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[RP] Quo Vadis, Domine? *

Le_docteur
* Où vas-tu, Seigneur?

Sidh eo requiescat. **

** Je vais au paradis (celte) me reposer.



24 Juillet 1466, une chambre non loin de la mer

La journée était ensoleillée, comme beaucoup en Bretagne le mois de juillet. Au bord de la mer, l'air frais de la nuit avait déposé sa rosée sur l'herbe verdoyante de la plaine, sur les feuilles vibrantes sous le vent des forets environnantes, sur les vitraux colorés de l'église du patelin dont les cloches vont bientôt émettre leur premier bourdonnement du jour. Au-dehors, on entendait les cris enjoués des oiseaux savourant le lever de soleil, après une nuit estivale encore relativement courte et douce. Bien que si proche de la mer, on n'entendait pas cette dernière, son vrombissement incessant engendré par les vagues s'écrasant sur la falaise ou mourant en rang sur le sable fin des plages bretonnes. Non, la mer est loin, loin de la plage, loin de cette chambre inondée de la lumière fébrile, naissante du point du jour. C'est marée basse, et la grande traîne de sable flirte quasiment avec la ligne d'horizon; presque, car seule une maigre bande bleue-gris d'eau salée s'interpose entre les deux. Bientôt l'océan reprendra l'avantage, gagnera de nouveau du terrain, et engloutira sous ses flots, ces grains, ces algues, et tout le microcosme habitant ce terrain de jeu, ce terrain de lutte incessant entre terre et mer.

C'est dans ce décor presque édénique que vit également le médecin Mortimer, soldat vétéran qui s'était reconverti aux lendemains de guerres en sauveur de vies plutôt que donneur de mort. Il avait appris les rudiments tant à l'université que sur les champs de bataille, érudit qu'il était, praticien qu'il devint, et ainsi quand il ne combattait pas, il tentait de sauver les blessés récupérés sur le terrain de Mars. Quand il voulut mettre fin à cet étrange paradoxe, il se retira en Bretagne, auprès de la mer, et entama une vie plus paisible, loin du tumulte de la mort violente, et consacra le reste de son existence à prodiguer les soins conformément au serment d’Hippocrate. Aujourd'hui, c'est le coeur lourd qu'il regarde l'horizon, dans cette chambre qu'il a pu côtoyer maintes fois, car les soins qu'il tente de prodiguer, n'ont pas les effets escomptés. Il a le coeur lourd, car c'est un ami cher qu'il ne parvient à guérir de ses maux.

Il entend une fois encore cette toux chargée qui éjecte de la bouche de l'homme étendu sur un lit, recouvert de draps et peaux de bêtes empilés, des gouttes d'un sang rouge foncé, presque noir, et son regard, las, triste, se tourne vers le malade qui dormait encore quelques instants auparavant, s'arrête sur ce bras brimbalant qui avait fait l'objet d'une saignée la veille au soir, et ne peut réprimer un soupire, fruit d'une fatigue qui ne put l'empêcher de manifester son propre désarroi.

Un léger sourire se dessina pourtant sur le visage du malade. Son visage blême, souffrant, sur lequel perle une sueur aigre, acide, odorante, n'était presque plus reconnaissable, tant il jurait avait ce qu'il a montré durant toute une vie faite de débauche, d'alcool, de rires, de larmes, de joie, de colère, d'amour, d'amitié. Le visage d'un homme arrivé aux termes de sa vie est terrifiant, abjecte, insupportable, et pourtant, on ne peut s'empêcher d'être submergé par l'émotion, toutes sortes d'émotions, de la peine de voir partir un être cher, des souvenirs joyeux qui en ont fait un être cher, de l'appréhension de survivre à cet être cher.

La voix rauque et saccadée s'éleva malgré la grande gène.


Il semblerait *koff koff*, que ça n'ait pas marché.

Des larmes commencèrent à sourdre sous les yeux du médecin, qui fut surpris par ces paroles. Il cherchait depuis des minutes les mots adéquats pour annoncer cette mauvaise nouvelle, ce trait cruel du destin qui avait transpercé net la vie de son patient, mais aucune sentence, aucune tournure ne lui convenait. En réalité, il passait plus son temps à chercher un autre moyen de sauver son ami, qu'essayer de trouver la meilleure façon d'annoncer sa mort prochaine. Pris de cours, il ne pouvait plus réprimer sa tristesse, qu'il tentait encore vainement de contenir, ou limiter.

Non. Mais on va trouver autre chose! Les plantes, et une saignée plus audacieuse ...

Le bras meurtri, déchiqueté de son ami se leva péniblement et se saisit de la main du médecin, pour interrompre ce mensonge qu'il faisait plus à lui-même, qu'au mourant.

Suffit. Je n'ai plus la force pour cela *koff koff* Tu as fait tout ce que tu as pu.

Un silence lourd s'installa entre les deux. La main avait relaché le bras du médecin, qui comprit que l'homme allongé s'était rendormi. Il regardait le visage qui souriait malgré l'annonce funeste qui venait d'être faite. Des larmes coulaient aussi sur ce visage. Mortimer, quant à lui, devait sortir de cette chambre, prendre l'air... il avait vraiment besoin de laisser éclater sa peine, sur la plage, loin des regards, loin de la mort, qui avait repéré les lieux, et s'apprêtait à abattre sa faucille, sur le seigneur des lieux.
Lemerco
Combien de temps Lemerco a-t-il dormi, depuis qu'il avait lâché le bras de son ami médecin? Depuis l'annonce fatidique de sa mort prochaine, voire imminente? Ses forces s'étaient légèrement reconstituées durant ce sommeil fiévreux, et il se redressa un peu dans ce lit qui sentait la sueur, et dont les draps se teintaient de rouge sombre, au niveau de son abdomen, de ce sang contaminé, pourri, qui suinte de la plaie sanguinolente infectée, qui ne se refermera plus. Ses yeux embués par la fièvre et engourdis par le sommeil balayaient la pièce à la lumière tamisée et à l'atmosphère lourde. Hasard, coïncidence? C'est à peu près à ce moment-là que Mortimer pénétra la pièce mortuaire. Ses yeux rougis laissaient comprendre que ce dernier avait pleuré au vent, face à la mer, sur la longue étendue de sable formée en des temps immémoriaux, trônant devant une autre étendue, d'eau salée. Sur le visage de l'ours breton se dessina un sourire timide, perdu dans le tapis de poils grisonnants formant l'une des barbes les plus connues de Bretagne. Un soupire suivi d'une toux sanguinolente achevèrent rapidement cette manifestation de joie, faisant souffrir Lemerco dans sa cage thoracique, son abdomen, sa plaie ouverte, ses muscles du corps presque tous endoloris.

