Axelle
[Les Yeux d'Hadès]
Ici, les bottes claquaient et le fer grinçait. Les rires n'étaient pas étouffés, mais gras et rauques. Pas de soie ni de parures mais le cuir et l'odeur de la sueur. Quand ce n'était pas celle de la pisse. Bref, l'opposé de l'Aphrodite dont les murs pourtant étaient mitoyens. Et si la manouche gardait la main mise sur la milice, si elle offrait facilement son aide à son époux, le luxueux établissement n'était plus sous son contrôle. Et c'était très bien ainsi.
Aussi, lorsque des petits pas légers et pressées résonnèrent dans les couloirs gris de la milice, elle releva le nez, intriguée. Ceux-ci appartenaient au monde luxueux d'à côté et qu'ils se perdent de ce coté-ci du mur était plutôt inquiétant. Aussi, avant même que la porte ne soit frappée, elle fut ouverte. La petite femme de chambre devant elle ouvrait des yeux agrandis de frousse de se retrouver en pareil endroit et ses iris noisette virevoltaient dans tous les sens quand pourtant, il n'y avait rien à voir hormis la tristesse de murs. Se tordant les doigts, la jeune fille, se pressa de parler. Thiberian Baccard voudrait vous entretenir. Il est au petit salon de l'Aphrodite. Et de rouler des yeux inquiets. J'peux... y retourner ?
[L'Aphrodite]
Autorisation évidemment donnée dans un petit sourire amusé, après avoir demandé de prévenir son Faucon d'époux de l'entrevue, la manouche à son tour quitta son bureau. Si la jeune soubrette devait faire le tour par l'extérieur, il suffit à la Pupille de déverrouiller quelques portes débordées avant de se présenter au petit salon, sa tenue d'homme gansée de cuir et le bandeau sombre emprisonnant ses boucles contrastant brutalement avec le luxe de la pièce. Elle ne connaissait pas vraiment Thibérian, mais doutait que le montagnard en ait quoique ce soit à foutre. Elle savait pourquoi il était là. Aussi, sobre, hocha-t-elle la tête d'un franc salut.
Le bonjour votre Grâce.
Axelle
A la réponse du montagnard, un sourire glissa au coin de la bouche manouche.
Allons donc, je suis parfois naïve, mais jamais vous ne me ferrez croire que vous puissiez être prude ou bien effarouché devant quelques gouttes de sang suivant de quelle autre partie vous parlez. La manouche secoua la tête. Non, définitivement non, l'homme face à elle n'avait rien d'une jeune fille en fleur. Mais le sujet n'était pas là. Parlons peu mais parlons bien. D'un bras tendu, elle l'invita à s'asseoir dans le velours d'une causeuse où elle-même tomba sans se faire prier.
Je ne suis ni directeur ni propriétaire de l'Aphrodite. Si la domestique n'est pas trop empotée et parvient à débusquer le grand patron, il nous rejoindra sans le moindre doute. Si elle se révélait trop nigaude, chacune de vos demandes lui seront transmises de ma bouche afin de pouvoir les satisfaire au mieux.
Et tortillant la bouche, réalisant l'oubli. D'ailleurs, souhaitez-vous boire quelque chose ?
Voui, elle n'était pas directrice et vu la piètre hôtesse qu'elle était, c'était assurément une bonne chose.
Axelle
Et le sourire de la manouche de s'élargir davantage sous les sous-entendus pas si sous-entendus que ça du montagnard.
Oh, je vous avouerais sans mal que nous n'engageons guère la domesticité selon leur intelligence, tant qu'elles se taisent, c'est parfait. Pour les galantes, c'est effectivement différent. Point de cruches, évidemment, sans quoi l'Aphrodite ne serait pas l'Aphrodite, mais une maison de passes. Elle aurait bien conclu sur un clin dil, mais ronchonna doucement.
Zut, moi qui espérais que vous demanderiez du génépi. Et de hausser les épaules en se levant. Je ne sais pas pourquoi tout le monde hors en LD trouve ça imbuvable, du coup, je n'ose plus en boire moi-même, j'aimais bien pourtant.
Et de héler une soubrette afin qu'elle ramène vins et fruits avant de refermer la porte du petit salon. Avant toute chose, souhaitez-vous que l'Aphrodite vous soit entièrement réservée à tous deux ?
Axelle
« Et vlan, mange-toi ça dans les dents Casas. »
Oui, bon, il n'avait pas tort. Vrai qu'un temps Embrunaise d'adoption, la manouche, au fond, n'avait jamais été autre chose qu'une indécrottable sudiste. N'en demeurait pas moins qu'elle n'avait aucune envie de chartreuse ou de vin de noix, mais bien de génépi, histoire, un instant, de retrouver cette vie passée au point qu'elle se surprit à ouvrir la bouche pour demander des nouvelles de Felryn. L'Ours aurait dû ramener ses grognements à Paris depuis belle lurette, et rien. Si elle commençait à s'en inquiéter, elle n'en disait rien et ce fut bien ce qui lui fit refermer la bouche, tout en se promettant bien de jamais, ô plus jamais, prononcer « génépi » devant quiconque et de garder ses travers savoyards pour elle seule. Sauf qu'il n'y avait rien de plus triste que de boire seule, aussi, autant oublier la liqueur pour de bon. Deuil cruel. Comme le ragoût hérisson. Vie despotique.
