Skabell, Vous avez l'art et la manière d'offrir à une dame le délicat plaisir de ressentir ce qu'est un organe gonflé de fierté. Flattée d'être une première, j'aimerais pourtant me permettre d'exiger. Il me serait bon de rester l'unique; vous le savez, j'ai un terrible problème avec l'exclusivité. N'allez plus visiter le lit des dames sans qu'elles n'y soient, c'est entendu ? Je connais votre propension à désapprouver mes ordres, celui-ci me paraît bien surmontable.
Alphonse, il me fait plaisir de pouvoir vous aider.
De ma mère, je n'ai pu effleurer que le dernier épisode de sa vie. Son allure et sa droiture faisaient d'elle une femme respectée. Prônant l'ordre et la justice, elle a excellé de nombreuses années en tant que juriste, au sein de notre merveilleuse Bretagne. Vous avez pu plonger dans l'univers qui me fut offert les premières années de mon existence.
Eponine, plus communément connue sous le patronyme de Pelotine m'a mise au monde à Rohan, et ma venue fut un événement désastreux, un bouleversement irrémédiable. Je crois que Nicolas l'ignore, mais je suis considérée comme la première pierre de l'illégitimité. Cette femme, cette mère, que tout le monde imaginait pieuse et dévouée avait osé penser à elle. Avait osé répondre aux envies de son corps. Une rumeur a grondé dès qu'elle eut dévoilé les rondeurs indiquant ma naissance prochaine. Il s'est murmuré que l'enfant serait le fruit d'une liaison interdite. N'ayez crainte, Kabiten, je compte bien vous épargner les détails précis de cette aventure qui n'est autre que la mienne, mais il me fallait bien survoler pour en venir à l'exil de Pelotine. Rejetée, reniée, désapprouvée, notre mère a pris route pour la Bourgogne, où j'ai pu vivre les prémices de mon destin. C'est entre le pays des druides et celui du bon vin que Nicolas a vu le jour. Je l'ignorais encore, il y a quelques années, mais mon petit frère fut rapidement écarté avant d'être confié à l'entourage d'un père dont nous ne partageons pas le sang.
Elle était belle, ma mère.
Les heures nocturnes se voyaient occupées à supporter les tourments d'une Nymphe perpétuellement insatisfaite de son apparence. Accablée face à tous ces miroirs de fortune que nous trouvions sur la route, elle se vêtait d'étoffes élémentaires. Simplicité ne retirait en rien sa joliesse et son choix se portait essentiellement sur les tons incarnats.
Elle était belle, ma mère.
Créature incandescente, et pourtant si effacée. Un jour resplendissante, le lendemain... Éteinte. Mais de sa tristesse, j'ai oublié les traits. Seuls les parfums me reviennent en mémoire.
Fiole surmontée d'une bossette renfermait le plus délicieux des arômes. Accordée à sa robe, ar rozenn-aer. La senteur des coquelicots.
Je passais mes soirées à observer la chrysalide de mon bonheur. Si certaines femmes, dont Izea - sa soeur - détenaient cette beauté éclatante que les dames du monde se permettent d'envier sans retenue, Eponine n'était pas de celles-ci. Il fallait la scruter pour la voir naître. Et mon regard n'enfant n'a pu suffire. Je décelais alors de simples portions, de courtes bribes d'épanouissement. Installée tout près du guéridon que vous avez su trouver, je dévorais chaque geste d'elle, souhaitant peut-être sans le savoir dérober ce temps que nous allions perdre bien vite. Grappiller ces délices et me remémorer bien des années plus tard, de quelle manière elle se parfumait. D'un doigt, elle accueillait fragrance encore liquide et venait déposer à quatre endroits ces perles de félicité. Au sommet de son front pour commencer, à ses lèvres elle continuait et faisait cesser ce bref rituel par une ligne de sa gorge jusqu'au centre de chacune de ses clavicules.
Le sillon de Talion. Voilà ce qui me reste de cette mère éphémère: Une chimère exhalée, une table bancale et quelques fleurs des champs.
Ne m'en veuillez pas de n'avoir su exprimer bien plus.
Je n'ai désormais que ces souvenirs et ceux que l'on a bien voulu me dire. Si Nicolas souhaite en savoir davantage, il saura.
Dôn.