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[RP] L'apparence de la raison.

Gnia
    “Ne pouvant se corriger de sa folie, il tentait de lui donner l’apparence de la raison.”
    Alfred de Musset



Elle n'était finalement pas aller dormir au château, cette nuit encore. Point par manque d'informations que deux jeunes filles n'avaient pas eu le soin de relayer. Lorsque l'on tenait la Comtesse consort d'Armagnac et Comminges pour ancienne dame de compagnie, ancienne vassale et amie, l'on avait certainement pas besoin de qui que ce soit pour se faire loger au château.
Si tant est qu'elle eut voulu y loger.

Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas accepter l'hospitalité de celle qu'elle fustigeait encore maintenant, alors qu'elle avait quitté la taverne il y a des heures. Elle ne pouvait plus faire semblant, et participer sans réagir à un mensonge qu'elle avait pressenti. Elle avait espéré que son appréhension ne soit due qu'à sa trop large propension à imaginer le pire, que la petite avait mal compris ou qu'elle avait mal compris ce qu'elle lui avait écrit. Mais force était de constater que son intuition ne l'avait malheureusement pas trompée.


Elle s'était longuement tenue à la fenêtre de sa chambre d'auberge, le regard rivé sur le lointain, sur les toits de chaume, autant ombres qui se découpaient sur l'ombre plus claire d'un ciel étoilé. Les falots des lanternes derrière les carreaux s'éteignirent peu à peu jusqu'à ce qu'il ne reste que de loin en loin quelques enseignes de tavernes et quelques halos de lumières flottants encore au dessus des rues.
Elle aurait aimé dormir.

Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas trouver le repos tant qu'une confusion d'émotions lui embrumait l'esprit au point qu'elle ne parvenait guère à réfléchir clairement.
Ce fut cet amer constat - et la piquante fraîcheur de la nuit - qui la fit enfin quitter sa contemplation de l'obscurité émaillée de points lumineux.


Elle s'était assise sur le lit et avait poussé un profond soupir tandis que ses épaules s'affaissaient, alourdies par un poids qu'elle ne s'attendait pas à sentir si fortement peser. Le regard avait fixé longtemps un point vague entre deux lames de plancher disjointes sans qu'elle ne parvienne plus à ce que son esprit torturé trouve un semblant de paix.
Elle aurait aimé pleurer.

Elle ne pouvait tout simplement pas.
Elle ne pouvait pas pleurer, l'oeil restait résolument sec quand bien même sa poitrine se trouvait enserrée dans un étau qui imposait pourtant que la pression soit soulagée.
Elle aurait probablement dû boire jusqu'à sombrer.


Puis il lui avait semblé qu'elle avait dormi, encore assise. Ce fut sa tête tombant sur sa poitrine qui la fit sortir de sa torpeur.
Encore habillée, elle se contenta de se laisser tomber sur le côté et de remonter ses jambes sur le lit.
Ainsi recroquevillée et épuisée, elle avait enfin sombré dans le sommeil.
Agité.
Probablement, pleura-t-elle dans son sommeil.
Assurément, ses rêves furent-ils animés de regrets, de remords, de rancœurs.




Au petit matin, elle s'était éveillée en sursaut. Elle n'avait pas même tenté de rappeler à elle les derniers vestiges d'un sommeil sans repos. Elle s'était levée et avait rédigé de son écriture nerveuse un court billet à l'attention d'Isaure.
Elle lui annonçait sobrement qu'ainsi qu'elle l'avait indiqué hier, elle souhaitait s'entretenir avec elle et qu'elle serait au château à la tierce.



Un peu avant que la tierce ne sonne, elle se fit annoncer.
Même en plongeant son visage dans un bassin d'eau froide, elle n'était point parvenue à gommer ses traits tirés par la fatigue. Malgré tout, hiératique, elle se tenait droite, le menton haut, le visage impassible comme à l'ordinaire. Et les mains jointes sur son ventre, elle patienta le temps qu'on l'introduise.

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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.
Octave.
Lorsque le garde était venu frapper à la porte, désormais habitué aux excès d'Isaure, il avait frappé doucement, tout doucement. Ainsi le Beaupierre avait-il été le seul à l'entendre, et à s'extirper du lit conjugal.

La chose n'avait pas été aisée. Il n'était pas du matin, plus vraiment, en tout cas. Voilà quelques années qu'il évitait de se lever avec le soleil quand il pouvait, et son engagement à la tête du Comté n'y avait pas changé grand chose. Les réunions étaient calées l'après-midi, laissant ainsi à Octave le loisir de trainer au lit avec sa femme, quand autre chose ne venait pas s'intercaler dans leur programme.

L'oeil bouffi et le cheveu hirsute, il avait quitté la chambre, le bureau et avait fini par rejoindre le garde dans le salon.


Votre Grandeur, votre femme est attendue.
Par qui ?
Agnès de Saint Just, et tout un tas de trucs, qui avait rendez-vous, dit-elle.
Hum... Je descends. Faites la installer dans le salon bleu, s'il vous plait, et qu'on lui apporte de quoi prendre un petit déjeuner.
Et pour vous ?
Tout pareil.
Et Son autre Grandeur ?
Elle dort. Mais j'y vais. Allez...!


Rejoignant la salle de toilette, il se précipite sur un broc d'eau afin de chasser de sa mine les derniers relents d'un court sommeil. Il en profite pour se rincer quasi-intégralement, à la réflexion, otant les remugles de leur nuit de retrouvailles. Il avait vraiment cru qu'elle serait partie des jours, des semaines, qu'il ne la reverrait pas. Mais rien que ces deux jours l'avaient épuisé, vidé. Isaure était une gageure. S'ils se bouffaient le nez la plupart du temps, vivre sans elle était comme arrêter de respirer, et il avait souffert de ces quelques jours où elle l'avait délaissé.

Lorsqu'habillé de frais et plus ou moins présentable, il entreprend de descendre les escaliers et de rejoindre le salon bleu, ses pensées se détournent de leur chambre et de l'endormie qui y gît encore, pour se poser sur la maîtresse femme qui l'attend en bas.

Le Beaupierre ne connait pas Agnès. Enfin, que de nom. Il connait plus ou moins, comme tout le monde, le parcours de la Grand Maître de Bouillon. L'histoire, probablement fanstamée, de la veuve du Frondeur. Il connait aussi l'attachement d'Isaure à la toulousaine, mais surtout, il sait qu'Agnès devait recueillir Caia. C'est la raison pour laquelle il a pris sur lui de se présenter à elle. Quelle que soit le motif de sa venue, il avait pour sa part, dès la veille en la voyant assise là, dans cette taverne auscitaine, décidé qu'il lui faudrait lui parler. L'occasion est trop belle pour qu'il la laisse filer.

Une légère inspiration avant de passer les portes, les épaules se redressent, la mine se fait à la fois sérieuse et avenante, du moins c'est ce qu'il tente, et c'est le Comte qui rejoint le salon.