Je dérouille *koff koff*.

Son vis-à-vis médecin le détaillait avec une grande tristesse dans le regard, ce qui gênait encore plus Lemerco, qui, dans une fierté futile, ressentait une grande honte, à être observé de la sorte. Qu'on puisse le voir dans un tel état de faiblesse lui semblait insupportable. Pourtant, la force de ce sentiment s'avérait étrangement inhibée par une sorte de renoncement, d'abdication, d'acceptation de la sentence décrétée. Un nouveau silence s'était abattu, un silence qui semblait être un gaspillage de temps, pour l'homme qui n'en disposait plus de beaucoup, alors l'ours brisa de nouveau l'absence de bruit en posant une question qui nécessitait une réponse prompte.

Combien de temps me reste-t-il?

Lemerco portait maintenant son regard sur la fenêtre, qui fut dégagée des rideaux dont les pans avaient été rabattus sur le côté, quelque instants plus tôt, par le médecin. Il distinguait la mer, le soleil, et les mouettes virevoltant dans le ciel, les bateaux de pécheurs partis du Vivier, et mouillant au large, en quête de prises substantielles à manger, à revendre sur les marchés, à saler pour l'exportation. Parfois, apercevant toute cette vie grouillante, fourmillante, un pincement au coeur fait crisper son visage, et la peur de quitter tout cela l'envahit. Mais alors, la douleur le rappelle à la raison. L'esprit combat le coeur à l'approche de la mort, tantôt une place forte est prise, tantôt elle est abandonnée, et seule la faucheuse finit par arbitrer définitivement cette lutte émotionnelle infernale. Son esprit vagabondait entre diverses pensées antinomiques, incompatibles, paradoxales, mais son attention fut rappelée par les paroles de son ami.


Mon ami, nous sommes aujourd'hui le 24 juillet, et le soleil est à son zénith.
Demain sera le dernier jour de règne de Sa Majesté Lemerco.
Ce dernier pourra rendre sa couronne, et assurer la passation avec le Régent.
Le 26 juillet passera et le 27 ou le 28, quelque-part dans la journée, ces terres perdront leur maitre, et porteront son deuil.


Lemerco sourit à l'écoute de ces mots.

Voilà qui est bien tourné *koff koff*
Le 26 m'est donc complétement accordé?

Mortimer, de nouveau submergé par l'émotion, se fit laconique, ne souhaitant pas trahir son désarroi, ni sa peine; ne désirant pas accabler le mourant, ni le faire culpabiliser.


Oui. Entièrement.

Lemerco reposa sa tête sur l'oreiller. Il se sentait soulagé. La perspective d'avoir une dernière journée juste pour lui, juste pour ses proches, juste pour dicter ses dernières volontés, et voir une dernière fois les visages des amis intimes, et de la famille, le réjouissait.

Calyce est-elle arrivée? Et mes enfants?

J'ai bien envoyé le courrier à la dénommée Calyce. Elle a répondu favorablement et devrait être là dans la journée de demain.
Quant à la famille et les amis, je vais les faire mander pour le 26, bien que certains soient déjà là.
Ton fils Nicolas a été mandé suffisamment tôt pour faire le trajet depuis son évêché.

Je préfère tous les voir le 26 *koff koff*
Pour mon dernier jour.
Je dois assurer là, les dernières heures *koff koff*, de mon règne.
Que Calyce me retrouve dès qu'elle arrive.


Lemerco mit alors un terme à cette discussion, profitant des maigres forces restantes pour signer les derniers édits de son règne, bien que le coeur n'y soit plus, et que la tête soit ailleurs.
Le_docteur.
[ Le 26 juillet, grande salle du manoir du Vivier-sur-Mer]

Description Astérixienne du dernier banquet, pour cette occasion, ont été utilisés : 1 Fût de bière, 1 Merlan, 1 Turbot, 1 Rouget, 1 Mulet, 1 Ombre, 1 Brochet, 1 Anguille, 1 Carpe, 1 Goujon, 1 Truite1 Livre d'olives, 1 Livre de raisin, 1 Demi-quintal de carcasse de chèvre, 1 Bouteille de lait de chèvre, 1 Boisseau de sel, 1 Tonnelet de whisky, 1 Tonnelet de whiskey, 1 Jambon de Parme, 1 Jambon de Bayonne, 1 Jambon Iberico, 1 Jambon de Forêt Noire, 2 Tonnelets de cidre, 1 Vin de Bourgogne, 2 Vin de Bordeaux, 1 Vin de Champagne, 1 Vin de Toscane, 1 Tonnelet de vin de Porto, 1 Vin Rioja, 1 Tonnelet de vin Retsina, 1 Pot de yaourt , 1 Fromage de vache, 1 Fromage de chèvre, 1 Fromage de brebis, 2 Vin d'Anjou, un parchemin, de la cire, une plume et de l’encre.

Soit le garde-manger du Vivier-sur-Mer, où l’action se passe.
Le médecin Mortimer avait eu pour charge, en plus d’apporter les soins d’un être en fin de vie, d’organiser cette dernière réunion, qui associerait dans un dernier festin, une dernière beuverie, les enfants de Lemerco, et quelques personnes vraiment intimes. Le maitre des lieux avait restreint de façon drastique la liste, honteux, ne voulant pas que d’autres ne le voient dans un état si diminué, et cela quelque part arrangeait Mortimer, qui n’était pas intendant, ni organisateur de cérémonie, mais bel et bien médecin et ancien militaire. Il fut quand même bien aidé par les quelques fidèles du Grand-Duc, qui mirent la main à la patte pour la décoration de la grande salle, et l’acheminement de la ripaille, pendant que l’ours agonisait lentement dans sa chambre.

Le matin s’achevait lentement, et tout était prêt pour accueillir en ces lieux, pour la dernière fois, de la compagnie pour l’ours. Car après cette journée, tout le monde sera invité à partir, à quitter ces lieux, le maitre ayant fait le choix de mourir seul, ou presque… seul Mortimer et deux gardes resteront, le temps que l’arme ne passe à gauche.

