C'était dimanche. Le soleil brillait déjà au dessus des maisons quand l'oiselle se dirigea vers la cathédrale. Il y avait messe aujourd'hui. L'esprit rêveur de la petite ermite était mis à mal ces derniers jours. Il lui semblait que le monde avait perdu de ses couleurs.
Quand elle entra dans le lieu saint, elle ressentit toute l'énergie et la symbolique du lieu. Il y régnait une paix douce et bienfaisante. Remontant l'allée de pierre polie et carreaux de céramique richement décoré, la petite Savin se retrouva devant le Seigneur. L'évêque préparait son sermon. Elle ne dit rien, se contentant d'un petit sourire adressé à l'homme avant qu'elle ne prenne place à un rang vide de monde.
L'Amour. Sujet difficile en ce moment pour l'ondine exilée. Elle ne cessait de se tromper sur les gens. Lentement son coeur se serrait à mesure que l'évêque parlait. Etait-elle faite pour aimer d'un amour pur et sincère ? Personne n'en voulait vraiment de cette sincérité qui l'imprégnait. L'oiselle n'avait jamais aimé autrement. Elle était prête à tout donner, même à accepter l'amour pour une autre, tant que le bonheur de l'être aimé était bien plus important que le sien. S'oublier, faire preuve d'altruisme, d'abandon de soi, ... La jeune fille était ainsi. Sauf qu'on ne la comprenait pas ainsi.
Lors de la prière, Amandine pensa d'abord à son père. Elle craignait que le choix du conseil à propos du chancelier ne l'affecte plus qu'il ne le montrerait. Elle connaissait son Père. Elle connaissait ses envies et sa fierté. Peut-être se trompait-elle mais elle redoutait qu'il ne soit blessé profondément. Le pire, c'est qu'elle n'était pas chez eux pour qu'elle puisse le réconforter en le dorlotant comme elle avait l'habitude de le faire. Son jardin lui manqua également. Elle y avait laissé Sagesse, Renard et Espoir. Elle était partie seule, avec Edouard, pour Mayenne. Elle l'avait suivi à sa demande.
Ses pensées continuèrent à vagabonder lors de sa prière. Elle en arrivait à Edouard, bien évidemment. Il était venu vers elle, déclarant sa flamme. Elle en avait été si heureuse. Seulement, depuis, il semblait s'éloigner à chaque instant. C'était de sa faute. Les maladresses de la jeune fille s'enchainaient constamment. Et cet homme dont elle était tombée amoureuse il y a plusieurs mois ne ressemblait plus à celui qui avait posé ses lèvres sur les siennes. Elle lui avait dit, pourtant ... Un baiser, c'est tellement important, tellement significatif... Il n'aurait pas dû poser ses lèvres sur les siennes si il ne ressentait pas réellement l'amour sincère.
Une larme s'échappa du regard perdu sans étoiles de l'oiselle. Il lui avait dit que tout le monde souffrait un jour. Et ces paroles lui avaient fait l'effet d'une estafilade dans son coeur. Elle ne put s'empêcher de penser à Floxel. Jamais elle n'avait été malheureuse avec lui. Jamais elle n'avait versé une larme, sauf de bonheur, le jour où il lui avait dit qu'elle était tout pour lui et qu'il souhaitait l'épouser. La peine était immense. Elle leva alors son regard vers le ciel, vers ce Dieu tout puissant que pourtant elle aimait. Dans son fort intérieur, elle l'interrogea.
Pourquoi l'avoir appelé si tôt près de vous ... Seigneur ... Pourquoi ? Essuyant ses larmes, elle le remercia pourtant.
Je sais que chaque chose à ses raisons ... Vous avez remis mon père sur mon chemin. Si Floxel n'était pas décédé, sans doute n'aurais-je jamais retrouvé mon père ... Et je n'aurais pas rencontré tous ces gens qui ont fait partie de ma vie, en bien ou en mal. Vous deviez avoir vos raisons ... Mais il me manque tellement ... Elle parla tout bas, dans le silence de l'après messe. Elle resta assise là, un long moment, méditant sur tous ces gens qu'elle avait connu et qu'elle connaissait aujourd'hui. Elle ne put s'empêcher de penser à Chimérique, à Sence, ceux avec qui elle avait tellement partagé, auprès de qui elle s'était sentie si proche. Elle pensa à Guillaume et à son épouse, à Mûrat. Elle pensa à Ventadour, son lac, sa légende, ce merveilleux endroit qui avait vu ses joies et puis ses peines ... à Gérard ... qui l'avait certainement oubliée. Elle pensa à Phénix et son doigt coupé, à Gabriel qui fut le premier à l'abandonner pour des raisons inconnues ... Puis à Anthy, qu'elle avait vu s'éloigner avec tristesse ... Enfin, à Felix ... son âme soeur, son ami, son frère ... et alors toute la solitude du monde l'envahit d'une seule fois. Son coeur se bloqua, une tristesse immense s'acharna sur elle.
L'Amour ... Ce géant inaccessible ... L'oiselle s'oublia sur le banc de la cathédrale, fermant les yeux sous la lueur des cristaux colorés des fenêtres illuminées.