- PERCEVAL AELIS -
Le mot est bref, l'écriture protocolaire et austère ne semble pas émaner de la main d'une si jeune fille, il n'y a aucune calligraphie savante, juste un trait rapide, soigné et sans coquetterie aucune.
Disposée négligemment, d'un roux flamboyant, nouée d'un ruban noir, une mèche longue d'une demi-coudée, formant une légère boucle contrariée. La parure est soignée, et mêlée au parfum léger de baies de laurier, une odeur plus charnelle, la sienne.
Elle même ne connait pas la raison de son geste, inconcevable, inconvenant et diamétralement opposée à sa nature profonde, comme si l'Aconit possédait quelques charmes surnaturels qui agiteraient en elle un trouble secret.
Citation:L'Aconit,
Mortel poison ou délicate fleur ?
Ne cherchez point d'explication, mon entendement s'est jà heurté aux limites de ma raison, il n'y a aucun sens à ceci.
C'est une offrande, dénuée d'intérêt, gratuite, mue peut-être par votre rougissement que j'ai trouvé si... déroutant.
Ni voyez là aucune tentative de séduction, je n'y suis point rompue, et ne goûte guère à ce genre de plaisir.
A vous revoir au gré du hasard.
Perceval
Le mot aussi bref que celui reçu, l'écriture est cependant déliée, étudiée et une belle lettrine ouvre la lettre digne d'un moine copiste. Les mots ont été passés au buvard, ils ne souffrent d'aucun engorgement. Visiblement, l'expéditeur est maniaque. Une mèche d'un blond chérubin, quasiment blanc est nouée d'un ruban bleu, courte, formant un accroche-coeur léger. Le tout est chichement scellé à la cire du sceau écrasé d'une bague épiscopale. Elle est rousse. Elle ressemble à un garçon. Elle a un nom de garçon. L'amalgame est facile, peut-être surtout plaisant. Ce n'est pas tous les jours qu'on lui tend un peu de fantasme et qu'on le délaye de paradoxes. Longuement pensif devant ce Perceval aux attributs relégués au second plan, le jeune évêque se décide à faire partir réponse, emballé par l'audace contagieuse. Puisqu'elle a oublié qu'il était religieux, il oubliera qu'elle est fille. D'ailleurs, l'est-elle vraiment? Citation:Perceval,
les ambivalences sont souvent à la discrétion de qui les brode.
Soit. Je ne cherche point d'explications, s'il n'y a aucun sens à ceci, alors rien n'empêche d'en inventer un.
Je n'y vois rien qu'une bien belle offrande, et si vous ne tentez de séduire ni mon âme ni mes faiblesses, c'est arrangeant, en tant que religieux je laisse cela au diable.
A dieu.
Faust Nicolas de motfort Toxandrie. L'Aconit.
Foutre ! Ce Faust pourrait être peut-être le seul crevard de papiste qui serait en capacité de convertir Perceval, à lui donner le goût des visites au confessionnal, à abdiquer sa lutte religionnaire pour ne vouer qu'un unique culte à l'Aconit.
De la mèche, c'est à peine si elle a osé la toucher, craignant de révéler quelques songes confus où une main aux doigts bien trop longs viendrait courtiser les épis d'un blond si luminescent et se perdre finalement en d'autres endroits anguleux infiniment plus dangereux.
Parce qu'il est tout comme elle un paradoxe, qu'elle éprouve une si vive émotion à le lire, à découvrir l'exquis de son délié, elle, qui lui envie l'élégance de ses gestes, le délicat de ses traits, le sublime qui l'auréole d'un éclat fascinant et par dessus tout, jusqu'aux attributs qui font de lui ce qu'elle ne sera jamais. Un homme.
A elle, lambiguïté se cultive sur son dos, à son insu, de son nom jusqu'à sa silhouette bien trop grande, bien trop droite, qui ment sur son âge, sur son genre et pourtant bien plus que fille, elle est déjà femme, payant mensuellement son lourd tribut en corolles vermeilles. Et pourtant si elle ne cherche à tromper, par essence, elle fraude même dans ses courriers, y délayant son ambivalence dans une prose asexuée.
Et de tout cela naît une périlleuse urgence de le revoir, à défaut, il est bien plus sage de répondre qu'entreprendre une rencontre.
Bref est le mot, l'écriture n'a pas changé, minimaliste, économe, elle va à l'essentiel sans détour aucun.Citation:Faust,
Je vous sais à l'église pourquoi donc chercher à corrompre vos engagements ?