D’ici là, le médecin était posté à l’entrée du manoir, et attendait patiemment l’arrivée de la famille proche.
Marwenn


    [Dans un couvent au nord de Rennes.]


    Un pli scellé de rouge l'avait cueillit par surprise à la fin des vêpres dans le cloître carmélites ou elle s'était réfugiée il y a maintenant plusieurs mois.

    «Demat mon petit écureuil...» Marwenn esquissa un sourire.

    Les mots suivants, couché sur ce palimpseste qu'elle n'aurait jamais voulu lire, avaient agité ses doigts blancs de tremblements incontrôlable. Sa canne était tombé dans un bruit mat. Entre les murs de pierre froide, sous une nuit sans étoiles, la Frêle contemplait - abasourdie par le silence ambiant - l'eau de ses yeux détremper l'encre du funeste message. Les mots se délavaient doucement. Comment osait-il mourir, Lui, qu'elle pensait éternel ? Comment pouvait-il les abandonner ainsi? La maigre silhouette se ramassa au sol, ou sa canne était tombé quelques instants plutôt. L'irlandaise passa de longues minutes ainsi, sans un bruit. Une heure peut être. Puis l'esprit reprit corps, et après quelques affaires jeter à la hâte dans un sac, la Fluette conseillère quitta le fort ou elle s'était retranché pour rejoindre le faible qui la demandait.

    La rousse enfant chevaucha toute la nuit. Son sac sur la hanche, sa canne dans le dos. Étrangement, la peur des chevaux qui l'avait prise au lendemain de sa chute n'était plus un frein ce soir. Il lui avait fallu un règne entier pour s'en remettre...

    L'irlandaise fini sa course le lendemain, peu avant midi, devant le château ou l'Ours. Aucune agitation ne semble secouer les lieux. Seul, à l'entrée de la demeure, un homme la regarde s'avancer. La boiteuse, oubliant toute politesse, laissa s’échapper entre deux souffle l'angoisse qui montait en elle...


    J'arrive trop tard?! Pitié, non!

_________________
Kaylla.o.connell
L'Irlandaise sortait de la taverne quand un messager lui remit le message de Lemerco. Elle le lut, jura, le relut, jura encore et, le froissant rageusement pour en faire une boule informe, l'enfouit dans l'une des profondes poches de sa cape. Puis elle partit à grands pas, grognant entre ses dents un mélange de Français et d'Irlandais.

Go mbeire an diabhal leis thú*, Lemerco, tu peux pas nous jouer un tour pareil? J't'ai suivi partout… J'suis même retournée en Irlande pour toi! Et voilà que tu nous lâches!! Bod,** t'abandonnes tout le monde… Is cuma liom sa diabhal.***

Elle marchait en donnant des coups de pieds rageurs aux cailloux du chemin. Son regard s'était voilé et… mais ce n'est pas possible… deux larmes glissaient lentement le long de ses joues. Maugréant et vitupérant, elle continuait sa route vers le Manoir du Vivier-sur-mer, où Lemerco avait invité ses proches et amis à festoyer une dernière fois.

Elle arriva enfin en vue des grilles du domaine. Elle s'arrêta net, remit de l'ordre dans ses vêtements et sa chevelure, essuya ses joues humides d'un revers de main puis, le dos bien droit et toute trace de chagrin effacée de son visage, reprit sa route en direction du manoir. Tout en marchant d'un bon pas, elle fredonnait un air guilleret.


Buvons bien, buvons mes amis,
Trinquons, buvons, vidons nos verres.
Buvons bien, buvons mes amis,
Trinquons, buvons, gaiement chantons.
En mangeant d’un gras jambon,
À ce flacon faisons la guerre !

Chantons et buvons, à ce flacon faisons la guerre,
Chantons et buvons, les amis, buvons donc !

Le bon vin nous a rendus gais, chantons,
Oublions nos peines, chantons.


Elle arriva enfin devant les grilles, qui étaient restées ouvertes, les franchit sans ralentir son pas et se planta devant l'entrée du chateau, où une espèce d'épouvantail tout de noir vêtu semblait attendre. Elle l'interpella sans cérémonie:

Eh, vous là bas!! je viens pour la fête! Lem m'a invitée.

* Que le diable t'étouffe; ** traduction polie: idiot; *** Tu t'en fiches
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Khaleb
Un ronflement ponctuait le silence d'or de la chambre. Il était régulier, profond, et celui qui en était l'auteur semblait fort bien apprécier ce moment de repos : un filet de bave reliait sa bouche ouverte à sa couche, sa joue écrasée sur l'oreiller venait presque rejoindre son nez, et il était complètement nu sous une couverture trouée qui ne laissait aucun mystère sur sa tenue à qui le verrait dans cette situation. Bref, Khaleb dort.

Trois coups légers se firent entendre sur la porte. Pas de réaction : le bourricot berrico-breton était dans un autre monde, celui des jolies filles, des tonnelets de bière et des pâtés au faisan. Ben quoi ? Il en faut peu pour être heureux : lui, c'était les pâtés au faisan qui lui donnaient l'eau à la bouche. Les filles, il n'avait jamais su comment ça marchait, et la bière, il en avait trop abusé pour savoir qu'à un moment, il fallait bien s'arrêter. Alors que les pâtés, mh... Les pâtés ! Il pouvait s'empiffrer des jours durant sans prendre un gramme ni une once de problème gastrique. L'idéal.

Trois coups plus forts sur le pan de bois. Il remua dans ses songes, sans pour autant se réveiller. Le filet de bave se déconnecta. A présent, l'heure n'était plus aux pâtés. Un vent salé venait lui chatouiller les narines, et il était debout sur le pont d'un bateau. Etait-ce le Sainte-Reyne-Nathan ? Peut-être. Les songes ne donnaient pas de détails, seules les sensations restaient. Une terre se profila devant l'embarcation, qui était tout de même de belle taille : mais était-ce l'Irlande, ou la Bretagne, ou un tout autre pays ? Aucun idée. Seuls les embruns l'accompagnaient, laissant sur ses lèvres une fine pellicule de sel, comme le pâté au faisan quand il était trop salé.

Trois coups à en défoncer la porte.


"Khaleb, putain ! Mais bouge-toi !"

Réveil en sursaut.

"Quoi ? Quoi ? Mais quoi ?"

Retour à la réalité. Il essuya la bave qu'il restait sur sa joue, enfila une paire de braies et ouvrit la porte de la chambre pour tomber nez-à-nez avec un de ses compagnons d'armes.

