Gysele
- Les rayons d'un soleil d'automne percent la transparence d'une fenêtre pour venir éclairer la coupe de vin que je viens de poser après m'en être abreuvé.
- -Hm ...
- Je soupire, un peu de calme. La chaleur de l'âtre se diffuse agréablement dans la pièce et j'ouvre mon surcot pour me rafraîchir un brin, me laissant glisser dans le fauteuil en fermant les yeux.
De ton côté Gysèle, tu as passé ta nuit à tourner en rond, à réfléchir à ce que tu t'apprêtes à faire, à changer d'avis, puis à revenir sur ton idée de base, c'est à dire : celle de devenir la vassale de Benjen.
Ton état est proche de l'hystérie, c'est un tourbillon de pensées qui viennent supplanter les autres. Ton ventre n'a pas réussi à se dénouer, car tu es stressée. Toi qui es d'ordinaire si nonchalante et "jemenfoutiste", là c'est une nouvelle Ponthieu qui se manifeste. Visiblement, ce projet te tient à coeur, mais ta lâcheté habituelle menace de faire s'écrouler toute la cérémonie. Il suffit que tu oses balancer à Benjen cette soudaine envie de ne plus le faire et hop, plus de noblesse, plus de cérémonie....et peut-être plus de Salviac non plus tellement tu l'auras foutu en rogne. Misère de misère. Tu es frénétique, tu te ronges les ongles, prends une tenue, la reposes, en sors une autre. Tu n'as même pas réalisé que le jour s'est levé, que le Baron s'est éclipsé pour aller prendre un peu de calme loin de ton agaçante agitation et qu'il serait peut-être temps de te préparer.
Ajoutons à cette angoisse, la pression de faire bonne impression car on sait tous d'où tu viens et quel scandale tourne autour de ton anoblissement. Tu veux être irréprochable et fermer le clapet de ceux qui bavent dans ton dos à coup de propos blessants. Bien que vous n'ayez invité que des personnes que tu apprécies, tu sais que pour certains, il sera difficile de faire oublier tes talents de "lavandière".
Tu as une sale gueule Gysèle. Tu es pâlichonne, tu as des cernes et tes cheveux en broussaille n'augurent rien de bon pour ton futur brossage. Mais t'es à mille lieues de te préoccuper de ça pour l'instant, car ce qui te fait froncer les sourcils c'est de réaliser que ton compagnon s'est fait la malle. Tu te redresses, une robe sur l'épaule et une dans chaque main. Toi, tu ne portes qu'une chaisne de nuit et c'est dans cet accoutrement que tu sors en trombe de la chambre pour rejoindre le salon où "Monsieur" s'enquille tranquillement son verre de vin. Attention Benjen, ton pire cauchemar vient d'arriver !
- 'Tain j'hallucine ou quoi ! T'm'as abandonnée !!!
Et bien sûr, tu ne remarques pas tout de suite combien il est beau dans sa tenue de cérémonie. Sans quoi t'en aurais perdu tes houppelandes et ton air farouche pour lui sauter dans les bras. Oui t'es comme ça Gygy, un rien peut te faire changer de cap.
- Je sursaute légèrement lorsque les portes s'ouvrent avec fracas. Ambres se dévoilent après quelques clignements, et je chasse le sommeil de quelques frottements, avant d'exprimer ma contrariété d'un grognement.
- -'Tain toi même !
- Je braque mes dorées courroucées sur la rouquine qui en est clairement encore à l'état dans lequel je l'ai laissée, "en stress". Je n'en pouvais plus, il fallait que je m'éclipse sans quoi je l'aurais probablement étranglée.
- -Je n't'ai pas abandonnée ! T'es en train de tourner en rond depuis hier ! Agaçante créature !
- Je me redresse un peu dans mon siège, tirant sur mon surcot taupe pour l'ajuster nerveusement. Elle me rend nerveux avec ses conneries ! J'en suis à me demander si je prends vassale ou épouse aujourd'hui. Elle complique tout, je ne tiens qu'à l'aider, à montrer au monde quelle bonne personne elle est. Je veux juste la rendre heureuse. Mais il semblerait qu'elle ait décidé de me le faire payer de ma patience !
Pogne se lève pour que les doigts énumèrent :
- -Pendant ce temps, j'ai eu le temps de dormir, me laver, m'habiller et manger ! Et toi ! Toi t'es toujours pas prête ! Qu'est-ce que t'attends !?
