Temperance
En est-il sûr, que tout est bien, l'infâme ? Parce qu'elle, elle a la nausée, et la nausée, ça ne dit rien de bon. Elle est pâle, autant que son mari, Tempérance. Mais chez lui, c'est normal. Marmoréen, adamantin, percale, statutéen, cinquante nuances de pâle, l'Aiglon. Mais la duchesse, elle est plutôt rosée d'habitude, et fraîche. Là, elle est verte, elle verdit.
Mais elle prie, dans un latin approximatif. Déjà qu'elle a le français approximatif. D'ailleurs, si on s'y intéresse de près, le français de Tempérance ressemble à du latin craché ; alors son latin... Mais elle tient debout, ou assise, sur son prie-dieu. Elle regarde sa progéniture sans amour. Cet héritier qui n'est pas le sien, elle l'abhorre depuis qu'il lui est sorti des entrailles. C'est l'antéchrist ; c'est l'engeance du Von Frayner, de cette horreur de la nature. Elle le hait comme lui. Quand elle essaye de poser sur son visage replet le regard maternel et aimant qu'elle devrait avoir, elle ne voit que la souffrance de l'enfantement, et une souffrance qu'un jour il fera lui-même subir à une pauvre femme qui n'aura rien demandé. Et puis, il paraît qu'on l'a fiancé, l'enfançon. Mais on ne lui a pas demandé son avis, à elle. Elle n'est la mère que sur le papier. D'ailleurs, elle songe à s'enfuir depuis quelques temps. Sans Auguste. Elle, elle voulait l'appeler Abélard, mais on n'a pas voulu, parce que ce n'était pas assez auguste, comme prénom ; et Charlemagne avait dit que ça serait pour leur troisième cadet qu'on destinerait à l'église. Sauf qu'elle n'entendait pas même leur faire un deuxième fils. Plus jamais. Et le prince n'avait pas mis les pieds dans sa chambre depuis... elle ne l'y avait jamais vu, en réalité. Il faisait si noir, ce soit-là ; celui de leurs noces. Et le suivant. Et l'autre après. Puis très vite, il n'y avait plus eu de corps étrange pour la faire souffrir sous les voiles de la Nuit.
Il pleuvait, dehors : elle aurait bien été courir dans la pluie. Silencieuse parmi les choeurs, au milieu des psalmodies d'Arnarion, la duchesse de Nevers hurlait à l'intérieur d'elle-même.
Elle soupira fort, et voyant la princesse Madeleine, son amie, non loin, elle profita de l'interruption orchestrée par un poulain pour se rendre auprès d'elle.
Oh, ma douce mie...
C'est tout ce qu'elle put dire en tendant le bras vers la jeune duchesse du Lyonnais-Dauphiné. Son regard implorait son pardon. Ou le pardon de Dieu pour avoir épousé le Diable sans le savoir.
Elle soupira un coup, et ce fut son dernier soupir.
Ploc, fit son cur. C'était une artère qui lâchait. Ses pupilles se dilatèrent. Elle ouvrit la bouche.
Finalement, elle avait réussi à s'enfuir : elle s'était enfuie de la vie. En tombant sur l'épaule de Madeleine de Firenze, elle n'eut pas le temps de voir sa vie défiler devant elle, mais elle aperçut dépasser du pourpoint de Melchiore de Montmorency, la main de son fils.
_________________
Tempé parlotte lyonnais
Mais elle prie, dans un latin approximatif. Déjà qu'elle a le français approximatif. D'ailleurs, si on s'y intéresse de près, le français de Tempérance ressemble à du latin craché ; alors son latin... Mais elle tient debout, ou assise, sur son prie-dieu. Elle regarde sa progéniture sans amour. Cet héritier qui n'est pas le sien, elle l'abhorre depuis qu'il lui est sorti des entrailles. C'est l'antéchrist ; c'est l'engeance du Von Frayner, de cette horreur de la nature. Elle le hait comme lui. Quand elle essaye de poser sur son visage replet le regard maternel et aimant qu'elle devrait avoir, elle ne voit que la souffrance de l'enfantement, et une souffrance qu'un jour il fera lui-même subir à une pauvre femme qui n'aura rien demandé. Et puis, il paraît qu'on l'a fiancé, l'enfançon. Mais on ne lui a pas demandé son avis, à elle. Elle n'est la mère que sur le papier. D'ailleurs, elle songe à s'enfuir depuis quelques temps. Sans Auguste. Elle, elle voulait l'appeler Abélard, mais on n'a pas voulu, parce que ce n'était pas assez auguste, comme prénom ; et Charlemagne avait dit que ça serait pour leur troisième cadet qu'on destinerait à l'église. Sauf qu'elle n'entendait pas même leur faire un deuxième fils. Plus jamais. Et le prince n'avait pas mis les pieds dans sa chambre depuis... elle ne l'y avait jamais vu, en réalité. Il faisait si noir, ce soit-là ; celui de leurs noces. Et le suivant. Et l'autre après. Puis très vite, il n'y avait plus eu de corps étrange pour la faire souffrir sous les voiles de la Nuit.
Il pleuvait, dehors : elle aurait bien été courir dans la pluie. Silencieuse parmi les choeurs, au milieu des psalmodies d'Arnarion, la duchesse de Nevers hurlait à l'intérieur d'elle-même.
Elle soupira fort, et voyant la princesse Madeleine, son amie, non loin, elle profita de l'interruption orchestrée par un poulain pour se rendre auprès d'elle.
Oh, ma douce mie...
C'est tout ce qu'elle put dire en tendant le bras vers la jeune duchesse du Lyonnais-Dauphiné. Son regard implorait son pardon. Ou le pardon de Dieu pour avoir épousé le Diable sans le savoir.
Elle soupira un coup, et ce fut son dernier soupir.
Ploc, fit son cur. C'était une artère qui lâchait. Ses pupilles se dilatèrent. Elle ouvrit la bouche.
Finalement, elle avait réussi à s'enfuir : elle s'était enfuie de la vie. En tombant sur l'épaule de Madeleine de Firenze, elle n'eut pas le temps de voir sa vie défiler devant elle, mais elle aperçut dépasser du pourpoint de Melchiore de Montmorency, la main de son fils.
_________________
Tempé parlotte lyonnais