Le bon jour, Agnès.

A son tour, il s'installe, face à sa visiteuse.

J'ose espérer que l'on vous a accueillie et proposé de quoi boire et manger ?

Et qu'on se dépêchera de l'apporter, également. L'estomac, légèrement noué, aurait bien besoin d'un peu de consistance.

Isaure se prépare. Elle dort encore. Elle ne tardera pas. Si vous n'êtes pas pressée. Et je souhaitais vous parler, donc si cela vous convient, je profiterai de votre visite matinale. Et si vous ne le permettez pas, ce n'est pas grave, puisqu'il enchaine.

Je voulais vous parler de notre fille. Il insiste sur le notre, puis sur le fille. Isaure... Enfin vous la connaissez probablement mieux que moi. Je n'ai pas besoin de vous décrire son enthousiasme, la force de ses convictions, son besoin d'être aimée, son envie d'aider, ni la façon qu'elle a d'exprimer le tout. Quand une affaire la touche... il vaut mieux regarder le fond que la forme.

Il garde son regard dans celui de la Saint Just. Il laisse un blanc. Il lui reste beaucoup à dire, encore, mais il ne veut pas monopoliser l'instant. Octave a remarqué les cernes qui creusent le regard d'Agnès, le teint plus pâle que la veille. S'il ignore si la fatigue est liée à cette question, ou une autre dont il n'aurait pas connaissance, ce qui ne l'étonnerait pas venant de sa femme, il attendra tout de même d'avoir une réponse avant de continuer.
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Gnia
Ainsi elle avait patienté. Dans le salon bleu donc.
Et ce ne fut pas Isaure mais son époux qui bientôt se présenta.
Soit.

Une gracieuse inclinaison de nuque répond à son salut, un bref hochement de tête à sa question sur l'accueil réservé.
Et puisqu'il a entreprit d'entamer, elle lui laisse la main.

Lorsqu'il semble avoir terminé son introduction, elle conserve un instant le silence sans que ses azurs sombres ne quittent le regard qu'il a relevé sur elle.


Je connais Isaure.
Je connais ses indéniables qualités et ses incontestables défauts.
Je crois pouvoir dire sans me tromper qu'elle est de ceux, bien trop rares, qui ont le cœur pur.
Je sais également sa propension à nier les évidences, à opposer un déni farouche aux insoutenables vérités.


Et ce ne sont certainement pas les tristesses qu'ont pu lui réserver sa vie de toute jeune femme qui ont pu gommer les travers et habitudes de la jeune fille. Bien au rebours, lui semble-t-il. Et quand bien même les malheurs semblent à présent derrière elle.

Vous vouliez parler de Caia. Je vous écoute.

L'agitation de la veille, les tourments de la nuit n'ont laissé pour traces que celles qui sont discernables.
Mine impassible offerte par un visage de marbre, regard impénétrable, la Saint Just s'est faite à nouveau Salamandre.
Sang froid a muselé le feu.
Pour l'heure.

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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.
Octave.
Vous la connaissez donc.

Ce qui est pratique, quand on a choisi d'épouser une femme comme Isaure, c'est que le tri entre ceux qui la connaissent et ceux qui l'ont seulement croisée à certaines occasions se fait rapidement. Seuls les proches, les amis, ceux qui avaient pris le temps de creuser un peu la question et de passer outre le caractère impossible de la jeune femme, accordaient à Isaure d'indéniables qualités et un coeur pur. Octave en était, et il était rassuré, quelque part, de voir qu'Agnès également.

La discussion en serait facilitée, même si l'issue elle en pâtirait peut être.


J'ai rencontré Caia peu après Isaure. A la fin de l'hiver. Il était alors question pour Isaure de l'accompagner jusqu'à Toulouse. Pour l'avoir vécu à travers les nombreux courriers que j'ai échangés avec celle qui allait devenir ma femme, je sais l'attachement fort et le lien qui s'est créé entre elles deux au fur et à mesure de leurs pérégrinations.

Il ne dit pas, mais il y repense, les heures qu'Isaure a passées penchée sur le calepin de Caia, à lui apprendre ses lettres. Il a assisté à la première rencontre entre l'enfant et le peigne d'Isaure. Tous ces petits moments de la vie quotidienne qui ont participé à faire d'elles une mère et sa fille.

Je sais qu'elles sont passées à Toulouse, et qu'Isaure n'a pu se résoudre à déposer Caia en votre demeure. Le lien est trop fort désormais pour être rompu. Quand elles sont toutes deux arrivées en Armagnac... J'ai pu apprécier les progrès de l'enfant. Son besoin de la présence de celle qui se disait désormais sa mère. Et j'ai réalisé également mon propre attachement à cette enfant, si particulière. Notre mariage était prévu, déjà.

A cet instant la porte s'ouvre, discrètement, mais suffisamment bruyamment pour que le Beaupierre s'interrompe, afin de laisser le personnel disposer sur les tables environnantes le petit déjeuner. Pour dix. Environ. Certes, Octave mange beaucoup et apprécie d'avoir l'estomac calé pour affronter sa journée, mais il lui faudra tout de même penser à préciser aux cuisines qu'il n'est pas un Aimbaud et qu'il n'envisage pas de devenir aussi gras que le marquis. Lorsque tout le monde est reparti, il reprend.

J'ai proposé à Isaure, qui était déjà sa mère, d'offrir à Caia un nom, un héritage, une famille et toute la sécurité que cela comporte. Peu sont au courant des origines de l'enfant. Je me suis renseigné, auprès d'amis très proches, sur les risques et les modalités. Ma famille ne sera reconnue à la hérauderie qu'après ma prime allégeance, à l'issue de mon mandat. Ainsi, il suffira d'apposer son nom. Elle sera légitime.

Voilà pour la Raison. S'agissant du Coeur maintenant...

Mais plus que ça... elle est présentée depuis comme notre fille, et acceptée comme telle. Ceux qui étaient au courant ont promis le secret. Et avant cela... nous l'avons proposé à Caia. C'est elle, qui de sa petite voix fluette, nous a nommés ses parents. Si ce n'était pas un signe fort, qu'est-ce qui en serait ? Nous sommes présents, nous sommes nobles, aisés et nous veillons à son éducation. Nous sommes entourés et elle ne manque ni d'amis, ni de distractions.

Se saisissant d'une tranche de pain, il se ravise et la repose, le temps de soutenir le regard froid de la maîtresse femme qui lui fait face.

Nous arracher l'enfant aujourd'hui ou reprocher à Isaure son attachement serait lui broyer le coeur. Vous devez savoir que par le passé, son expérience de mère... enfin vous devez être courant. Je suppose.

Elle vous porte en haute estime. J'espère que cette estime n'a pas été mal placée.


