maintenir l'estoc au sol.
D'un ton professionel, il entreprit le marchandage. Lame en fer forgé, pas d'âne en cuivre couché d'or et poignée de bois cuiré. Prix du marché, 100 écus. Majoration de 25 pour le blason, soit 125 écus.
Il lui tendit et lui lança d'un ton interrogatif. D'où connaissez-vous mon père ?
Daedra_ Le jeune femme rejette sa cape, l'oeil du soldat scrute et se pose. Vesture sobre mais de qualité à n'en point douter. La créature ne devait pas être coutumière de l'ombre dans laquelle elle évoluait, ici, dans la minuscule forge, mais devait appartenir à un autre ordre. Ce pourrait-il qu'ils fussent là tous deux, rejetons de haute lignée reléguée au cul des basses fosses de la société?
L'épée change de main. Elle glisse et fend l'air en un chant silencieux. La voilà en posséssion d'un autre maître, pour elle peut-être plus agréable que l'actuel qui désire si ardemment l'abandonner.
Helvète. Répondit-t-il d'un ton assuré. Côté germain.
La langue précédement scellée se délie, mais réflexe est du côté militaire. Petite, mais redoutable. L'a servi à étriper de l'italien fat et imprudent. La lèvre légèrement se retrousse, le rictus se forme en coin, un petit sourire cruel se dessine à l'évocation silencieuse d'un probable souvenir.
Vous savez vous en servir ... pas commun pour une femme. A la vérité, cocasse était cette apparition, lui qui n'avait vécu que dans un monde d'hommes, soudards braillards, violents et sans avenir. Déjà vu, mais pas commun.
Faites attention avec ça. C'est pas un jouet. Rajouta-t-il. Qu'importe qui est vot'Dieu, duel engagé coupe de l'aide divine. C'est votre adversaire ou vous. Comprenez ? Katzbalger ... étripe-chat comme bagarre de chat: un seul survit, l'autre crève.
L'attention monta aussi soudainement que la tension avait baissée. Le visage militaire se détendit, animé soudain par ce qui semblait être un intérêt commun. Bougez pas, j'ai mieux dit-il en se saisissant de son baluchon qui, ainsi soulevé et rabaissé, croustilla du bruit de la ferraille contenue. La main plongée au plus profond du sac de toile en sortit un étrange objet. De la taille des gros poignards, celui-ci était pour autant d'aucune forme connue sur cette partie du continent sinon de celle d'une ample serpe, mais dont la lame au lieu de décrire une courbe se plantait en angle droit. La poignée quant à elle était d'un bois laqué et sculpté. Les adroites entailles décrivaient un visage incrusté dans le bois.
Couteau d'Afrique, de la tribu des Mangbetu.
Mais l'ombre de son père, encore une fois, le ramene à la terre. Voilà qu'il en sait plus sur son géniteur. Précieuses informations sur un homme qu'il ne connait absolument pas.
Il haussa des épaules et dit d'un ton indifférent. Pour moi c'est clair. Votre mère et lui étaient amants, c'tout. D'ailleurs s'ils se connaissaient d'avant votre naissance, moi j'aurai des doutes. Il savait que cela serai fort peu probable vu l'effort qu'avait employé ledit parternel pour cacher au monde son bâtard, mais cette pensée scandaleuse entourant son père, lui faisant du tort en parole, ne pouvait que le réjouir. Il sourit de nouveau de son rictus cruel.
Bourse tendue, bourse récupérée. Les cinquante écus furent les bienvenus et allèrent se déverser en tintant, et la maigre tirelire de nouveau pleine, prit des rondeurs joviales.
Je vous suis. Dit-il enfin, tout en balançant un écu sur l'établi du forgeron, dérangé pour rien.
Daedra_ Sa pique reste sans écho. Muette, imperméable, aussi dénuée de fantasie qu'une porte, la rousse ne paraissait pas faire grand cas de sa tentative d'humour. La blague, il est vrai, est plus chez lui davantage de l'ordre de la grasse histoire que les marins ou les soldats se racontent sous le pont d'une caraque ou un feu de camp que celui de la raffinerie que les nobliaux nomment "traits de l'esprit".
Je n'ai pas les yeux de mon père. S'empressa-t-il de dire. Et une soeur j'en ai déjà une. Jamais vu, trop proche des jupes du paternel. A son tour de n'avoir pas l'humour réceptif. L'histoire est trop mêlée de rancune, de haine et de frustration pour qu'il en vint à en rigoler.
