Iban_etxegorri Allongé de tout son long sur sa couche, Iban ne parvenait pas à trouver le sommeil, ruminant les déconvenues du jour, en particulier sa risible rencontre avec le Comte. Furieux contre lui-même en remontant dans sa chambre, comme pouvaient en témoigner les entailles qu'il avait imprimées à coups de dague rageurs sur l'une des poutres de la vieille mansarde, il s'était apaisé et regardait à présent fixement la charpente, l'esprit ailleurs.
Peut-être le sourire moqueur du Comte ne présageait-il pas qu'il dût rester pour longtemps encore l'objet de railleries. Après tout, son nouveau maître s'était montré avenant et ne l'avait pas chassé. Le rendez-vous qu'il lui avait donné le lendemain était l'occasion de lui montrer un meilleur visage et de prouver sa valeur.
En avait-il? De nouveau, l'agitation lui montait au coeur, mélange effervescent de frustration et de fierté. Tantôt ses pensées lui prédisaient un échec patent dans ce monde dont les portes lui semblaient bien trop hautes pour ses piteux moyens, puis dans un sursaut d'orgueil, son esprit le portait au mépris des sourires de pitié et des moues sarcastiques et hurlait en silence "ils ne savent rien de moi, et je leur prouverai." Tempête sous un crâne de quinze ans.
Un grattement fugitif le tira de ses ratiocinations. Le jeune homme se redressa et repéra l'indésirable. Elle fouillait dans sa gibecière à la recherche de quelques restes. Discrètement, il tira sa navaja et s'approcha du lieu du crime. En un éclair de lame et un coup sec, la souris se retrouva clouée sur le plancher.
Le jeune homme alla se recoucher. La nuit risquait d'être blanche. Ses ruminations reprirent. L'idiot qu'il était. Le sot. Le bouffon. Il prendrait sa revanche. Il allait réussir. Il pouvait. Il devait. Aurait-il dû? Pourrait-il? ...
Demain. Soleil. Cour. Il sauta de son lit et s'élança vers la fenêtre. Dehors, le soleil commençait déjà à faire pâlir les champs mais n'était pas encore paru. Il était peut-être encore temps. Il se vêtit en toute hâte, attrapa sa dague et son arc et dévala les escaliers. Dans la cour, le Comte était déjà là qui attendait en compagnie de deux autres hommes. Le premier, au visage buriné et fendu d'une longue balafre, couvert de fer de la tête aux pieds, était manifestement un guerrier endurci. Le second ne devait être l'aîné d'Iban que de quelques années. Il était blond et ses traits étaient fins. Du genre à avoir du succès auprès de la gente féminine. Iban n'eut pas le temps de les observer plus avant, conscient qu'il était d'arriver en retard et d'avoir gâté pour une seconde fois la chance qui lui était offerte.
"Mes...mes excuses, votre grandeur." dit-il entre deux respirations en arrivant au pas de course.
Une fois encore, l'entrée était réussie...
Iban_etxegorri En apercevant l'étagère, Iban se dit que la journée risquait de ne pas être de tout repos. Tant mieux. Le turbulent jeune homme ne savait de toute façon pas rester sur place et même s'il n'appréciait guère les règles, il aimait le défi. Sûrement le colosse qui ouvrait à présent l'armurerie pour en révéler le contenu saurait lui en fournir. Son compère du jour était quant à lui très calme. Il était sans nul doute plus expérimenté que le jeune vaurien aux arts de la guerre et de carrure plus imposante. Qu'importait ! Iban se promit de montrer à celui qu'il voyait pour le moment comme le rival du jour que du haut de ses quinze ans, il parviendrait à lui tenir la dragée haute si l'occasion s'en présentait. Il fallait à présent se concentrer et agir.
Leur tuteur vociféra ses ordres et le jeune coq s'approcha à vive allure pour récupérer ses affaires. Son compère d'infortune le gratifia de quelques mots et d'un sourire amical. Iban, à qui sa fierté d'adolescent lui interdisait d'y répondre, demeura impassible, mais il ne manqua cependant pas d'en ressentir l'honneur d'être considéré par un aîné et la première marque de ce qui pourrait devenir à l'avenir une franche amitié si la providence le voulait. En attendant, il passa sans traîner son plastron, empoigna son épée et commença sa course.