Maintenant, et parce qu'un gargouillis serait bien plus gênant que d'avoir la bouche pleine, il reprend le pain et en croque un morceau. Des forces pour affronter le soulagement, ou le combat s'il doit y en avoir un. Mais Octave ne rendra pas les armes avant de s'être assuré que sa femme ne souffrira pas de son rendez-vous avec Agnès de Saint Just.
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Gnia
Elle écoute.
Ils sont interrompus par la collation que l'on apporte, mais bientôt Octave reprend.
Si au début elle hochait la tête de temps à autre, si ensuite elle penche légèrement la tête de côté tandis qu'elle analyse ce qu'elle apprend, ce sont à ses dernières phrases qu'elle hausse un sourcil.

Le front se plisse légèrement tandis qu'elle digère ce qu'elle entend.


Vous l'arracher ? Mais... Quelle idée saugrenue !

Si elle avait été quelque peu décontenancée par le discours d'Octave, elle n'en avait que peu laissé paraître. Mais à présent, la fin la laissait pour le peu consternée.

Je suis venue ce matin parce que j'étais inquiète.
Point tant pour le devenir de l'enfant que pour Isaure, pour ce qu'elle espérait que l'enfant soit. Je l'étais également pour Caia, je ne souhaitais pas qu'on lui fasse jouer un rôle qui ne devait certainement pas être le sien.


Elle pousse un profond soupir.

Vous savez, Caia m'a écrit avant de quitter Toulouse. Elle m'a dit son désir de rester avec Isaure. Elle m'a dit qu'Isaure voulait qu'elle soit sa fille. Mais elle me l'a écrit de telle façon que j'ai commencé à en nourrir de l'inquiétude.
Et plus encore alors qu'Isaure ne s'est même pas présentée à moi ou n'a daigné s'en expliquer.


Elle secoue un instant la tête et poursuit.

J'ai alors pensé qu'elle voulait que Caia remplace et devienne sa fille disparue.
Et j'ai trouvé cela malsain, j'ai trouvé cela inquiétant, j'ai trouvé cela perturbant.
Et j'ai essayé de ne plus y penser en ce que ce ne sont finalement plus mes affaires.
J'avais de toutes façons donné ma bénédiction à Caia pour vivre la vie qu'elle souhaitait vivre, qui étais-je pour interférer ?


Elle hésite un instant puis elle hausse une épaule.

Le Prince de Clichy en fait des mots d'esprits à mes dépends, mais effectivement, il s'avère que j'estime ne pas avoir su élever mes enfants.
A tout du moins puis-je au moins m'enorgueillir qu'ils sachent où est leur place, qu'ils soient conscient des devoirs qu'exigent leur rang, qu'ils se montrent à la hauteur de ce que l'on est en droit d'attendre de jeunes gens de leur âge.
Et de ce qu'il m'a été donné récemment de voir, je m'estime déjà heureuse que majeurs, ils ne se complaisent pas dans d'enfantines attitudes propres à leurs cadets de moins de 10 ans, et donc évidemment déplacées.
Non, en vérité, je n'ai pas su les élever dans le sens que je n'ai pas su leur donner l'attention qu'ils attendaient probablement de moi et je ne pense pas en être aujourd'hui plus capable qu'hier.
J'étais donc heureuse que Caia puisse espérer un refuge plus présent et aimant que moi.


C'est que la Saint Just pense viscéralement que l'instinct maternel est une chose dont le Très Hauct a certainement omis de la doter. Pourtant, elle ne réalise pas que l'ardeur viscérale qu'elle met à protéger son sang et ceux qu'elle estime dignes de son affection, de son attention, c'est de l'instinct maternel, ancré dans ses tripes.

Et puis je vous ai entendu hier, l'appeler votre fille légitime, tous les deux. Et j'ai trouvé cela perturbant, malsain et inquiétant. Et plus encore de vous entendre tous deux soutenir vos mensonges devant moi et d'autres qui savaient que je devais recueillir cette enfant.

Son regard se fige dans celui de son vis à vis. Le bleu sombre a pris une teinte grise, comme celle de la Mer du Nord sous le grain.

J'étais venue parler à Isaure, poussée par une réelle inquiétude de ne pas la voir sombrer dans les fantômes du passé, de ne pas la voir fantasmer une enfant qui ne serait jamais celle qu'elle avait perdue. J'ai eu peur aussi que vous donniez corps à ces divagations.

J'étais venue lui proposer mon aide, mon soutien, mes conseils. J'étais venue lui proposer de la reprendre pour vassale et lui confier à nouveau terre en Béarn afin qu'elle et Caia ne manque jamais de rien. J'aurai confié ensuite cette terre à Caia, une fois en âge.
Et j'aurai ainsi fait ma part. Donner ce que je suis capable de donner.


Elle parle d'une voix blanche.

Elle me porte en haute estime, vous dîtes.
Visiblement pas suffisamment pour se confier à moi sur un sujet qui me touche personnellement.
Et il a fallu que je force les choses pour que l'on daigne m'apprendre la vérité.

Et vous, vous imaginez que je viens vous réclamer un enfant que je vous avais laissé de bon cœur, espérant qu'un jour Isaure s'en explique.
Au lieu de cela vous prenez les devants, poussé par la peur de mauvaises intentions que vous me prêtez.


Elle a un geste de la main, comme l'on chasse une mouche invisible. Puis la main vient un instant pincer l'arrête de son nez.

J'aurai espéré qu'Isaure me tienne suffisamment en estime pour me faire confiance et pour entendre au moins cette histoire de sa bouche.
Je suis...
Profondemment... déçue.

Et je me suis trompée.


Elle fixe un instant la collation à laquelle elle n'a pas touché.
Ce voyage qu'elle espérait agréable et rafraîchissant ne faisait qu'alimenter de sa succession de déconvenues une rivière déjà gonflée de déceptions.
Il lui semble se confirmer qu'au fond, elle n'est qu'une image que les gens se font d'elle, que personne ne la connaît vraiment, même ses proches. Surtout eux.
Et s'il y avait besoin de lui prouver encore que ceux qu'elle-même tenait en estime et pour proches étaient également loin de l'image qu'elle se faisaient d'eux, la présente venait férocement rouvrir une plaie qui peinait à vouloir cicatriser.

Tout le poids de sa profonde solitude vient envelopper sa poitrine, suaire glacé glissant et se faufilant dans les moindres interstices.
Elle prend alors une courte inspiration. La voix est empreinte de lassitude.


Soyez sans crainte, vous n'entendrez certainement plus parler de moi.
Ni vous, ni Isaure, ni Caia ou quelque soit le nom que vous décidez de lui donner.

Et que votre épouse ne se dérange pas pour moi, je suis à présent... "rassurée".
J'ai même appris plus que je ne souhaitais savoir.
Et je gage que vous saurez tout à fait lui résumer notre entrevue.

Je vous remercie pour votre accueil et votre franchise.


Elle hoche légèrement la tête, repousse doucement son siège et se lève.

