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[RP] D'un mal à un autre.

Axelle
Tout était vide dans cette chambre anonyme perchée à l'étage de l'Aphrodite où elle avait trouvé refuge. Tout était vide et tout était blanc. Les murs, le plafond, les draps. Trop blanc malgré le voile de la nuit et, dès qu'elle tentait d'ouvrir les yeux, tout ce blanc s'y engouffrait, les déchirant furieusement, tambourinant son crâne malade avant de dévorer son ventre. En boule sur le lit en charpie de s'être trop tournée et retournée, la manouche gémissait en catimini, les yeux pleins de larmes comme une môme qui s'est cassée la figure. Mais ce n'était pas un genou qu'elle s'était écorchée, saloperie de Gascogne*.

Par assauts compulsifs, l'envie entêtante la prenait de planter ses ongles au plus profond de sa chair et de s'arracher le ventre pour que la douleur, enfin se taise, mais ne parvenait, tremblante, qu'à poser sa paume brûlante sur l'abjecte cicatrice. Il aurait été si simple, pourtant, d'appeler Lenu à s'en déchirer la gorge pour du lait de pavot, mais la manouche s'y refusait obstinément. Et très stupidement, sans doute. Elle refusait que l'Araignée sache son état, comme elle refusait que Sabaude, Volkmar, Alphonse et plus encore Justin ne le connaissent tant, des douleurs, elle refusait plus que toutes celle de leur inquiétude consumant leurs prunelles, de leurs bras se tendant à chacun de ses pas pour la protéger d'une chute. Non, tout cela, elle l'avait bien trop vu, le leur déjà bien trop imposé. Fierté imbécile, aussi, de ne plus supporter montrer la faiblesse de son corps. Et elle y parvenait. Douleur clémente dans sa cruauté d'être cyclique

En s'éveillant sous cette toile de tente de Gascogne, la gitane avait cru ne plus être vraiment femme, sans pourtant savoir si elle pouvait vraiment s'en affliger tant elle était mauvaise mère. Mais après quelques semaines, le cycle avait repris son battement, charriant avec lui, au métronome ponctuel et régulier de son corps, des crises la conduisant au bord de la folie. En ces moments, elle en venait même à haïr Lenu de lui avoir sauvé la vie. Puis comme elle était venue, la douleur se recroquevillait, lassant l'espoir toujours déçu que le mois suivant, elle se tairait.

Cette crise, de toutes, était certainement la pire, dévorant son ventre d'une brûlure renouvelée, brisant son dos de contractions féroces, au point qu'elle pensait crever là, dans cette chambre vide et trop blanche de l'étage de l'Aphrodite. Pourtant, elle restait là, son ver immonde la grignotant et elle hurla. De colère, de souffrance, de résignation.

Elle revoyait ce visage nonchalant aux yeux bleus plantés sur elle, cherchant à deviner les secrets sous sa robe. Elle se souvenait surtout de cette pipe, tombant au sol sous la pression sournoise de son pied. Cette pipe. Sa seule échappatoire malgré une fierté qu'il faudrait ravaler. Alors, comme elle put, elle se leva, s'appuyant aux murs, brisée en deux mais les sens à l’affût malgré le carnage dans sa tête, pour s'assurer que personne ne foulait les couloirs interminables dans lesquels elle titubait. Chambre 12 ? Non, 13. L'effort pour se souvenir de ce détail grignota un peu plus ses forces alors, en appui sur un bras, elle respira longuement et enfin se redressa, presque droite, presque normale, si les boucles brunes n'avaient pas collé à son front et ouvrit la porte, sans frapper. Après tout, elle pouvait bien se dispenser de cette politesse quand l'homme l'avait fait avant elle. Et les yeux trop luisants, fouilla l'ombre de la chambrée, refoulant comme elle le pouvait l'évanouissement plantant des taches noires dans ses yeux.


Ludwig ?




[* Protagonistes concernés par le rp : Axelle, Lenu, Volkmar, Beatrix]
Ludwig..
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il t'arrive de dormir. Pas souvent. Mais parfois, la nature reprend ses droits et toi, quoique conscient qu'il s'agit là d'une insupportable perte de temps, tu es contraint de mettre de côté ta mainmise sur les événements, d'accepter que l'on ne peut pas toujours tout dominer, pour te laisser aller dans les bras de Morphée. Alors, quand cela arrive, tu aurais presque l'air innocent. Il y a quelque chose d'attendrissant à voir ce corps à peine recouvert d'un drap, un bras tendu dans le vide, les traits apaisés, les mèches brunes laissées au chaos et les lèvres entrouvertes murmurant quelques mots que Dieu seul peut comprendre. Le sommeil te rend accessible, faible et fragile. En somme, il te rend sympathique. D'autant plus lorsque, comme cette nuit, il ne s'accompagne d'aucune présence étrangère. Il n'y a rien que toi, ce silence, ce lit, cette pipe endormie sur la table de chevet, et les souvenirs d'une soirée licencieuse.

Parce que nul ne doit être le témoin de cette inconscience qui, si elle est la même pour tous, t'enveloppe d'une faiblesse qui te répugnes, tu choisis tes moments et ne t'endors qu'après avoir acquis la certitude que tu es et resteras seul. Ce soir, ta chambre est vide, il est tard, Paris sommeille, personne ne saurait te déranger. C'est, du moins, ce que tu croyais. Jusqu'à ce que ton nom résonne, et que, dans un calme aussi désarmant qu'inquiétant, tu te redresses sur un coude. Quelques secondes sont nécessaires pour que le bleu de tes yeux s'habitue au noir de la pièce et que tu aperçoives enfin, dans l'embrasure de la porte, une silhouette connue par coeur. Certes, tu ne l'as vue qu'une fois. Mais tu l'as rêvée bien davantage, tes draps s'en souviennent évidemment, et, d'une certaine façon, elle a passé avec toi plus de nuits qu'elle ne l'aurait voulu. Alors yeux sont frottés, comme pour t'assurer que c'est bien elle et non le produit de ton imagination. Mais il n'y a aucun doute à avoir. C'est elle.

Sans que l'on ne sache vraiment si c'est une pudeur courtoise ou le souvenir de votre dernière entrevue qui t'anime, mais tu récupères les braies abandonnées au pied du lit pour les enfiler avant que tes pieds nus ne te mènent jusqu'à l'objet de tes fantasmes. Elle est là, et tu ne sais que dire. Elle est là, et tu ne sais que faire. Elle est là, et tu n'arrives pas vraiment à la regarder, tant les brumes du sommeil t'enveloppent encore. C'est à peine si tu parviens à signifier que la surprise est agréable en affichant un sourire morveux, tandis que, de la paume, tu reprends ton vigoureux frottage d'yeux. A-t-on idée de te réveiller à une heure pareille ? Si ce n'était elle, tu aurais hurlé au scandale et claqué la porte. Mais elle est propriétaire, duchesse, manouche et Axelle. Et on ne claque pas la porte au nez des propriétaires, ni à celui des duchesses, ni à celui des manouches, et encore moins à celui d'Axelle. Finalement, c'est la voix éraillée d'un homme qui cherche à faire bonne figure, quand bien même il a la bouche pâteuse, les paupières endormies et la joue rougie d'être restée trop longtemps sur l'oreiller, qui finit par répondre :


    Axelle. Vous... vous êtes décidée à devenir cliente ?