As-tu seulement écouté tout ce qu'il t'a dit Gygy ? Ou bien t'es-tu perdue quand tu as remarqué -enfin- qu'il était superbe. Et pendant que lui te rouspète dessus légitimement, tu en as perdu ta voix quelques secondes. Bouche entrouverte, yeux ronds et presque de la bave au coin des lèvres. Presque. Oh que tu es agaçante Gysèle. Il a raison de le souligner. Tu es trop instable, tu vas le rendre fou à force de changer d'humeur comme une sauterelle. Si lui a pu dormir un peu, tu te doutes que tu l'as déjà épuisé psychologiquement. Tu sais qu'il t'aide et à la fois tu es certaine de ne pas le mériter et inconsciemment tu veux le lui prouver.
-...Pas prête ?...
Finis-tu par articuler d'une voix incertaine. Et là, c'est comme si toute la réalité te rattrapait. Tu réalises qu'il a raison, que tu as tort. Et surtout, que t'es sacrément en retard. Pour peu tu iras te pointer à la cérémonie comme ça et bon... tu es presque certaine que ça ne choquera personne de ton entourage. Néanmoins tu imagines déjà l'air outré d'Isaure, les gloussements de Jörgen et les yeux moqueurs de Lucie ou Valentine. Sans oublier les saletés que pourront te balancer Maurice ou Pierre. Au fond, il n'y a qu'Octave et Madeleine dont tu es à peu près sûre du choix de ne pas commenter par extrême politesse. Non, non, non, c'est impensable ! Tu ne vas pas te ridiculiser, pas de ton plein gré.
-Bordel.. j'suis en retard ! Affreusement en retard ! Salviac, tu es beau. Dis, tu m'aides ?
Ou comment glisser un petit compliment alors que tu lui présentes les trois tenues choisies. Tu as fouillé dans tes plus jolies robes, celles récoltées dans ta vie passée. Celles que tu brûleras ensuite pour l'enterrer définitivement. L'une a une coupe à l'italienne, tu te rappelles l'avoir porté à l'ouverture de l'Aphrodite. Elle est d'un profond bleu roi et ses manches sont joliment ouvragées. La seconde est d'un vert très pâle, une ceinture dorée faite pour ceindre à ses hanches et tomber le long des jupons, un liseré de la même couleur suivant le décolleté. Quant à la troisième, tu l'avais sûrement embarquée sans faire attention car il s'agissait plutôt d'une tenue osée, réservée à tes anciens clients et qui était visiblement plus que transparente. Mais c'est pas comme si toi Ponthieu, tu étais concentrée à cet instant précis. C'est plutôt avec beaucoup de sérieux que tu attends le verdict masculin pour enfin passer à la suite des préparatifs.
- Occupé que je suis à l'observer, je lis clairement les émotions diverses qui passent sur son visage. J'en profite pour laisser mon regard vagabonder sur elle. Les cheveux en bataille, simplement vêtue d'une chaisne sous laquelle se dessinent les formes que j'affectionne. Je les imagine foutrement bien, pour les avoir parcourues des heures durant. Aussi emmerdeuse qu'elle soit, elle a le don de m'apaiser. -Et de m'éveiller aussi- D'ailleurs, son compliment, aussi rapidement glissé soit-il, m'arrache un sourire qui efface l'air grognon qui était peint sur ma trogne. Je prends le temps de le savourer en m'offrant une nouvelle gorgée de vin, peut-être va-t-elle enfin devenir raisonnable ? Je glisse un regard sur ma tenue, une cotte en lin, couvert d'un surcot ouvert à manches longues en peau et lin le tout dans les tons taupe. Une ceinture et des bottes en cuir terminent ma tenue.
- -Toi aussi, tu es resplendissante.
- Hop ! Un petit compliment aussi, ça fait pas de mal, et ça va peut-être l'aider à se calmer un peu plus encore ? Je quitte mon fauteuil pour la rejoindre, et mes lèvres s'abreuvent d'un baiser aux siennes. Avant que je ne pose mon regard sur les tenues qu'elle a apportée.
Il se fout de ta gueule un peu le Baron. Mais tu apprécies le compliment qui mine de rien te fait du bien. Là tu prends tout ce que tu peux prendre et tant pis pour les petits mensonges, ce genre là est tout à fait acceptable !
- -Hm ... Tu aurais pu poser la question à une domestique, je ne suis pas doué en vêtement, tu l'sais bien ...
-Ce n'est pas elle à qui je vais faire honte si j'en porte une mauvaise !
- Délicatement, je prends la plus transparente des trois et la tends pour l'observer avec attention. La transparence se voit au premier coup dil, et j'ai une bien meilleure idée quant à son usage. Sourire malicieux se dessine sur mes lèvres tandis que mes ambres taquines se posent sur elle.
- -Pas celle-là ... Garde-la pour ce soir ... Je prendrais plaisir à te l'arracher ...
- Comment ça je prépare ma nuit de noce ?
-T'en rates pas une... Mais j'te l'accorde... j'sais même pas c'que je fous avec celle-là.