La jeune fille lui rend son coutelat, qu'il range rapidement avant d'ajouter devant le visible intérêt qu'elle y porte. Les esclaves en avaient sur eux, l'a fallu leur retirer pour pas qu'ils songent à commettre un acte stupide. 'Sont comme des enfants, faut faire attention à eux. Ainsi dévoilà-t-il un fragment de la véritable raison qui lui valu son exil au bout du monde.
Elle est pas gênée, celle-là. Pense-t-il alors à l'écoute des conditions générales d'utilisation. Il s'attendait presque à ce qu'elle lui demande de cocher une case "lu et approuvé". C'était elle la débitrice et voilà qu'elle imposait des restictions ... Il grogna, encore une fois.
Un. Comment s'appellait-t-il. La première question était déjà délicate. Commune pour la plupart, d'une facilité déconcertante pour l'immensité de la population, mais ardue pour lui-même. Lui fallait-il répondre par le sobriquet que lui a si généreusement donné son père et qui, tel un matricule de bagnard était gravé dans sa peau jusqu'à se substituer à son réel prénom ? la donzelle n'avait pas besoin de savoir plus. Et ce sobriquet, il le garde comme un défi lancé face à la tyrannie paternelle.
Daedra. Répondit-t-il simplement.
Deux. Pas d'inconvenance. Les yeux roulent à nouveau sur la forme féminine, les pupilles scrutent de bas en haut de manière peu discrète. Il ne s'attarde pas et hausse des épaules. Hmpf. Il n'y avait rien à craindre de ce côté. 'Devriez vous couvrir encore plus, on risque de deviner vos formes. Dit-il de manière ironique.
Et de trois. Le morion. Si ce n'était que ça ... il ôta donc le lourd casque de fer, dévoilant ainsi une chevelure brune qui tomba jusqu'aux épaules, retenue par un catogan. Tout en esquissant un roulement de la tête digne d'une célèbre annonce pour produits cosmétiques, il dévoilà une de ses oreilles. Celle-ci était percée et un petit os blanc poli à l'extrémité pointue la traversait de part en part.
Le casque porté sur le côté, il leva les yeux vers la rousse et grogna de nouveau. C'est bon, là ? Je dois aussi retirer mes braies parce qu'impériales?
Daedra_ Son nom, au contraire de son trait d'esprit, semble davantage faire de cas chez elle. Et la façon dont elle l'interroge ne fait que remuer le couteau dans la plaie. Il avait détesté ce nom, il l'avait honni et maudit, mais il lui restait indéféctiblement lié comme si un jumeau diabolique s'était planté dans son âme. La frustration monte, les joues prennent une couleur de cuivre, les lèvres se pincent. Voilà qu'elle évoquait la religion pour s'y cacher, chose qu'il avait toujours détesté.
Je me fous de votre Dieu. Les mots claquèrent d'un coup sec. Je n'ai pas de nom. Celui-ci m'a été donné contre ma volonté ... et s'il n'était pas aussi négligent, il ne laisserai pas les nantis s'abreuvoir du sang de la terre tandis que les miséreux répandent le leur dans les sillons.
Il scruta la jeune femme. Visiblement elle ne semblait pas connaître la dureté du monde réel. La vie n'était pas dans les idéaux et dans les bouquins, la vie était de sang et de larmes, et lui n'en avait que trop goûté, et l'amer écho de sa propre histoire lui surgit devant les yeux. Le soleil écrase, le fouet s'élève et claque, dans un bruissement de chaînes des troupeaux d'hommes et de femmes sortent du ventre béant d'un lourd navire. Le sang gicle, les cris sélèvent. Parmi eux, un enfant, les cheveux en batailles, la peau sale et les vêtements en haillons. Des chaînes sont attachées à ses poignets. Il est perdu, il est en larmes, il cherche un appui qui ne viendra pas. Alors, silencieusement, chagrin devient rage, les larmes se ravalent. il maudit son père.
J'y ai donné. Réponds-t-il alors en revenant à la réalité. Son enfance est loin d'avoir été une partie de plaisir et bien peu sont les fils de la noblesse à avoir porté les fers et supporté le fouet. C'était pour lui, qui avait connu l'esclavage dans ses plus innocentes années,d'un naturel déconcertant que de traiter à son tour. Toutefois il n'avait pas prit plaisir à exploiter l'homme noir.Il ne voyait de cet affreux spectacle que le profit qu'il pouvait en tirer. Et sans père ni mère pour lui montrer le sens du monde, il avait dû suivre l'enseignement des colons et maîtres sur les îles, pour qui l'africain n'égalait pas même la pire des raclures humaines.
