Samsa
- "Bulldogue, fox, et carlin et labrador,
Colley, retriever et doberman voleurs.
Husky, dalmatiens, Saint-Bernard et teckel,
Bâtard, beagle, cocker, épagneul :
Je veux un chien."**
Elle ne faisait même pas exprès de savoir où Shawie se trouvait. Elle ne demandait rien mais partout, on signalait son passage, on faisait part des inquiétudes, on augmentait les tours de garde; Cerbère pouvait la suivre à la trace. C'est d'ailleurs ce qu'elle faisait, juchée sur Guerroyant, son Cleveland Bay à la bricole fleurdelisée en signe de son statut d'officier royal. Un statut finalement sans grande importance puisqu'il n'empêchait pas d'être considéré comme des moins que rien, de vulgaires brigands et autres joyeusetés injurieuses. Samsa constatait avec angoisse et consternation l'obscurantisme dans lequel s'abîmait la France dans quelques sombres mains, et si cela entachait cruellement son espoir et son énergie, elle n'en abandonnait pas moins l'idée de se battre pour ce vaste royaume. Elle savait qu'un jour, elle parviendrait à le remettre dans le droit chemin à l'issue d'un âpre combat dont la partie la plus difficile serait de simplement le commencer. D'ici là, elle tâchait de laisser dans son sillage l'aspiration à l'honneur et aux valeurs. Ceci n'était pas un acte très complexe car Samsa avait un panache évident.
De taille moyenne, de carrure charpentée et de morphologie trapue, Samsa semblait légèrement qualifiable de petite sans pourtant l'être. Ses épaules larges et son dos, long et robuste, lui permettaient de porter une cotte de maille en permanence sous sa chemise grise. Des gantelets de combat, de cuir sur la paume et de métal sur le dessus, couvraient toujours ses mains dont la gauche était scarifiée et dont la droite était sensiblement calleuse à force de manier l'épée, toujours à sa hanche gauche. Quelques fois, elle portait des cuissots sur ses cuisses courtes mais à la puissance explosive, habillées de braies blanches aussi célèbres que sa cotte de maille. Elle avait une démarche martiale qui faisait claquer ses bottes noires où qu'elle allait et le fait qu'elle se tienne toujours très droite renforçait chez elle ce sentiment d'autorité et de fierté naturelle. En sus, le visage de Samsa, bien qu'avenant, avait une majorité de traits figés dans une immobilité dont on ne saisissait pas bien l'origine mais qui lui donnait un air faussement détaché. Ses yeux étaient petits, d'une couleur brun sombre, et enfoncés sous des arcades sourcilières marquées, soutenant magnifiquement sa vivacité et lui conférant l'expression ouverte dont manquait son visage. Ses lèvres, fines et de belle couleur, semblaient toujours sourire un petit peu aux extrémités de façon tout à fait inconsciente et habillant d'un peu de joie la jeune femme à l'air faussement austère. Ses cheveux, d'une couleur hésitant indéfiniment entre le brun et le roux, ondulaient légèrement jusqu'au bas de ses omoplates et ne cachaient nullement son visage, ni la tempe droite marquée d'une courte cicatrice, ni le sourcil gauche marqué au-dessus d'une estafilade sombre à l'instar de la joue du même côté.
A vingt-six ans maintenant, il était difficile de déceler chez Cerbère une quelconque marque de fatigue physique, malgré ses nombreux combats tant guerriers que politiques. Ou même sentimentaux. Elle semblait, au contraire, toujours heureuse de ces incessants rapports de force dont elle sortait rarement vaincue. Un fait qu'elle ne devait pas qu'à sa force morale puisque, il fallait le dire, elle bénéficiait de beaucoup de chance qui venait sublimer un talent certain pour la navigation diplomatique.
Tout le monde, jusqu'à elle-même, savait qu'elle irait loin dans la vie et dans son destin.
Mais certainement pas dans ses voyages.
