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[RP] Le Vase de Soissons

Anaon


       _ Je n’ai pas voulu Dame, je n’ai pas voulu... je vous le promets…
       _ Mais il faut la mariée ! Sinon… Sinon c’est la honte et l’déshonneur !
       _ Mais je ne suis pas grosse !
       _ T’as pas saigné ! Ta mère l’a dit ! Ô Dame, convainquez-là, qu’elle ne nous mette pas dans l’humiliation !
        _ Un enfant né hors-union aura du mal à trouver les grâces du Très-Haut. Seules les épousailles pourront rattraper cette erreur.


       Dans la salle où se tiennent les doléances, se livre une bataille acharnée depuis quelques instants. Au centre, un père serf, venu mander à ce que soit réparé le mal fait à sa fille déflorée et sans doute engrossée. Flanquée à ses côtés : la “gourgandine” incriminée, les yeux rougis par les larmes et les joues brûlées de honte et de désespoir. Derrière eux, debout et menotté entre deux gardes, l’amant inopportun aux ardeurs trop empressées.

       _ Il ne s’agit pas là d’une simple impatience de jeunesse enfin ! Il est question de viol !

        Lambert, le capitaine des Palazures, ayant claqué la vérité au nez du curé, creuse le silence dans cette assemblée circonspecte. Siégeant à sa droite, derrière la longue table où ils rendent la justice, le soldat brave le représentant de l’Eglise. Et elle, entre les deux, écoute, lassée et résignée, la triste absurdité de l’humanité.

       _ Oh là ! Je n’y peux rien si cette péronnelle s’est offerte sans grande résistance !

       L’œil bleu se pose sur le présumé coupable, connu, déjà, pour maints petits méfaits qui, surprenamment, ne lui avaient pas encore coûté ses mains. Il suinte, de par son calme trop assuré, d’une offensante arrogance, parfaitement conscient que dans ce monde misogyne, la loi et la religion sont de son côté. Il n’a rien d’une grande stature, à peine une grande gueule. Il est même d'une allure absolument banale. Quoique partageant, selon elle, quelques accointances avec le rat. Ou peut-être bien la hyène...

       _ C’n’est pas vrai ! Il ment !
       _Es-tu bien consciente, ma fille, de la gravité des accusations que tu portes envers cet homme ?


       La tête pivote à peine, tendant l’oreille plus que le regard vers le curé. Ainsi est la cruauté du monde. On ne demande pas à un homme de plaider son innocence, mais l’on exhorte aux femmes de prouver leur non-mensonge. Porter ainsi atteinte à la Sacro-Sainte virilité est un blasphème et c’est souvent par la torture que ces malheureuses doivent prouver leur bonne foy. Combien ont préféré se faire passer putains plutôt que de se voir “soumise à la question” ? Les doigts brisés d’une célèbre et future Artemisia Lomi Gentileschi attesteront de la résistance de certaines. Mais à quel prix ?

       _ Avez-vous demandé à une accoucheuse de vous examiner suite à cet acte ? Elle aurait pu attester de l'agressivité, ou non, des faits...

       La voix du capitaine se fait gênée, mais le “non” penaud de la gamine l’est plus encore. Ces grands yeux avouent le désespoir qui l’envahit d’avoir ainsi manqué l’occasion qui aurait pu la sauver. Le visage encore rondelet de l’enfance, son corps tenant la promesse des galbes des femmes pulpeuses ; ses longs cheveux châtains et ses pommettes mouchetés d'éphélides rayonnent encore d’une profonde candeur. Sans doute a-t-elle seulement l’âge d’avoir ses premiers saignements.

       _ Dame s’il vous-plaît ! Faîte entendre raison à cette entêtée avant que cela se sache et qu'la honte soit sur nous !
       _ Nous savons tous, de toute façon, que la seule solution pour éviter à ce pauvre homme de subir l'anathème est de marier sa fille à l’homme qui lui a retiré son innocence. La confession suffira à ce dernier pour laver la faute de son empressement.


       Elle écoute, éternelle spectatrice de ce tribunal quotidien, le coude appuyé sur son siège, son menton dans sa main, l’index droit contre sa pommette. Il est rare qu’on l’entende parler un jour de Doléance. La Dame, toujours régnait sur son monde s’en faire grand bruit. Muette, elle laissait au curé et à Lambert le soin de débattre des solutions, accordant son assentiment d’un signe de la main ou d’un hochement de tête. Rarement avait-elle à intervenir, la sagesse de Capitaine rodée par les années à effectuer cette tâche en solitaire, bien avant qu’elle ne vienne poser son séant sur le siège seigneurial de Denée. Cette apparente passivité, loin de lui donner l'apanage de l'inutilité la rendait au yeux de son peuple plus inquiétante encore. On s’adressait toujours à elle, glaciale de silence, quand ses yeux bleus scrutateurs jugeaient dans un calme bien trop dérangeant le moindre de leurs mots et de leurs gestes. Pensées éternellement inaccessibles, l’on attendait que sa bouche s’exprime alors par la voix d’un autre, pareil à un moineau sous le nez du serpent, pétrifié dans l’attente de se faire dévorer ou non.

       _ L’accusation est grave oui, justement, au vue de l’âge de la victime il serait...
       _ “Victime” est pour le moment sans doute mal employé. Les péchés sont toujours partagés, Capitaine, Il faut attester de cette potentielle vérité avant de proférer de tels jugements...