Après un parcours incertain dans le dédale des ruelles de la basse-ville parisienne, il fut introduit dans une baraque à l'aspect abandonné. L'odeur saisissait les sens à peine entré. Mais elle n'était pas grand-chose par rapport à celle dans laquelle il avait évolué. L'estomac, habitué, est solide et ne se renverse pas. Au contraire, il regarde, scrute et furète, attrapant une quelconque bestiole crevée au passage.
Etrange collectionnite. Pourquoi garder des carcasses d'animaux? C'est une artiste, votre soeur? J'aime pas, c'est glauque. 'me rappelle du vieux Alfredo, marin portugais. Il collectionnait les doigts des esclaves trop vieux pour en faire des trucs d'art. Il revendait le reste aux cannibales des côtes. Je lui avait dit qu'il était taré. Mais son frère était pire, il collectionnait les yeux qu'il foutait dans du vinaigre ... l'avait eu ça d'un vieux chaman. 'Parait que ça fortifie les performances nocturnes ou un truc du genre.
Il attrapa un écureil mort et l'observa, jouant un peu avec ses pattes. Vous savez, tous ces trucs païens que vot'religion n'aime pas, l'énergie du vent, tout ça. Jamais cru à ces conneries d'esclaves et de vieux marins ivrognes.
A son invitation, il se débarassa de ses armes non sans grogner une énième fois. Sur une table poussiéreuse non loin,il laissa son morion, posa son épée ainsi que son poignard. Il se saisi de son sac qu'il passa par-dessus son épaule.
Vous pensez que je vais vous aggresser? J'aurai eu tout le loisir dans la forge ou dans la rue. L'ai pas fait. Je suis pas un violeur non plus. Pouvez avoir confiance.
Daedra_ Blasphémer ? Un sourire de glace s'étend sur le visage tanné. Dame misère avait trop tôt apprit à l'enfant qu'il a été que Dieu, sinon son idée, n'existait pas ou alors plus. Et les hommes comme son père qui s'en constituaient les pontifes, avait remplacé le divin sur le trône de l'humanité.
Un furtif regard se lance vers les prunelles de la rouqine tandis que la voix se fait amer .
Dame, je suis bâtard de cardinal. Mon existence toute entière est un blasphème à la face de l'Eternel. A peine sorti du ventre de ma mère, mon père lui-même me jeta hors du monde afin de me dissimuler au regard de votre prétendu Dieu ... J'ai été enlevé, entassé dans un navire avec des centaines d'autres rebus de la société. - Le ton monte, la voix se fait plus intense - j'ai été enchaîné, parqué et marqué au fer rouge tel du bétail ! ... J'ai été emmené contre mon gré loin, à l'autre bout du monde au milieu de personnes que je ne connais pas, au milieu de personnes que je ne comprends pas, qui ne m'aide pas, qui n'en ont rien à foutre d'un gamin qui n'a que ses larmes pour confidentes ! Tout ça pour avoir eu l'affront de naître dans ce foutu monde !
Il venait de se lever. Sans s'en rendre compte, l'évocation de son passé, l'avais mis dans un état de colère noire. Ses mucles tremblaient sous la pression sanguine. Au prix d'un immense effort, il se calma, puis se rassis. Un geste de la main vint signifier à le jeune femme qu'il était désolé de s'être à nouveau emporté.
Pourquoi donc, devrai-je honorer un Dieu absent? Ne lui laissant pas le temps de répondre, il enchaîna. L'avez-vous jamais entendu ? Ne trouvez-vous point ça étrange que, pour un Dieu aimant il soit si loin de ses enfants? J'ai eu le loisir de lire le Livre des vertus, vous savez ... n'est-il pas surprenant que pour un Dieu vivant, votre Très-Haut qui a multiplié les apparitions et autres déclamations à son peuple au cour des anciens âges, se trouve à présent frappé de mutisme quand on le supplie et qu'on l'invoque?
Il soupira. Votre Dieu est mort, Dame. Si toutefois il a existé. Ne prenez donc pas ombrage d'un simple blasphème qui ne peut venir à ses oreilles closes.
Il s'arrêta un instant, puis repris. Mais le divin existe... Oui, je l'ai vu. J'ai découvert Là-bas d'autres voix, d'autres chemins. Et ceux qui les empruntent ne se perdent jamais car ils sont en étroite relation avec le monde d'à côté. Et les âmes du Lointain nous écoutent et murmurent à l'oreille du vent. Et parfois viennent à nous.
Sur ce, il sortit de sa poche un objet à la silhouette ovale. C'était une pièce de bois, et les gravures sur sa suface convergeaient pour former un visage à l'allure maléfique et au sourire cruel. C'est le masque de Legba, messager des âmes par-delà la porte. Les indigènes croient que cette amulette permet de relier les deux mondes.