Octave.
- [Le 11 juillet]
Le Beaupierre, revenu sur ses terres après sa folle journée périgourdine, avait repris le cours de sa vie. Naviguant entre ses obligations, son conseil, il n'oubliait pas sa promesse, ni son mariage, il ne se passait pas une heure sans qu'une de ses pensées ne s'envole vers la dame de Saint Peyrus. Mais depuis de nombreux mois maintenant, il existait en lui comme une sorte de dichotomie entre sa vie en dehors de l'Armagnac, avec ses amis, ses souvenirs, ses rencontres, et sa vie armagnacaise, avec sa famille, d'autres amis, des obligations et des devoirs.
La récente guerre n'avait pas arrangé les choses. Tandis qu'à Périgueux, on paniquait pour une histoire de chouquettes, il gérait avec Calypso les attaques de la Memento. Tandis que Dana se faisait interner, il empêchait Lucie de rejoindre les rangs de la Dies Irae. Quand Louise annonçait être amoureuse, il négociait avec les Catalans le passage de son armée. Lorsqu'Isaure avait annoncé son ordination, il allait au chevet de Martin, blessé près de Muret. Quand Madeleine lui proposait un bal masqué, il rédigeait un traité d'Alliance du Sud.
Ils étaient tous au loin, mus par leurs propres envies et leurs propres rencontres, et Octave se trouvait lui dans son Sud, auprès des siens. Encourageant Jades à préparer son baptême, devisant avec Martin sur la maire de Saint Liziers, écrivant des conneries à Thylda, et des choses plus sérieuses à Ishtara. Il vivait dans le Sud et y avait trouvé tout un panel de gens auxquels il s'était attaché.
Et Arseline.
Diantre. Arseline. Qu'allait-il bien pouvoir dire à la jeune femme ? Leur dernière conversation sérieuse remontait désormais à plusieurs semaines. Au retour d'Arseline de l'Aragon, ils avaient tous deux éludé le sujet, comme si la vie reprenait son cours. Même leur folle soirée dans la taverne de Martin, où ni l'un ni l'autre n'avaient pu prendre la route, et avaient même du, vu leur état, dormir à même le sol, n'avait pas libéré leur parole.
Ainsi ils en étaient restés à l'aveu par Arseline de quelques sentiments, sans qu'ils ne soient nommés. Et le Beaupierre, un peu surpris, un peu sonné, n'avait rien découragé. Il faut bien avouer que la jeune Lisreux a de quoi faire tourner bien des têtes. Discrète, douce, drôle, efficace, compétente, elle le soutient et l'aide depuis son arrivée en A&C, et plus encore depuis que la couronne a été posée sur sa tête.
Il n'a rien promis, il n'a même rien dit. Entre Lisreux et Beaupierre, rien n'a été échangé qu'un baiser sur une joue et une main tenue. Pour beaucoup, Octave n'aurait donc aucun compte à rendre. Lui, pourtant, se sent mal à l'aise. Lui, pourtant, veut lui parler depuis qu'il est revenu de Périgueux. Il était parti là bas sans savoir ce qu'il se passerait, en revenait fiancé, et pensait devoir le dire à Arseline avant qu'elle ne l'apprenne par d'autres, tant l'amitié et la relation privilégiée qu'ils entretenaient lui importait. Seulement, elle fuit. Lectoure quand il est à Saint Bertrand. Eauze quand il est à Muret. A croire qu'elle l'évite.
Citation:
Arseline,
- Voilà plusieurs jours maintenant que je vous ai écrit que nous devions parler, que j'avais choses à vous dire, mais il semblerait que vous m'évitiez.
Je vais me marier. J'ai revu Isaure.
Je ne sais pas comment dire mais j'ai revu
Voilà ce que je voulais vous dire c'est que
Ce parchemin là finit en boule sur le sol. Comme beaucoup d'autres ensuite. Ce soir là, il ne terminera pas son courrier. Ni le lendemain.
[Le 13 juillet au soir]
Citation:
Arseline,
O.
- Vous vous rappelez quand je vous ai dit que nous devions bientot parler ?
Et bien je crois que ce moment est venu.
Pensez vous pouvoir vous libérer de vos obligations eauziennes quelques heures ?
Il est surement des vergers magnifiques entre Lectoure, Auch, Muret et Eauze qui méritent une visite et une conversation, ne croyez-vous pas ?
C'est urgent. Je tiens à vous voir rapidement...
J'ai une nouvelle que je souhaite vous communiquer avant que Il faut que je vous parle.
Dites moi où et quand.
Que le Très Haut vous ait en sa sainte garde,
O.
Tant pis pour les ratures. S'il doit encore recommencer, il n'en trouvera pas le courage, il finira par se dire, comme tant d'autres l'auraient fait à sa place, qu'il n'y a rien de dramatique à la situation, qu'après tout Arseline avait entendu parler d'Isaure dès le premier jour, qu'il ne lui avait rien promis ni même ne l'avait encouragée. Du moins il ne le pensait pas, ignorant qu'il est de ces choses là.
Une fois le pli scellé, il le confie à un coursier, vers Eauze. Et de son côté, le front soucieux mais le sourire aux lèvres, il reprend la route. Car devant lui, il y a Lectoure. Et Isaure, qui arrive.
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