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Axelle
Les jambes en coton. La tête en vrac. Le cœur au bord des lèvres. Fébrile, elle guettait le moindre son, le moindre mouvement, s'affolant de s'être finalement trompée de chambre. Si tel était le cas, nul doute que la maison en ferrait des gorges chaudes et qu'elle serait dans une merde noire. Cette seule perspective fit tourner sa tête davantage encore et, d'une main, elle s'accrocha au chambranle de la porte pour ne pas tomber. Les draps se froissèrent enfin et une silhouette longue en émergea avec lenteur. Etait-il si grand ? Elle ne savait plus, si toutefois elle l'a su un jour. De lui, elle ne se souvenait que de son regard bleu et de ce sourire qu'elle avait eu envie de lui arracher. De ce sourire qu'elle lui avait arraché. Et impénitente, malgré l'outrage infligé, c'était de lui qu'elle venait chercher l'aide, reléguant la possible rebuffade au loin, tant la réalité, pour l'heure ne pouvait être pire selon elle. Grossière erreur ? Imprudence éclatante ? Au diable les hésitations et le futur, malade égoïste et intransigeante, seul le présent comptait.

A pas de chat, il approchait. Peut-être aurait-elle dû avoir peur, mais d'un pas en avant, elle se livra à la gueule du loup, refermant distraitement la porte derrière elle pour mieux s'y adosser. Il avait tout. Tout de ces hommes dont jadis elle jouissait la nuit entière pour mieux les abandonner aux premières heures du jour, leur laissant son parfum sur la peau, mais pas son nom. De ces hommes qu'elle laissait avachis dans les draps froissés sans rien vouloir savoir d'eux que leur goût sur le bout de sa langue. Oui, cet homme-là, pute ou non, elle l'aurait pris. Comme les autres. Avant. Passé révolu au fil d'une voix endormie avec laquelle, à défaut de soupirs et de gémissements extatiques, elle aurait volontiers joué si la douleur insidieuse ne poignardait son ventre. Elle se recroquevilla furtivement avant d'inspirer pour se redresser encore. Non, pas même à lui que pourtant elle ne connaissait pas, elle ne voulait faire étalage de son état. Serrant les dents, elle ferma furtivement les yeux.


Oui.

Oui, elle serait cliente. Oui, elle voulait qu'il lui fasse perdre la tête jusqu'à ne plus se souvenir de son propre prénom. Oui, elle voulait s'allonger sur ce lit qui n'était pas le sien mais celui de cet homme. Oui, c'était bien ce qu'elle lui demandait, l'abandon le plus plein. Les sens livrés en pâture, et les yeux entre-ouverts. Oui, les désirs manouches, insolemment, prêtaient à confusion, quand de cet homme, elle ne voulait connaître le goût qu'en échos lointain sur le bec d'une pipe. Alors lentement, sans accroc aucun, elle remonta la tête, piquant la lueur louvoyant dans les yeux de Ludwig de son regard trouble. Qu'il la croie en manque, droguée, c'était tout ce qu'elle demandait, ou presque.

Oui. Répéta-t-elle, laissant planer le malentendu encore un peu. Je veux du pavot, ou du chanvre. Maintenant. Je payerai ce qu'il faudra. Mais faites moi perdre la tête dans des volutes de fumée. Maintenant.
Ludwig..
Et Axelle, était-elle si petite ? Tu ne sais plus, si toutefois tu l'as su un jour. D'elle, tu te souviens pourtant de tout. De tout ce qu'elle t'a laissé voir. De la soie écarlate et noble, du pied insolent et nu, des boucles interminables et capricieuses, de la voix rauque et impérative, des prunelles impétueuses et menaçantes, de la position assagie et en retrait, de la main loyale et maritale. Mais ce n'était pas une manouche si fragile qui s'était révélée alors, et si tu es habitué à avoir à baisser la tête pour t'adresser au commun des mortels, il te semble tout à coup qu'une pichenette suffirait à la faire s'écrouler. À défaut de pichenette, les doigts fins se contentent de venir dégager une mèche du front manouche, esthète effaçant une tache d'un chef-d'oeuvre qu'il voudrait pleinement contempler.

Le premier "oui" prononcé te réveille pour de bon, le second te fait l'effet d'une gifle. Axelle se fait cliente et le pire, c'est que tu y crois. Tu as la fierté mâle, la vanité excessive et l'arrogance infinie. Tout ce qu'il faut pour te convaincre qu'il n'y a rien absurde à ce que tes yeux et tes airs badins aient eu raison d'elle, même aussi vite, même aussi facilement. Et la vérité, c'est qu'à l'heure où tu aurais cru te gonfler d'orgueil, objet d'un désir tyrannique qui la force à venir te rejoindre en pleine nuit, tu ne ressens rien de plus qu'une pointe de déception. Parce que tu aimes livrer bataille, parce que tu hais l'ennui, parce que Casas est un défi et que le jeu ne saurait s'arrêter si tôt. Alors, quand le malentendu est balayé par une demande pour le moins inattendue, tu oscilles entre la soudaine frustration qui te fait te redresser et un regard presque rieur. Axelle ne te décevra donc jamais. Naïf courtisan, femme n'est pas venue se donner, non, elle est venue prendre. Et elle veut prendre maintenant. Maintenant.


    On dit "s'il vous plaît".

Dieu qu'il est bon de se sentir tout puissant. Ainsi, duchesse fume et duchesse en manque vient quémander à ta porte. C'est la seule explication possible, la seule qui te vienne à l'esprit, et il faut avouer qu'elle t'amuse au plus haut point, convaincu que tu es de détenir un secret inavoué. D'un pas bien plus pressé que les précédents, tu fais demi-tour, t'enfonçant dans la chambre pour récupérer ce qui est exigé, extirpant des recoins d'une bourse du chanvre que tu tasses précautionneusement dans la pipe. Tu as loupé ta vocation, garçon, tu aurais dû te faire dealer. La rapidité de tes doigts contraste étrangement avec le calme de ta posture, l'expérience parle, et tes yeux, désintéressés d'un geste fait mille fois, restent rivés sur la visiteuse. Une question demeure. As-tu vraiment envie de contenter celle qui, plutôt que de te satisfaire, laisse malgré elle planer des relents érotiques dans une pièce désormais close sur vous deux ?

    Vous payerez ce qu'il faudra. Bien. Mais êtes-vous consciente que ce n'est pas de l'argent que je veux ?

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Axelle
Le seul frôlement de index courtisan à son front irrita sa peau, aussi doux, aussi léger fut-il. En cet instant, elle ne supportait pas d'être touchée tant tout faisait mal. Une seule récidive, un seul effleurement, et elle pourrait se retourner les ongles à lui arracher les yeux alors que la remarque, quasi parentale et pourtant méritée, l'écorchait de ce pouvoir qu'il prenait. De ce pouvoir qu'il avait. Mais l’ignominieuse faiblesse lui arracha toute rebuffade alors que ses jambes menaçaient de se dérober sous le bourdonnement entêtant de ses tympans. Ses doigts. Ses doigts fins tassant la drogue. Elle ne voyait que cela. Ne voulait que cela. L'espoir d'enfumer ses poumons de l'acre fumée la maintenait encore debout. Si sa bouche restait close, au creux de ses tempes, ce n'était que hurlements furieux. Qu'il se taise. Qu'il lui donne ce dont elle avait besoin. Elle payera. Comment ? Elle n'en avait rien à foutre tant qu'il la soulageait, bourreau ignorant sa torture. Qu'il fasse et qu'il se taise, le reste n'avait pas la moindre importance. Silence.