Si je ne cherche à vous séduire, peut-être par défaut, je le suis à votre encontre.
Il m'est plaisant d'avoir ce quelque chose de vous, si intime, je le garde tel un secret précieux, je vous en remercie.
Savez-vous ? Il est étrange, j'ai failli mander une consultation à l'Hostel Dieu à mon dernier passage à Paris, puis j'ai chassé l'idée, le doyen porte le nom exact qui est le vôtre, d'ailleurs, je pense même que c'est vous.
Si nous nous n'étions encontrés en Périgord, nous l'aurions fait un jour ou l'autre en Paris.
Les hasards n'existent pas.
A Dieu je vous remets.
Perceval
L'Abeille.
Citation:Prenez le comme le gage de mes accents religieux. Ce que l'on me donne, Dieu m'exhorte à le rendre. Ainsi, tout ce que vous laisserez à mon égard, gages simples de bontés ou présents dénués de corruption, et même ces mots innatendus mais acceptés, il me faudra vous les retourner avec le geste, l'abandon et le coeur.
par ces mots que vous me donnez si gentiment sans me connaitre, savez vous que désormais il me faudra à l'ajout du roux aimé coudre la part du "Vous" qui rendra plus spéciale encore cette relique? Est-ce bien raisonnable ...
Une consultation? Seriez-vous souffrante? l'Hostel Dieu m'offre à quinzaine le gîte et le couvert, car j'en suis bien le doyen. Par doyen, rien en rapport d'âge, vous imaginez bien. Le titre ne m'a été donné que parce que j'occupe là bas tous les rôles.Je soigne, j'enseigne et je prie. La situation financière de l'établissement a contribué à la réduction de ses effectifs... Je ne sais pas même pourquoi je vous dis tout cela. Je ne sais rien de vous que ce roux controverse, délicieux, propice à rêver un peu. Et puisque les hasards n'existent pas... Abeille, je dois l'avouer, vous piquez désormais mon attention. Alors la prochaine fois que vous passerez à Paris. N'hésitez pas.
J'ai prié pour vous.
L'Aconit.
Citation:Bel'Aconit,
Vous me déroutez par la qualité et la sagesse de votre coeur, vous savez aimé prou alors que je ne suis qu'imposture en ma piété, j'admire cette abnégation dont vous faites preuve pour l'Hostel Dieu, et souhaite votre totale réussite dans l'engagement que vous avez pris.
A y penser, que pourriez-vous y coudre à cette relique ? Je crains de vous décevoir pleinement, je ne suis guère digne d'intérêt pour mériter tant d'attention de votre part.
Jusqu'à ce roux qui semble vous subjuguer et dont je peine à comprendre le pourquoi, il n'y a là qu'un triste héritage, celui de parfois m'arrêter sur mon reflet, la toquante serrée, croyant avoir aperçu ce qui me semblait être ma mère, et de comprendre que je ne suis que son fantôme.
Je vous rassure, si j'ai pensé à consulter ce n'est pas pour quelques intempéries sérieuses, bien qu'il me reste les reliquats d'une grippe Alexandrine qui vient me tarabuster de temps à autres et dont l'extermination se fait nécessaire, il n'y a guère péril en ma santé, ou je suis dans l'ignorance.
J'ai balayé mes inquiétudes et finalement ait préféré ne plus y prêter attention. Je peux m'ouvrir à vous, et vous jugerez par vous même si cela est sujet à crainte.
En décembre, je fêterai mes quatorze ans, ma stature depuis jà ma dixième année est des plus hautes, j'ai dépassé mes pairs depuis longtemps et maintenant même je dépasse certains de mes aînés. Je ne sais si ma croissance se déroule naturellement ou si quelques dérèglements viennent perturber cet état, et si cela va s'arrêter un jour sans trop me nuire en m'affligeant d'une silhouette de géantin.
Voyez, rien de bien urgent.
Peut-être passerais-je vous rendre visite si le travail ne vous accapare point pleinement à la fin de juin et si vous vous trouvez en la capitale.
A Dieu je vous laisse en garde.