Toutefois, avant de prendre congé, et puisque je n'escompte donc pas revenir, je souhaiterai mettre à profit ma présence ici pour voir le garçon Iban.
Seule, s'il est possible.


Ainsi le chapitre serait définitivement clos.
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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.
Octave.
Le visage du Beaupierre affiche, au fur et à mesure de la réponse d'Agnès, la mesure de sa déconfiture. Il ne connait pas Saint Just, il a présumé, et il s'en veut quand il reçoit, tant du ton que des mots, la confirmation de son erreur.

La politique aura fini par l'abîmer, lui qui avait pour habitude de toujours demander explications et arguments, avant d'oser une conclusion. A force de ne croiser que mauvaise foi, prétextes et accusations fallacieuses, Octave avait donc fini par attendre lui aussi le pire de son vis à vis, quand il se croyait pourtant en encourager le meilleur.

Secouant légèrement la tête, il se fait la réflexion qu'il est décidément bien temps pour lui de délaisser ce trône qui le transforme, l'écorne, l'atteint plus qu'il ne l'aurait souhaité, plus qu'il ne l'avait envisagé. Il s'en veut de son attitude, et de la réponse blessée d'Agnès.

Lorsqu'elle se lève, il l'imite.


Je vous prie de m'excuser.

Au moins, la politique ne lui aura pas ôté toute humilité, ni incapacité à reconnaitre ses erreurs.

Je suis navré d'avoir placé en vous des intentions qui n'étaient pas les vôtres. Je déteste quand on le fait avec moi, et j'ai eu tort de présumer de vos pensées et inquiétudes.

Il baisse le regard vers la mine froide de son invitée. La sienne porte sur elle ses regrets.

Voyez vous, Agnès, je ne peux vous dire pourquoi Isaure ne s'est pas confiée à vous. Quant à .... Le Beaupierre cherche ses mots. Quant à son attitude envers Caia et vos craintes concernant ses enfants perdus... je ne pouvais alors les partager, je ne savais pas. Ce n'est qu'à la veille de nos noces que j'ai été mis au courant de ce lourd passé.

La soirée, épique, ponctuée de cris, de larmes, de déceptions et de pardons, était encore vivace dans sa mémoire. Il n'avait pu fermer l'oeil de la nuit, et c'est épuisé qu'il avait épousé une femme qui n'était pas celle qu'il avait cru lorsqu'il l'avait demandée en mariage.

Caia restera Caia. Et si j'ai proposé d'en faire ma fille, c'est aussi pour empêcher qu'elle s'appelle Von Frayner. Ainsi, cette enfant ne portera pas les espoirs déçus et blessés d'une mère en deuil. Isaure n'est pas la seule concernée par cette affaire.

D'ailleurs, il est un autre point qu'Octave a failli ne pas relever. Mais puisqu'Agnès a été franche, jusqu'à confier ses doutes sur sa propre maternité, alors il poursuit :

Elles ne manqueront de rien. Si vous souhaitez régler la question avec votre ancienne ou future vassale, c'est vous que cela regarde, mais elle est mariée, Comtesse consort, et je vous remercierais de bien vouloir me faire confiance sur le fait que je ne les laisserai certainement pas à la rue, ni l'une, ni l'autre.

Derrière la porte, des pas. Dont le bruit s'intensifie avec les secondes. Il termine donc avant la prochaine interruption.

Vous connaissez ma femme mieux que moi. Vous ne pouvez être surprise qu'elle ait eu peur de vous confier une histoire dont elle aurait pu penser que vous désapprouveriez. Vous êtes un des premiers noms qui est intervenu dans nos discussions. Remettre en cause son attachement envers vous... Serait une erreur. Mais il ne termine pas sa phrase, car déjà le bois de la porte s'ouvre grand, laissant entrer une Isaure superbe et souriante. Si l'on ne prend pas en compte le regard chargé de reproche qu'elle adresse à son époux.

Rapidement, collant sur son visage un sourire de circonstances, il siffle entre ses dents à la Grand Maitre de Bouillon un simple :
Ne lui en voulez pas pour mon erreur, je vous en prie. Je n'aurais pas du venir. Puis il accueille sa femme, d'une bise légère sur sa joue encore chaude de la nuit, avant de rejoindre la porte.

Pardon pour mon intrusion. Agnès, je vous remercie de votre visite, ne nous tenez pas rigueur de mes mauvaises manières. Je vais faire prévenir le garçon. Il vous rejoindra ensuite. Isaure, vous êtes magnifique, comme toujours.

Et il quitte le salon, appuyant son dos sur le bois de la porte qu'il vient de refermer, espérant n'avoir pas causé plus de mal que de bien. Après un instant, il se redresse, et c'est le Comte qui se dirige vers son intendance, appelant déjà un quelconque page :

Qu'on réveille Iban, et qu'il soit mené au petit salon. Quand notre invitée le fera appeler, il faudra le conduire au salon bleu.
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Hazell
Tremblante, la gamine regardait, sur le sol impeccable et strié de lignes, l'ombre d'un grand aulne étendre ses innombrables doigts longs et tordus, dans la lumière étalée, s'échappant de l'interstice inférieure des portes du salon bleu.
Elle glissa ses pieds nus en arrière, comme l'on éviterait une vague glaciale sur la plage, ou une lame de lave, sans pour autant s'empêcher de regarder ce qui nous terrifierait.

Pourtant, elle s'était réveillée guillerette un peu plus tôt, d'un de ses rares sommeils d'une traite et sans monstre sous le lit, car elle avait hâte d'être le lendemain. Agnès était là. Et la Saint-Just lui avait dit qu'elle viendrait dormir au Château, et la petite muette avait même été prévenir Papa avant même le retour de Maman, pour s'assurer que l'on lui préparerait une chambre et qu'elle viendrait pour de vrai.
Caia fit voler ses draps sur un danois encore à moitié assoupi et qui ne broncha pas, et ne prit pas la peine de se chausser, qu'elle fila déjà dans les couloirs, une épée dans son fourreau contre le coeur, affublée simplement encore de sa chainse de nuit, et, sans se faire remarquer, inspecta une à une toutes les chambres sans pudeur pour trouver laquelle était celle d'Agnès, se dissimulant à la vue des domestiques ou des résidants.
La gamine avait hâte de montrer, à Agnès, la jument et les poneys de Maman, ainsi que son épée gagnée à la loterie, et de passer du temps avec elle.

L'étage entièrement inspectée, la blondine fronçait un peu les sourcils, et décida de s'aventurer plus bas, jusqu'à suivre un charriot poussé lentement, éclatant de porcelaine, d'argenterie, et de milliers de merveilles gustatives qui avaient l'impudence de dégager des effluves maléfiquement attirantes, et de tordre son ventre affamé, et donnait à ses doigts quelques démangeaisons de chapardage. Mais ses pas prudents lui firent manquer l'entrée du charriot et elle préféra se cacher encore un peu, le temps que les potentiels témoins du forfait -les domestiques- s'éloignent du salon bleu. Si Caia était devenue plus sociable, elle évitait tout de même le maximum de contact avec les gens qu'elle ne connaissait pas.
Sur la pointe des pieds, lorsque le champ fut libre, l'eau à la bouche, elle s'approcha des portes, agrandit le regard en reconnaissant la voix d'Agnès qui traversait le bois de manière étouffée, et s'éclaira d'un sourire.

