Anaon
- Dans la laiteuse clarté dune lumière en pâmoison, au pied du lit couvert par le jeté dune fourrure sombre, une rose étale son insouciante corolle aux pétales aussi blancs que la neige s'alanguissant au-dehors. Posée, là, dans le doux tableau dune irréelle poésie, laura blanchâtre de son éclat se reflétant sur le luisant du pelage, elle patiente dans le petit matin dhiver. Une longue houppelande au gris pâle couvrant ses épaules, elle reste longuement contemplative de ce délicat cadeau de laube. Assise, toute à côté, ses doigts albes se tendent pour saisir la tige de cette petite merveille au lilial incomparable. Le bleu de ses yeux se plonge dans le cur floral à la teinte plus beige et un léger sourire vient redessiner lourlet de ses lippes. Limage est simplement belle, dans le clair-obscur, dépeint par le halo nivéen de la fenêtre en croisillon qui contraste le bois sombre du mobilier. Le tableau se suspend de longues minutes avant que l'Anaon ne se lève, le cur plus léger et avec, dans la poitrine, l'envie de remercier ce geste. Derrière la porte de sa chambre, lénorme chien Fenrir lattend. Comme à son habitude quand vient le petit jour, il sait pouvoir délaisser la garde des enfants pour retrouver cette mère quil chérit de son incommensurable fidélité canine. Une main pleine daffection flatte la large tête noire et l'Anaon sen va en sa compagnie retrouver ses plus beaux amours.
Kenan Amadeus, son aîné, auteur désigné, se défend de lattention alors quelle essaie de lui faire avouer pas des baisers appuyés sur sa joue mal réveillée. Ses assauts de tendresse maternelle ny changeront rien : le petit suspect ne se confond point et ne lui livre que les ronchonnades dun enfant désireux de regagner un sommeil trop tôt écourté. La sicaire capitule : il ne peut sagir que de ses deux derniers, aidés de la complicité dune servante. Mais Maazouza, la nourrice berbère, nest coupable de rien. Quà cela ne tienne, voilà de fieffés menteurs quelle parviendra à percer à jour ! Portée par laura de ce jeu denquête, elle arpente les couloirs du Mentelon, tentant de glaner au gré de ses pérégrinations aveux ou témoignages. A chaque échange, elle ne récolte que des choux blancs comme neige. Malgré les langues qui sapprennent mutuellement depuis des mois, certaines incompréhensions demeurent, mais aucune duplicité de ne brille dans la prunelle des domestiques à la peau brune. Fenrir, malgré lui, fait office d'argument dissuasif : bien quil nait jamais démontré d'hostile que son impressionnante carrure en quête d'affection - si ce nest sa farouche méfiance envers ceux qui approchent la chambre des petits seigneurs la nuit tombée - aucun esclave na jamais osé moufter en sa présence. Sont-ils tous de connivence pour la tromper avec tant de sincérité ?
Lexcitation du jeu sétiole au profit de la perplexité. La sicaire bornée ne laisse pourtant pas tomber. A midi, lesprit est plus plongé dans les conjonctures que dans la nourriture. Laprès-midi, elle rejoint même Lambert, le capitaine des Palazures, mais ce dernier, maladroit, se disculpe avec honnêteté, sans savoir pour autant sil doit se défendre davoir osé laudace du geste ou sexcuser de ne pas avoir eu la délicatesse dy penser lui-même avant un autre. Létau du mystère se referme sur la Dame Ophide et la rose toujours à la main, elle enfourche Visgrade pour gagner Souvigné et son Petit Veneur, Saïf. Ce dernier, toujours drapé dune dignité calme, nest pas lauteur de ce présent. Le Maure na jamais témoigné daucun mensonge à son égard, ou bien il l'a toujours fait avec une telle conviction quelle ne songerait pas même à le soupçonner. Les pistes se volatilisent dans la neige et lAnaon reprend le chemin du froid pour regagner le château.
Débarrassée de ses lourds vêtements, debout au centre de la grand-salle, elle médite à nouveau sur la rose blanche pincée entre ses doigts. Elle n'est point femme à avoir été couverte de fleurs et voilà bien longtemps, à sa connaissance, qu'elle n'a plus éveillé aucune passion dans aucun cur transi. Des halètements détournent ses pensées profondes. L'Iris d'un bleu de Prusse porte son attention sur le chien qui la suivi toute la journée sans broncher un seul instant. Un sourire amusé étire alors sa bouche et elle s'accroupit pour embrasser la grosse tempe aux poils corbeaux.
_ Aaah, cétait donc toi depuis le début Tu as bien caché ton jeu, petit coquin.
Front contre le front du plus fidèle de ses enfants, savourant la chaleur de ce soutien indéfectible, des cris suraigus emplissent soudainement l'espace. Odelric et Loïc cavalent en tête, criant de rire, Maazouza sur les talons qui les gronde dans un dialecte arabe empli de si peu de conviction que les petites terreurs nen rient que plus encore. La sicaire réceptionne le premier à la volée, le soulevant dans les airs dun seul bras, se redressant en tournoyant dans les esclaffements stridents du bambin, tandis que le second, pas moins bruyant, se sert de Fenrir comme vaine cachette pour échapper à leur nourrice beaucoup trop bonne pour ces deux monstres. Le rire de lAnaon se mêle à celui de ses enfants et alors qu'elle se laisse emporter par l'instant, elle se déclare enfin vaincue. Jamais, sans doute, ne pourra-t-elle savoir le fin mot de cette histoire. Après tout, ce nest pas grave Cette quête inachevée aura su lui tirer un sourire aussi sincère que le baume qui s'empare de son cur à l'instant même.
La journée s'achève aussi bellement quelle a pu commencer.
L'un des jumeaux sur la hanche, le second tirant sur ses vêtements pour quémander le même traitement, la mère, entourée de Maazouza et de Fenrir, sen va gagner les étages pour retrouver lAîné qui viendra parfaire ce tableau doré.
Et à la main, dans le vespéral blanchâtre d'un crépuscule hiémal, le présent de ce jour dAmour, au secret bien gardé : la rose blanche aux pétales aussi blancs que la neige s'alanguissant au-dehors
Spoiler:
16/02/1466 09:27 : Une personne souhaitant garder l'anonymat vous a offert Une rose blanche.
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