Perceval
L'Abeille
Les mots sont tracés pensivement d'un index lent. Le temps est long à Paris. Il lui faudra rentrer. Bien heureusement, cette correspondance l'égaye un peu. Faust est d'une mélancolie que rien ne sait percer. mais le miel adoucit tout. Il réfléchit à ce que Perceval a couché sur vélin. Ce correspondant qui ne se confirme pas bourdon, dans sa prose asexuée. Volontairement ou pas... Il l'imagine comme lui. Tige qui finira tôt ou tard par s'étoffer. S'accomplir. Plume trempe sa pointe dans l'encrier. Lettrine prend son temps. Géantin a quatorze ans. Un géantin d'hiver, pour un blondin d'été. Demain il aura dix neuf ans. Il se reconnait dans cette maturité qu'il ne partageait avec personne à son âge, lorsqu'il était encore écuyer. Perceval à bien des égards lui fait se rappeler de la Bretagne. Du roux qui émerge toujours de là bas. Peau blanche, cheveu de feu. L'originel émoi. Les bleus s'égarent un peu sur le vierge du vélin. Perceval viendra... Ciel. Perceval reviendra.
Citation:Imposture... Je ne suis pas d'accord. Pas d'accord. On n'est jamais que soi-même lorsqu'on se tait. Vous vous êtes assise. Vous vous êtes cachée derrière votre silence. Puis vous êtes partie en me laissant un cadeau. Le cadeau de votre authenticité. Ne dites pas que vous êtes une imposture, la religion n'entend rien à cela. Vous croyez, n'est-ce pas? On croit tous à quelque chose. C'est ce qui compte. Qui que vous soyez, je finirais par le savoir. Et je l'accepterai. Comme vous m'avez accepté. N'est-ce pas que c'était cela, ce cadeau d'au revoir? Vous ne me décevrez pas : je n'attends rien de vous. Ne soyez pas votre mère, je ne suis pas mon père, et je n'ai pas eu le temps de connaitre la mienne. Cela fait de nous ce que nous sommes; Nous. Une fleur et une abeille. Quel bon hasard. Puisqu'il n'y en a pas.
Faust.
Du doigt, toucher l'infinite perfection, s'y brûler, le coeur étreint de sentiments contradictoires.
L'Aconit plait à l'Abeille, c'en est certain.
La mèche est effleurée encore une fois, furtif est le geste, incertain est ce qui l'agite.
Faust. Il lui faut comprendre.
Faust. Il lui faut le revoir, se confronter au trouble.
Fermer les yeux et glisser une dernière fois l'index sur le blond chérubin, se laisser gagner par un frisson, un abandon.
A la parfin, écrire.
Irraisonnable ? Peut-être un peu.Citation:
D'accord, d'accord, je vous l'accorde, imposture n'est pas le plus approprié des termes.
Simplement que l'on me prête des qualités qui me font finalement défauts et parfois l'impression m'est de jouer un rôle de composition. Ce que l'on suppose, ce que l'on attend, ce que l'on devine de ma personne, quelle part de vrai me reste-t-il une fois que l'on égruge toutes les hypothèses échafaudées ?
Est-ce, ce que je suis, ou ce que je cherche à ne pas être ?
Passons là, je pousse ma réflexion dans les angles obscures, tortueux recoins de ma pensée, cela a pour habitude d'occuper la vacuité de mes nuits alors que plus jeune j'y mettais en lumière les prières les plus belles.
Ce que vous avez pris pour un silence, était un bruit, grêle, étouffé, inaudible pour le commun et que vous avez pourtant perçu peut-être même à votre insu.
Ce bruit, c'était ma peine.
Un chagrin dévorant, muet qui ne méritait pas même les mots pour le dépeindre.
Sournoisement logé dans ma poitrine telle une épine de glace plantée dans mon coeur.
Votre simple présence a adouci mon âme malmenée, un baume sur ma plaie ouverte et je n'ai donné en contrepartie qu'un peu de moi.
A Paris je serai sous peu.
Plaise à vous de me recevoir.
Perceval
Le Retz l'avait élevé dans un univers d'hommes, où la seule place des femmes se reléguait aux cuisines et aux bordels. De tout temps, Nicolas y avait cherché sa place. En mouvance, entre cette figure paternelle qui ne l'était pas, et ses envies profondes et secrètes d'apprécier sa différence.
- RP "Cherchez le Garçon" -
Citation:Perceval.
Nous jouons tous un rôle. Au final, il reste la personne que vous êtes, en elle celle que vous ne voulez pas être. Il reste toujours au bout du compte celle que vous êtes et que vous n'avez pas encore rencontrée. Sans vous offenser, c'est de votre âge, et je crois aussi avoir eu ce genre de réflexion il y a quelques années...