       Une nouvelle plainte du père, une supplication de la fille. Elle pourrait condamner le seul et unique coupable de cette odieuse histoire, clamer l'innocence de la jeune fille, arguer que son honneur n’a pas à être remis en cause par l’ignominie d’un autre... mais cela ne changerait rien… Les mœurs et les dogmes sont ancrés dans ces âmes plus solidement encore que les hesses d’un boucher dans les carcasses des porc. Tels des moutons ayant toujours vécu dans l’enclos à qui l'on ouvrirait la clôture pour la liberté, ils y resteraient cloitrés, trop peureux pour s’en échappent ou finiraient, dehors, entre les mâchoires d’un loup, incapables d’appréhender ce monde inconnu de tous les possibles. Parfois, le “meilleur” nous semble évident. Et puis l’on comprend que ce qui est prégnant pour soi ne l’est pas pour les autres... Ainsi naissent les dictateurs : ils tentent de forcer le monde aveugle à suivre leur vision du "Meilleur".

       _ Pitié Dame ! Je ne veux pas…
       _ Tais-toi ! Cesse ton égoïsme et pense à ta famille ! Imagine ce qui se…

       _ J’ai entendu.

       Le silence s'abat tel un couperet. La balafrée se redresse sous les regards surpris des présents. Tous se figent d’un même élan. Les gardes eux-mêmes, stoïques et l'air absents, osent un regard inattendu en sa direction.

       _ Tu demandes réparation et tu es dans ton bon droit. La seule solution pour sauver la dignité de ta famille avant que le scandale ne s’ébruite est de marier ta fille à son amant d’un soir. Qu’il eut s’agit de viol ou de consentement importe peu, tant qu’aux yeux du Très-Haut les choses reviennent à leur bon ordre. Ainsi en a-t-il toujours été.

       Regard et sourire condescendant sont offerts à l’homme d’Eglise qui, bien que sentant le reproche, se pare d’une mine de satisfaction, insensibles aux jérémiades de la gamine ainsi condamnée.

       _ Puisque qu’il te faut te préserve de la honte, demain à midi tu seras mariée à l’homme qui t’as engrossé. Ainsi, devant le Très-Haut tu seras absout de tous péchés.
       Et demain au crépuscule, ton mari sera exécuté.


       Une seconde fois la stupeur s’abat. Les gémissements se taisent subitement. A nouveau, les visages se sont tournés vers elle d’un seul bloc.

       _ Tu seras émasculé et tes parties seront jetées aux chiens. Puis tu seras pendu jusqu’à ce que mort s’en suive, ainsi tu auras réparé ta faute en offrant à cette femme le statut d’épouse et expier pour ton crime. Après la noce, tu pourras, si tu le souhaites, demander au curé que te soit accordé les derniers sacrements.

       Les protestations de l’homme remplacent soudainement les larmoiements de la jeune fille. L’Anaon continue son discours, élevant la voix pour couvrir cette nouvelle rébellion.

        _Si tu refuses de prononcer tes vœux, tu seras émasculé puis écartelé par quatre montures. Ta dépouilles n’aura nulle sépulture pour trouver de repos et sera jetée aux cochons. Ainsi je veillerai à ce que ta pénitence dure au-delà de la mort et que nulle rédemption ne te soit jamais permise. Ainsi j’ai jugé.

       Le visage devenu plus rougeaux de confusion, le curaillon se tourne vers elle, bafouillant désormais sous l’incompréhension.

       _ Dame Anne, rien ne justifie une telle sévérité et… et… le mariage doit être consommé pou..pour…
       _ Il a déjà été consommé. Le Très-Haut nous a permis l’acte de copulation uniquement pour la procréation. Puisque qu’enfant il y a déjà, contraindre ainsi ces jeunes gens au coït ne serait que pur perversion allant à l’encontre de ses enseignements. Je gage que le Très-Haut nous sera reconnaissant pour cette prévenance…Cet homme a péché par deux fois : en convoitant une femme qui n'était sienne et en la volant, de ce fait, à la possession d'un autre. Ainsi ne suis-je que l'épée abattant pieusement les sages paroles de Notre Seigneur.

       La chique coupée, la grenouille de bénitier aussi bouffie qu'un bœuf oisif reste un instant interdit.

       _ Et je ne manquerai pas de me confesser par devers vous pour la rudesse de mon jugement…

       Ironie païenne. L'homme s'affale alors dans son siège, soufflé et résigné devant cette bataille qu'il sait perdue. Un geste est lancé envers Lambert et ce dernier plonge la main dans un coffre duquel il extirpe une pile d’écus. Une fois la somme complète, il l’emballe dans une petite bourse en toile tandis que de la dextre, l'Ophide fait signe à la gamine de s’approcher.

       _ Prends, en compensation de la perte de ton mari et de la peine qui t’en coûtera. Toi, ta fille, demain, sera veuve. Il t’incombera la tâche de veiller sur elle et l’enfant à venir. Tâche à ne pas me la rapporter une seconde fois violée.

       Les mains fébriles, les pleurs désormais de soulagements, la jeune serve se saisit de la bourse, les épaules enserrés par le bras de son père, laissant fuser une promesse mal assurée, circonspect face à l'inattendu de ce dénouement.
    Outrepassant la poigne des gardes qui tentent de le garder debout, le condamné désormais dépouillé de sa superbe se laisse aller à genoux, braillant ses supplications à son encontre. Implacable, l'Anaon se tourne vers lui, sans qu’aucune émotion ne vienne émaillé son visage de marmoréen.

       _ Ma sentence est irrévocable. Use sagement de cette dernière journée pour obtenir le salut de ton âme.
    Vous pouvez l'emmener.


       Les portes s'ouvrent sur le passage des gardes qui trainent plus qu'il ne guide ce futur macchabée. Les pierres froides réverbèrent l'écho de ces supplications qui tranche nettement avec le silence pesant étoupant la salle. Un soupir des narines nobiliaires.

       _ Faites entrer le suivant.




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