La chute rodait de trop près et c'était là un affligeant étalage d'elle qu'elle refusait de badigeonner à ces murs tournoyants. Alors, main brune lissant le mur, elle contourna l'homme à pas lents et maladroits jusqu'à rejoindre lit. Les draps froissés étaient chauds quand elle s'assit au moelleux de la couche. Intransigeante, capricieuse, injuste, tyrannique dans son malaise, elle s'en agaça à l'heure où elle les désirait frais. Tête baissée, le visage ombré par la marée indocile de ses boucles trop noires, la respiration trop lourde de la manouche étirait par vagues impudiques sur ses seins cette soie écarlate qui l'oppressait et qu'elle rêvait d'arracher pour libérer son souffle. Mais ses mains inutiles n'en finissaient pas de se balancer mollement dans le vide, se gavant telle une affamée narquoise et silencieuse du malaise battant retraite avec lenteur, la laissant grelottante de froid après la fièvre qui avait perlé son front de sueur acide.


Pas d'argent ? Oh, évidemment elle croyait deviner ce qu'il voulait d'elle, son regard bleu, quelque temps auparavant avant n'avait-il pas été des plus explicites ? Mais il désirait ce qu'elle ne donnerait pas. Pourtant dans un élan de lucidité, elle ne lui cracha pas à la figure un refus signé d'avance, préférant s'épargner le ridicule d'une conclusion trop hâtive pour mieux le laisser lui-même annoncer ses conditions. Et surtout pour ne pas égratigner sa fierté de mâle, au risque sinon de voir la drogue lui filer sous le nez au moment même où elle était à portée de main.

Que voulez-vous ? Demanda d'une voix modulée pour paraître douce et soumise.

Finalement, que risquait-elle ? Elle était l'épouse du propriétaire et duchesse. Lui, putain. D'un simple mot, elle pouvait le faire renvoyer. Même s'il fallait jouer sur les mots pour tourner la situation à son avantage. Qui croirait Justin ? La question ne se posait même pas. Lui, putain, elle, Pupille des yeux d'Hadès, aux connaissances si vastes et hétéroclites qu'un claquement de doigts suffirait pour le faire tuer si elle ne voulait pas se salir les mains à le faire elle-même, sitôt ses forces retrouvées. Mais somme toute, il la désirait, elle le reniflait, le humait comme le petit animal instinctif qu'elle était, et c'était bien l'arme la plus dangereuse de la manouche.


Puis remontant la tête, les yeux luisants dans la pénombre, elle tendit la main vers la pipe, bêtement certaine de son avantage.


Allumez-la et donnez-la-moi.
Puis la voix sifflante d'un persiflage qui lui échappa, ajouta comme une gamine indocile, S'il vous plaît. Ludwig.
Ludwig..
    Vous avez une façon tout à fait charmante de prononcer mon prénom.

Si putain est une insulte, ce n'est pas sans raison. Et tu en es un de la pire espèce, Ludwig. Car plus la voix manouche s'impatiente et quémande, plus tes gestes ralentissent et étirent le temps. Tu feins de t'intéresser à ta tâche quand la seule tâche qui t'intéresse ne se trouve pas entre tes mains mais sur ton lit. Elle est pressée, irritée, impérieuse, et tu souris de la voir ainsi, glissant là une remarque qui n'a rien à y faire. Oui, tu te fais bourreau, sans tout à fait savoir le pourquoi de sa condamnation, sans tout à fait connaître l'origine du mal qui la ronge, sans tout à fait mesurer si quelque chose de plus que le manque l'anime, et décidant arbitrairement que cela ne te concerne pas. Elle est à ta merci, dans ta chambre, sur tes draps, et, somme toute, c'est là tout ce que tu veux. Alors tu ne fais rien d'autre que la regarder encore un peu, savourer cette mine indocile et ces courbes captivantes qui ne te lasseront jamais, jouir du spectacle dont elle a voulu te priver à ton arrivée.

Trop heureux de te croire victorieux et invincible, l'âme absorbée par l'observation, tu brûles soudain de la posséder. Là, comme ça, sans autre forme de procès. Ces lèvres n'attendent que les tiennes, ces seins n'attendent que tes mains, ce corps n'attend que toi, et il serait foutrement idiot de ne pas combler ce manque. Laisse-toi aller. Après tout, elle a choisi, elle a voulu, c'est elle qui a débarqué dans ta chambre, c'est elle qui s'est installée sur tes draps, et peut-être bien que c'est toi qu'elle est venue chercher. La drogue n'est qu'un prétexte, une ruse de duchesse trop pudique pour avouer ses désirs. Et si elle n'ose pas encore t'aimer, il est évident qu'elle t'aimera, quand tu lui montreras que tu n'es pas catin pour rien. Cette merveilleuse théorie tiendrait debout, et sans doute que tu ne le serais plus, debout, mais bien plutôt allongé sur elle, si Axelle était effectivement une duchesse trop pudique. Mais Axelle a les pieds nus, le visage supérieur et, par-dessus tout, le regard insolent des enfants à qui l'on a tout pris, tout ôté, sans pourtant parvenir à arracher la fierté. Tu le sais, parce que tu as le même. Axelle n'a pas peur, même dans la douleur, elle sait ce qu'elle veut. Et ce n'est pas toi. Pas pour l'instant.

Images et fantasmes sont chassés de ton esprit avec la même ardeur que celle qui les habitait. Tu ne comptes pas taire ton désir, bien sûr. Elle t'embrassera, mais ce sera parce qu'elle te veut autant que tu la veux. Elle s'agenouillera, comme toutes les autres s'agenouillent, et ce ne sera pas en guise de paiement d'une quelconque dette. Elle t'aimera, Ludwig, et elle t'aimera de son plein gré. En lieu et place de tes véritables intentions, c'est finalement une ironie facile et ne dupant personne qui est soufflée.


    Allons, je ne veux rien de vous, Axelle. Vous n'êtes pas femme à qui l'on puisse imposer ses exigences.

Comme pour confirmer tes dires, tu finis par obéir, calant la pipe entre tes lèvres, l'allumant d'une chandelle. Une seule bouffée est prise. Une unique bouffée, une bouffée odieuse, violente, savourée pendant une éternité, comme une vengeance à la tension qu'elle fait naître. Mais enfin, bon prince, tu tends l'objet du besoin et offres la rédemption à ton propre bourreau. D'un pas en arrière, tu viens t'adosser au mur et croises les bras. Cette posture supérieure te convient et te va si bien. Jamais celle qui se jouait de ton envie dans le bureau de la direction ne se serait assise là. Ses traits sont tirés, sa respiration difficile, elle est mal en point, c'est une évidence. Mais jusqu'à quel point est-elle mal en point ? Si tu pensais ne pas t'en mêler, le silence se révèle trop pesant, et la curiosité trop tentante pour lui résister.

    Allez-vous me dire ce qui vous arrive ?

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Axelle
Les minutes s'allongeaient, interminables, face à cet homme jouant impunément avec sa patience mise à sac. Elle aurait pu conjuguer son prénom, à tous les temps et à tous les modes, « je Ludwigue, tu Ludwigues, il Ludwigue, nous Luwiguons », si ça permettait de lui plaire assez pour qu'il se presse. Mais il lambinait, bavardait, mentait, sensuel, peut-être, terriblement même, mais frustrant, horripilant et agaçant, bien plus encore. Dupe, elle ne l'était pas, foutrement pas, et ça l'énervait plus encore. Elle savait, elle savait parfaitement qu’elle payerait le prix fort. Elle le payait déjà rien qu'à être dans cette chambre, seule avec lui, à quémander du réconfort. Prise au piège, elle l'était déjà. Et malgré la pantomime faussement courtoise qu'il lui servait, lui aussi le savait pertinemment. Et tous les plans qu'elle pouvait bien fomenter entre ses tempes brunes et fiévreuses ne changeraient rien à cet état de fait.