- Lorsqu'elle lève celle à la coupe italienne. Je penche la tête d'un côté, puis de l'autre. Elle n'est pas moche, loin de là. Mais il me faut voir l'ensemble avant de faire mon choix.
- -Fais-voir l'autre ...
- Je tire sur l'autre pan de la robe qu'elle offre à mon regard, verte, très pâle. Elle me parait plutôt jolie aussi, difficile de faire un choix et dans le doute :
- -Hm ... L'un de ces deux-là ... Mais laquelle ... J'aime bien les deux ... Fais ton choix ! Je suis sûr que tu seras ma-gni-fique ! Que ce soit dans l'une ou dans l'autre.
- Ou, comment se dédouaner d'un choix vestimentaire en une leçon. Moi, je n'ai pas eu de mal, j'ai même eu plutôt de la chance. Cette tenue, je ne l'ai portée qu'une fois pour jouer les modèles lors d'un défilé auquel j'ai participé pour mon ex-belle mère. C'était enfin l'occasion de sortir ça de ma malle !
-Mmh...merci pour ton aide...
Tout ça pour ça... Merci Benjen Windham pour ce positionnement intransigeant. Tu roules des yeux Gygy, mais bizarrement tu t'es aussi un peu calmée. Sans doute est-ce la sérénité de Benjen, même face à ta crise, qui t'a un peu ramollie dans ton état d'urgence. Il ne semble pas plus inquiet que ça. Alors que tous les yeux et commérages sont braqués sur ce choix qu'il a fait d'élever une putain au rang de noble, lui, il continue de picoler son vin comme si de rien n'était. Ca te dépasse un peu. Tu ne comprends pas toujours cet homme ni ses ambitions. Tu n'entends pas qu'il puisse mettre à mal sa réputation et donc forcément son prestige pour toi, vulgaire fille des rues. En réalité, le problème doit se poser à l'envers : toi, l'aurais-tu fait à sa place ? Sans doute pas. Et c'est là que tu te rends compte combien tu es attachée au matériel, au confort et à la sécurité que ça apporte, alors que Salviac, outre ses côtés radins -qui ne sont en réalité que des façades - ne semble pas apporter la même valeur à ses possessions. Il prend soin de toi, comme si c'était ton bien-être là qui comptait le plus et rien d'autre.
Parfois, quand tu n'as pas le moral, quand tu penses encore à Louis-Marie, perdue dans une crise de nostalgie vorace. Tu t'interroges sur les raisons de ton futur suzerain. Tu te demandes si c'est juste pour tes fesses et l'instant d'après tu te reprends en te disant que c'est impossible que ce ne soit que ça, puisqu'il a enduré bien des tracas et des tourments et qu'il t'offre davantage qu'une robe ou des bijoux. De plus, le barbu n'aurait aucune difficulté à se trouver une amante si là était le besoin. Alors, ça te fait mal de te l'avouer, mais tu finis par admettre que tu lui plais et qu'il t'estime. Ce mot "estimer" a une résonance particulière à ton oreille. Toi qui ne te vois depuis petite qu'à travers le regard de tes clients ou celui de ta mère, ta vision se trouve souvent faussée et erronée quant à ce que l'on pense vraiment de toi. Il y a donc sous une couche de fausse assurance, un terrible manque de confiance en ce que tu es capable d'accomplir. Et c'est au fond cette zone floue, cette part d'inconnue qui te rend aussi nerveuse aujourd'hui.
Après un second baiser beaucoup plus serein, tu finis par quitter la pièce, rebroussant chemin avec déjà plus d'aplomb dans les pattes. Du nerf Gygy ! T'as su mener tant de monde au septième ciel, tu peux bien tenir une cérémonie à l'aise !
- Gysèle envolée, je pousse un long soupir. Pfiouuu ! Je m'en suis pas trop mal tiré ! Détournant le regard, ce dernier tombe sur le verre abandonné. Une dose de courage liquide, j'en ai besoin. Je m'en viens donc ceindre la coupe pour en vider son contenu, et la repose bruyamment sur la table. L'air résolu, j'annonce :
- -Bon ! Allons voir où ça en est.
- Les invités vont commencer à arriver, et Alfred, un vieille homme grisonnant, presque chauve et moustachu, qu'il s'est choisi pour intendant, doit sans doute déjà être prêt à les accueillir.
Et pendant ce temps, toi Ponthieu, tu auras fait une toilette rapide, tu auras réussi à débroussailler ta longue chevelure rousse et tu auras même pu enfiler des bas et ta robe sans l'avoir encore lacée, trop concentrée que tu étais à chercher tes souliers à quatre pattes dans la chambre en appelant "Petits petits petits !!! Où êtes vous nom de Dieu !". Comment ça, les invités arrivent ? Tu n'es pas prête ? Quelle surprise !
Très long post (navrée !) rédigé à 4 mains avec jd Benjen
_________________