___ - Soyez sans crainte, vous n'entendrez certainement plus parler de moi.
Ni vous, ni Isaure, ni Caia ou quelque soit le nom que vous décidez de lui donner.


La petite muette se figea à ses mots, les doigts sur la poignée de la porte.
Le monde tournoya autour d'elle, devint flou, des murets tombèrent autour d'elle pour l'emprisonner, les voix devinrent diffuses, sans plus aucun sens. Le sol s'allongea, devint un entonnoir, et il lui sembla glisser ailleurs, en chute libre, loin, dans des ténèbres tourbillonnantes.
Agnès ne veut plus voir Caia ?...

La petite muette avait vécu dans une bulle monochrome, qui gravitait autour d'une grande bulle pleine de vie, de couleurs, mais qui semblait si dangereuse à la fois tant elle grouillait d'activités. Sa bulle sans couleur, avec d'autres petites bulles, gravitaient autour de ce monde. Sa bulle était sans vie, inconfortable, il faisait fain et froid tout le temps, elle y était seule. Mais elle y était bien. En sécurité. Jamais elle ne l'aurait quittée. Elle avait trop peur de la grande bulle pleine de couleurs, qu'elle ne comprenait pas, et d'où elle avait été éjectée. Elle savait qu'elle pourrait y mourir. Elle savait aussi qu'elle ne méritait pas d'y aller. Qu'elle n'était pas assez bien pour mériter y vivre. Sa toute petite bulle, faite de pierres ternes et inconfortables lui allait très bien. Il n'y avait pas de grand aulne dans sa petite bulle sans couleur. Il était dans la grande bulle.

Dans ses errances autour de la grande bulle, il y a eu des grands qui lui ont offert de venir vivre avec eux, qui ont tenté de la retenir. Mais la gamine n'avait pas confiance, elle avait trop peur. Chat échaudé craint l'eau froide, elle avait toujours fui sans bruit. Pourtant, Agnès fut la seule qui sut l'apprivoiser en deux soirs. Agnès lui battit une passerelle solide entre la bulle monochrome et la grande bulle. La blondine savait qu'elle ne lui mentirait jamais. Et Agnès avait même construit une route qu'elle pouvait suivre dans la grande bulle. Devenir Chevalier, comme elle. Protéger les gens.
Le Colosse de Pierre où vivait Agnès l'effrayait tout de même. La transition ne fut pas facile, passer de rien à tout était trop étrange pour Caia, et Agnès lui laissa sa liberté. Caia repartit sur les routes un petit peu.

Elle rencontra Arnoul. Elle rencontra Isaure. Isaure devait emmener Arnoul en Guyenne et voir Agnès à Toulouse. Isaure et Caia mirent beaucoup de temps à s'apprivoiser, à s'attacher l'une à l'autre, et à présent, Caia avait une mère, et un père, les meilleurs qu'elle n'auraient jamais même pu rêver avoir. Mais si au tout début, ce n'était pas pour retrouver Agnès, Caia ne serait jamais restée avec Isaure. Elle aurait fui, comme d'ordinaire. Avant qu'Isaure ne lui propose d'être sa fille, Caia avait rêvé de cette vie avec Agnès. Elle lui avait écrit, chaque fois qu'elle le pouvait. Alors même que les mots n'étaient pas encore des mots, mais juste des dessins qu'elle reproduisait, sans son, des symboles qu'on accolait à une chose ou à quelqu'un. Puis lorsqu'Isaure lui avait appris avec patience à noter les sons des mots par des lettres.
Il s'était passé beaucoup de choses. Beaucoup de choses jusqu'à ce que finalement Isaure, encore convalescente, emmène enfin Caia à Toulouse. Après son père et ses frères dans les flammes, après sa mère pour de l'argent, après Arnoul sans prévenir, Caia ne voulait plus être séparée de quelqu'un, elle ne voulait pas être séparée d'Isaure, surtout pas d'Isaure.
Agnès était au début de tout. Tout ce que Caia avait, c'était grâce à la passerelle solide que lui avait dressé la Saint-Just. Agnès serait toujours là. C'était la conviction de Caia.

Et Agnès ne mentait jamais.
Et elle venait de dire qu'elle ne verrait plus Caia.

Le nom Von Frayner fit revenir la petite muette dans l'antichambre du salon bleu.
Caia est Constance-Raphaëlle.
Comme un éphéméride épinglé dans la cuisine, mais dépassé de quelques années et auquel l'on ne fait plus attention depuis longtemps. Mais qui est toujours là. Et si on l'enlève, toute la pièce change.
Ah non, Caia ne l'est plus. Je ne sais plus. Caia n'est même pas mon vrai nom. C'est quoi, déjà ?...

C'est alors que l'ombre du grand aulne apparut à cette question. Il s'en venait. Encore. Finalement, il serait toujours là, à ses trousses.

Des pas se rapprochèrent, et Caia s'enfuit, trouvant refuge dans un coin du mur, derrière une statue. Elle aperçut à peine Maman qui entrait dans le grand salon à son tour. Elle resta prostrée, tremblante, l'épée tenue fort entre ses bras. Dans une ombre aux branches hautes et torturées.
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Isaure.beaumont
L’esprit encore embrumé par le sommeil, Isaure commença à remuer, un sourire bienheureux venant étirer ses lèvres desquelles s’échappa un soupir d’aise. Les yeux encore clos, elle savait le exactement comment se déroulerait sa journée. D’abord, elle soulèverait les paupières pour découvrir le visage de son époux encore endormi et après l’avoir longuement admiré et s’être enorgueillie d’être celle qu’il avait épousée, elle viendrait susurrer quelques mots d’amour à son oreille. Ils prolongeraient alors leurs retrouvailles. Puis il rejoindrait son conseil tandis qu’elle irait de son côté donner ses ordres pour le repas du soir. Elle s’arrangerait pour le croiser au détour d’un couloir et le détournerait pour quelques minutes de ses urgences. Viendrait alors l’heure du déjeuner qu’ils partageraient ensemble puis ils retourneraient à leurs obligations respectives : lui à son conseil et elle, à son entrevue avec Iwan, le jeune breton qui les avait escortées depuis Marmande. Enfin, elle s’inviterait dans le bureau comtal et corromprait de nouveau le régnant avant d’aller rejoindre leurs prestigieux invités. Ils profiteraient de la soirée et rejoindraient leur lit, heureux dans les bras l’un de l’autre.

Pourtant, quand sa main vint à la recherche du corps octavien, elle ne rencontra que le vide. Ouvrant les yeux, elle ne put que constater l’absence de l’époux et déjà elle se levait.