Regarder pousser des réflexions, c'est ce que l'on apprend de mieux dans les ordres, je vous l'assure. Au début c'est effrayant, puis cela devient nécessaire. Pour ne pas dire ... Vital. Car la connaissance, de soi ou des autres, appelle la connaissance en un inégalable cercle vertueux. Il y a donc toujours un moment ou l'une ou l'autre d'icelles prennent un peu le pas sur les prières... Toutes belles soient-elles.
C'était un bruit. Vraiment? Alors le bruit de deux bruits qui se rencontrent, c'est donc cela? Une tisane qui coule dans un godet... Intéressant. Je vais y méditer. Quant à vous méditez cela: Nous avons tous de la peine. Et certains d'entre nous savent même l'exprimer par le plus assourdissant des silences... Oui. mais c'est une faculté trop obscure pour être toujours vertueuse et consolante. Je vous le dis, je peux vous le dire, vous n'y trouverez rien de bon. Le silence est par trop souvent l'épitaphe du bonheur.
Faust.
Citation:
Faust,
Quel genre de chagrin a pu vous étreindre pour que vous me donniez pareil conseil ?
Certes, je n'ai nullement le droit de vous le mander, la question s'est juste posée.
Que dois-je donc faire, de votre avis, qu'est-ce qui vous a été salutaire ?
La foi, je m'en doute, mais encore ?
Vous savez le silence est un cocon, il fait parti de mon existence, j'ai grandi ainsi, hors du monde.
La montagne, les troupeaux, le lac, sont de peu de mots, ils sont vents, orages et appels viscéraux mais rien que l'on ne puisse transcrire, rien que l'on ne puisse dire, juste une écoute sévère de la vie et de la mort, des saisons qui passent où finalement nous ne sommes pas grand chose dans cet univers, tout juste un point parmi tant d'autres.
J'ai apprivoisé le silence, comme il en a fait de même pour je.
A tel point que ma propre existence semble assourdissante de bruits.
Vous n'avez point répondu la dernière fois, pensez-vous que mon problème nécessite-il une consultation ?
Si oui, dois-je prendre un rendez-vous et comment ? Y aura des nonnes ? Elles ne vont pas me mettre à poil ? Vous non plus ? Cela m'effraie un peu, je n'ai pas aimé ma dernière consultation. Me faire tâter c'est dérangeant.
A Paris demain,ou la journée suivante, serez-vous là ?
Je vous laisse en Sa garde.
Perceval
P.S. : A Faust, je préfère Nicolas, c'est plus doux, au deux c'est l'Aconit qui raisonne le mieux à mon âme d'Abeille.
Citation:La foi en l'autre.
Voilà ce qui est salutaire. La foi en vous ne ferait pas de mal non plus, cela dit.
Tout comme vous, silence m'accompagne souvent, m'a accompagné longtemps. En ce moment j'ai pour divin exercice par exemple, une correspondance rousse avec une piquante au surnom rayé. La seule représentante féminine qui ne soit pas ma soeur. C'est étrange, mais finalement, pas déplaisant.
Votre "problème" en est-il vraiment un? Avez vous peur d'être plus haute que votre père, que votre frère? Je vais faire des recherches dans mes ouvrages de médecine. J'ai plus l'habitude de soigner des phtisies, des scorbuts , des poisons et des blessés par arme blanche. Vous serez, sauf votre respect, un grand sujet d'étude. Acceptez vous cela? Point de rendez-vous à l'Ostel Dieu, chacun s'y rend et sonne la cloche de l'entrée s'il le peut. Et nous accueillons. Il y aura des soeurs oui, hormis le vieux Clément je suis pour l'heure le seul homme oeuvrant. Avez vous peur des soeurs? Elles sont douces et jeunes, et d'une pudeur absolue. Elles ne résistent d'ailleurs jamais longtemps à me laisser soigner tout ce qui est velu, poilu et sanguinolent... Personne ne vous tâtera. Tâter c'est dérangeant.
Je repars vers le Périgord dans quatre jours. Demain, sera dejà aujourd'hui quand vous me lirez.
A bien tôt.
l'Aconit
Citation:Bel Aconit, ma Sibylline Énigme
M'excuserez-vous ? J'ai lanterné à vous écrire depuis ma dernière visite à l'Ostal Dieu, à présent il le faut, mieux j'en ai l'envie. Entretenir ce lien si ténu qui nous lie.