Enfin, la lueur de la chandelle éclairant fugacement le profil putain, l'odeur tant attendue roula en volutes dans la chambre. Fébrile et tremblante, les yeux agrandis comme une assoiffée devant un verre d'eau, elle le bouffait des yeux alors qu'il se régalait cruellement devant son nez de ce qui devait être sien. Envieuse, jalouse, la bouche ouverte comme pour happer les restes qu'il accepterait de lui laisser. Oh, indigne faiblesse la reléguant à quémander comme le ferrait une chienne errante.


Lorsqu'il lui tendit enfin la pipe, les doigts bruns s'y accrochèrent, furieusement possessifs, pour inhaler voracement trois profondes bouffées, sans même reprendre son souffle. Se serait-elle vu qu'elle en aurait eu honte, mais alors que la douleur semblait déjà refluer, trompeuse illusion de son esprit formaté sans doute, elle aurait pu lécher par terre pour en avoir encore un peu plus. Laissant l'entêtement l'envelopper doucement, dédaignant la question, elle s'allongea sur le lit avec paresse, comme pour ne rien briser de l'engourdissement à venir. Et elle inspira encore la drogue, longuement, lentement, les yeux fermés, la tête basculée sur l'oreiller au parfum d'un autre, déployant sa gorge pour que la fumée s'enroule et l'enlace, toujours plus, avant de saturer l'air de volutes diffuses et défaites dans un long soupir suave et libérateur. Un peu plus, et elle en aurait oublié la présence de cet autre, soudain intrus dans sa propre chambre.


Alors dans le sillon entrouvert et moite de ses yeux, elle le regarda, longuement, lui. Lui qui saurait faire chavirer toutes les inconscientes qui se perdraient à l'écouter ou à le regarder. Si elle était à sa merci, il le saurait tout autant en retour. De cette emprise qu'il avait acquise sur elle à la grâce de ses drogues, lui-même serait prisonnier, avide d'en avoir plus, quand ce goût du défi qui louvoyait sur les lèvres mâles, elle le connaissait par cœur pour, si souvent, avoir eu le même. Oh c'était pernicieux, ingrat et sournois, mais dès lors qu'une perle se glissait dans un établissement comme l'Aphrodite, tous les moyens étaient bons, mêmes involontaires, même hasardeux, même nauséeux, pour ne pas la laisser s'envoler. Maigre consolation, soit, mais consolation néanmoins. D'un sourire, le visage manouche s'éclaira doucement.

Vous n'avez rien à foutre de ce qui peut bien m'arriver. Une longue bouffée ponctua sa sentence et quand sa voix de nouveau s'éleva, elle semblait voilé d'un engourdissement palpable. Vous voulez que je vous réclame comme j'ai réclamé cette drogue. Vous ne voulez rien d'autre. Défit d'avoir ce que vous ne pouvez pas posséder. Plus je me refuserai à vous et plus vous aller me désirer. Il suffirait que j'ouvre les cuisses et le jeu serait fini. Un petit rire s'échappa de sa bouche alors qu'elle pinçait de nouveau le bec de la pipe entre ses lèvres. Rassurez-vous, je ne briserai pas votre amusement...
Ludwig..
N'est-elle pas charmante, ainsi allongée dans tes draps, boucles brunes s'étalant sur ton oreiller, lèvres conservant ta pipe et exhalant ta fumée ? Les choses se sont emmêlées et l'obscurité ne te permet plus tout à fait de savoir ce qui, d'elle seule ou de sa présence fugace mais agréablement envahissante dans ton monde, te ravit le plus. Axelle évolue avec une aisance rare, se considérant en territoire connu, se croyant partout chez elle et, à la vérité, l'étant un peu. Mais, ce faisant, elle t'offre mois d'attention et, loin de t'en contrarier, tu te contentes d'observer la camée qui enchaîne les bouffées comme courtisan enchaîne les clientes. Son délassement est palpable et, parce que tu ne tiens pas à lui voler son plaisir ni à faire irruption dans sa bulle de volupté enfumée, tu te contentes de rester immobile, dos au mur. Alors c'est tout ? Duchesse en manque vient se réapprovisionner chez le premier drogué trouvé. Frustrant. Vexant, même.

Quelques mots tranchants t'arrachent à tes pensées. Sans que tu n'aies pu l'anticiper, manouche a saisi tes cartes pour les étaler sur la table. Non que tu aies un jour cherché à les cacher mais, à ce genre de jeux, l'on fait généralement semblant d'être dupe, même si personne ne l'est. Il est troublant de voir à quel point Axelle, toute noble soit-elle, semble préférer la vérité sans filtre. Surpris, et presque aussi heureux qu'elle lorsqu'elle t'avoue un échec à venir auquel tu ne crois pourtant pas, c'est un large sourire qui répond finalement à son rire. Tu ne ris jamais, trop compliqué, trop spontané, mais sourire, tu peux. Et la situation, la drogue, l'objet de tes rêves alangui sur ton lit, ayant bien trop compris, toi à moitié nu et n'osant te rapprocher, tout cela prête à sourire.


    Vous êtes terrible, Axelle. Terrible. Et je ne peux pas vous donner tort.

À pas feutrés, comme si tu craignais de rompre une atmosphère qui exige brume et silence, tu viens t'asseoir au bout du lit, y hisse un pied nu et pose ton menton sur ton genou. Ce qui est d'ores et déjà certain, c'est que cette nuit n'aura pas été vaine, tant tu te repais de la dévisager. Il y a une grisante impression de victoire à asseoir un pouvoir qui t'avait d'abord été refusé, et cette idée suffit à te faire croire que ton désir est encore contrôlé et ta fascination limitée. Tu te penses maître, mais tes yeux ne peuvent se défaire du spectacle impudique, envoûté par la lueur de la chandelle qui se plaît à éclairer puis à effacer son visage en un bercement irrégulier.

Le sourire qui ne t'a pas quitté depuis qu'elle a fait son apparition s'efface pourtant une fraction de seconde, le temps de laisser la place à une mine plus grave. Tu as perdu la première manche, c'est une évidence que même ton immense arrogance ne peut nier. Il n'est donc pas question que tu perdes la seconde. Manouche n'avait pas à étaler tes cartes sur la table, mais elle l'a fait. Oui, c'est vrai, plus elle refusera et plus tu voudras. Et là, tu veux. Alors, un instant, tu t'habilles de davantage de fermeté, quoique la voix reste désespérément calme.


    Malgré ça, mon cœur, vous fumez mon chanvre. Dans ma chambre. Alors non, je ne me fous pas de ce qui vous arrive. Je suis d'un naturel curieux. Pas de tout, bien sûr, mais de vous, beaucoup. Et le sourire de revenir, les traits se relâchant pour retrouver la légèreté de l'incurable putain. Et il est toujours plus plaisant de savoir à qui les cuisses ouvertes appartiennent, non ?