- Octave ?
Elle traversa la chambre pour trouver l’antichambre vide. Enfilant une chainse, elle poursuivit vers le bureau attenant qu’elle trouva également désespérément vide. Marmottant toute seule et alors qu’elle allait rebrousser chemin, son regard fut attiré par une lettre que l’on avait déposée sur le guéridon à son attention un peu plus tôt dans la matinée. Elle décacheta hâtivement le pli et vint prendre directement connaissance de l’expéditeur, un sourire venant épanouir son visage encore endormi. Agnès serait là… Agnès devait être là ! Elle se souvenait à présent d’avoir entendu sonner tierce dans son demi-sommeil. Ni une, ni deux, elle fit appeler Anna. Et c’est ainsi qu’elle déboula sans crier gare dans le salon bleu, parfaitement apprêtée et la mine avenante.

- Agnès !
Elle referma la porte derrière elle et s’avança vers Agnès, tout sourire. Lorsqu’elle passa devant son époux et qu’elle le frôla, elle tourna la tête vers lui et lui dégaina un regard courroucé avant de reporter son attention sur leur invitée.

- J’espère que vous pardonnerez mon retard. L’oisiveté armagnacaise ne me réussit visiblement pas. J’espère que mon ép…
Interrompue par le baiser d’Octave, elle le regarda rejoindre la porte et avant qu’elle n’ait pu réagir, il disparut.

- Ses mauvaises manières ? Mon époux se serait-il montré rustre ?

Elle reposa son regard sur celle qui avait été une figure phare de sa vie et pour qui elle avait encore aujourd’hui une très grand estime. Elle était alors loin d’imaginer l’échange qu’Agnès et son époux avaient pu avoir. Elle était à des années lumières de se douter des pensées de son ex-suzeraine.

Agnès n’avait pas tort, sans pour autant détenir l’absolue vérité. Isaure avait effectivement vu en Caïa un baume à ses plaies maternelles. Elle avait vu à travers elle cette enfant qu’elle n’avait pas connue, cette enfant que Judas avait effacé des mémoires pour le remplacer par un odieux héritier. Pire encore, elle lui avait fait don du nom de sa seconde fille, également disparue et dont Agnès ignorait encore totalement l’existence, fruit du péché. Alors oui, Gnia avait raison. Isaure dans un premier élan avait voulu remplacer ses filles disparues, combler ce vide cruel qui éclopait son existence. Mais au-delà de ses blessures, elle avait voulu offrir à la fillette une vie plus douce, un avenir serein. Et elle s’était persuadée qu’en faire son héritière était l’unique solution. Et si Octave ne s’y était pas opposé et n’avait pas offert à Caïa le refuge de sa paternité, c’est une Von Frayner qu’Isaure aurait présenté au monde. Ils avaient alors brodé ensemble une histoire dont se berçait souvent Isaure. Elle réécrivait son passé au parfum de leur mensonge et s’y promenait le cœur léger. Elle aimait cette réalité fabriquée, elle chérissait leur idylle fantasmée.

Cependant, contrairement à ce que pouvait croire Agnès, la Beaumont s’était rendue à plusieurs reprises à Toulouse, constatant à chaque fois l’absence de celle qu’elle avait toujours loyalement suivie et servie avant sa disparition. Il était des confessions qui ne se faisaient pas par écrit et Isaure s’était refusée à coucher sur le papier ses maux et ses peines, ses doutes et ses craintes. Elle s’était promis d’évoquer avec celle qui avait été sa suzeraine cette nuit où sa vie avait basculé, d’avouer ses péchés et de demander pardon pour ce silence prolongé.

Ainsi , la porte refermée sur son époux, elle avait pris place dans un fauteuil et entreprit de se servir de quoi manger. Elle leva la tête vers la Saint Just.


- Cela fait si longtemps que nous n’avions pas eu l’heur de nous croiser et de pouvoir échanger. Installez-vous donc, nous avons tant de temps à rattraper ! Voulez-vous quelque chose à manger ? Si vous saviez comme je suis heureuse de vous avoir à ma table !

N’était-elle pas charmante quand elle laissait l’enthousiasme étreindre son âme ? Elle avait accroché à ses lèvres le sourire des gens heureux. Comment n’aurait-elle pas pu l’être quand sous son toit – même provisoire – étaient réunis les êtres les plus chers à sa vie ?
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Gnia
Elle hoche imperceptiblement la tête lorsqu'il se lève à son tour, lui présente des excuses, ajoute des explications.
Puis elle hausse un sourcil alors que visiblement malgré lui, il recommence à nouveau à lui prêter des intentions qu'elle n'a pas, à entendre ce qu'elle n'a pas dit. Elle voudrait lui en faire remarque et à son tour s'en expliquer, mais ils sont interrompus. Rien qui ne pourrait être précisé ultérieurement, cependant.

La Saint Just a une moue furtive à l'entrée d'Isaure. Après cet entretien, elle n'a pas vraiment envie d'épiloguer. Le Comte lui murmure quelques mots et s'éclipse.
Elle avait prévu la dérobade en le plaçant en première ligne et c'était à présent lui qui se dérobait.
Elle poussa un soupir ténu et fit donc face à Isaure.


N...

Elle n'en place pas vraiment une tandis que toute l'exaltation naturelle de la jeune femme envahit la pièce et que disparaît le mari.

Je...

Dois partir ?
Elle ne sait même pas comment l'aborder tandis qu'Isaure l'invite à prendre place tout en babillant sur son bonheur de la voir.
Destabilisée ? Oui, un peu. Il lui semble retourner des années en arrière et retrouver la jeune fille d'une quinzaine d'année qui était venue vivre avec elle à l'Alabrena, à Montauban. Et les mêmes instants de flottement quant à l'attitude à adopter.
Désarmée ? Non, certainement pas. Elle est de ceux que l'imprévu aiguillonne et force à trouver des ressources inespérées.
Il s'agit juste d'envisager les choses sous un autre angle, de s'adapter à son vis à vis, aux événements. De réfléchir vite et d'agir bien.

Elle ne sourit pas.


Je...

Dois vous parler ?
Non, en fait non, elle estime que ce n'est pas à elle de parler. Même s'il le faudra tout de même un peu.

Elle prend une profonde inspiration et se laisse retomber dans son fauteuil. Elle pose les avants bras sur la table et se penche légèrement vers Isaure, son regard accrochant le sien.


Isaure. Votre époux m'a parlé de vos projets pour Caia.

Oh ! Un plat ! Et si je sautais à pieds joints dedans.

Pourquoi ne m'en avez vous pas parlé ? Pourquoi ne m'avez vous jamais écrit après votre décision de quitter Toulouse avec elle ?
Vous pensiez vraiment que je ne me sentirais pas concernée par ce qu'il adviendrait d'elle ? Que je ne m'inquiéterai pas de ne pas la voir revenir ? Qu'elle ne me gribouillerait pas quelques mots pour me demander si elle pouvait partir ? Elle a eu au moins la décence de se soucier de moi. Une enfant de même pas 10 printemps.


