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[RP] L'abandon

Isaure.beaumont

Périgueux-Toulouse.

Jamais lieues n’avaient été avalées si vite. La Beaumont, dans sa folle urgence, avait quitté le Périgord sans faire prévenir Archibald, ni personne d’autre, et avait entraîné dans son sillage la jeune Caïa. Après sa visite à Dana, la nécessité de ramener la jeune enfant à Agnès s’était fait impérieux et sans réfléchir plus avant, elle avait fait préparer le coche le soir-même. Il avait roulé nuit et jour, ne s’arrêtant que pour remplacer les chevaux et permettre aux deux occupantes de détendre quelques minutes leurs jambes. Et en moins de temps qu’il n’en fallait, elles étaient arrivées à Toulouse, ville rose aux noirs desseins. Après quelques ablutions, elles s’étaient apprêtées et avaient pris la route de l’hôtel de la St Just.

Il était vital de se débarrasser de la jeune fille qui prenait désormais trop de place dans la vie d’Isaure. Comment pouvait-elle se concentrer toute entière sur le sort de Dana quand son esprit se tournait également vers l’enfant de rien ? Son cœur n’était pas assez grand ni assez fort pour aimer de trop deux personnes. Son affection pour la petite muette était encore jeune et elle pensait pouvoir l’étouffer avant qu’elle ne s’empare tout à fait d’elle, et qu’elle se retrouve prisonnière de cet amour qui la rendrait encore plus vulnérable. Elle n’avait pas la place pour l’enfant d’une autre, quand elle avait été incapable d’aimer bien les siens. C’était là tout ce qu’elle se répétait depuis que le danger de garder près d’elle Caia s’était imposé à elle.

IL se dressait là, devant elles, imposant, les couvrant de son ombre inquiétante comme un sombre présage. Dans le crâne isaurien, la tempête rugissait : véritable tsunamis d’émotions contraires. La petite main de Caia dans la sienne, elle avançait hâtivement, la mine grave et bien trop silencieuse. IL fallait qu’elle parle, qu’elle brise ce pesant silence et qu’elle banalise l’acte odieux qu’elle répétait. N’avait-elle pas fait de même avec Constance-Raphaëlle ?


- NON !

Non, non, c’était différent ! Constance Raphaëlle était son enfant. C’était différent, n’est-ce pas ? Elle ne faisait là que rendre Caia à son avenir prometteur, ce n’était pas réellement l’abandonner. Elle ne pouvait pas l’abandonner puisqu’elles n’étaient rien, l’une pour l’autre. Juste deux âmes esseulées. Une mère au cœur desséché par la perte de ses enfants, une enfant sans famille et sans réelle attache.

Et tandis que la Saint Peyrus se laissait submergée par ses pensées, elle resserrait sans s’en rendre compte son étreinte sur la frêle main. Bientôt, elles furent à la porte et la dextre s’éleva dans les airs, prête à s’abattre sur le bois.

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Hazell
Caia avait légèrement sursauté.

Elle leva le nez vers Isaure, un air interrogatif sur le visage. La Beaumont venait de lâcher une bombe en guise d'attentat au silence, un "NON" pouvant briser des vases de résolution, un "NON" sorti de nulle part, sans raison. Et la gamine la sentit lui serrer la main à lui en faire mal, si bien qu'elle se tassa et prit un air désolé. Elle ne savait pas pourquoi Isaure avait dit "NON". Elle ne savait pas pourquoi elle lui serrait la main aussi fort tout à coup. Elle ne savait pas pourquoi Isaure lui semblait être devenue un ensemble de rouages mécaniques qui avançait de manière inexorable pour l'emmener vers le géant de pierre large et massif qui les attendait et semblait les regarder marcher patiemment, sûr de sa force. Isaure semblait une ombre que rien n'arrêtait et dont l'âme semblait ailleurs. Caia ne savait pas, elle n'était pas en capacité de comprendre ou de se poser les bonnes questions. Mais c'était forcément de sa faute.

La blondine ne comprenait pas non plus ce qu'elle ressentait.