Comme si tu attendais son assentiment sur le sujet, une main finit par se tendre pour récupérer la pipe. Car, non content de te rebeller lorsqu'elle frustre ta curiosité et fait taire tes questions, tu n'acceptes pas davantage qu'elle soit la seule à se détendre cette nuit. Disons-le : tu es infiniment capricieux.
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Axelle
« Mon cœur »

Si la familiarité que l'homme se permettait avait tout pour asticoter la discutable amabilité gitane, ce genre de mièvre sobriquet, au même titre que d'autres « mon amour », « ma douce », « ma mie » ou encore le fameux « ma chérie » avait tout pour l’horripiler. Pourquoi donc, sitôt qu'une certaine attirance pouvait naître entre deux êtres, fallait-il qu'ils s'embourbent dans un romantisme aussi vaseux que gluant ? Pourquoi fallait-il qu'inévitablement, ils fendent la foule en courant, sourire idiot accroché aux lèvres pour se tomber dans les bras dans des roucoulades sans fin ? Franchement, la manouche avait-elle la gueule de cet emploi-là? Non, pas un instant, et sans doute Ludwig l'ayant parfaitement compris, s'amusait à la provoquer.

Pourtant elle ne réagit pas, signe manifeste que le chanvre lui montait à la tête bien plus qu'elle ne l'avait prévu, laissait sa prudence sur le carreau. Pour sa défense, il n'était pas grand-chose de plus délectable que cet instant où l'on sait, où l'on sent, que la douleur s'endort, libérant son otage de ses griffes tortionnaires. En outre, la compagnie de cet homme n'était pas si détestable qu'elle avait bien voulu s'en persuader. Non, elle pouvait difficilement nier qu'il l'intriguait plus que la raison n'aurait dû le permettre. Mais, si dans un coin de sa tête elle était prête à se l'avouer, elle se promettait de ne pas oublier aux pieds du courtisan le moindre indice trahissant cet état de fait.

Mais c'était déjà trop tard. Ainsi alanguie sur ce lit parfumé de l'odeur de cet autre, elle avait déjà foutrement compromis le désintéressement espéré. Il aurait suffi de fumer, de prendre ce qu'elle était venue chercher et de ne pas ouvrir la bouche. Pourtant, elle avait étalé les cartes du jeu sur la table, et ce pour une raison très simple. Avoir tout le loisir d'observer les réactions du brun et, par là-même, d'apprendre à le connaître. Un peu plus. Et si Ludwig était aussi malin qu'il voulait le faire croire, il le comprendrait. Il suffirait alors, pour se dédouaner, de prétendre un zèle attentif au bon fonctionnement de l'Aphrodite.

Relevant les yeux, elle le laissa prendre la pipe docilement, croisant simplement ses pieds dans le froissement tenu des draps. Malgré l'approche, elle n'avait manifestement pas davantage le projet de fuir que celui d'ouvrir les cuisses.

Un rire léger s'échappa de ces lèvres.
Je suis certaine que vous ne manquerez pas d'occasions d'en savoir davantage sur celles qui, inconscientes ou idiotes, je ne sais encore, ouvriront les cuisses pour vous. Et d'un sourire en coin, ferma la parenthèse. Quoi qu'il en soit, votre argument tombe piteusement à l'eau. Je vous pensais plus habile à ces jeux-là.

Titiller les fiertés mâles était un passe-temps dangereux auquel la manouche s'adonnait avec une certaine malice et un plaisir certain. Restait à vérifier si, comme beaucoup d'autres, le courtisan s'en offusquerait et braillerait son indignation à grand renfort de gestes outrés et autres vociférations scandalisées. Elle ne louperait pas une miette de ce qui se jouerait sous ses mirettes, mais pour l'heure, d'une voix assourdie par les vapeurs de chanvre, poursuivit.


Ce serait bien trop facile de combler votre curiosité en vous apportant des réponse sur un plateau d'argent. J'aurai cru que vous aimiez le jeu, mais aussi le risque. Vous voulez savoir ? Devinez !

Elle laissa traîner le temps, remontant paresseusement un bras sous sa tête, chahutant les boucles noires qui traînaient sur le blanc de l'oreiller et, sans le libérer de l’étau de son regard luisant tranquillement à la lueur de la chandelle, annonça, moqueuse. Pour vous encourager, je vais commencer. Elle inspira profondément, feignant de chercher courage alors que sa main libre couvait son ventre, telle une gardienne farouche à ce que rien ne perturbe l’accalmie qui s'y tramait en catimini.

Vous connaissez les usages et les règles élémentaires de politesse, mais aimez les maltraiter. Vos tenues sont sobres et de bon goût, même si sans valeur. Vous parlez bien. Vous ne venez donc pas de la lie de Paris, mais avez reçu une éducation qui vous colle à la peau que vous utilisez selon votre bon vouloir. Je dirais que cette éducation, vous voulez la renier, comme le font eux qui haïssent leurs parents. Leur maison. Le regard manouche glissa impudique sur le torse mince offert à son examen. De noble lignage ? Non, votre corps n'a pas été pas façonné au maniement des armes et du combat. Bourgeois peut-être...
Ludwig..
Nul geste outré et nulle vocifération scandalisée ne répondent à celle qui se plaît à embêter ton orgueil et à te renvoyer en plein visage l'absurdité de tes arguments. Rien d'autre qu'un sourire qui, pour l'heure, se croit invincible, et quelques bouffées volées à une pipe aux saveurs étrangères. Pourquoi faudrait-il que tu t'offusques quand tu demeures convaincu que, ses cuisses, tu les verras ouvertes, un jour ? L'arrogance dont tu te targues dépasse de très loin tous les dénis, et le "non" ne peut être qu'une option éphémère, uniquement propice à rendre le "oui" qui le suivra plus jubilatoire. Alors c'est un silence amusé qui s'offre, tandis qu'elle annonce les règles du jeu. Bien. Très bien. Deviner, tu peux. Et il ne s'agit en réalité que de livrer tes conclusions à haute voix tant, depuis qu'elle est entrée, tu n'as fait que cela. Deviner, observer et comprendre.

Sauf que tu n'es pas le seul à jouer. Et les mots soufflés, sur un ton calme et léger, comme si tout ça n'avait finalement pas la moindre importance, viennent cruellement faire s'écrouler ton sourire, et ta nonchalance, et ton indifférence. C'est l'allusion aux parents qui t'achève, poussant tes yeux à quitter la silhouette face à toi et à se baisser dans une vaine tentative de ne pas laisser voir le mépris et le dégoût qui s'y installent. Tu hais tes parents, et ta maison, et ta naissance. Elle a raison sur toute la ligne, ou presque, et, bien malgré toi, tu t'es tendu, tes doigts se sont serrés sur l'objet qu'ils conservent, et ton regard jusqu'ici brillant s'est fait glaçant. Tu ne veux pas qu'elle devine.

Ta réaction, davantage gamine que masculine, sonne pourtant comme un aveu. Car si ton corps n'en porte pas de trace visible, il n'en reste pas moins que les plaies sont là, mal cicatrisées pour n'avoir jamais été l'objet de l'attention et des soins nécessaires, reléguées dans un coin sombre de ton âme mais causes d'une inévitable douleur et d'une irréfragable colère quand on s'en approche de trop près. Tu aurais pu plaisanter, encore, tu aurais dû soutenir son regard, prendre un air détaché, te sentir flatté, mais tu as été faible. La mine irritée et l'oeil fuyant n'auront duré que quelque secondes avant que, d'une profonde inspiration, tête se redresse et badinage reprenne.