Le garçon était ce qu'on appelle dans le jargon militaire un chat maigre. S'il n'était pas bien gros, sa silhouette élancée avait été sèchement musclée par les rigueurs de la rue. Cela le rendait particulièrement agile et rapide. A cela s'ajoutait sa jeunesse et la fougue de son tempérament. Faire trois fois le tour de la cour au côté de son comparse ne présenta pour ce jeune nerveux aucune difficulté d'aucune sorte. Il revint au point de départ confiant, quoiqu'un peu inquiet quant à sa capacité de se montrer à la hauteur dés lors qu'il faudrait manier des armes trop lourdes. Sans broncher, il attendit avec impatience l'exercice suivant.
Iban_etxegorri Iban était fougueux et impatient. Elevé dans une fange où la survie servait de loi à tous, et où la liberté individuelle n'était limitée que par les coups de poings dans la gueule d'un plus fort que soit, l'adolescent s'était forgé un tempérament rétif et provocateur. Il ne se soumettait à une autorité que lorsque cette dernière lui prouvait qu'elle était digne d'intérêt, d'admiration ou de crainte. Les règles ne méritaient d'être suivies que lorsque celui qui les édictait méritait qu'on l'écoute, selon les critères du jeune homme. La raison, la coutume ou l'usage ne pouvaient rien, l'affect dictait tout.
Ebahi par les ors et la pompe de ce milieu si étranger au sien dans lequel il était tombé sans trop savoir par quel miracle, il vouait une admiration grandissante au comte et à son entourage dont l'imposant capitaine faisait partie. Aussi se montra-t-il, comme depuis son arrivée au château, fort docile aux injonctions bourrues du colosse. Après tout, il avait connu une brutalité bien plus perverse de la part des divers chefs de bande, coupe-jarrets, truands et tyranneaux qui peuplaient son enfance.
Avide de montrer son talent, il se mit sans broncher à faire ses pompes. Rien de bien difficile jusque là.
La partie théorique était d'un autre froment. C'était bien la première fois qu'on lui donnait la leçon. Gouttière... comme les chats, pensa-t-il en souriant. Concentre-toi, bougre d'animal. Etait-ce bouterolle ou bouderolle? Il hésita. Bourderolle ? Il avait déjà oublié.
Vint ensuite le temps d'observer son camarade s'exercer à l'épée. Le gaillard était bigrement doué. Iban resta fasciné par les mouvements amples et précis du combattant. L'appréhension de son passage imminent lui monta au visage aussi vite qu'elle descendait à son estomac. Que pouvait-il bien montrer après un tel bretteur, lui qui ne connaissait rien de l'art d'escrimer. Il aurait l'air d'une poule avec un couteau.
Le moment fatidique arriva plus tôt qu'il ne l'aurait souhaité. Redressant les épaules pour se donner un peu de contenance, il tâcha de rassembler tous ses esprits pour faire au mieux. Quitte à échouer lamentablement, mieux valait le faire avec un tant soit peu de panache. Embarrassé par cette arme bien trop longue et encombrante à son goût, lui qui n'était rompu qu'aux escarmouches faites de bonds rapides et de coup de dagues, il fit bientôt l'étalage de sa nullité crasse en matière d'épée. Dix fois, il s'élança pour tenter quelque chose contre son adversaire de tuteur, dix fois il fut touché au poitrail en deux temps trois mouvements. La onzième fois, son épée fusa dans l'herbe. La douzième, un puissant coup de coude l'envoya valser sur le sol boueux. Le garçon avait fait preuve de plus de patience en dix minutes d'humiliations répétées qu'il n'aurait été capable d'en montrer en deux si on l'avait bousculé dans la rue.
Lorsqu'il se releva, sa face rougie tremblait de rage. Il était sur le point de jeter violemment son arme parterre et de s'en aller en jurant à en faire défaillir tout un couvent, lorsqu'un étrange et impérieux mouvement intérieur lui intima de se ressaisir. Il se contenta de serrer les dents et de lancer sèchement à son instructeur en un haussement de menton:
"C'est bon ? t'es heureux ?!"