Après qu'Arnoul soit parti sans elle, lorsqu'Isaure était allée en prison et qu'elle était tombée malade, les jours de la petite muette étaient soudainement devenus terriblement longs et monochromes, et chaque absence de pas, chaque absence d'habitudes prises étaient un fourmillement froid et lancinant qui lui aspirait toute envie de voir la nuit tomber, d'avoir l'espoir que le jour se lève. Caia ne se plaignait pas, elle n'en avait aucune raison. Elle avait connu tellement pire, alors même si ça faisait mal, ce n'était rien, c'était soutenable. Il avait été inscrit en elle à quel point elle était mal faite, monstrueuse, et que tout ce qui allait mal était forcément de sa faute.
Et pourtant, Isaure ne la punissait jamais. Elle la sermonnait souvent, elle lui donnait des ordres, elle lui disait tout ce qui devait être fait et comment, mais Caia aimait bien.

Et ce voyage, s'il fut peu agréable et qu'ils ne faisait que bringuebaler nuit et jour avec peu de place pour un peu de liberté de jouer ou de se promener, si Isaure semblait parfois ailleurs, toujours aussi pâle, amaigrie, prise encore de toux, si elle ne comprenait pas l'empressement d'aller à Toulouse aussi subitement, Caia était simplement heureuse d'être avec Isaure, de passer du temps avec elle, de voir son regard, de la voir, d'entendre sa voix qui lui faisait la morale qu'elle ne comprenait pas toujours, ses questions, ses mauvaises interprétations de ses mots. Caia était juste heureuse de retrouver Isaure et d'être avec elle, peu importaient les conditions.

Et elle était heureuse aussi de revoir Agnès. Agnès, dans le coeur de Caia, représentait une sorte de déité parfaite, un totem aux fruits confits, une voix calme dont chaque parole se réalisait et était vérité, une grande idole qui l'acceptait comme elle était, une bonne fée qui lui promettait qu'une autre vie était possible pour elle. Mais il y avait un nuage sur la joie de la revoir. Agnès serait-elle fâchée ? Voudrait-elle encore d'elle ? Peut-être qu'elle avait changé d'avis. Peut-être qu'elle se rendait compte que Caia n'était pas bien. Juste un monstre qu'il faut abandonner. Comme Maman. Comme Arnoul.


La petite muette finit par abandonner son regard en quête de réponse à propos du "NON" vers Isaure pour regarder où elle mettait les pieds après avoir manqué de les emmêler une à deux fois. Elle n'en menait pas large, se demandant ce qu'elle avait fait de mal. Et avec une ombrelle de peur qui s'immisçait dans la joie de revoir Agnès et commençait à se déployer. Elle ne prenait pas encore bien conscience de ce cela représentait de revenir vivre auprès d'Agnès. Dans son jeune esprit, Isaure et elle seraient toujours ensemble, et la Beaumont le lui avait assuré et lui avait fait promettre de venir la voir chaque mois.

Elles avançaient. Perdues dans le silence empoisonné de leurs introspections dont elles étaient les jouets et qu'aucune ne maîtrisait. Et deux chiots trottaient en tournant autour d'elles durant leur marche inexorable vers le colosse de pierre où vivait Agnès.
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Isaure.beaumont
La main qui s’apprêtait donc à venir frapper la lourde porte de bois pour signifier leur présence interrompit sa course et vint retrouver l’alignement du corps isaurien, tandis qu’elle s’agenouillait pour se mettre à hauteur d’enfant.

- Caïa…

Elle vint se saisir de la deuxième main enfantine. Elle semblait soucieuse et en intense réflexion. Elle pesait les mots, les troquaient contre d’autres et enfin elle se lança, sans être certaine de la cohérence de son discours.

- Ecoutez je… Il faut que vous… Savez-vous que… Ne mangez pas en dehors des repas. Et que vous vous coiffiez tous les jours. Que vous fassiez bien vos ablutions quotidiennes. Et écrivez-moi. Dana est souffrante. Je n’ai pas de temps à vous consacrer. Continuez de lire, chaque jour. Et de vous exercer encore et encore à l’écriture. Et écrivez-moi souvent. Mais oubliez-moi. Je n’ai pas de temps à vous consacrer. Dana est importante. Dana. Et mes paroissiens aussi. Je dois me concentrer sur eux, comprenez-vous ?