L'incompréhension se lit sur son visage tandis que le front se ride d'un pli soucieux.

Que je n'ai point votre confiance, passe encore, je m'en remettrai.
Mais que vous m'ayez comptée comme quantitée négligeable quant à ce qu'il allait advenir de Caia, quant à des décisions qui me touchaient personnellement, je ne comprends pas.
Sinon à me dire que vous me jouez une comédie en me faisant accroire que vous m'êtes attachée alors que ce n'est point le cas. Car vos paroles sonnent à présent bien faux et ne sont guère en adéquation avec vos actes.


Et ainsi qu'elle aurait pu le faire il y a des années de cela, elle lève sur elle un regard grave, la mine est sévère, la voix se fait impérieuse.

Isaure de Beaumont Wagner, épouse Beaupierre, si vous avez quelque chose à dire, parlez moi !
Expliquez-vous.
Il est temps.


Tu parles d'un chouette façon de commencer la journée et d'entamer son petit déjeuner.
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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.
Isaure.beaumont
Le raisin, fruit de saison et de déraison. Isaure en raffolait. L’œil brillant de gourmandise, elle vint en cueillir un sur la généreuse grappe qui ornait le plateau de victuailles. Le grain, rond et gorgé de soleil, fut englouti en un rien de temps. Ecrasé sans hésitation contre le palais isaurien, il libéra pulpe et jus que la comtesse prit le temps de savourer en fermant un instant les yeux. Ce petit voyage gustatif l’emmena en Béarn, sur ses terres de Saint Peyrus où elle se souvenait avoir repéré quelques vignes lorsqu’elle en avait fait son unique tour du propriétaire. Il faudrait songer à en faire planter bien plus, comme cela avait été fait autrefois à Miramont. Et des poiriers, aussi. Oh oui, il faudrait y planter de nombreux poiriers.
Quelques grains gobés plus tard, ce qui n’avait demandé que quelques secondes à la gourmande, elle s’était penchée au dessus du plateau à la recherche d’une poire mais hésitait finalement entre une généreuse part de pain d’épices et une sorte de petite brioche qui lui semblait tout à fait moelleuse. La main dansa quelques instants au-dessus des aliments, changeant de direction au gré de l’indécision de la Beaupierre pour finalement fondre sur la pâtisserie dorée. Elle en arracha délicatement un bout qu’elle porta à sa bouche en même temps que son regard fut capté par celui d’Agnès. Elle l’écouta, arquant légèrement les sourcils, interrogative, tandis qu’elle mâchait lentement la mie doucement sucrée de la briochette.

Elle venait de prendre une énorme de bouchée quand la Saint Just se fit autoritaire. La Beaumont, redevenue alors toute jeune fille devant l’impressionnante Salamandre, cessa de mastiquer, presque blême. Elle n’osait plus respirer mais il fallut bien qu’elle avale sa bouchée, déglutissant avec difficulté, pour donner réponse.


- Je…

Elle toussa, gênée par une miette de la brioche. Dans la caboche isaurienne, c’était la panique. Elle peinait à mettre de l’ordre dans ses pensées, qui se bousculaient et s’emmêlaient.

- Ce n’est pas ce que vous pensez, Agnès. Je vous assure que jamais je n’ai voulu … qu’à aucun moment je ne vous ai déconsidérée… Je… j’ai…

Elle perdait ses moyens. Elle perdait tout son panache et se retrouvait comme une enfant que l’on gourmandait. Misérable, les yeux embués parce qu’elle savait qu’elle avait déçu celle qui avait toujours été bien plus qu’une amie, elle se redressa, abandonnant le reste de la brioche sur la table. Tournant le dos à celle qui l’accusait et demandait explication, dissimulant son trouble aux yeux de sa vis-à-vis, elle arpenta la pièce, cherchant à calmer la course de son cœur, à dénouer sa gorge. Sans la regarder, faisant des allées et venues à travers le bureau, elle reprit la parole. La voix était agitée et il lui fallut une grande concentration pour la mesurer et en maîtriser le tremblement.

- Je n’avais pas le choix, Agnès. Tout est allé si … vite. Elle était là, devant moi. Je… j’ai parlé sans réfléchir, c’était une évidence et puis il a fallu repartir. Dana allait mal et il…

Elle se tourna soudainement vers Agnès, les traits déformés par une soudaine colère, comme si elle percutait seulement. Fébrile, elle frotta à plusieurs reprises ses mains moites sur le tissus de sa robe.

- Et je vous ai écrit ! Pour vous convier à mon mariage. Vous ne m’avez jamais répondu, ni n’êtes venue ! Je vous aurais parlé, à ce moment-là. Nous aurions échangé à ce sujet, si vous étiez venue plus tôt !

Elle s’avança vers celle qui avait été sa suzeraine, agitant un doigt accusateur.

- Vous n’étiez pas là. Vous n’avez jamais été là !

Ni maintenant, ni avant.

- Où étiez-vous quand la main de Judas bleuissait ma peau ? Où étiez-vous quand il a scellé mon destin, s’affranchissant des desseins que le Très-Haut me réservait ? Où étiez-vous, Agnès, quand j’avais besoin de vous ! Quand j’avais froid, quand j’avais faim ?! Quand je souffrais dans ma chair et mon cœur, quand je pleurais mes enfants perdus ? Où étiez-vous quand il fallait célébrer mon bonheur retrouvé ? Quand j'espérais vous présenter mon nouvel époux ?

Rage et larmes perdirent la voix de la Beaupierre. Elle l’accusait, parce qu’il était plus facile de le faire. Même si elle savait qu’Agnès n’aurait alors rien pu pour elle et que si elle avait seulement su, elle aurait pu être une main secourable.

Elle leva les mains, pour se calmer et informer qu’elle n’avait pas terminé. Elle respira un grand coup, étouffa un sanglot et alors qu’elle se pinçait l’arête du nez, cherchant à reprendre contenance, elle poursuivit d’un ton un peu plus calme :


- Je suis désolée, Agnès. Je suis désolée si mon silence vous a blessée. Je suis désolée si je vous ai laissé croire que vous n’aviez aucune importance pour nous. Mais sachez que je n’ai jamais voulu que vous vous sentiez négligée et négligeable. A aucun moment. Il est vrai que j’aurais pu vous écrire pour vous parler de Caïa, et de mes projets la concernant. Mais alors, je vous aurais rendu complice, Agnès. Complice de mon mensonge. Au moins n’avez-vous rien à vous reprocher, et si vous voulez me punir, faites. Faites, Agnès. Mais de grâce, n’impliquez ni Octave, ni Caïa. Je suis l’unique responsable.

