Vittorina
Brest
Le syndrome de la page blanche.
Il faisait nuit noire, la moitié dune bougie sétait déjà consumée, et malgré le fait davoir trempé sa plume un bon nombre de fois dans lencrier pour éviter quelle ne sassèche, aucun mot ne fut couché sur le papier, pas même len-tête. Elle sétait pourtant donné tous les moyens dy arriver, avait sorti sa meilleure plume, avait vidé de son secrétaire tout ce qui pouvait la distraire, notamment ses littératures, mais Vittorina ny arrivait pas.
Il faut dire que lexercice nétait pas si aisé, il sagissait de recontacter un cousin, fils de son oncle, perdu de vue depuis de longues années.Et comme si de le recontacter nétait pas déjà assez compliqué, il fallait en plus que sa situation soit assez tendue pour quelle lui demande son aide.
Papà, papà .. où es-tu ? dans quelle situation me mets tu .. ? Souffla-t-elle en repoussant brusquement sa chaise vers larrière et en se relevant pour faire quelques pas qui, elle lespérait, la détendraient un peu et, pourquoi pas lui donneraient un nouvel angle dapproche et un peu dinspiration. Mais irrémédiablement, son regard se porta à travers la fenêtre, vers locéan que lon ne distinguait pas, mais que lon imaginait si bien, et que loreille pouvait deviner pour qui sait entendre et écouter.
****
Son père était quelque part, là-bas sur les eaux calmes et moins calmes. Rien danormal en vérité pour un riche marchand, mais ce qui létait davantage, cétait quil laisse sa fille sans nouvelle, lui qui habituellement multipliait les missives pour la rassurer, et qui sassurait de ne jamais rester absent plus de trente jours daffilée. Or en comptant ce jour, cela en faisait 71 quelle lattendait, et 41 quelle arpentait le port dans toute sa longueur dans lespoir de voir lhorizon lui apporter sa bonne nouvelle. Mais hormis la reconnaissance des marins du coin, et la familiarité de leurs jurons, elle ne revenait jamais satisfaite ni comblée.
Un soir quelle rentrait toujours bredouille, elle se décida à mettre un peu dordre dans les affaires de son père, histoire de soccuper les mains et lesprit. Entre les carnets de comptabilités, les contrats, et tout le reste, il y avait de quoi faire et pourtant, Vittorina sarrêta bien vite, se figeant littéralement. Elle tenait entre ses mains un courrier rédigé de la main de son paternel un courrier quil prévoyait visiblement denvoyer il était destiné à Danyhel Alzo.
Un nom qu'elle n'avait pas entendu depuis des années mais qu'elle remit précisément dans un souvenir à Vérone, un nom qui, malgré lui, la renvoya à une époque de sa vie où tout n'était que bonheur...
Dans sa lettre, son père priait Danyhel, son neveu, de bien vouloir veiller sur elle au cas où il lui arriverait malheur. Il y était aussi question dhonneur, dexcuses, de sens de la famille un triste fouillis sans queue ni tête non daté. Craignait-il quelque chose ? Se sentait il menacé ? Ce courrier avait-il été rédigé lan dernier ou quelques jours avant le voyage duquel il tardait de rentrer ? Tant dinterrogations qui donnèrent à Vittorina la nausée, se sentant prise dans un tourbillon de questions sans réponse. Et malgré le malaise, il lui fallait une issue.
Son père nayant jamais franchi le pas en envoyant cette lettre, elle ne pouvait lenvoyer delle-même, mais se sentant soudainement comme oppressée, seule, dans une ville presque inconnue, et après presque un mois de réflexion elle ne voyait quune porte de sortie, écrire elle-même à ce cousin, et substituer sa demande à celle de son père. Sil devait lui répondre par la positive, alors elle lui apporterait le courrier original.