A peine, quitté que votre absence jà me pesait, s'il n'avait tenu qu'à je, à l'immédiat je vous aurai écrit mais ce geste n'aurait point été sage, le trouble que vous me causez est bien trop grand et il me faut le contenir.
J'espère que ce courrier vous trouvera en santé, et d'égale humeur qu'il m'a été coutumier de vous connaître.
Notre voyage est achevé, pour un temps au moins, l'Artois n'est pas une terre d'accueil et je ne m'y sens guère chez moi, mon père m'y attendait et malgré nos froidureuses retrouvailles, ce fut là mon seul plaisir à retrouver Cambrai.
La douceur du Périgord et son verbiage si familier d'Oc me vient à me manquer, Paris même me semble plus accueillante que cette cité du nord, il faut dire que pour la capitale vous y êtes pour beaucoup dans ce changement d'appréciation.
Je vais installer sous peu ma forge et lui cherche un nom, si vous en avez l'inspiration, vous pourrez toujours m'en faire part lors de ma prochaine visite.
Car le prime but de mon billet est de vous revoir pour ma mesure mensuelle, faites-moi part de vos disponibilités et je m'y plierai.
D'une Abeille à sa Fleur, recevez mon indéfectible affection.
Que Dieu vous veille, tel est mon souhait.
Perceval
Citation:
Perceval
mystère de l'ouest
laissez moi être surpris d'un tel épithète à ma personne. De vos excuses, de vos mots.
Que dois-je excuser, moi qui n'attendait pas même nouvelles de vous avant de vous revoir franchir les Portes de Paris pour une mesure? Dois-je m'inquiéter de vous paraitre opaque, quand je ne souhaite que vous être limpide? Vous parlez de liens. Les liens finissent par user. Est-ce de ces liens là dont il s'agit? Je ne les veux pas. J'accepte seulement votre libre attachement, malgré ce que ma condition empêche. Je crois que ce n'est pas pécher que d'accepter l'amour. Est-ce de cela dont il s'agit? Pardonnez si je le demande sans détours, c'est que je rougis de savoir ce que vous me confiez. Si mes oreilles sont habituées à confidences, mes yeux n'étaient pas avertis. Je garde dans mon secret le trouble, et la sagesse forcée, et vous n'en serez surprise: jamais femme n'a su m'en gratifier. Aussi pli entre mes mains maladroites a saveur d'inédit, et pour cela, qu'importe, je vous remercie.
Vous êtes loin quand je prends la route vers la Bretagne. Voilà quelques temps que mon Père, le Grand Duc de Breizh se meurt et me réclame à son chevet. J'ai laissé quelques temps mes charges pour aller l'honorer une dernière fois. Je dois le confesser, établir sa sainteté d'esprit au moment de la rédaction de son testament et peut être que je devrais m'occuper de ses funérailles. On embaume aussi les rois en Armorique...
Je n'ai pas le coeur en joie.
Venez à septembre le premier, je réouvrirai le carnet.
L'Aconit
Citation:Je ne sais pas où commencer, tant il y a à coucher d'encre sur le papier.
L'amour dites-vous ? Pour dire le vrai, les sentiments que vous m'inspirez sont irrépressiblement contradictoires et il m'est terriblement difficile de les interpréter avec justesse, vous suscitez chez moi une émotion si vive, si trouble que je ne puis avec certitude nommer ce qu'il m'arrive.
Je vous le dit ainsi, tout dret, car je ne sais m'exprimer autrement.
L'on peut aisément dire, par contre, que je vous porte une grande affection, et que celle-ci ne réclame rien en retour, je sais être raisonnable, rapport à votre condition et à la mienne, à mon Opinion et à la vôtre qui, si elle ne diffère de Dieu, diffère de la façon de l'appréhender.
Vous dites que les liens s'usent, cela dépend comment l'on lie, et comment est fait le lien.
Pour ma part, le lien rassemble, unie, relie, noue, ne le percevez pas comme une entrave à ma liberté, ni à la vôtre, je ne m'y abaisserai pas, voyez le simplement comme une jonction entre nos deux mondes.
Et par vos lignes, japprends que ce lien pré-existait depuis longtemps, de par votre filiation et de par la mienne.
Votre père, le grand Duc, votre nom jà aurait dû me titiller l'oreille, je le trouvais simplement commun pour un breton et de par votre physique si diamétralement opposé, j'ai peut-être voulu nier l'évidence.
Il est celui par lequel la mort est arrivée en ma maison, s'il n'est le responsable, il en est au moins, l'instigateur involontaire. Par stupidité, par bravache, d'une simple provocation, il a tué ma mère en la défiant.
