Gnia
- Ne pouvant se corriger de sa folie, il tentait de lui donner lapparence de la raison.
Alfred de Musset
Elle n'était finalement pas aller dormir au château, cette nuit encore. Point par manque d'informations que deux jeunes filles n'avaient pas eu le soin de relayer. Lorsque l'on tenait la Comtesse consort d'Armagnac et Comminges pour ancienne dame de compagnie, ancienne vassale et amie, l'on avait certainement pas besoin de qui que ce soit pour se faire loger au château.
Si tant est qu'elle eut voulu y loger.
Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas accepter l'hospitalité de celle qu'elle fustigeait encore maintenant, alors qu'elle avait quitté la taverne il y a des heures. Elle ne pouvait plus faire semblant, et participer sans réagir à un mensonge qu'elle avait pressenti. Elle avait espéré que son appréhension ne soit due qu'à sa trop large propension à imaginer le pire, que la petite avait mal compris ou qu'elle avait mal compris ce qu'elle lui avait écrit. Mais force était de constater que son intuition ne l'avait malheureusement pas trompée.
Elle s'était longuement tenue à la fenêtre de sa chambre d'auberge, le regard rivé sur le lointain, sur les toits de chaume, autant ombres qui se découpaient sur l'ombre plus claire d'un ciel étoilé. Les falots des lanternes derrière les carreaux s'éteignirent peu à peu jusqu'à ce qu'il ne reste que de loin en loin quelques enseignes de tavernes et quelques halos de lumières flottants encore au dessus des rues.
Elle aurait aimé dormir.
Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas trouver le repos tant qu'une confusion d'émotions lui embrumait l'esprit au point qu'elle ne parvenait guère à réfléchir clairement.
Ce fut cet amer constat - et la piquante fraîcheur de la nuit - qui la fit enfin quitter sa contemplation de l'obscurité émaillée de points lumineux.
Elle s'était assise sur le lit et avait poussé un profond soupir tandis que ses épaules s'affaissaient, alourdies par un poids qu'elle ne s'attendait pas à sentir si fortement peser. Le regard avait fixé longtemps un point vague entre deux lames de plancher disjointes sans qu'elle ne parvienne plus à ce que son esprit torturé trouve un semblant de paix.
Elle aurait aimé pleurer.
Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas pleurer, l'oeil restait résolument sec quand bien même sa poitrine se trouvait enserrée dans un étau qui imposait pourtant que la pression soit soulagée.
Elle aurait probablement dû boire jusqu'à sombrer.
Puis il lui avait semblé qu'elle avait dormi, encore assise. Ce fut sa tête tombant sur sa poitrine qui la fit sortir de sa torpeur.
Encore habillée, elle se contenta de se laisser tomber sur le côté et de remonter ses jambes sur le lit.
Ainsi recroquevillée et épuisée, elle avait enfin sombré dans le sommeil.
Agité.
Probablement, pleura-t-elle dans son sommeil.
Assurément, ses rêves furent-ils animés de regrets, de remords, de rancurs.
Au petit matin, elle s'était éveillée en sursaut. Elle n'avait pas même tenté de rappeler à elle les derniers vestiges d'un sommeil sans repos. Elle s'était levée et avait rédigé de son écriture nerveuse un court billet à l'attention d'Isaure.
Elle lui annonçait sobrement qu'ainsi qu'elle l'avait indiqué hier, elle souhaitait s'entretenir avec elle et qu'elle serait au château à la tierce.
Un peu avant que la tierce ne sonne, elle se fit annoncer.
Même en plongeant son visage dans un bassin d'eau froide, elle n'était point parvenue à gommer ses traits tirés par la fatigue. Malgré tout, hiératique, elle se tenait droite, le menton haut, le visage impassible comme à l'ordinaire. Et les mains jointes sur son ventre, elle patienta le temps qu'on l'introduise.
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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.