Elle se tut enfin. Lasse et déconfite.
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Agnes.de.saint.just



Il lui semblait qu'elle n'était qu'une coque de noix au milieu d'une rude tempête. Elle ramassait des vagues puissantes en pleine gueule et se trouvait bien impuissante à tenter de maintenir la barre sur le moindre cap.
Et à la première accalmie, il ne lui restait que le sentiment d'être tout bonnement lessivée.

Elle avisa Isaure, le regard agrandi de surprise, un peu sonnée. Si elle avait été heurtée par ses mots, vivement piquée par ses reproches, le comportement de la jeune femme la laissait perplexe et elle ne savait guère quelle attitude adopter.

Elle musela la colère qu'elle sentait sourdre en elle, elle réprima ce qu'elle brûlait de dire, sa main vint machinalement triturer la fine cicatrice qui courrait le long de sa mâchoire, signe d'une intense réflexion.
Puis elle échappa un soupir ténu et avec un calme qui la surprit elle-même, elle s'adressa à celle qui fut sa vassale.


Je ne puis être là si vous ne me demandez pas d'aide. Je ne peux pas savoir ce que vous ne me dites pas.
Vous avez disparu, sans demander l'aide de personne, ne venez pas à présent me faire le reproche de ne pas avoir été là pour vous, car il sonne implacablement injuste.

Je ne peux pas être là si je ne suis pas disponible. Je ne suis pas venue à votre mariage, je ne vous ai pas répondu, il est vrai.
Je n'étais pas là. Mais pas seulement pour vous, je n'étais tout simplement pas disponible.


Ce n'était pas tout à fait vrai, mais dans l'absolu, la Saint Just sur cette période n'y avait été pour personne.

J'ai moi-même eu mon lot de déconvenues depuis le début de l'année et ait vécu des événements graves qui m'ont accaparé l'esprit plus que je ne l'aurai souhaité. Et j'ai manqué à vous écrire, oui. Et je m'en excuse.

Elle poursuit, la voix étonnamment douce au regard de ce qu'elle exprimait.

Si vous aviez voulu me présenter votre futur époux, si vous aviez voulu réellement échanger avec moi sur le sujet, vous ne m'auriez pas conviée à des épousailles auxquelles je ne puis de toutes façons pas assister. Je suis excommuniée Isaure, je ne me rends plus aux mariages depuis longtemps.
L'on ne parle pas de choses importantes le jour de son mariage. L'on a milles autres choses à faire et le contexte ne s'y prête absolument pas.


Elle hausse une épaule.

Quant à votre souci de ne pas me faire complice de votre mensonge, il me semble bien vain. Il était évident que je me soucierai du devenir de l'enfant que j'avais promis de recueillir et connaissant son passé, il était évident que votre mensonge rejaillirait un jour sur moi.
Et il est bien malheureux d'en venir à avoir désagréable entrevue avec vous et votre époux à ce sujet quand les choses auraient pu être mille fois plus simples.


Elle relève sur elle un regard certainement attristé.

Je ne sais pas quoi vous dire, Isaure.
Je n'ai aucun souhait de punir qui que ce soit. Je n'avais à coeur que de comprendre, d'apaiser mes inquiétudes, de vous proposer de l'aide, de vous proposer de renouveler le lien qui autrefois nous unissait.


Elle secoue la tête lentement.

A présent, je ne peux que déplorer vos égarements et regretter de vous avoir laissé le sentiment de ne jamais être là pour vous.
Et à la lumière de ce ressenti que vous avez exprimé, il me semble à présent que ma visite n'est à présent plus rien que quelque chose de parfaitement déplacé.


Elle se mordille la lèvre inférieure, le regard se perd un instant dans le vague.

Il est temps, je crois, que je vous laisse.
Je n'aurai pas du venir.


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Agnès de Saint Just ~ Ne pouvant se corriger de sa Folie elle lui donnait l'apparence de la raison.
Iban_etxegorri
On tapota sur son épaule. Le jeune homme marmonna quelque chose d'à peine audible et se retourna dans son lit, bien décidé à prolonger un peu sa nuit. On tapa un peu plus fort. Il marmonna un ton au dessus : "Fiche-moi donc la paix, bougre d'âne...". La troisième fois, ce fut d'un violent coup de pied qu'on l'envoya valser hors de son lit. "Debout là-dedans!"

"Pute-mère ! Sale chien !" rugit le rêveur malmené, l'esprit encore embrumé, tandis qu'il se relevait péniblement pour identifier celui qui venait d'interrompre son songe. Il avait tout juste sauvé Anna qui se baignait à moitié nue dans une rivière et s'apprêtait à la réveiller d'un baiser : a-t-on pas idée d'interrompre un rêve aussi doux?! Le garde riait à pleins poumons.

"Je vais te crever, pourceau." fulmina le garçon en tâtonnant pour saisir sa dague. Avant qu'il ne l'atteigne, le garde l'avait saisi par le bras.

"On t'attend en bas et vite, encore." grommela-t-il en secouant l'adolescent, nullement impressionné par son accès de colère. "Au petit salon, magne toi."

Le jeune homme se calma. Que lui voulait-on encore? S'il commençait à apprécier les entrainements du capitaine, ce genre de convocation impromptue dans les salons de réceptions n'était pas de bon augure. La dernière en date avait durement écorné l'image que le jeune homme se faisait de son paternel, et il redoutait qu'on la ternisse de nouveau. Pire, il s'agissait peut-être de lui signifier qu'on le remerciait et il se retrouverait alors dans la seconde sans toit et sans protecteur.

Tandis que le garde s'en allait, Iban s'habilla en toute hâte et ceint sa navaja à son flanc, comme de coutume. Il passa rapidement une main dans ses cheveux qui couvraient son visage, afin de leur donner un semblant d'ordre et se dirigea vers l'escalier.

Arrivé au petit salon, il patienta. On discutait dans la pièce voisine. Les voix étaient basses et lentes. L'échange devait être tendu. Il crut reconnaitre celle de la Comtesse, qui avait l'air dans un piteux état. Il lui sembla même par moment qu'elle était en sanglots. Peut-être venait-elle d'apprendre la mort d'un proche et qu'on allait le charger de s'occuper du corps. Cela ne lui serait pas bien difficile. Il avait déjà fait les poches des cadavres les plus répugnants qui soient aux alentours du gibet de Montfaucon.

L'autre voix lui était inconnue. Elle était grave et solennelle. On en sentait l'autorité. Probablement une femme d'importance. Un frisson parcouru l'échine du garçon. Il renifla. Il avait faim. Il redoutait les entretiens avec les gens de haute noblesse, beaucoup trop haute pour la petite estime qu'il avait de sa propre situation. Cette femme était sans doute Comtesse, elle aussi, ou Duchesse ou que sais-je encore. Il n'était qu'Iban de la maison Etxegorri, fils d'un vulgaire mercenaire basque dont il ignorait presque tous les méfaits et ne souhaitaient pas les connaître.
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