Quelle ironie.
Il est vrai, je suis loin de la Bretagne mais si vous croisez une petite ouvrière, de jaune et de noire rayée, toute à son ouvrage abandonnée, c'est que de par ma pensée, je serais là, un peu avec vous et avec elle, laissez un peu de votre peine s'en aller.
A croire que Breizh est terre à chagrin, c'est à Vannes que j'ai laissé un peu d'Elle, cendre grise emportée au large par le vent, c'est à Vannes que de deuil j'ai tranché dans l'orgueil qui me ceignait de cuivre, c'est à Vannes qu'un être aimé a pris un bout de mon âme et est parti.
De miel, me voilà salant, moi qui ne voulait être que votre indéfectible appui.
Septembre me semble loin, je vous écrirai pour combler l'absence.
Je laisse Dieu veiller sur vous.
A vous, revient, mon indéfectible affection.
Perceval
Citation:Perceval.
Pardonnez ce temps de réponse, il me l'a fallu accuser afin de laisser se décanter les idées que vous soulevées au limon de ce dernier courrier. Quel courrier... Il s'y mêlait trop d'ardeurs graves pour que je n'y reste coi quelques temps, pour que je rassemble mes impressions afin de vous les rendre...
Il n'est pas de l'affection trouble ou de la violence de la mort un seul drame qui ne me désarme. A dieu je suis promis, et vous à bon mari, mon père a fauté par crime de sang et votre mère en a payé le prix... Je me sens peu de choses, et tout me laisse peiné et interdit. Si je ne peux vous aimer comme le ferait un simple homme, je le ferai en saint homme et promet de vous protéger à hauteur de mes possibilités, peut-être ainsi aurais-je l'âme plus légère de me savoir à vous par deux fois redevable, ou si vous préférez, par deux fois démuni.
Liens ont fait un noeud à ma gorge, sîtot que je vous reverrai, permettez moi de vous baiser le front et de prier au nom des trois églises réunies. Affront vient de se remettre au jugement de Dieu, mon père s'est éteint cette nuit. Voyez l'Ironie, A Vannes je demeure, Dinan et ses ouvrières sauront ce soir pleurer pour les erreurs de mes aînés. S'il plait à Dieu qu'Il aille au paradis, il lui plaira alors peut être que descendance ne paye pas pour les crimes du passé.
Dieu vous garde,
miel salé.
l'Aconit.
Un simple caillou dans un papier et une épingle à cheveux en argent, le tout replié et retenu par le noir ruban du deuil, l'écriture y est reconnaissable par l'absence de courbes coquettes.
Austère jusque dans son délié.Citation:Pour l'amour de vous, à votre deuil, vous me voyez unie.
Si le chagrin ou les ressentiments se font trop présents, mettez le caillou dans votre chausse, vous ne penserez plus qu'à cela et libéra votre conscience pour un temps. Juste assez pour soulager un coeur endolori par la perte.
Que je vous rassure.
Si votre père a péché par bravache, ma mère a péché d'orgueil.
Tant à lui, je lui en ai voulu de ne pas voir en la mine asthénique de ma mère un sévère avertissement, tant à elle pour ne point avoir tenu compte de l'avis de ses médecins qui lui préconisaient un repos total.
J'aurai dû mieux vous le dire, que si pugilat il y eut, c'est d'un coeur trop étriqué que la mort d'un coup me l'a volée.
Nous devions rentrer chez nous, et d'une halte malheureuse en Paris, Arlon ne l'a jamais revu vive.
Ce point aura-t-il vertu à ôter un poids à votre si belle âme ?
Mon billet sera court, vous avez mieux à faire que de me lire, vos responsabilités sont certainement grandes.
Si vous en avez l'occasion, glissez l'épingle dans le creux de sa main, elle appartenait à mon Elle, une manière de les rapprocher par delà la mort, une manière de lui accorder un pardon sans condition aucune, une manière de vous absoudre d'un crime dont vous vous étiez mis en tête à vous repentir.
Le crime n'y est pas, juste l'orgueil de deux têtes aussi dures que la pierre.
De toutes les manières, il est tant pour vous de vous réjouir, il est à Dieu maintenant, n'est-ce point la finalité de chacun ?
A l'Unique, je vous laisse en garde,
doux poison.
Perceval
_________________
(En
Bleu italique, les pensées Laconiques.)
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