Sandino
Il y a quelques années de cela, lors dun premier séjour de la Kumpania sur une plage perdue au sud dArles pour y célébrer des noces tsiganes, le patriarche sétait fait la promesse quun jour prochain ils y reviendraient pour y établir un sanctuaire.
Au départ lidée sétait imposée à lui sans quil narrive à déterminer de quoi participait cette évidence.
Certes la beauté du lieu les avait tous touché. Ignoré des Provençaux, ce coin inhabité du marquisat collé au Delta du Rhône avait des airs de début du monde. Le peu dhommes qui fréquentaient lendroit à certaines saisons ny imposaient pas leurs lois et la nature sauvage sy exprimait sans contrainte.
Ce nest que bien des mois plus tard sur les routes du royaume, à la faveur dun caprice de sa mémoire, que le vieux gitan a découvert ce qui rendait évident le choix de ce lieu pour y établir un sanctuaire.
Si un air de déjà vu lavait effleuré le jour de leur arrivée sur place la première fois, il navait pas fait cas de ce sentiment à lépoque. Pourtant la piste était la bonne et sil navait jamais vu un paysage semblable de ses yeux, il avait lu des descriptions sur un endroit similaire situé dans le delta dun grand fleuve se jetant dans la mer.
Ce coin frère il le connaissait sans pourtant jamais y être allé, et pour cause, il était situé en Orient dans la partie la plus à lEst de la terre dorigine des Tsiganes.
Là-bas le Gange, le fleuve le plus sacré de lHindoustani, se jetait dans la mer en faisant un delta comme le Rhône, et comme celui du Rhône ce delta était une terre sauvage de marais et de canaux naturels peuplés dune myriade doiseaux et danimaux. Nature vierge quasiment inhabitée que seuls troublaient parfois les hommes, venus en petit nombre lors de pèlerinages afin de baigner dans le golfe du Bengale des statues de « Kali Mâ » la déesse à la peau noire, la Divine Mère.
A la lumière de tout cela, la volonté de Sandino détablir un sanctuaire dans ce coin perdu de Provence na cessé de grandir. Les mois passant, il en a parlé autour de lui, restant vague sur la forme mais déterminé à ce que la Kumpania agisse dés que loccasion se présenterait.
Puis un jour, à loccasion dune invitation des autorités Provençales pour participer aux fêtes de lindépendance du Marquisat, invitation à laquelle il avait répondu favorablement, la Kumpania sest à nouveau installée sur cette même plage déserte qui les avait vus fêter des noces gitanes presque trois ans plus tôt.
Pour le patriarche cétait loccasion attendue.
Confiant il sest laissé guider et la providence lui a fait rencontrer en la personne de « Bédigue » un berger des Baux de Provence, le nécessaire coup de pouce du destin. Grâce à ce dernier le sanctuaire avait trouvé un lieu.
Suite à cette rencontre déterminante avec le « Pâstre », Sandino a décidé de mettre en place au plus vite le sanctuaire avec laide de sa compagne Zézé et dOxan leur fille la plus jeune.
Le jour même de létablissement du sanctuaire une première cérémonie dirigée par le vieux gitan sest déroulée.
Le trio a installé la statue de pierre noire dans sa demeure, puis entourée de ses parents Oxan a été présentée à la divinité, le lien de fille à Mère et de Père à fille a été consacré, suite à quoi la gamine a reçu de ses parents le nom Gitan de « Chandra » la Lune en sanskrit.
A cette première cérémonie ont succédé dautres. La seconde a consisté en un pèlerinage, les membres du groupe guidé par le patriarche ont investi le lieu, le chargeant de leurs présences, lui donnant ainsi symboliquement la vie.
Dés lors, deux autres cérémonies sy étaient déroulées, Sandino avait officié et consacré par deux fois des unions. La première interne à la Kumpania, entre Samsha et Zalome, la seconde plus intime pour un couple damis, Eudoxie et Soren.
Le sanctuaire que le vieux gitan avait voulu quil soit dédié à la Mère Universelle, comme ceux établis sur les rives du fleuve sacré « Ganga », ouvert ici à tous et à toutes les croyances, ce temple gitan, simple hutte de calcaire lovée dans les bras du delta du Rhône était né par le corps de la terre Provençale et le souffle des fils du vent.
Suite à cette implantation les choses auraient pu en rester là, mais cétait sans compter sur lintervention de Chandra, la plus jeune de la Kumpania. Cette dernière avait alors insisté pour sétablir près du sanctuaire, puis avait insisté pour que ses parents en fassent de même. Par ailleurs avant même létablissement du sanctuaire deux membres de la Kumpania Samsha et Zalome souhaitaient déjà prendre adresse en Provence.
Il nen fallait guère plus pour enclencher le mouvement et largument final de Chandra en fut le déclencheur. Comme tout le monde les gitans doivent avoir une adresse donc un logis fixe, tant quà faire enregistrons-nous près du sanctuaire avait-elle soutenu avec justesse.
Les doyens convaincus du bon sens des paroles de leur petite dernière quils ne voulaient pas quitter, avaient alors fait comme elle avant de quitter le marquisat.
Proche du sanctuaire dédié à la Mère Universelle, un fief Gitan allait voir le jour.
Un royaume caché ayant pour capitale « Chandranagar »