"Nad ? Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Un banquet ? Un attentat ?"

Pour Khaleb, les deux méritaient attention. L'un parce qu'il y avait du pâté, l'autre parce que ça voulait dire qu'on en voulait à la vie de Lemerco de Montfort-Toxandrie, autrement dit l'homme qu'il était sensé protéger. Un mince instant de réflexion lui rappela que l'Ours était parti crécher au bord de la mer pour se reposer de sa fatigue du voyage. Donc il ne restait plus qu'une option : le banquet. Il sourit à son compagnon.

"Ah ben je suis content que tu sois venu me chercher. Il y a quoi à table ? Des fèvres, du lard, des poul...
- Rien de tout ça. Tu as du courrier. Du courrier important. Signé du Chef.
- Ah."


L'air déçu de Khaleb s'effaça vite tandis qu'il refermait la porte en regardant la missive. Il la décacheta et lut attentivement. Au fur et à mesure que ses yeux se posaient sur les mots, la déconfiture puis la tristesse se montrèrent sur son visage.

"Merde."

Il mit la missive dans son sac, passa une chemise et mit des bottes, puis sortit en trombe en se dirigeant vers la caserne. Dans l'écurie, il attrapa sa selle, sa bride et se dirigea vers un petit cheval - ou un grand poney - plutôt fringant, tout de jais, qui le regardait avec intérêt.

"Mon gars, il va falloir que tu donnes le meilleur de toi-même aujourd'hui. Comme toujours, d'ailleurs."

Il sella sa monture et grimpa dessus en moins de temps qu'il fallait pour dire "banquet". Et ne laissa pas au destrier le temps de s'échauffer qu'il le talonnait déjà sur les routes bretonnes, en direction du château du Vivier-sur-Mer.
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Loukia
Lorsque Loukia avait reçu un courrier d'un certain Docteur Mortimer, prétendu médecin de son père, elle avait dans un premier temps pensé à une mauvaise plaisanterie. Celle d'un père qui, tellement pris par ses impératifs, et n'ayant pu être assez présent pour les siens , n'avait trouvé que cette supercherie pour pouvoir réunir ses enfants et s'assurer de leur présence. Et puis le doute s'était emparé d'elle… Et si c'était vrai ? A quel point son père était souffrant ? La missive parlait d'un état préoccupant, mais jusqu'à quel point ?

Sa présence dans une taverne bretonne témoignait d'une vive inquiétude, pour qui connaissait les raisons de son départ deux mois plus tôt. Non pas qu'elle s'était juré de ne jamais plus remettre un pied dans ce duché, pourtant si cher à sa famille, mais elle n'escomptait pas y retourner de si tôt. La vie en avait voulu autrement. La vie…

A son arrivée, elle s'était empressée d'écrire à son père, pour s'assurer qu'on ne lui avait pas fait de mauvaise blague, tout en espérant au fond d'elle même que cela en serait une. Elle lui en aurait sûrement voulu, mais Lou préférait nourrir une certaine rancune pour un père vivant qu'aimer un père mort. Bien que chez elle, la rancune ne concernait que les gens qui comptaient…

La réponse n'avait pas tardé à venir, et ses larmes avec. Aucun mot n'aurait pu à cet instant décrire la souffrance provoquée par cette lecture. Lou était confrontée à la triste réalité, celle qu'elle refusait d'admettre depuis le début, la maladie de son père et sa mort prochaine. Comment pouvait-elle perdre ce père qu'elle venait à peine de retrouver un an plus tôt ? Ce père qu'elle adorait, qu'elle idolâtrait même. Fallait voir comme elle parlait fièrement de lui, à quel point elle était fière d'être sa fille. Ce père qu'elle pensait immortel, et que ce Dieu qu'elle vénérait tant allait lui enlever très bientôt .Pour la première fois de sa vie Lou doutait de sa foi.


Combien de fois avait-elle relu cette missive? Personne n'aurait pu le dire, pas même elle. Mais suffisamment pour avoir les yeux rougis mais secs d'avoir trop pleuré. Espérait-elle un miracle en relisant sans cesse ce parchemin souillé par ses larmes ? Il fallait croire… Mais ni le temps qui s'écoulait ni la volonté de son esprit ne changeaient quoi que ce soit…



Comme tu le sais peut-être maintenant, je suis au plus mal.
Il est d'ailleurs fort probable que je ne passe pas le mois de juillet.


Elles étaient là les deux phrases assassines ! Celles qui s'activaient à faire de son coeur un champ de ruine.



Je t'invite donc à mon dernier banquet …


Ben voyons, elle avait le coeur à la fête peut être !



Blablabla...Je ne veux pas de larmes, seulement du rire, et de la bonne humeur.


Pas de larmes, ça c'était dans ses cordes. Elle était bien trop fière pour pleurer en public. Mais pour le rire et la bonne humeur, ça serait une autre paire de manches . Parce que plus sa peine grandissait, plus sa haine envers Marzina grandissait aussi. Que venait faire la blonde là dedans? Rien à première vue, si ce n'était une phrase toute bête prononcée il y a deux mois, certainement anodine pour l'auteure, mais qui tournait en boucle dans l'esprit de Loukia. « Ton père mérite de mourir seul! » . Et voilà que deux mois à peine après cet incident, celui qu'elle aimait le plus au monde allait bientôt passer de vie à trépas. Autant dire que dans l'esprit de la brune, la blonde était la seule coupable de tout ce qui arrivait à présent. Il n'y avait là dedans aucune pensée raisonnée, mais Lou avait besoin de trouver un responsable à ses maux. La seule satisfaction qu'elle pouvait tirer de cette épreuve, c'est que son père ne mourrait pas seul !

Il avait fallu à Loukia un peu de temps pour se remettre de ses émotions et accepter son impuissance face à la mort , et prendre du recul pour tenter de cacher au mieux sa peine. Elle s'était fait belle pour son père, ne négligeant aucun détail sur sa tenue vestimentaire et sa coiffure. Elle s'était même entraînée à sourire faussement tout en paraissant la plus naturelle possible, exercice périlleux qu'elle craignait de rater devant Lemerco. Mais si c'était sa volonté, elle tenterait de faire de son mieux.

Le trajet fut long jusqu'au château. Elle put voir qu'elle n'était pas la première.


