Torchesac
Des quoi ?
A chaque fois que je parlais des Pottoks, je voyais tout le monde effrayé à l'idée d'avoir affaire à des monstres issus des basses fosses.
Et le fait de leur sourire en retour pour affirmer qu'ils n'avaient rien à craindre n'aidait pas beaucoup.
J'avais une gueule d'égorgeur amochée. Et mon mantel de l'Hospital, même de cadet, n'aidait pas en cette contrée.
Les gens ne nous aimaient pas. Et ceux qui auraient voulu être dans l'expectative craignaient trop le regard de leurs voisins pour nous approcher.
La frontière entre le camp et le reste de la cité était plus épaisse que ses murailles.
Les gens d'ici rasaient les ombres. Les uns gras. Les autres faméliques. Et de discours aucun.
Fraichement engagés, nous étions arrivés en fin de campagne, Jujoss et moi, assez tard pour n'avoir à participer à aucun combat.
La venue de notre caravane de Pottoks s'est faite sous les quolibets des gens d'armes, contents de rire après une longue campagne.
Ils peuvent rire pourtant, de leurs grands chevaux qui ont peur du feu et de la fureur des canons. Les pottoks restent placides, ont le pas sûr, sont endurants, et, à mon sens, bien plus intelligents que les chevaux. Je dois être à demi fou de préférer des animaux intelligents à d'autres, et à certains humains parfois, Dieu m'en pardonne.
Bref, donc, Jujoss et moi avions accompagné la troupe jusqu'à Angers finalement, où j'avais quelques semaines durant repris mes habitudes de terrassier : tous, du Grand Maître au moindre page, nous nous étions engouffrés sous terre dans les galeries angevines, mine de rien, pour y trouver ce qui ferait vivre lÉtat, à défaut de pouvoir faire vivre les gens d'ici.
Nous avions remonté de la pierre, du fer, et du bon or, en quantité. Le bailli semblait satisfait des réserves, et nous faisait régulièrement changer et renforcer les étançons, drainer les galeries, charrier les résidus, pierres viles et terres sans valeurs.
Nous étions tous sales à faire peur, ténébreux enténébrés, et ardents à l'ouvrage.
Pourtant, au dehors, les gens ne mangeaient ni or, ni fer, ni pierre, encore que j'en ai vu plus d'un sucer un cailloux en attendant une soupe d'herbe.
Les champs étaient en friche. Les moulins ne tournaient pas. Le bois même se faisait rare par ces froidures. Et sur les marchés, les gens achetaient à la sauvette un quignon de pain sec vendu pour le prix d'un festin, et s'en allaient le dévorer avant de se le voir dérober.
Nos propres réserves restaient maigres. Et nous partagions ce que nous avions, autant que possible. Mais qui voulait venir à la taverne tenue par nous, "ennemi" ? Ceux qui avaient trop faim pour s'en soucier encore. Mais sans un merci : les gens étaient redevenus sauvages.
Puis les ordres étaient venus de reformer les rangs : des bandes de gens hostiles convergeaient, d'autres se regroupaient.
En fait de reformer les rangs, cela avait commencé par un grand bain froid dans la Loire, et d'une lessive à l'eau froide aussi.
Puis les tours de garde et les patrouilles étaient venus. Nous avions ordre de tirer sur tout qui venait sans être annoncé, et autorisé.
Et, donc, nous tournions, de plus en plus loin. Je reprenais mes habitudes de fourrageur, à tirer des lapins et des faisans à la fronde, un lièvre parfois, un renard imprudent un jour, à récolter des champignons et des herbes que les gens d'ici n'avaient pas encore trouvés, et ramener tout cela au camp pour améliorer l'ordinaire. Bon, d'accord, le renard n'était pas vraiment une "amélioration", même avec beaucoup d'ail.
Nous tuions aussi, ces fameuses gens non annoncées qui tentaient de passer dans un sens ou l'autre.
Les annonces avaient été placardées. Ceux qui passaient devaient être des éclaireurs, des espions, même si certains avaient plus l'air de voyageurs égarés. Les échauffourées étaient aussi brutales que brèves, les tactiques efficaces et mortelles, et le résultat attendu : nous ne souffrions que d'épées ébréchées, alors que les "autres" se retrouvaient bien morts.
Et du coup, de terrassier, j'avais repris mes habitudes de fossoyeur.
Et les pottoks m'aidaient. Nous ramenions les morts à proximité du camp.
On laissait les pauvres gens d'ici les délester de ce qu'ils pensaient pouvoir user, rétamer, ou revendre.
Puis la Faculté passait, les carabins examinaient ceux qui leurs convenaient pour leurs études, puis nous les laissaient, invariablement.
Et il me revenait de creuser des tombes dans le sol pas encore gelé, où mettre en terre ces anonymes ennemis, ou malchanceux, et dire une prière pour que leur âme s'en aille où elle devait aller, vers Dieu et en Paix, si elle pouvait les y aider.
Il y en avait eu trois hier, et deux aujourd'hui, que je devais mettre en terre avant dimanche. Trois femmes. Un homme. Aussi nus que devant Dieu. Quatre tombes. Ce serait vite achevé : j'avais connu d'autres hécatombes ...