    Voilà une manie typiquement féminine. Toujours vouloir savoir ce qui se cache derrière le masque. Est-il si difficile d'admettre que je ne suis que ce dont j'ai l'air, et que je n'ai jamais été autre chose qu'un courtisan impertinent ?

Dans le genre mauvaise foi criante, on fait rarement mieux. Le mensonge est évident et tu n'y crois pas toi-même. Ne te reste qu'à espérer que la manouche acceptera ce brusque retour à elle et ce voile maladroit jeté sur un passé que tu n'es pas prêt à montrer. Alors, sans prendre le temps d'une taf, sans donner le temps d'une opposition, tu poursuis, plus doucement.

    À mon tour, donc. Vous êtes sage et semblez sereine, mon amour, pourtant je ne crois pas avoir déjà rencontré femme avec plus de caractère. Vous êtes duchesse, mais vous ne rechignez pas à vous salir les pieds, ni sur le sol, ni entre mes jambes. Vous avez un cul à se damner, et quand d'autres auraient cherché à le cacher, vous, vous en jouez pour obtenir ce que vous voulez. De tout cela, ma douce, j'en conclus une chose : vous n'avez pas peur. Et le sourire impudent revient enfin, lorsque tu murmures comme s'il y avait là le moindre secret : Cela vous rend diablement excitante, mais là n'est pas le sujet. Et de te recentrer. En ce qui concerne vos problèmes d'addiction... puisque c'est ce que je suis censé deviner... je n'y vois rien d'autre qu'un petit reste de ce que vous étiez, avant. Car vous venez de nulle part, ma mie, vous ne pouvez venir que de nulle part : ceux qui sont nés dans la pourpre ne se montrent pas aussi déraisonnables et n'auraient jamais osé se planter dans le lit d'un employé de l'Aphrodite en pleine nuit. Ainsi, malgré votre ambition flagrante, votre confiance constante et votre réussite évidente, vous ne parvenez pas à oublier ce qui fait votre passé. Sans doute parce que vous n'en avez pas l'intention. Silence. Tu deviens prolixe, Ludwig. Mais, sans résister à une énième provocation, la faute au chanvre ou simplement à ta témérité, tu ne peux t'empêcher de livrer ce qui te semble être le plus beau compliment du monde. Finalement, il est seulement dommage que vous ayez opté pour la noblesse, ma chérie. Vous auriez fait une putain sublime.

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Axelle
Si elle avait pensé égratigner, elle n'avait pas songé érafler à cet endroit-là. Ô oui, elle le vit ce corps trop bavard quand les mots se faisaient la malle et se refusaient. Cet accroc à vif qui suintait du pus d'un passé répugné. Ô oui, elle les vit cette tension, ce regard fuyant pour la première fois, plus sûrement qu'elle n'aurait entendu les mots glacés s'écoulant de cette bouche insolente. Mais si elle aimait jouer, la manouche n'avait pas pour ambition de racler des plaies gratuitement. Injuste souvent, autoritaire parfois, égoïste périodiquement, elle n'en cachait pas moins un cœur souvent trop mou et sans le moindre doute, trop sensible. Ludwig ne l'avait blessée en aucune manière, se pliant, sans même sembler s'en agacer, à son intransigeance. Le moment était donc venu de reculer son pion silencieusement ou, du moins, de l'avancer avec plus de délicatesse. Elle écouta les conclusions de l'homme plissant le nez sous la ribambelle d'appellations plus mièvres les unes que les autres, mais ses grognements furent chassés d'un grand éclat de rire à sa dernière tirade.

Elle aurait pu s'en vexer pourtant, tant certains devaient penser que c'était bien avec son cul qu'elle avait gagné sa noblesse. Putain de haute voltige et ce bien avant son mariage. Putain ou duchesse parvenue, finalement, aux yeux de beaucoup, il n'y avait guère de différence. Mais au regard de la manouche, ces jugements étaient si loin de la réalité qu'elle n'y prêtait aucune attention et préférait s'en amuser dès lors qu'un mot, qu'une phrase, qu'un regard laissait planer le doute sur les qualités que l'on pouvait bien lui accorder.

C'était certainement ce à quoi j'étais destinée. Oui. Mais un Prince m'a un jour assuré venir me chercher par la peau des fesses pour me ramener au bercail si je finissais putain. Et d'ajouter dans un sourire en coin. Et quand on a un cul comme le mien, on ne peut prendre le risque de le voir abîmé. Oui, bon, soit, c'était en la tirant par les cheveux que la promesse avait été faîte, mais la vérité méritait parfois quelques petits arrangements plus pimentés. Vous avez tort, je suis une sublime putain car vous avez raison, je me sers de mon charme et de mes différences comme d'une arme pour avoir ce que je veux. Puis un brin plus sérieuse, dodelina la tête.

Vous avez tort. Les drogues n'ont jamais fait partie de mon passé. Ni proche, ni lointain. Elle avait pourtant espéré que ce soit cette conclusion qu'il pose, afin de taire la curiosité mâle, mais la gitane mettait un point d'honneur à ne pas tricher dans un jeu dont elle avait elle-même établi les règles. J'aurais eu bien trop peur de dépenser ce que je ramenais chaque soir à mon père en chanvre ou opium. Elle marqua une pose, se redressant doucement.

Et vous avez raison. Je viens de nulle part et de partout, de là où personne ne veut naître, car personne ne sait où c'est. Je viens de là où l'on vole des poules, mange des hérissons. Là où les joues sont sales et les cheveux grouillent de poux. Je viens de là où tout répugne et tout fascine. Les danses, les chants, les violons longs, les sorts jetés au vent et les feux couvés sous la lune. Pourquoi je renierais tout cela ? C'est si laid et si beau aussi. Et le voudrais-je que c'est écrit sur ma trogne. Elle secoua la tête avant d'accrocher le regard bleu de ses mirettes noires qui ne riaient plus. A quoi sert de vouloir oublier son passé ? Dites-moi.

D'un mouvement leste, elle se pencha vers lui, si près qu'elle pouvait sentir le souffle mâle effleurer sa joue. Je ne suis pas une de vos clientes. Les masques ne me suffisent pas. Mon Ange. Paf, petite revanche, et d'un geste d'une douceur imprévue, elle prit la main courtisane pour amener à ses lèvres le bec de la pipe et en tirer une longue bouffée.
Ludwig..
Ce sont un silence serein et une oreille attentive qui accueillent les corrections ducales, et ton visage n'est perturbé que par un sourire quand tu l'entends rire, et par quelques froncements de sourcils lorsqu'elle pointe du doigt les endroits où tu t'es trompé. Au fond, tout cela n'a aucune importance. Ailleurs, tu aurais été fier d'avoir eu raison parfois, et déçu d'avoir eu tort souvent. Ici, tu n'as d'yeux que pour cette sincérité si surprenante qu'elle en est gênante. Axelle est honnête, à n'en pas douter. Elle ne triche pas et livre quelques miettes de ce qu'elle est, sans fausse pudeur. Elle ne ment pas, et tout mensonge, par contraste, paraîtrait flagrant et grotesque. Elle ne fait pas ce que tu fais toujours lorsqu'on te questionne un peu trop sur ton passé, composer des fables au gré de l'humeur et de l'interlocuteur. Tu ne sais jouer que la comédie, manouche sait jouer la vérité. Et il n'en fallait pas plus pour agiter tes neurones grisés par ce jeu nouveau.