Bonjour. Je suis Loukia, une de ses filles. Où est-il ?
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Marguerite__
MANQUE DE (RE)PERE


La missive de son père est encore dans sa main. Margot ne sait pas trop comment réagir. L'Ours géniteur invite ses proches, à un banquet... Quelque part, c'est cocasse. C'est une façon de boucler la boucle, puisque l'arrivée de Margot en Bretagne démarra, quatre ans plus tôt, justement par un banquet, durant lequel elle rencontra son père, alors que tous le pensaient mort à l'époque. Mais en fait il était bel et bien vivant, pour la plus grande joie de Margot!
Cette fois encore, il sera bel et bien vivant, à cet ultime banquet. Et alors qu'au premier banquet de leur rencontre il était sensé être mort avant, cette fois, il sera mort après... Le destin c'est parfois étrange.

Elle ne réalise pas vraiment. Elle regarde le vélin, relit chaque mot, les pèse soigneusement, cherche éventuellement une blague de mauvais goût à travers les phrases de son paternel, mais le ton est sans appel. Il va partir, définitivement. Elle vient seulement de quitter la veillée funéraire faite pour Guyhom, son ex-mari, père de sa fille aînée, et voici qu'elle doit dire adieu à un autre homme important de sa vie, et pas des moindres, son mentor, celui à qui elle voue une affection sans limite et à qui elle pardonne tout et pardonnera toujours tout, sauf de partir pour de bon.

Elle regarde ses enfants, alignés dans leurs lits respectifs. Morwenna, bien grande maintenant et qui vient de vivre le décès de son père. Adrianne, qui commence à gambader et jalouse l'attention que Margot porte aux jumeaux, Ulysse et Achille, encore accrochés à son sein quant à eux. Ils n'auront donc tous ni père, ni grand-père. Elle comptait un peu là-dessus, quelque part. Il reste bien Nao, mais Margot n'est pas tout à fait certaine qu'il soit la figure masculine de référence idéale pour ses enfants!

Elle soupire doucement, un peu lasse. L'année n'est guère joyeuse. Ce qui quelque part, la blinde un peu, devant les nouvelles funestes de ce genre. Mais c'est surtout qu'elle ne réalise pas vraiment. Dans un petit coin de sa tête, un fol espoir lui dit qu'il n'est pas encore mort, après tout, et qu'il va s'en remettre. Tant que le coeur bat, il y a de la vie. Et tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir! Mais ça, c'est parce que le côté optimiste de Margot n'a pas encore été totalement annihilé malgré l'amoncellement de pépins qu'elle vit depuis quelques mois. Ce qui est un miracle en soi!

Le lendemain, elle fait préparer les enfants. Habits du dimanche, langes impeccables. Elle-même, opte pour une robe sobre au vert un peu foncé. Non pas pour rappeler leurs aventures irlandaises, mais plutôt pour l'espoir. Elle a du avoir une nuit agitée, ses cernes sont marquées, ce matin. Elle dissimule un peu son teint gris par des artifices coûteux mais efficaces, et toute la famille prend la route pour se rendre au Vivier sur Mer.

Au château, un jumeau dans chaque bras, Morwenna accrochée à sa robe à droite, Adrianne faisant pareil à sa gauche, elle est introduite, et déjà quelques uns sont déjà là. Elle a pris soin d'essayer d'expliquer aux filles qu'elles se rendent à une belle et joyeuse réunion de famille, et qu'elles doivent absolument en profiter parce que la famille en question n'est pas du genre à faire ça tous les ans. De se tenir bien aussi, taquiner leur grand-père, et vivre ce jour à fond. Adrianne, encore jeune, n'a probablement pas compris un traitre mot, seulement ceux essentiels dans les oreilles sélectives d'un enfant de son âge. Morwenna, quant à elle, plus âgée, a ressenti les sentiments cachés par sa mère lors de son discours, les mômes sont comme ça, des éponges à émotions.

Elle adresse un sourire qu'elle veut heureux à Khaleb et Kaylla, les double K, toujours là près de son père, fidèles et égaux à eux-mêmes. Ils ont contribué à l'éducation militaire de Margot, et en fait elle les a toujours vus dans l'ombre de Lem. Jamais loin. Toujours disponibles et efficaces. Ils font tellement partie du décor qu'à vrai dire, ils font partie de la famille.
Elle salue sa soeur, Loukia, qu'elle aimerait connaitre un peu plus, mais n'a jamais eu l'occasion de développer leur relation.


"Les enfants, je vous présente votre tante Lou. Je vous ai déjà parlé d'elle."

Morwenna s'incline comme on le lui a appris, Adrianne se fourre un doigt dans une narine, et Achille, le blond des jumeaux, se met à brailler, réveillant son frère, Ulysse, le brun, qui du coup en fait autant.

Bref, ça commence bien.


_________________
.anastriana
Ana revient de Trecesson, sur les terres de Brocéliande, et n'a envie que d'une seule chose à l'instant présent, après avoir officié à la veillée funéraire de Guyhom : retrouver l'intimité de ses appartements au château de Loudeac sur le rohannais, câliner Alexandre, son dernier fils, et bénéficier de la présence apaisante de son époux, Saga. Surtout, rien d'autre. Juste eux, ensemble, dans le seul endroit en Bretagne dans lequel elle se sente bien. Commencer ainsi, le deuil de la perte d'un être cher. Sauf que...

Sauf qu'une fois la famille arrivée au château, Catherine lui apporte un plis.


"C'est cacheté du sceau personnel de Sa Majesté, je ne l'ai donc pas ouverte."

Ana soupire, se demandant ce que Lem peut bien vouloir, elle s'imagine que peut-être, il lui transmet ses condoléances pour Guyhom, ou bien au mieux, il l'invite à bouffer du sifflard en buvant du pinard en se rappelant le bon vieux vieux, ou au pire, il souhaite profiter de sa présence en Bretagne pour un entretien et un échange d'hommages. Elle fait fait sauter la cire, dépliant le vélin. Ses yeux parcourent les lignes dont l'écriture lui est familière tout en montant l'escalier qui mène à l'étage du chateau. Sa main libre s'accroche soudainement à la rambarde, son coeur a un loupé, et ses jambes ne semblent plus vouloir la porter l'espace d'un instant.

"Mais... Que... Quoi?!"

Elle s'asseoit en plein milieu de l'escalier, lit, relit la missive, et secoue la tête, l'air hagard.