A chaque fois que je parlais des Pottoks, je voyais tout le monde effrayé à l'idée d'avoir affaire à des monstres issus des basses fosses.
Et le fait de leur sourire en retour pour affirmer qu'ils n'avaient rien à craindre n'aidait pas beaucoup.
J'avais une gueule d'égorgeur amochée. Et mon mantel de l'Hospital, même de cadet, n'aidait pas en cette contrée.
Les gens ne nous aimaient pas. Et ceux qui auraient voulu être dans l'expectative craignaient trop le regard de leurs voisins pour nous approcher.
La frontière entre le camp et le reste de la cité était plus épaisse que ses murailles.
Les gens d'ici rasaient les ombres. Les uns gras. Les autres faméliques. Et de discours aucun.
Fraichement engagés, nous étions arrivés en fin de campagne, Jujoss et moi, assez tard pour n'avoir à participer à aucun combat.
La venue de notre caravane de Pottoks s'est faite sous les quolibets des gens d'armes, contents de rire après une longue campagne.
Ils peuvent rire pourtant, de leurs grands chevaux qui ont peur du feu et de la fureur des canons. Les pottoks restent placides, ont le pas sûr, sont endurants, et, à mon sens, bien plus intelligents que les chevaux. Je dois être à demi fou de préférer des animaux intelligents à d'autres, et à certains humains parfois, Dieu m'en pardonne.
Bref, donc, Jujoss et moi avions accompagné la troupe jusqu'à Angers finalement, où j'avais quelques semaines durant repris mes habitudes de terrassier : tous, du Grand Maître au moindre page, nous nous étions engouffrés sous terre dans les galeries angevines, mine de rien, pour y trouver ce qui ferait vivre lÉtat, à défaut de pouvoir faire vivre les gens d'ici.
Nous avions remonté de la pierre, du fer, et du bon or, en quantité. Le bailli semblait satisfait des réserves, et nous faisait régulièrement changer et renforcer les étançons, drainer les galeries, charrier les résidus, pierres viles et terres sans valeurs.
Nous étions tous sales à faire peur, ténébreux enténébrés, et ardents à l'ouvrage.
Pourtant, au dehors, les gens ne mangeaient ni or, ni fer, ni pierre, encore que j'en ai vu plus d'un sucer un cailloux en attendant une soupe d'herbe.
Les champs étaient en friche. Les moulins ne tournaient pas. Le bois même se faisait rare par ces froidures. Et sur les marchés, les gens achetaient à la sauvette un quignon de pain sec vendu pour le prix d'un festin, et s'en allaient le dévorer avant de se le voir dérober.
Nos propres réserves restaient maigres. Et nous partagions ce que nous avions, autant que possible. Mais qui voulait venir à la taverne tenue par nous, "ennemi" ? Ceux qui avaient trop faim pour s'en soucier encore. Mais sans un merci : les gens étaient redevenus sauvages.
Puis les ordres étaient venus de reformer les rangs : des bandes de gens hostiles convergeaient, d'autres se regroupaient.
En fait de reformer les rangs, cela avait commencé par un grand bain froid dans la Loire, et d'une lessive à l'eau froide aussi.
Puis les tours de garde et les patrouilles étaient venus. Nous avions ordre de tirer sur tout qui venait sans être annoncé, et autorisé.
Et, donc, nous tournions, de plus en plus loin. Je reprenais mes habitudes de fourrageur, à tirer des lapins et des faisans à la fronde, un lièvre parfois, un renard imprudent un jour, à récolter des champignons et des herbes que les gens d'ici n'avaient pas encore trouvés, et ramener tout cela au camp pour améliorer l'ordinaire. Bon, d'accord, le renard n'était pas vraiment une "amélioration", même avec beaucoup d'ail.
Nous tuions aussi, ces fameuses gens non annoncées qui tentaient de passer dans un sens ou l'autre.
Les annonces avaient été placardées. Ceux qui passaient devaient être des éclaireurs, des espions, même si certains avaient plus l'air de voyageurs égarés. Les échauffourées étaient aussi brutales que brèves, les tactiques efficaces et mortelles, et le résultat attendu : nous ne souffrions que d'épées ébréchées, alors que les "autres" se retrouvaient bien morts.
Et du coup, de terrassier, j'avais repris mes habitudes de fossoyeur.
Et les pottoks m'aidaient. Nous ramenions les morts à proximité du camp.
On laissait les pauvres gens d'ici les délester de ce qu'ils pensaient pouvoir user, rétamer, ou revendre.
Puis la Faculté passait, les carabins examinaient ceux qui leurs convenaient pour leurs études, puis nous les laissaient, invariablement.
Et il me revenait de creuser des tombes dans le sol pas encore gelé, où mettre en terre ces anonymes ennemis, ou malchanceux, et dire une prière pour que leur âme s'en aille où elle devait aller, vers Dieu et en Paix, si elle pouvait les y aider.
Il y en avait eu trois hier, et deux aujourd'hui, que je devais mettre en terre avant dimanche. Trois femmes. Un homme. Aussi nus que devant Dieu. Quatre tombes. Ce serait vite achevé : j'avais connu d'autres hécatombes ...