Sortant de ses profondes pensées sur l'injustice de la vie par un petit coup porté à la porte, la manouche, taiseuse, suivit des yeux la soubrette toute occupée à déposer le plateau sur un petit guéridon et qui sapprêtait à servir quand la Casas la congédia laconiquement, se levant pour, elle-même, remplir les verres, en tendant un au montagnard.
Et d'un petit sourire en coin, mirettes relevées vers son interlocuteur en écoutant sa réponse. Si ce n'était pas possible, je ne vous l'aurais pas proposé. Tout est possible ici. A moins, évidement, que vous n'invitiez la Reine les poches pleines d'oursins, ce que je ne peux croire. Et d'élargir son sourire d'une taquinerie pleine avant de se redresser pour reprendre sa place. Auriez-vous des demandes ou des envies particulières ? Hormis évidement d'exclure tout ce qui puisse venir de Savoie ?
Axelle
Aux mots du montagnard, la manouche cligna des yeux incrédules. Vraiment, il se souvenait de son passage plus que rapide à l'Ost dauphinois ? Bigre, sacrée mémoire qui se prélassait entre les tempes blondes de son interlocuteur. Et si, elle, elle devait se souvenir de quelque chose, c'était bien de cela. L'ombre du regard nuageux de l'Ours voilant furtivement le sien, elle laissa enfin la virgule blanche de son sourire lui barrer la figure au rire résonnant dans la pièce.
Puis haussant les épaules, parce que oui, certainement, elle lui devait bien cela au vu de sa démission tombée du ciel du jour au lendemain. Ce n'est pas moi qui décide des prix, mais soit, je verrai à faire de mon mieux pour vous obtenir une remise. Comment s'y prendrait-elle, ça, c'était une autre affaire et nul doute que face à son Faucon d'époux, elle devrait se montrer particulièrement habile. Le sourire à sa bouche se fit plus énigmatique alors qu'elle se mordit brièvement la lèvre à la pensée des possibilités s'offrant à elle pour y parvenir. Privilège d'être femme. Plus remontant le regard, ajouta sur le même ton amusé. Surtout si vous m'invitez un de ces quatre à boire un verre de génépi. Oui, ne jamais prendre le nord, ça elle savait faire aussi.
Reprenant un air sinon plus sérieux, du moins plus appliqué, elle poursuivit avant de prendre une gorgée de vin. Ce qu'il me faut savoir, c'est si vous souhaitez avoir la compagnie de galants ou galantes pour vous divertir et vous servir, que nous nous assurions d'en avoir de disponibles ou si vous souhaitez rester en tête à tête. Et également si vous avez des préférences pour le menu.
Axelle
Elle avait toutes les raisons du monde de se réjouir. Un verre de génépi en prévision et le coin de son oreille droite oui, la gauche étant un peu moins fine avait parfaitement repéré le claquement des bottes de son époux qu'elle commençait à bien connaître. Un claquement sec et décidé. Et c'était une très nouvelle qu'il arrive tant la manouche était peu à l'aise avec les histoires de gros sous. Si dépenser le sien n'était jamais vraiment un souci, en demander était foutrement plus compliqué, soit-elle dans son bon droit. Aussi déjà, les traits manouches sapaisaient, si toutefois ils avaient pu être tendus, ce que le montagnard lui avait épargné, étant de ce genre d'homme franc du collier et sans arrière-pensée avec lesquels elle était à son aise.
Pourtant, le sourire qu'elle affichait clairement se cassa doucement la figure jusqu'à la laisser bouche bêtement ouverte, son regard noir filant de l'un à l'autre, marqué d'une stupeur pleine. Entre l'un qui était tête en l'air au point d'avoir oublié que la Reine foulerait le seuil de l'établissement et l'autre qui en profitait pour retourner la facture, il y avait là de quoi en perdre son latin. Et elle le perdit, son latin, si tant est qu'elle ait su un jour le déchiffrer. Parce que oui, oui oui, et re oui, elle avait bien prévenu Justin de la correspondance. Oui, elle s'en souvenait. Elle était entrée dans la chambre de son époux, un maigre rayon de soleil découpait son profil racé avant de glisser dans le col de sa chemise ouverte. Ah, oui, elle s'en souvenait, comment pouvait-on oublier ça ? Impossible. Alors, à cet instant précis elle avait ouvert la bouche pour lui faire part de la nouvelle. Il avait tourné la tête à son approche, l'air curieux et là... Oh, m*rde... Là, le plan avait dérapé. Devant les deux hommes elle pinça les lèvres, parce que cet oubli-là jamais ô grand jamais elle ne l'avouerait pour des raisons diverses et variées. Et puis de toute façon, ce n'était pas sa faute, mais la faute de Justin d'avoir ce profil là et de n'avoir pas fermé sa chemise au plus serré de son cou. Voilà. C'était la faute d'Aunou, pas la sienne !
N'en restait pas moins que la situation qui en découlait était des plus rocambolesque, alors secoua-t-elle la tête.
Justin, je te présente sa Grâce Thiberian Baccard qui souhaite inviter la Reine à l'Aphrodite, puis glissant un regard plus bavard que sa bouche sur le montagnard, ajouta, en toute discrétion évidemment. Thiberian, permettez-moi de vous présenter mon époux, Justin d'Aunou le Faucon. Oui, bon, le montagnard l'avait bien compris, mais remplir le vide quand elle savait pas quoi dire pour se sortir de ce mauvais pas lui semblait alors une solution des plus honorables. Surtout quand elle n'en avait aucune autre.