"Ils ont décidé de me ruiner les années qu'il me reste à vivre, ils se sont donnés le mot, c'est pas possible!"

Elle tend la lettre à Saga, qui s'est assis à ses côtés pour la soutenir, et la regarde à la fois avec un air inquiet et interrogateur. Tandis qu'il lit, elle pose ses coudes sur ses propres cuisses, cale sa tête entre ses mains, et reste là, le regard vide.
Des souvenirs envahissent alors sa tête, une partie de sa vie défile comme un film devant ses yeux. La rencontre avec Lem, l'épopée du partie BOMB, le controle de l'opercule d'Azi, leur mariage et leur voyage de noces raté, la mort d'Azi, Lem qui frappe à sa porte une nuit, trempé de flotte et alcoolisé jusqu'à l'os et qui profita qu'Ana l'héberge pour lui voler une culotte dans une armoire, les enfants, Azarelle qu'elle aura pris sous son aile jusqu'à ce qu'elle même décède tragiquement, les aventures communes, la chasse au sanglier, la guerre en Normandie, la Main sur qui il ne sut s'appuyer, les lettres au sens caché échangées... Et l'éloignement, un peu progressif. Ana regrettera probablement toujours d'avoir envoyé ces lettres. Ou en tous cas de ne jamais avoir eu de réponse à la dernière. Comme une question restée à jamais sans réponse, des points de suspension, suspendus pour l'éternité!

Elle se redresse et pose sa tête contre l'épaule de Saga, et dans un soupire elle lui dit :


"Vivement qu'on parte, avant qu'on m'annonce autre chose. Je ne lis plus aucune lettre avant notre retour, foi de moi!"

Puis, le jour convenu, elle fait la route, seule, sur Bairdéir. Bien sûr elle est entourée de sa garde personnelle, mais c'est bel et bien seule qu'elle entre à l'intérieur du logis du château du Vivier. Et respectueuse des indications de Lem dans sa lettre, elle lance en entrant dans la salle du banquet...

"Alors, c'est ici qu'on bouffe et qu'on picole à l'oeil? Y'a du sanglier j'espère au menu!"

Avec un sourire plaqué sur le visage très bien composé, faculté acquise grâce à des années d'entrainement!
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--L.aconit
𝖁𝖎𝖛𝖎𝖊𝖗 𝖘𝖚𝖗 𝕸𝖊𝖗


Faisant entrer le convoi dans la Cour aidé de bras gaillards, l'évêque de Périgueux héla les valets. L'air marin emplissait chaque poumon, salait chaque soupir au terme de ce voyage interminable qui les libérait enfin à destination. Le Château de Vivier sur mer.

- Apportez l'offrande des parfums au Grand Duc de Bretagne qui se meurt. Elle est celle de tous les fidèles à ce Roi qui s'en va. Déposez à ses pieds l'Or du pèlerin car c'est dans l'or qu'est la reconnaissance de la puissance de l'église, dans l'encens celle de la divinité, dans la myrrhe celle de la mort. Dites au Grand duc que par ces présents symboliques, son fils proclame à tous qu'il est celui qu'il adore. Voici l'or: c'est un roi; voici l'encens: c'est un Dieu; voici la myrrhe: c'est un mortel.


S'en suivirent le vin et l'huile d'olive que Francesco Borgia lui avait généreusement offert pour honorer le banquet, transportés depuis Rome.

Il avait laissé l'escorte hors les murs, le coeur enrubanné, de ce qui attendait dedans, de ce qui attendrait dehors. Longue avait été la route depuis la France, terre d'accueil depuis maintenant quelques années où la fugue avait scellé son destin d'adolescent. Larmes n'avaient pas été apportées, l'annonce de la nouvelle, la lettre, Faust l'avait reçue comme les autres, et sa réaction avait été engloutie par l'épaisseur des murs de Saint Front.

    "Je suis fils de monarque. J'ai été écuyer de Prince. J'ai appris à rester digne."


Tels étaient les mots confiés à Alphonse, un soir , un autre à se parler d'intime. Digne, le jeune homme qui apparut au seuil dans sa dalmatique d'évêque l'était. Le teint pâle, les yeux très bleus, le menton droit et l'air impénétrable, Faust Nicolas avançait encore en prélat. S'agenouillerait devant son Père en fils. N'importe qui peinerait à trouver les ressemblances entre l'Ours et l'Aconit. Traits pour traits, le bâtard avait hérité de sa mère, tant dans la douceur de ses gestes que dans son air mélancolique, lorsqu'il se faisait pensif. Un pas devant l'autre, Montfort Toxandrie traversa la grand salle de banquet. Il salua chacun des présent d'un mouvement d'épis blancs, noeuds dans l'âme et dans le ventre parfaitement dissimulés derrière les vitraux cobalts qui s'érigeait en rempart entre lui et le monde extérieur. Si l'on pouvait noter quelque chose de plus fragrant que son immaculée allure, c'était sans doute que ses traits étaient tirés de l'inconfortable voyage fait dans l'urgence, et qu'il n'était pas aussi jouasse que demandé.

Pour la première fois de sa vie et pour la dernière aussi,
fils désobéissait à son géniteur.


- Demat; Monseigneur Montfort Toxandrie arrivé de France, annoncez à mon Père que je suis venu lui dire A Dieu . Que j'accède aussi à le confesser lorsque le moment sera venu et à attester au nom de Rome de sa présence d'esprit lors des ultimes formalités d'usages .


Ainsi s'annonça-t-il à la garde, avant de rejoindre dans un silence épais sa soeur Loukia et la Croisic à qui il fit une révérence, chassée bien vite par un frôlement plus humain, plus chaleureux.


Loukia. Marwenn.

