Ceriera
Une fatigue, cette profonde fatigue ces insomnies qu'elle avait d'abord mises sur le compte du tracas, puis ces siestes en journées si régulières, pendant des semaines.
À l'inquiétude de son mari, elle avait d'abord réagi par un léger agacement. Cerièra n'aime pas être traitée comme une malade, comme un problème à résoudre.
Donc, elle avait «fait avec» et continué à vaquer à ses activités sans se préoccuper plus que ça de la diminution de son énergie. La tête à autre chose, à l'archevêché, aux autres au point de faire fi de ce que son corps lui criait pourtant depuis maintenant un mois et demi.
Jusqu'à ce que Sowelo s'en mêle et décrive son état à Damenic. La réponse de la blonde docteresse, de sa consur universitaire, de sa compagne de voyages, ne se fit pas attendre. Un courrier dont le «verdict» semblait assuré, ponctué d'un «Mais permettez moi de vous féliciter pour votre - présumée... - future paternité.»
À ces lignes, la brune était restée stupéfaite un long moment. Elle ? Non, ça n'était pas possible. Déjà* ? Certes, ils avaient fait «tout pour», l'enthousiasme des jeunes mariés mais elle n'aurait jamais pensé cela Cerièra, elle qui au printemps dernier s'était crue incapable de donner la vie.
Nouvelle étonnante, stupeur partagée, pour petit à petit réaliser, les deux qu'ils seraient déçus que Damenic n'ait pas raison. C'est à cela que l'on sait que c'est une heureuse nouvelle. Inopinée, mais heureuse
«Être certaine» était devenu le Credo de la griotte, qui était bien décidée à n'en parler à personne avant de savoir. Mais comment faire ? Ils étaient à Toulouse pour quelques jours, ville déserte de médecin, avant de partir pour un voyage qui se révèlerait plus long que prévu.
Elle prit la plume, en espérant que la belle chaurienne répondrait à son appel et lèverait ses doutes.
À la belle chaurienne, Cerièra a écrit:
Tolosa, le 2 mars 1465
Ma bien chère Damenic,
Je suis une idiote. Une tête bien pleine, qui étudie tout ce qu'elle peut mais est incapable de mettre son savoir à profit pour elle-même. Sinon, j'aurais eu la puce à l'oreille bien plus tôt. Me former pour être accoucheuse, pour me mettre au service des autres, mais n'être pas fichue de comprendre lorsqu'il s'agit, peut-être, de mon cas
Vous l'aurez deviné, Sowelo m'a fait lire votre réponse à son inquiétude. Même si vous semblez affirmative, et même si là est l'explication la plus plausible à ma fatigue et la plus rassurante, je l'avoue j'aimerais une confirmation. Vous proposiez de m'examiner, non seulement j'y consens mais je pense que c'est nécessaire à ce que je sache si je me fais des idées pour rien. Car pour tout vous dire, passé la surprise et l'hébétude, je serais bien déçue que vous ayez tort.
Nous sommes à Toulouse pour quelques jours, après quoi nous serons, comme vous le savez, sur les routes. Je vous serais très reconnaissante si vous pouviez faire un saut à la capitale. Vous trouverez aisément nos roulottes en bord de Garonne : guettez un chantier de construction dont la charpente est bien avancée, un panneau indique «Camp de Tounis». Nos roulottes sont au fond du terrain, votre monture sera nourrie et abreuvée et je tâcherai de vous recevoir au mieux en ces lieux.
J'espère voir bien vite votre frimousse et vos cheveux de blés d'or,
aux mille questions qui se bousculent dans le crâne.
* Pour les curieux, le sort de Cerièra fut tiré aux dés, selon la probabilité par cycle qu'une femme de son âge en condition de santé normale tombe enceinte. Jd Sowelo a juste tiré au dé
le bon chiffre tout de suite ! C'est comme dans la vie
on ne choisit pas quand ça arrive ! En tout cas, à l'époque
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