Lucie
*Inspiré de Wordsworth
La scène a été réécrite cent fois. Tout a été envisagé, imaginé et disséqué. Les scénarios se sont succédés sous le front pâle de Lucie, sordides ou merveilleux, dignes de quelque lai héroïque ou de comptines denfants. Les gestes ont été encore et encore amorcés, arrêtés, repris, détournés. Jy vais, jy vais pas. Jy vais pas, jy vais. Quatorze lettres ont été commencées quelle a transformé en confettis immaculés. Son cheval a été scellé, lattelage préparé. Elle a même été jusquà la rue Saint-Antoine avant de brusquement faire demi-tour pour sen aller dépenser ses angoisses dans les luxueuses boutiques des galeries Lafayotte.
La vérité c'est qu'elle a peur de ce quelle va découvrir. Lhomme quelle a silencieusement rêvé toute son enfance est-il digne de ses fantasmes ? Est-il bon et beau ? Est-il chaleureux ? Est-il capable de guérir les plaies brûlantes laissées par sa mère ? Les questions se bousculent et se mêlent pour former un amas diffus et troublant qui englue ses poumons et obstrue sa gorge, lui donnant limpression quelle va étouffer. Il faut que cela cesse. Il faut quelle sache.
Alors sarmant de cet impérieux besoin, Saint-Jean abandonne les murs bleus de son modeste appartement de la Cité et traverse le pont, si parfaitement enfermée en un jardin secret peuplé de fleurs jolies et de bourdons paresseux où elle semploie à créer lillusion de la paix quelle ignore tout des rues ensoleillées de Paris et des badauds qui y flânent jusquà ce que, dans une dernière secousse, carrosse frappé des armes de Barbazan ne sarrête face à limposant hôtel Saint-Paul.
Porte est ouverte, petits souliers de satin touchent le sol et robe est lissée dune main pressée avant que les quelques mètres séparant Lucie du nom tant attendu ne soient franchis. Comme toujours, le cur de la hérauderie pulse à toute vitesse, traversé dêtres au sang plus ou moins bleu armés décussons, de lots de tampons et dautres liasses de papiers au milieu desquels la silhouette daiguille enrobée de soie nivéale de la vicomtesse passe tout à fait inaperçue, dautant quelle a renoncé à lextravagant hennin allant avec cette tenue, préférant laisser libres les lourdes boucles de bistre et dor qui ségayent dans son dos.
Avisant un valet, la Fleurie lapproche et le salue dun sobre signe de tête.
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La scène a été réécrite cent fois. Tout a été envisagé, imaginé et disséqué. Les scénarios se sont succédés sous le front pâle de Lucie, sordides ou merveilleux, dignes de quelque lai héroïque ou de comptines denfants. Les gestes ont été encore et encore amorcés, arrêtés, repris, détournés. Jy vais, jy vais pas. Jy vais pas, jy vais. Quatorze lettres ont été commencées quelle a transformé en confettis immaculés. Son cheval a été scellé, lattelage préparé. Elle a même été jusquà la rue Saint-Antoine avant de brusquement faire demi-tour pour sen aller dépenser ses angoisses dans les luxueuses boutiques des galeries Lafayotte.
La vérité c'est qu'elle a peur de ce quelle va découvrir. Lhomme quelle a silencieusement rêvé toute son enfance est-il digne de ses fantasmes ? Est-il bon et beau ? Est-il chaleureux ? Est-il capable de guérir les plaies brûlantes laissées par sa mère ? Les questions se bousculent et se mêlent pour former un amas diffus et troublant qui englue ses poumons et obstrue sa gorge, lui donnant limpression quelle va étouffer. Il faut que cela cesse. Il faut quelle sache.
Alors sarmant de cet impérieux besoin, Saint-Jean abandonne les murs bleus de son modeste appartement de la Cité et traverse le pont, si parfaitement enfermée en un jardin secret peuplé de fleurs jolies et de bourdons paresseux où elle semploie à créer lillusion de la paix quelle ignore tout des rues ensoleillées de Paris et des badauds qui y flânent jusquà ce que, dans une dernière secousse, carrosse frappé des armes de Barbazan ne sarrête face à limposant hôtel Saint-Paul.
Porte est ouverte, petits souliers de satin touchent le sol et robe est lissée dune main pressée avant que les quelques mètres séparant Lucie du nom tant attendu ne soient franchis. Comme toujours, le cur de la hérauderie pulse à toute vitesse, traversé dêtres au sang plus ou moins bleu armés décussons, de lots de tampons et dautres liasses de papiers au milieu desquels la silhouette daiguille enrobée de soie nivéale de la vicomtesse passe tout à fait inaperçue, dautant quelle a renoncé à lextravagant hennin allant avec cette tenue, préférant laisser libres les lourdes boucles de bistre et dor qui ségayent dans son dos.
Avisant un valet, la Fleurie lapproche et le salue dun sobre signe de tête.
- - Lucie de Saint-Jean, Vicomtesse de Barbazan-Debat et Dame dArtiguelouve. Jaimerais rencontrer Sylvestre si possible.
- Bien Monseigneur. Je men vais de ce pas le chercher.
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