Le_docteur
* Où vas-tu, Seigneur?
Sidh eo requiescat. **
** Je vais au paradis (celte) me reposer.
Sidh eo requiescat. **
** Je vais au paradis (celte) me reposer.
24 Juillet 1466, une chambre non loin de la mer
La journée était ensoleillée, comme beaucoup en Bretagne le mois de juillet. Au bord de la mer, l'air frais de la nuit avait déposé sa rosée sur l'herbe verdoyante de la plaine, sur les feuilles vibrantes sous le vent des forets environnantes, sur les vitraux colorés de l'église du patelin dont les cloches vont bientôt émettre leur premier bourdonnement du jour. Au-dehors, on entendait les cris enjoués des oiseaux savourant le lever de soleil, après une nuit estivale encore relativement courte et douce. Bien que si proche de la mer, on n'entendait pas cette dernière, son vrombissement incessant engendré par les vagues s'écrasant sur la falaise ou mourant en rang sur le sable fin des plages bretonnes. Non, la mer est loin, loin de la plage, loin de cette chambre inondée de la lumière fébrile, naissante du point du jour. C'est marée basse, et la grande traîne de sable flirte quasiment avec la ligne d'horizon; presque, car seule une maigre bande bleue-gris d'eau salée s'interpose entre les deux. Bientôt l'océan reprendra l'avantage, gagnera de nouveau du terrain, et engloutira sous ses flots, ces grains, ces algues, et tout le microcosme habitant ce terrain de jeu, ce terrain de lutte incessant entre terre et mer.
C'est dans ce décor presque édénique que vit également le médecin Mortimer, soldat vétéran qui s'était reconverti aux lendemains de guerres en sauveur de vies plutôt que donneur de mort. Il avait appris les rudiments tant à l'université que sur les champs de bataille, érudit qu'il était, praticien qu'il devint, et ainsi quand il ne combattait pas, il tentait de sauver les blessés récupérés sur le terrain de Mars. Quand il voulut mettre fin à cet étrange paradoxe, il se retira en Bretagne, auprès de la mer, et entama une vie plus paisible, loin du tumulte de la mort violente, et consacra le reste de son existence à prodiguer les soins conformément au serment dHippocrate. Aujourd'hui, c'est le coeur lourd qu'il regarde l'horizon, dans cette chambre qu'il a pu côtoyer maintes fois, car les soins qu'il tente de prodiguer, n'ont pas les effets escomptés. Il a le coeur lourd, car c'est un ami cher qu'il ne parvient à guérir de ses maux.
Il entend une fois encore cette toux chargée qui éjecte de la bouche de l'homme étendu sur un lit, recouvert de draps et peaux de bêtes empilés, des gouttes d'un sang rouge foncé, presque noir, et son regard, las, triste, se tourne vers le malade qui dormait encore quelques instants auparavant, s'arrête sur ce bras brimbalant qui avait fait l'objet d'une saignée la veille au soir, et ne peut réprimer un soupire, fruit d'une fatigue qui ne put l'empêcher de manifester son propre désarroi.
Un léger sourire se dessina pourtant sur le visage du malade. Son visage blême, souffrant, sur lequel perle une sueur aigre, acide, odorante, n'était presque plus reconnaissable, tant il jurait avait ce qu'il a montré durant toute une vie faite de débauche, d'alcool, de rires, de larmes, de joie, de colère, d'amour, d'amitié. Le visage d'un homme arrivé aux termes de sa vie est terrifiant, abjecte, insupportable, et pourtant, on ne peut s'empêcher d'être submergé par l'émotion, toutes sortes d'émotions, de la peine de voir partir un être cher, des souvenirs joyeux qui en ont fait un être cher, de l'appréhension de survivre à cet être cher.
La voix rauque et saccadée s'éleva malgré la grande gène.
Il semblerait *koff koff*, que ça n'ait pas marché.
Des larmes commencèrent à sourdre sous les yeux du médecin, qui fut surpris par ces paroles. Il cherchait depuis des minutes les mots adéquats pour annoncer cette mauvaise nouvelle, ce trait cruel du destin qui avait transpercé net la vie de son patient, mais aucune sentence, aucune tournure ne lui convenait. En réalité, il passait plus son temps à chercher un autre moyen de sauver son ami, qu'essayer de trouver la meilleure façon d'annoncer sa mort prochaine. Pris de cours, il ne pouvait plus réprimer sa tristesse, qu'il tentait encore vainement de contenir, ou limiter.
Non. Mais on va trouver autre chose! Les plantes, et une saignée plus audacieuse ...
Le bras meurtri, déchiqueté de son ami se leva péniblement et se saisit de la main du médecin, pour interrompre ce mensonge qu'il faisait plus à lui-même, qu'au mourant.
Suffit. Je n'ai plus la force pour cela *koff koff* Tu as fait tout ce que tu as pu.
Un silence lourd s'installa entre les deux. La main avait relaché le bras du médecin, qui comprit que l'homme allongé s'était rendormi. Il regardait le visage qui souriait malgré l'annonce funeste qui venait d'être faite. Des larmes coulaient aussi sur ce visage. Mortimer, quant à lui, devait sortir de cette chambre, prendre l'air... il avait vraiment besoin de laisser éclater sa peine, sur la plage, loin des regards, loin de la mort, qui avait repéré les lieux, et s'apprêtait à abattre sa faucille, sur le seigneur des lieux.