Sous le masque de porcelaine, l'infini tourment de ceux qui avaient eut trop peu, et à qui l'on reprenait beaucoup trop. Là. Il ne bougerait plus jusqu'à ce qu'on le réclame, entre ces deux jeunes femmes qui rassemblaient à elles seules son maigre héritage de fils bâtard. Retz , Dol, et la mort du Grand Duc; voilà tout ce qui resterait bientôt de sa Breizh en exil.
Lemerco
Dans sa chambre, alors que les premiers invités arrivaient, Lemerco, pâle comme la lune, tachait tant bien que mal à s'habiller convenablement. Chaque gesticulation des bras et des épaules, chaque mouvement du torse, pour enfiler sa chemise, arrachait à l'ours des grimaces de douleur, des grognements de dérangement. Les bandages s'enroulant autour de son ventre étaient de surcroit volontairement épais, afin de cacher à l'assemblée cette plaie putréfiée, de laquelle s'échappe inlassablement un sang âcre et noirci par l'infection. Cela ajoutait de la gêne à la peine, l'empêchait de se mouvoir comme il le souhaitait. Il arriva un moment où il fut prêt, son mantel posé sur ses larges épaules, grelotant légèrement de froid. Le médecin avait eu la jugeote d'aménager une salle en rez-de-chaussée, de sorte qu'il n'avait nul escalier à descendre; ainsi ne risquait-il pas de louper cette dernière réunion de famille, en loupant prématurément une marche.

Il pénétra ainsi la salle de réception, et aperçut que tout était prêt. Les tables étaient alignées, autour desquelles des chaises étaient amoncelées. Sur les tables, tout ce que la cave de l'ours contenait de plus précieux était cuisiné, placé, prêt à être servi. Des jambons tranchés, des tonnelets de vins percés, des poissons cuits aux légumes du pays.
Les effluves attaquaient son nez, et la mélancolie qui l'accablait depuis plusieurs jour semblait s'envolait avec ses senteurs volubiles, ne laissant chez l'ours que la joie que procure l'approche d'un repas savoureux, en bonne compagnie.
Il ne s'efforçait plus à sourire, le sourire s'était imposé à lui, naturellement.

Tant et si bien que c'est lui qui alla accueillir la famille, directement, une fois qu'on lui dit que tout le monde était arrivé les uns après les autres. Même si la douleur contrariait voire entravait ses pas, il y alla de bon coeur, comme libéré de la majorité de ses souffrances. Il salua alors tout à chacun dans l'ordre d'arrivée.


Marwenn, je suis ravi de vous voir. Je vous ai invitée, car deux fois dans ma vie, j'ai pu me reposer entièrement sur vous, dans l'exercice de mes fonctions. Je ne savais pas si mon fils Nicolas serait de la partie, le sachant très occupé avec ses affaires romaines. Mais je suis ravi de voir qu'il n'en est rien.

Dit-il en voyant le dernier arrivé.


Car il fallait bien quelqu'un pour me donner l'extrême onction avant de rejoindre le Très Haut et son jugement. Vous ne serez peut-être pas trop de deux, vu l'ampleur de la tache.

Puis son regard se pose alors sur Kaylla et Khaleb.

Mes amis, je suis ravi de vous voir ici. Tant d'années, vous avez été de mes fidèles. Tant d'années, vous m'avez suivi, dans les prises de mairies, les prises de châteaux, les guerres, les succès, les échecs. Des personnes de l'ombre, qui ne cherchent d'autre lumière que celle qui est en eux. Pour moi vous êtes la famille la plus intime que j'ai pu avoir. J'espère vous rendre honneur une dernière fois, en picolant et festoyant comme nous avons toujours su le faire.

Puis il regarda Loukia, car maintenant, il était question des enfants. La chair de sa chair, même si les mères sont chaque fois différentes.

Ma fillotte. Je suis heureux de te voir. J'espère que ton séjour en Bretagne, pour me voir une dernière fois, n'aura pas été trop pénible. J'espère aussi secrétement qu'un jour, tu comprendras tout l'amour et l'attachement que je pouvais avoir pour la Bretagne, qui est une terre de désamour entre personnes influentes, mais également de passion qu'on a dans le sang. Quand on se sent breton, c'est jusque dans les tripes. Mais quand elles sont infectées et noircies par la pourriture mouahahahaha ouille.


Et son regard se porte alors sur Margot.

Cela vaut pour toi aussi. Quelle misère d'avoir autant d'enfants qui n'aiment pas la Bretagne. A croire que j'ai gardé tout pour moi, ou tout réservé pour Naoned.


Il se penche alors, non sans grimacer auprès des petits-enfants.


L'important restant néanmoins la descendance. Je ne peux avoir de plus beaux cadeaux que la connaissance que mon sang est sain, ailleurs que dans mon corps, et qu'il passera de générations en générations jusqu'à, je l'espère, la fin des temps.


Et il se relève et regarde Nicolas.

Mon fils, je suis ravi de te voir.
Certainement la dernière, car les volontés du Très Haut ne sont pas négociables.
Durant ce dernier repas, qui sera la dernière fois que vous me verrez, je compte énoncer mes dernières volontés, et ce sera ta charge que d'en attester l'authenticité.
Comme tu peux le voir, je ne suis pas encore complétement fou.


Puis il conclut avec Ana, vu que Naoned, Elorya et Arrogane ne sont pas encore arrivés.

Ma chère amie, cousine par alliance, si proche et si lointaine, je suis heureux que tu aies pu venir. Je sais que le monde s'écroule un peu, avec toutes ces morts qui nous tombent dessus depuis quelques temps.
Mais en Bretagne, n'est-il pas de coutume de faire la fête aux enterrements? De boire, manger et rire en l'honneur de la personne qui a rejoint le Sidh?
J'ai fait préparer un sanglier exprès pour l'occasion. En souvenir de Grouik Grouik, l'animal qui tua Naoned le vieux, et de notre quête commune, pour l'attraper.


Puis il se tourna vers l'intérieur.

Allons, chers amis, le festin nous attend. Allons tous nous asseoir, ou rester debout, discuter, s'amuser. Avant de parler des choses que je laisserai derrière moi.

Le médecin lui avait formellement interdit de manger et boire toutes les denrées étendues sur la table. Que cela risquait de l'achever prématurément et dans des souffrances plus grandes. Le sel, l'alcool, quand on a les entrailles pourries, c'est risquer des douleurs incommensurables. Mais il s'en foutait. Qu'est-ce que des heures de martyres, à coté d'heures de bonheur?

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Khaleb
Lui et Elle. Elle et Lui. Kaylla et Khaleb, pour une fois côte-à-côte, sans aversion de la part d'elle, sans gêne de sa part à lui, solidaires face à la tristesse que pouvait leur inspirer la vue de l'homme qu'ils avaient accompagnés maintes et maintes fois.

Avant que l'Ours ne s'adresse à eux, il l'avait observée du coin de l’œil. Elle ne le savait pas, et il n'allait sûrement jamais le lui dire par pure fierté, mais il admirait l'Irlandaise pour son courage et sa ténacité sans faille. Si lui-même ne déméritait pas dans les missions, surtout pour les connerie, l'O'Connell était un pilier sûr sur lequel l'on pouvait s'appuyer.