Contrairement à Shawie qui s'apprêtait à partir pour la grande quête à l'Est histoire de s'emparer du butin du Grand Khan, un butin que Samsa imaginait bien maigre par rapport à l'investissement, Cerbère rechignait à quitter la France, non seulement à cause de son poste de Prime Secrétaire Royale mais également à cause de ses incessants déplacements ayant pour but la visite de ses amis et l'avancée dans son uvre idéologique. Ainsi, l'Espagnole s'en irait, et la Bordelaise resterait. Mais il y avait des étapes avant cela et parmi elles, les au revoir.
Le soir tombait doucement sur la moitié nord de la France. Le ciel se colorait peu à peu de rose et de violet, couleurs légèrement nuancées du blanc cassé des nuages étirés et épars qui dévoilaient les premières étoiles. Samsa chevauchait dans un petit bois pas bien serré, tenant dans la main droite, en même temps qu'une de ses rênes, une laisse qui la reliait à un chien. Celui-ci, mastiff légèrement différent de ceux alors connus, le devait à son croisement avec un bulldog. D'une hauteur actuelle de deux pieds, soit soixante-quatre centimètres, il était encore jeune adulte et atteindrait, à sa taille adulte, deux pieds et un demi-pan, soit soixante-dix-sept centimètres environs pour peser sans forcer les soixante-cinq sinon les soixante-dix kilos. Sa robe était bringée à majorité sombre et ses oreilles pendaient autant que ses babines. Il était ce qu'on pourrait aujourd'hui qualifier de croisement entre un dogue allemand et un fila brasileiro. Il trottinait d'un air pataud à côté de Guerroyant pendant que Samsa, au lieu de guetter les bords du chemin pour dégainer l'épée au moindre danger de type brigand, observait le haut des arbres. Elle n'avait pas peur, en témoignait son bouclier sanglé à sa selle plutôt qu'à son épaule gauche comme elle aimait le porter. Elle tira sur les rênes à quelques mètres seulement d'un haut assemblage de branches d'arbres qui formait comme un abri de la pluie. Cerbère se pencha sur sa selle pour essayer de distinguer une silhouette installée à ce poste mais, n'en voyant aucune, mis pieds à terre et conduisit ses compagnons dans les bois, quittant ainsi le chemin pour s'enfoncer à l'inconnu. Soit disant.
Elle connaissait les techniques de Shawie, elle les avait vu. La technique de l'asticot ne serait pas au goût du jour puisque la nuit tombait et que la route était trop étroite pour un passage de charrette : l'Espagnole finirait écrasée dans le cas inespéré où un convoi s'aventurerait. Les hautes et longues branches étaient en revanche plus propices à un "Ange Déchu", cette chute totalement disgracieuse quand réalisée par Shawie et qui semblait plus avoir pour but de briser les vertèbres du malheureux passant en dessous que de le mettre au sol pour lui prendre sa bourse. Cerbère en avait fait les frais lors de leur première rencontre et elle ne pouvait pas nier l'efficacité de la chose lorsqu'elle avait été projetée au sol, écrasée comme une part de flan sous la patte d'un éléphant et coincée ensuite par le poids de l'Espagnole qui, elle, avait profité de Samsa comme d'un parfait matelas datterrissage amortissant. Nul doute donc que Shawie travaillerait ainsi cette nuit. Elle n'était simplement pas encore installée.
La Prime Secrétaire Royale attacha Guerroyant à un arbre et son mâtin-mastiff à la selle de celui-ci. Continuant de s'enfoncer seule, elle parvint à un petit campement sommaire et un sourire se dessina sur ses lèvres. Aucune preuve ni certitude qu'il s'agissait de celui de Shawie mais Cerbère était réputée téméraire. C'est donc tout naturellement qu'elle s'approcha de la tente apparemment déserte et d'où n'émanait aucun bruit ni mouvement pour passer la tête à l'intérieur, avec une impulsivité et un enthousiasme typiques.
-SALUTÉ PARDI !
* = citation de Paul Carvel
** = paroles traduites de Pet Shop Boys - I want a dog
** = paroles traduites de Pet Shop Boys - I want a dog
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