****
Mot après mot, soigneusement choisis, finalement le parchemin se noircit. Une virgule, une formule de politesse pas de rature pas de rature ! un point final . et enfin une signature ! Voilà ! Cen était terminé. A la relecture, lensemble ne lui convenait plus vraiment, trop familier, ou pas assez... mais tant pis, elle nétait clairement pas rompue à lexercice et ne pouvait faire mieux. Lécriture aussi peut-être trahissait-elle un temps certain passé à la rédaction, plus par recherche des formules adéquates que par souci de jolies lettres, nétait ce pas trop superficiel au vue du contenu ? Puis comme un signe du Ciel lui intimant de ne plus rien changer, la bougie séteignit, plongeant la chambre dans une totale obscurité.
Demain, dès les premières lueurs de laube, elle se chargerait de missionner un messager pour apporter ce pli dans les plus bref délais à Signore Alzo.
Elle serait désormais dans lattente, celle dune nouvelle venant de la mer, celle dune nouvelle venue de la terre, priant de toute sa foi, plaçant toute sa confiance dans le Très Haut.
Cher cousin,
Pardonnez que jose mimmiscer ainsi dans votre vie, je ne laurais fait sans une bonne raison.
Je suis Vittorina Alzo, votre cousine. Peut-être mon prénom trouvera-t-il écho dans lun de vos lointains souvenirs, je suis la fille de Vittorio Alzo, votre oncle marié à Isabella la florentine.
Par un mauvais concours de circonstances, me voilà seule dans une ville où je nai aucune attache, aucun appui. Aussi, puisque je ne peux faire autrement, et sur instruction de mon père, je me retrouve à vous demander votre aide si vous le voulez bien, et à vous prier de bien vouloir maccueillir auprès des vôtres afin de vivre comme il convient sous la tutelle du chef de famille.
Actuellement à Brest, jattends de vos nouvelles avant de pouvoir prendre mes dispositions.
Sachez que vous nêtes obligé de rien. Je traduis juste le souhait de mon père.
Avec tout le respect que je vous dois,
Vittorina
Le syndrome de la page blanche.
Il faisait nuit noire, la moitié dune bougie sétait déjà consumée, et malgré le fait davoir trempé sa plume un bon nombre de fois dans lencrier pour éviter quelle ne sassèche, aucun mot ne fut couché sur le papier, pas même len-tête. Elle sétait pourtant donné tous les moyens dy arriver, avait sorti sa meilleure plume, avait vidé de son secrétaire tout ce qui pouvait la distraire, notamment ses littératures, mais Vittorina ny arrivait pas.
Il faut dire que lexercice nétait pas si aisé, il sagissait de recontacter un cousin, fils de son oncle, perdu de vue depuis de longues années.Et comme si de le recontacter nétait pas déjà assez compliqué, il fallait en plus que sa situation soit assez tendue pour quelle lui demande son aide.
Papà, papà .. où es-tu ? dans quelle situation me mets tu .. ? Souffla-t-elle en repoussant brusquement sa chaise vers larrière et en se relevant pour faire quelques pas qui, elle lespérait, la détendraient un peu et, pourquoi pas lui donneraient un nouvel angle dapproche et un peu dinspiration. Mais irrémédiablement, son regard se porta à travers la fenêtre, vers locéan que lon ne distinguait pas, mais que lon imaginait si bien, et que loreille pouvait deviner pour qui sait entendre et écouter.
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Son père était quelque part, là-bas sur les eaux calmes et moins calmes. Rien danormal en vérité pour un riche marchand, mais ce qui létait davantage, cétait quil laisse sa fille sans nouvelle, lui qui habituellement multipliait les missives pour la rassurer, et qui sassurait de ne jamais rester absent plus de trente jours daffilée. Or en comptant ce jour, cela en faisait 71 quelle lattendait, et 41 quelle arpentait le port dans toute sa longueur dans lespoir de voir lhorizon lui apporter sa bonne nouvelle. Mais hormis la reconnaissance des marins du coin, et la familiarité de leurs jurons, elle ne revenait jamais satisfaite ni comblée.