La douceur aussi est nouvelle lorsqu'une main vole la tienne pour reprendre ce qu'elle est venue chercher. Tu es déconcerté, forcément, et, sans savoir si la délicatesse de ton vis-à-vis n'est due qu'à la quiétude exigée par le chanvre ou à une nature dissimulée sous un voile de sévérité, tes doigts libres ne s'interdisent pas de profiter de cette soudaine proximité, de s'emmêler dans les boucles brunes et de se blottir dans la nuque féminine. D'une paume plaquée, d'un geste assuré, tu la retiens près de toi, un peu.


    Si vous êtes aussi putain que vous le dites, vous devriez savoir que les confidences sur l'oreiller se murmurent généralement après l'amour. Pas avant.

Cliente ou pas, tu aurais pu l'embrasser, là. Tu aurais voulu l'embrasser, là. Tu aurais dû l'embrasser, là. Pourtant, tu la relâches, laisses ta main libre glisser dans son dos avant de l'abandonner et de revenir vers toi, tandis que la pipe est à nouveau portée à tes lèvres. La partie n'est pas finie, et il faut répondre à la question posée.

    Rien n'est écrit sur votre trogne, chérie. Sans changer de peau, vous auriez pu vous inventer des centaines d'histoires tout aussi exotiques et néanmoins plus glorieuses. Vous, vous préférez ne pas renier. Et vous avez raison, oui, il est à la fois inutile et vain de vouloir effacer son passé. Et, alors que tes états d'âme s'étaient tus un instant, ta voix se fait maintenant dure et accusatrice. Mais si l'on s'en souvient, c'est pour le battre. Pour prouver que nous ne sommes pas les fils de nos pères et que nous valons bien plus que tout ce qu'ils auraient voulu faire de nous. Vous en êtes la preuve vivante. Si votre enfance était si belle, pourquoi l'auriez-vous laissée derrière vous, si ce n'est parce que vous avez l'ambition d'être meilleure qu'elle ?

Une nouvelle bouffée est prise et savourée. Le bref récit gitan a suscité en toi quelque tendresse, bien sûr, mais il a aussi fait naître davantage d'interrogations qu'il ne t'a apporté de réponses. De celles que tu ne peux pas prononcer, puisqu'il s'agit de deviner. Et l'une d'elles étire ton sourire plus que de raison, quand la supposition formulée par ton esprit te semble être la seule plausible, et la plus plaisante. Péché d'orgueil.

    Fumer n'appartient pas à votre passé. Bien. Vous n'en avez donc pas besoin. J'en conclus que ce n'était qu'un prétexte pour venir me voir. Vous auriez pu me le dire dès le départ, je ne vous en aurais pas tenu rigueur. Trésor.

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Axelle
A cette main qui prit sa nuque en otage, à ces doigts qui s'invitèrent à la marée de ses boucles, elle aurait pu s'affoler. Elle aurait dû s'affoler. Pourtant, elle ne fit qu'étudier le regard trop proche du sien, certaine de ne pas risquer une attaque dans les règles d'un art qu'il devait maîtriser sur le bout des doigts. Oh, non qu'elle puisse penser qu'il soit froussard, qu'il puisse hésiter, qu'il soit capable de ne pas oser. Oh, non, rien de cela. Juste que ce n'était pas ce qu'il voulait. Le premier pas, il l'attendait, espérait peut-être qu'elle le fasse. Alors elle s'amusait à esquisser un léger mouvement, feignant d'avancer pour mieux s'échapper la seconde suivante. Satanée fierté mâle, peut-être, goût du jeu, assurément. Un jeu auquel la manouche se laissait prendre, sans nul doute, mais dans lequel elle avait trop à perdre et lui trop à gagner pour ne pas mesurer chacun de ses gestes, chacun de ses mots. Peut-être sortirait-elle de cette chambre joliment frustrée. Peut-être, furtivement, regretterait-elle cette désinvolture toute brodée du goût désinhibée de la chair auquel, sans grand effort, elle décidait de renoncer. Peut-être, oui, mais le jeu, finalement, n'en était que plus délicieux quand le goût du risque léchait ses lèvres mais qu'elle se refusait à l'embrasser. Aussi, d'une voix basse, avant que la main courtisane ne dévale sur son dos pour se dérober.

Après l'amour, je n'ai généralement plus de souffle pour parler.

Libérée de cette main curieuse, elle se recula un peu, penchant la tête comme pour mieux entendre les mots de Ludwig. Parlait-il vraiment pour elle, ou bien pour lui ? Elle plissa des yeux pleins d'interrogations. Au creux du crâne manouche, la question finalement ne se posait pas. Il parlait pour lui, assurément. Et sans vraiment s'en réjouir, elle le regardait s'effeuiller sans certainement qu'il n'en prenne conscience.

Sincère, honnête, franche, exécrant le mensonge, oui, telle était la zingara. Pourtant, dans cette sincérité qui pouvait sembler abusive, elle était sournoise. Terriblement. Choisissant avec soin quelle vérité elle annonçait en fonction de son interlocuteur et des circonstances. Combien pouvait se targuer d'avoir toutes les pièces du puzzle ? Deux. Peut-être trois. Pas davantage. Elle ne mentait pas, non, mais jouait néanmoins avec la vérité selon son bon vouloir, ayant compris depuis belle lurette que le vrai appelait le vrai. Confrontés à la vérité crue, bien rares étaient ceux qui, même malgré eux, n'avouaient pas une part de ce qu'ils étaient. En cet instant, alors qu'elle se moquait pas mal de livrer le tableau de son enfance piteuse et honteuse, elle s'imbibait des lacis de vérité que l'homme perdait sur son chemin. Pourtant, elle ne pouvait que s'interroger encore sur le passé de Ludwig.

S'il était convaincu de ce qu'il disait, comment alors son passé pouvait-il être pire que de faire la putain ? Oh, le courtisan heureux de se vendre, il y avait longtemps qu'elle n'y croyait plus. Combien de temps les avait-elle vus, ces Étienne, ces Dacien, clamant haut et fort aimer louer leur corps? Longtemps, si longtemps, quand dans le même temps, elle les surprenait, au sortir d'une chambre, la mine fatiguée et lasse, s'efforçant de sourire encore une fois à une cliente s'accrochant à leurs bras. Non, définitivement non, la Casas ne pouvait croire que l'on puisse aimer ça comme on aimait le sucre des dragées. Pour elle, le doute n'était plus permis. Ludwig aimait cela pour une seule et bonne raison. C'était une révolte, un crachat magistral sur son passé. Elle avait voulu sortir de la merde de sa naissance quand lui voulait tout salir. Leurs chemins étaient inverses. Se mentait-il alors à lui-même, ou en était-il conscient ? Sans doute ne le saurait-elle jamais, du moins pas ce soir.

Bêtement convaincue qu'elle visait juste, parce qu'il ne pouvait exister d'autre logique que la sienne elle se laissa retomber sur le lit, s'étirant doucement.


