Chimera
La vertu consiste non à s'abstenir mais à ne pas désirer.
George Bernard Shaw
- Il hésite, mais ouvre les bras et elle s'y loge, oublieuse. Le vieux en mal de contact l'accueillera avec un vif soupir, comme si toute tension quittait son corps à son toucher. Il pose une main dans les cheveux roux et bascule en arrière, l'attirant à lui.
- Une heure... Et vous? Regrettez vous?
- Oui et non.
Il se tourne sur le coté, penché sur elle, pour mieux la voir.
- Non, parce que c'était parfait. Oui, parce que ce n'était pas honorable de me servir de vous.
- Vous ne vous êtes pas servi de moi. Ne quittez pas le duché avec cette sordide conviction.
- Mais vous êtes malheureuse que je ne puisse pas vous courtiser comme il se devrait. Ne pensez vous pas que vous l'eussiez moins été si nous n'avions pas... ?
- Je sais. C'est bien pour cela que vous avez été convié ; je savais bien que vous n'en feriez rien, malgré mon aspiration à vous connaître plus. Votre objectif est fier, et je ne puis vous permettre de l'atteindre... Je le savais aussi.
- Soit Pourtant vous m'avez demandé de vous courtiser tout de même. Et je me sens comme un gougat de vous dire non pour une raison qui n'est pas... de votre ressort.
- Je... Oubliez. Il était sot de réclamer.
- Sot, non mais cela ne suivait plus la même logique que.. tout à l'heure.
Elle pince les lèvres, gênée de s'être ainsi exposée. Il se mord la lèvre. Il devrait se taire. Foutue franchise indélicate.
- Pardon. Je ne regrette pas, mais j'ai peur que vous, oui. Plus tard.
- Si vous écrivez et que j'en viens à vous apprécier plus que de raison? C'est pathétique.
- Si cela arrive, nous regretterons tous deux. Et si je n'écris pas, vous regretterez de vous être donnée à un... goujat. .
- Ce fut pourtant un honneur, d'être celle d'après. Personne d'autre ne me prendra ça.
Il songe à l'aspect clinique et glauque de la chose, s'il s'était rendu au bordel...Comme successeur à son épouse, on a vu mieux.
- C'est mieux avec de la tendresse, oui...
Cornelius roule sur le dos, glissant une main derrière ses omoplates pour l'attirer contre lui.
- Pensez-vous que nous fassions erreur ? De croire que nous pouvons êtes amis ?
- J'espère que non.
Il regarde les cheveux roux commencer à flamboyer dans la lumière de l'aube naissante.. Bientôt il partira.
- Cela me sera difficile de rester amis je l'avoue. Mais l'idée de couper tout contact me répugne plus encore.
- J'aurai grand plaisir à vous lire.
Elle opine doucement, les tripes nouées. Il déglutit. Elle l'a dit, il n'a rien fait de mal. Et pourtant la tension dans l'air est palpable. Pourtant cette nuit lui rappellera qu'elle ne peut plus enfanter et que c'est pour cela qu'il ne tente même pas de la courtiser. Pourtant.. Il se sent coupable. Et le fait que la peau blanche l'attire encore, inexorablement, appelant ses caresses, ne fait rien pour arranger les choses. Il devrait partir de suite. Il aurait du partir avant de céder à ses charmes.
- J'aurais plaisir à vous écrire.
Posant la tête sur l'oreiller, il fixe le ciel du lit, pour soustraire cette peau affolante à sa vue Elle se mord la lèvre, crispant à l'abri du regard cornélien la main sur la chair déjà éprouvée de la matrice aujourdhui stérile.
- C'est.. Bien.
C'est mieux, même, songe-t-elle. Idiot il serait, et terriblement prématuré, du reste, de maudire ses entrailles condamnées par simple désir de mériter la convoitise, les attentions, ou intentions, de cet homme à son côté. Mais l'Aubépine n'est pas du genre à laisser autrui, fut-ce Nature elle-même, décider pour elle de son destin, quand bien même elle en serait peut-être venue à choisir de s'éloigner du flamand. Et elle en a, du mal, à faire sa paix avec cette frustration là.
Il ne sait plus quoi dire. Il n'y a plus rien à dire, d'ailleurs. Il ferme les yeux, sachant fort bien que même s'il avait sommeil, il n'aurait pas le temps de dormir à présent, mais que s'il la regarde à nouveau, il risque tout à fait de répéter l'offense. Il faudrait qu'elle parle, qu'elle puisse le distraire de ce silence qui laisse son cerveau vagabonder vers des pensées charnelles. Bon sang, arrête, Leffe. Dors. Non, pars. Qu'est-ce que tu attends.
La rousse demeure silencieuse, s'abstenant vaillamment de proposer de se faire son amante jusqu'à ce qu'il trouve l'épouse qui conviendra à ses critères. Elle ne s'y abaissera pas, sûrement pas, malgré l'envie de le réclamer si lui ne prend pas l'initiative.
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