Arnoul.
L'humeur d'Arnoul était variable, ces derniers jours.
Il était parfois très en colère contre sa mère. Son petit cur bouillonnait de rage, devant tant d'injustices, qui avaient découlé d'une pauvre petite histoire de pomme. Pomme qu'il, entre nous, n'avait même pas eu le loisir de manger ! Il se souvenait du regard de Mama, ce jour-là, il se souvenait qu'elle avait grondé Lénù, aussi, qu'elle avait un visage de pierre. Elle lui avait pris la main comme elle lui aurait arraché les cheveux, si elle avait pu. Et, s'il avait eu un peu plus de jugeote, s'il avait été plus grand, il aurait pu saisir la part de fierté tâchée qui masquait le sourire de la gitane, comme un gros nuage cache le soleil. Il avait ensuite compris qu'elle allait l'envoyer à son père. Son père. Que savait-il de lui ? Rien. Qu'il était gros, et qu'il était marquis. Combien de fois avait-il voulu aller vivre avec lui ? Dans combien de ses scenarii fantastiques l'avait-il fait apparaître, à défaut de pouvoir le voir, en vrai ? Et maintenant qu'il était tout proche de ce but, il reculait.
Il ne voulait plus papa. Il voulait Tara, et Sieg, et leurs brioches délicieuses qui calaient tous les manques, il voulait Eddard - oui, oui - et ses futurs enseignements des armes, il voulait même Lénù qui avait défié l'autorité maternelle pour lui offrir une pomme, et le moustachu qui devait construire un harnais pour Martin, et le prince mangeur d'enfant qu'au fond de lui, tout au fond, il admirait. Et il voulait Mama. Comment allait-il pouvoir vivre, loin de l'odeur de ses cheveux, qui chassait les chagrins, les cauchemars et les caprices ?
Colère, donc. Et tristesse. Il ne jouait plus. Martin était muet. C'était le désespoir, la désolation. L'esseulé enfançon prenait des allures de prisonnier, de condamné à mort, les yeux baissés, fuyants, le visage sombre.
Et à cela s'ajouta l'angoisse, que la lettre porta jusqu'à son petit cur. Pernette, qui la lui lisait, en l'absence d'Axelle, avait les mains qui tremblaient. Elle aussi était un peu étrange, depuis que Mama avait décidé d'envoyer Arnoul chez son paternel. Mais là, c'était un autre bizarre. C'était de la peur. Et les enfants, s'ils ne comprennent pas tout, sont de véritables éponges à sentiment. La peur de la vieille femme devint la peur du gamin. D'une main crispée, il agrippa la manche d'un des bras qui tenaient le vélin.
Mama elle peut pas mourir, hein ?
La voix était ferme. Une voix de celui qui n'a pas l'habitude de s'entendre dire non très longtemps. Une voix qui donne des ordres.
Elle peut pas mourir, Mama.
Que deviendrait Martin, si Mama mourrait, hein ?
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Il était parfois très en colère contre sa mère. Son petit cur bouillonnait de rage, devant tant d'injustices, qui avaient découlé d'une pauvre petite histoire de pomme. Pomme qu'il, entre nous, n'avait même pas eu le loisir de manger ! Il se souvenait du regard de Mama, ce jour-là, il se souvenait qu'elle avait grondé Lénù, aussi, qu'elle avait un visage de pierre. Elle lui avait pris la main comme elle lui aurait arraché les cheveux, si elle avait pu. Et, s'il avait eu un peu plus de jugeote, s'il avait été plus grand, il aurait pu saisir la part de fierté tâchée qui masquait le sourire de la gitane, comme un gros nuage cache le soleil. Il avait ensuite compris qu'elle allait l'envoyer à son père. Son père. Que savait-il de lui ? Rien. Qu'il était gros, et qu'il était marquis. Combien de fois avait-il voulu aller vivre avec lui ? Dans combien de ses scenarii fantastiques l'avait-il fait apparaître, à défaut de pouvoir le voir, en vrai ? Et maintenant qu'il était tout proche de ce but, il reculait.
Il ne voulait plus papa. Il voulait Tara, et Sieg, et leurs brioches délicieuses qui calaient tous les manques, il voulait Eddard - oui, oui - et ses futurs enseignements des armes, il voulait même Lénù qui avait défié l'autorité maternelle pour lui offrir une pomme, et le moustachu qui devait construire un harnais pour Martin, et le prince mangeur d'enfant qu'au fond de lui, tout au fond, il admirait. Et il voulait Mama. Comment allait-il pouvoir vivre, loin de l'odeur de ses cheveux, qui chassait les chagrins, les cauchemars et les caprices ?
Colère, donc. Et tristesse. Il ne jouait plus. Martin était muet. C'était le désespoir, la désolation. L'esseulé enfançon prenait des allures de prisonnier, de condamné à mort, les yeux baissés, fuyants, le visage sombre.
Et à cela s'ajouta l'angoisse, que la lettre porta jusqu'à son petit cur. Pernette, qui la lui lisait, en l'absence d'Axelle, avait les mains qui tremblaient. Elle aussi était un peu étrange, depuis que Mama avait décidé d'envoyer Arnoul chez son paternel. Mais là, c'était un autre bizarre. C'était de la peur. Et les enfants, s'ils ne comprennent pas tout, sont de véritables éponges à sentiment. La peur de la vieille femme devint la peur du gamin. D'une main crispée, il agrippa la manche d'un des bras qui tenaient le vélin.
Mama elle peut pas mourir, hein ?
La voix était ferme. Une voix de celui qui n'a pas l'habitude de s'entendre dire non très longtemps. Une voix qui donne des ordres.
Elle peut pas mourir, Mama.
Que deviendrait Martin, si Mama mourrait, hein ?
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