Elle n’attendit pas sa réponse et se releva déjà, le poing fermé prêt à heurter le bois. Il était temps de s’enlever cette épine du cœur, d’évincer ce petit être dangereux pour son avenir. Elle refusait de s’attacher plus à cette enfant par peur inavouée de la perdre à son tour. Amadeus-Foulques, Aliénor-Aurore, Constance-Raphaëlle. Elle avait déjà vécu trop de deuils pour avoir la force de s’inquiéter pour un nouvel enfant. Elle refoulait depuis de longs mois un sourd désir de maternité, tout comme elle s’astreignait à étouffer toute braise de désir et de passion. Isaure cherchait à se déshumaniser et ainsi voulait tendre vers la perfection divine, qu’elle s’imaginait devoir atteindre désormais pour obtenir sa place au paradis Solaire. Elle estimait n’avoir plus le droit au moindre faux pas, et l’ordination l’éloignerait, pensait-elle, de toutes ces pensées impures qui l’assaillaient trop souvent et éteindraient tout mouvement incontrôlé et incontrôlable de son corps. L’âme ne serait tournée que vers Dieu et rien d’autre n’aurait d’importance. Elle serait alors épargnée. Ni peur, ni souffrance ne pourrait plus l’atteindre. Et elle s’attachait à cette idée pour justifier ce choix que son entourage ne semblait pas partager.

Enfin le poing s’abattit en direction de la porte, mais au dernier moment, la main se détourna de son objectif pour venir s’ouvrir, paume contre la pierre de l’hôtel Saint Just, en même temps que les mots jaillirent, écorchant les lèvres isauriennes :


- Merde ! Je… Je ne peux pas !

Le front vient rejoindre la main, suivi bientôt par le reste du corps. A la voir faire, on aurait pu croire qu’elle essayait de se fondre dans la pierre. Son cœur et son cerveau ne pouvait-il d’ailleurs en prendre la consistance ? Ne pouvaient-ils revêtir sa froideur ? Sa dureté ? Elle aurait voulu être faite de marbre, et se dresser, forte, sans que rien ne puisse l’ébranler, surtout pas ce regard vissé sur elle.

Elle se refusait à la regarder, mais elle imaginait ce petit minois, aussi stupéfait qu’inquiet, tourné vers elle. Elle savait que si elle croisait ses grands yeux, elle s’écroulerait, à bout de force. A bout de force d’ailleurs, elle était. Le mur se faisait également soutien. La longue route, son départ précipité pour Toulouse quand elle aurait dû encore garder le lit, les émotions trop fortes participaient à sa faiblesse. Elle se retourna contre le mur, pour venir y caler son dos et au bout de quelques secondes, elle se laissa glisser contre lui, jusqu’à s’asseoir sur les marches du perron. Alors, elle n’eût d’autre choix que de la regarder.

- Cessez de me regarder ainsi Caïa ! Détournez ces yeux qui me vrillent le cœur. Arrêtez donc d’être si attachante ! Je ne veux pas, je ne peux pas, vous m’entendez !

Mais elle était prise dans ses filets. Irrémédiablement. Elle ferma un instant les yeux, le front barré par un pli soucieux. Sous son épaisse chevelure, tout s’agitait et quand elle rouvrit les yeux, elle prit la parole.

- Caia… Voulez-vous vivre avec moi ? Je veux dire… je peux faire de vous ma fille. Je peux vous offrir un avenir, que j’espère prometteur. Une vie et un nom. Vous serez mon sang, aux yeux de tous. Caia Von Frayner… Ou mieux…. Constance-Raphaëlle Von Frayner. Qu’en dites-vous ? Je vous donne un passé. Je vous donne un père, aussi mauvais fut-il, il est du passé et vous n’aurez jamais à souffrir de lui. Je vous donne un avenir. Je… Vous pouvez être ma fille, Caia, je ne vous fais pas l’affront de l’adoption. Je peux vous faire devenir mon Sang. Je ne vous ai pas porté. Je ne vous ai pas donné la vie, mais vous êtes née dans mon cœur. Alors, j’imagine que le Très-Haut n’en prendra pas ombrage, et que c’est certainement Sa Volonté, car sinon, pourquoi vous aurait-il mis sur ma route quand tout espoir de LA revoir un jour vivante s’est éteint ?

Elle débitait un flot de mots, elle ne réfléchissait plus. Elle laissait son cœur, embrouillé et perdu, parler.

- Mon ventre n’a pas été votre berceau. Vous n’avez pas crû en mon sein. Mais mon cœur vous a choisi. Vous hériterez pour moitié de mes possessions, avec Brynjar. Vous ne manquerez de rien. Vous recevrez la meilleure éducation. Et nous pourrons nous voir. Un peu plus que si vous restez ici.

Elle lui offrait une vie, un passé, un avenir. Mais surtout, une imposture.

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