Lorsque Lemerco vint à eux, l'Ys l'écouta avec attention. Des personnes de l'ombre, qui ne cherchent d'autre lumière que celle qui est en eux. C'était un sacré compliment. Justifié, mérité, peut-être, mais Khaleb n'avait pas l'impression d'avoir servi assez de temps pour recevoir une telle marque de respect. Le Montfort-Toxandrie avait déjà tant fait pour lui qu'il n'avait aucun besoin de ces remerciements. Il lui avait donné un rôle à jouer, une raison d'être, un sort qui aurait été sûrement bien plus sombre s'il n'avait pas croisé sa route. Khaleb était promis à une toute autre vie, qu'il avait quittée. Il avait tout quitté pour la Bretagne. Mais ce n'était pas la Bretagne qui lui avait rendu la pareille. C'était Lemerco.

Il hocha la tête.


"Picolons et festoyons, Chef. Faisons en sorte que ce soit l'un des moments les plus mémorables."

Il ne voulait pas parler de départ. Car celui de Lemerco serait celui de tout le monde. Une nouvelle vie commencerait pour chacun d'entre eux.
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Kaylla.o.connell
Debout près de Khaleb… Ô miracle! Kaylla se tenait très droite, presque au garde à vous. Peu lui importait la proximité de celui qu'elle ridiculisait, raillait ou invectivait selon son humeur, depuis des années . En ce jour où la fin d'une période importante de sa vie approchait, l'Irlandaise ne pensait qu'à la mort prochaine de celui qui, tout en étant le chef, avait, à son insu, remplacé le père tragiquement décédé.

Encore enfant, l'Irlandaise avait fui les rivages d'Erin après un raid de pirates, qui avait décimé la population de son village. Orpheline, elle s'était réfugiée sur le continent. Un jour, au cours de son errance, elle avait trouvé l'Ours sur sa route… elle ne l'avait plus quitté.

Quand Lemerco s'approcha des deux K, le visage de l'adolescente ne trahit rien des pensées qui se bousculaient dans sa tête. Le sourire légèrement railleur qui étirait habituellement ses lèvres était fermement en place. Seul le regard, à peine voilé, révélait son chagrin.
A la fin du petit discours de Lemerco, elle partit d'un rire franc et sonore et s'exclama:


C'est nous qui te rendrons honneur, Lem! Nous allons manger et boire jusqu'à rouler sous la table, comme au bon vieux temps.
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L_aconit
" Mon fils, je suis ravi de te voir.
Certainement la dernière, car les volontés du Très Haut ne sont pas négociables.
Durant ce dernier repas, qui sera la dernière fois que vous me verrez, je compte énoncer mes dernières volontés, et ce sera ta charge que d'en attester l'authenticité.
Comme tu peux le voir, je ne suis pas encore complètement fou. "


Il avait salué son père en inclinant l'échine, se souvenant combien il avait été mal en point trois heures auparavant. Encore un peu ivre de son aparté avec Loukia. Encore un peu fourbu de se donner du courage. L’œil bleu avisa en médecin l'état du régnant, ses traits tirés, son cheveu trop bien coiffé pour être honnête et le visage pur du fils avait contrefait ces sourires qu'il avait d'habitude si naturels pour donner à l'Ours ce qu'il désirait. Lui aussi, feignait d'être frais. Voilà un point commun qui prêtait à sourire... Fort de ces paroles, Faust répondit sur un ton presque naturel:


Je ferai ce qu'il faut. Selon vos volontés et celles du Très Haut.

Qui pouvait refuser quoi que ce soit à un mourant? Il s'étendit peu en paroles, la confession rétablirait l'équilibre. Prenant place à table, il ne lâcha pas des yeux ce père qui partait trop vite, et qui au gré de ses mouvement, ne parvenait pas à dissimuler si bien qu'il le pensait sans doute la mort en son sein. Loukia avait dit ' une sale blessure ' . Nicolas croyait à la vengeance divine tout droit venue d'Arlon. Les lettres échangées avec Perceval lui avaient révélé l'une des facettes du Grand Duc. Cet homme là avait vécu. Avait aimé. Avait guerroyé. Avait tué. Ce jour était le dernier passé à faire ripailles, ce jour était pour l'Aconit un immense jour sans joie.

Il ne toucha pas au vin, échaudé par la bouteille de lambig de l'après midi. Se contenta de discuter sans écouter vraiment les autres, l'esprit ailleurs. Sur un trône vide.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Loukia
Loukia était en plein cauchemar, et elle allait se réveiller, pour sûr !!!

Pourtant, il avait bien commencé. Tout d'abord, elle avait retrouvé sa soeur et fait enfin la connaissance de ses neveux et nièces. En d'autres circonstances, elle aurait du se faire violence pour oublier qui était le père de trois d'entre-eux. Mais autre temps, autre moeurs, Lou ne savait pas haïr deux blonds à la fois.

Et puis était apparu ce frère qu'elle connaissait si peu, mais qui lui avait plu dès la première rencontre. Qu'il soit homme d'église n'avait fait que gagner sa confiance, parce que l'affection qu'elle lui portait était venue tout aussi naturellement que pour Nao et Margot.

Ana et Marwenn étaient là aussi, ainsi que les deux K dont elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de faire connaissance. En tout cas, une amitié et une fidélité aussi forte que celles qui les liaient à son père, elle n'en avait jamais vu.

Aussi, comment Lou n'aurait-elle pas pu se réjouir de voir son père entouré de ceux qui l'aimaient le plus? Il ne mourrait pas seul, n'en déplaise à certaines.

Lorsque son père se rapprocha d'elle, elle se contenta de l'écouter. Elle en avait pourtant des choses à lui dire. Mais rien ne vint. Et puis, est ce que cela aurait changé quelque chose qu'il sache qu'elle n'avait jamais détesté la Bretagne, même si elle n'était pas parvenue à l'aimer comme il l'aurait souhaité? Sans cette atmosphère délétère, elle aurait sûrement fait l'effort de rester, et elle s'en voulait d'avoir laissé son père. Mais sans lui, plus rien n'aurait de sens ici.

Elle dut faire un effort presque surhumain pour contrôler ses larmes, et ne pas décevoir ce père qu'elle aimait plus que tout.

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