Enfin... Ludwig...
lâcha en prenant un air désabusé. Vous savez bien que je n'ai nul besoin de prétexte pour envahir votre lit. D'une part je suis l'épouse du propriétaire. Aussi, je peux faire ici ce qui me chante. Et d'autre part, vous êtes putain. Elle secoua doucement la tête, laissant un fin sourire fuser à ses lèvres. Vous avez perdu, donc. Mais en même temps, je ne vous ai toujours pas payé l'herbe. Alors je vous laisse choisir. Soit vous me faites payer ce que je vous dois, soit vous endossez le gage d'être perdant.
Ludwig..
Fatigué d'avoir trop parlé, trop fumé, ou seulement d'avoir été réveillé en plein rêve, tu étends tes jambes aux côtés de la manouche, prenant tes aises sur un matelas qui, somme toute, reste le tien. La pipe est abandonnée, laissée à une main posée sur ta cuisse, et tes yeux se ferment un instant. Il faut bien l'avouer, il est inévitablement frustrant de ne partager ton lit qu'au sens propre. Ce n'est pas là ton habitude. Tes yeux se rouvrent alors, se posant à nouveau sur une silhouette qu'ils n'ont jamais quittée depuis son arrivée.

Si elle disparaissait, là, tu pourrais redessiner chaque trait de son visage, le noir de ses yeux perçants et curieux, les volutes de fumée qui dessinent des arabesques entre vous deux, ses sourires parfois sincères et souvent moqueurs, chacune de ses boucles, exactement à la place où elle se trouve ce soir. Si la drogue a maintenant pris pleine possession de tes sens, tu demeures néanmoins attentif au moindre de ses gestes, à chacune de ses expressions, à tout ce qu'elle livre d'elle. Et force est de reconnaître que tu n'obtiens pas grand chose. Si ses réactions sont sincères, elles n'en sont pas moins calculées et précautionneusement choisies et toi, maître dans l'art de ne pas tout dire, tu t'en rends bien compte. Alors, un instant, tu tâches de voir, sous les traits de la duchesse maîtrisée, ceux de la petite manouche aux joues sales, bouffant des hérissons et dansant pieds nus le soir venu, sans vraiment y parvenir. Elle a parcouru un long chemin, à coup sûr, et ta curiosité brûle de l'interroger sur les sentiers qu'elle a emprunté. Si tu le pouvais, tu lui demanderais ce qu'il reste de cette gamine-là. Comment a-t-elle pu s'en détacher si facilement, quand toi, aussi avide de vaincre l'enfant sois-tu, tu ne peux en réalité te prouver que tu as dépassé ton passé qu'en effaçant, à grands coups de chanvre, les souvenirs ?

Malgré l'arrogante conviction qu'un jour tu sauras, la question est pour le moment laissée en suspens. Duchesse vient de devenir l'arbitre de votre jeu. Et elle marque des points. À dire vrai, elle n'a guère fait autre chose depuis qu'elle est entrée. Évidemment que, si elle était venue dans ta chambre seulement pour tes beaux yeux, elle n'en aurait pas fait secret. Axelle ne ment pas et Axelle a tous les droits. À nouveau grisé par l'attrait d'un jeu dont elle t'annonce déjà perdant, tu cherches encore à deviner. Elle était dans un sale état, lorsque la porte s'est ouverte et, quoiqu'à moitié endormi, tu les as vues, cette impatience et cette nécessité oppressante qui ne laissaient la place à rien d'autre. Mais elle ne peut être dépendante, la drogue n'appartenant pas à son histoire. Bordel, pourquoi avait-elle donc besoin de fumer ? Ludwig incapable, pour n'avoir jamais été blessé, de comprendre que le chanvre peut s'avérer être un pansement infiniment salvateur. Tu diras que c'est sa faute, elle n'avait qu'à pas être si fascinante, ça t'aurait permis de te concentrer. Et, d'un geste de la main, tu balaies ses mots et imposes ton paiement.


    Je n'aime pas perdre. Dites-moi, Axelle. Dites-moi ce qui vous a poussé dans mon lit. Et si, en plus de votre réponse, vous vous fendez d'un baiser pour clore l'affaire, alors nous serons quittes.

Et, à cette invitation dont l'issue est pourtant déjà sue, sourire refait surface. Incorrigible gamin.
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Axelle
Elle savait avoir pris un risque. Elle devinait que cette question là avait toutes les chances de lui tomber sur le coin de la figure. Après tout, comment pouvait-il la faire payer autrement ? Après tout, n'était-ce pas légitime qu'il connaisse la raison de l'irruption manouche dans le calme de sa chambre ? Si. Évidemment que si. Alors, soit, elle aurait pu feindre, esquiver, anguille qu'elle pouvait-être parfois. Mais d'une part, joueuse trop joueuse pour supporter perdre, elle n'avait pas eu la présence d'esprit d'entretenir un doute assez nébuleux et suffisant pour se ménager une issue de secours. Oui, elle avait joué, mais bêtement, délivrant ses cartes avec bien trop de précipitation, toute à sa jubilation imbécile de gagner et d'étudier cet homme bien trop intrigant. Mais surtout, manouche payait ses dettes, toujours. Petit pied de nez à la réputation de voleuse romanichelle épinglée en lettres écarlates sur son front. Gitane alors bien trop fière pour ne pas démentir et se coudre d'une honnête si vaste qu'elle en était souvent ridicule.

Et puis ce chanvre, ce chanvre tant désiré, si salvateur, lui aussi réclamait son dû dans une petite ritournelle moqueuse. « Paye, paye, paye. J'ai fait mon office. Paye, paye, paye. » Oui, herbe sournoise qui, si elle avait su avec brio dénouer la douleur, avait également mordillé son crâne pour mâchouiller sa prudence habituelle.

Décrochant son regard du bleu de celui de son hôte, elle baissa la tête en murmurant presque indistinctement.
Je paye.

Le silence revenu à sa bouche, avec lenteur tant ses doigts se révélaient gourds, elle délaça sa robe, fendant l'écarlate de la traînée d'ambre de sa peau. La naissance de ses seins se dessinait dans une pudeur qui n'était qu'impudeur de se cacher à demi. Baste, la pudeur n'était pas inscrite dans le vocabulaire gitan. Baste, Ludwig se tiendrait à carreau. Aucun doigt aventureux ne filouterait pour écarter le tissu. Elle en était convaincue. Ce n'était pas ainsi qu'il voulait les choses, et surtout, la fascination s'envolerait comme une nuée de moineaux à ce qu'elle s’apprêtait à dévoiler. A ce qui déjà bayait sous leurs prunelles tel un vilain sourire railleur.


Une nuit. Après toutes ces semaines, il me suffisait de tenir juste une seule nuit de plus....

Le doute n'était pas permis. C'était à elle et à elle seule que ces mots s'adressaient, bourrés d'amertume et de regrets. Qu'elle était laide, cette cicatrice, vautré paresseusement là, au creux de son ventre. Laide parce qu'il ne pouvait en être autrement. Comment aurait-il pu en être autrement quand elle était la preuve flagrante de la chute ? De la boue s’immisçant dans la bouche, dans les yeux, alors que les genoux s'affalaient ? Comment aurait-elle pu être autre chose que laide quand elle riait au nez manouche, pointant sa défaite ? Elle ne pouvait pas.

Le regard toujours posé sur l'infamie, sa voix coula, norme et terne dans une interrogation qui finalement, n’appelait pas vraiment de réponse.

Avez-vous déjà eu mal ? Je ne parle pas de ce qui bouillonne dans votre tête, ni de votre fierté, ni des souvenirs, mais dans votre chair. Mal.

Contrastant avec le calme jusqu'alors établi, elle releva les yeux, venant piquer ceux du courtisan sans la moindre pitié. Je ne paye qu'une fois. Pas deux. Si vraiment vous souhaitez encore un baiser, il vous faut me donner votre parole que jamais, vous n’avouerez la raison de ma visite. A personne.
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