Un soir quelle rentrait toujours bredouille, elle se décida à mettre un peu dordre dans les affaires de son père, histoire de soccuper les mains et lesprit. Entre les carnets de comptabilités, les contrats, et tout le reste, il y avait de quoi faire et pourtant, Vittorina sarrêta bien vite, se figeant littéralement. Elle tenait entre ses mains un courrier rédigé de la main de son paternel un courrier quil prévoyait visiblement denvoyer il était destiné à Danyhel Alzo.
Un nom qu'elle n'avait pas entendu depuis des années mais qu'elle remit précisément dans un souvenir à Vérone, un nom qui, malgré lui, la renvoya à une époque de sa vie où tout n'était que bonheur...
Dans sa lettre, son père priait Danyhel, son neveu, de bien vouloir veiller sur elle au cas où il lui arriverait malheur. Il y était aussi question dhonneur, dexcuses, de sens de la famille un triste fouillis sans queue ni tête non daté. Craignait-il quelque chose ? Se sentait il menacé ? Ce courrier avait-il été rédigé lan dernier ou quelques jours avant le voyage duquel il tardait de rentrer ? Tant dinterrogations qui donnèrent à Vittorina la nausée, se sentant prise dans un tourbillon de questions sans réponse. Et malgré le malaise, il lui fallait une issue.
Son père nayant jamais franchi le pas en envoyant cette lettre, elle ne pouvait lenvoyer delle-même, mais se sentant soudainement comme oppressée, seule, dans une ville presque inconnue, et après presque un mois de réflexion elle ne voyait quune porte de sortie, écrire elle-même à ce cousin, et substituer sa demande à celle de son père. Sil devait lui répondre par la positive, alors elle lui apporterait le courrier original.
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Mot après mot, soigneusement choisis, finalement le parchemin se noircit. Une virgule, une formule de politesse pas de rature pas de rature ! un point final . et enfin une signature ! Voilà ! Cen était terminé. A la relecture, lensemble ne lui convenait plus vraiment, trop familier, ou pas assez... mais tant pis, elle nétait clairement pas rompue à lexercice et ne pouvait faire mieux. Lécriture aussi peut-être trahissait-elle un temps certain passé à la rédaction, plus par recherche des formules adéquates que par souci de jolies lettres, nétait ce pas trop superficiel au vue du contenu ? Puis comme un signe du Ciel lui intimant de ne plus rien changer, la bougie séteignit, plongeant la chambre dans une totale obscurité.
Demain, dès les premières lueurs de laube, elle se chargerait de missionner un messager pour apporter ce pli dans les plus bref délais à Signore Alzo.
Elle serait désormais dans lattente, celle dune nouvelle venant de la mer, celle dune nouvelle venue de la terre, priant de toute sa foi, plaçant toute sa confiance dans le Très Haut.
Cher cousin,
Pardonnez que jose mimmiscer ainsi dans votre vie, je ne laurais fait sans une bonne raison.
Je suis Vittorina Alzo, votre cousine. Peut-être mon prénom trouvera-t-il écho dans lun de vos lointains souvenirs, je suis la fille de Vittorio Alzo, votre oncle marié à Isabella la florentine.
Par un mauvais concours de circonstances, me voilà seule dans une ville où je nai aucune attache, aucun appui. Aussi, puisque je ne peux faire autrement, et sur instruction de mon père, je me retrouve à vous demander votre aide si vous le voulez bien, et à vous prier de bien vouloir maccueillir auprès des vôtres afin de vivre comme il convient sous la tutelle du chef de famille.
Actuellement à Brest, jattends de vos nouvelles avant de pouvoir prendre mes dispositions.
Sachez que vous nêtes obligé de rien. Je traduis juste le souhait de mon père.
Avec tout le respect que je vous dois,
Vittorina
* Renan Luce, La lettre, légèrement modifié
edit : correction pour cohérence Rp