Samsa
- "Attaque mes rêves ou détruis mon âme,
On sera un rêve incroyable.
Cest juste ma vie, cest juste mon âme,
On sera un rêve idéal ;
On aura une vie incroyable." (Indochine - Song for a dream)
Il était un peu plus de tierces et le soleil d'automne brillait dans le ciel alençonnais, bien incapable cependant de réchauffer les corps déjà au travail sur les terres de Longny-au-Perche. Dans les campagnes qui étaient pour la plupart de douces collines, on entendait les cloches du bétail et les sifflements des paysans guidant les chiens ou les hommes. Aux quatre coins de la baronnie résonnaient les bruits typiques des nombreuses forges qui faisaient la réputation de Longny-au-Perche, de concert avec les artisans et les marchands qui hélaient les apprentis et les promeneurs dans la ville pour leur vendre leurs produits. Au creux d'un petit vallon et malgré tout plus en altitude que la plupart des villes de l'Alençon, on se sentait parfois à flanc de montagne quand on grimpait une colline. Ainsi niché, surplombant deux cours d'eau emblématiques -la Jambée et la Robioche-, le château fortifié de Longny-au-Perche veillait autant qu'il était veillé. Entouré de murailles en pierre elles-mêmes cernées d'un fossé, il accueillait en son sein une basse-cour dans laquelle officiaient des boulangers et des forgerons pour la plupart. Ouverte à tous le jour une fois le pont-levis abaissé et la herse levée, quelques échanges marchands s'y concluaient parfois à propos de matières premières sous lil des gardes qui patrouillaient ou rentraient dans le bâtiment leur servant de logis -récemment agrandi- et nombres de chevaux allaient et venaient au gré des échanges et des entrainements portés aux animaux de la garde. Samsa, en bonne fille d'éleveur de chevaux et servant dans la cavalerie lourde, avait ainsi doté la majorité de la garde de Longny-au-Perche d'une monture. Cela coûtait cher, certes, mais la Baronne ne gardant presque rien pour elle des revenus de ses terres, elle jugeait ainsi avoir les moyens. La seconde partie du château, la haute-cour, était séparée par la basse par une muraille de séparation et une herse, levée également la journée. Les gardes à l'entrée y défendaient cependant l'accès aux charrettes qui n'étaient pas attendues de la Baronne. Cerbère laissait ainsi entrer dans la haute-cour qui le souhaitait tant que c'était pour lui parler et non pour lui vendre ce qu'elle pouvait acheter elle-même. Dans les faits, on y trouvait rarement de personnes extérieures au château car Samsa inspirait à ses gens une crainte certaine. Il fallait reconnaître qu'elle prenait très à cur son rôle de baronne et, si elle ne se mettait pas souvent en colère, chacun savait comme celles-ci pouvaient être terribles. L'ordre et la discipline régnaient en maîtres à Longny-au-Perche mais tous respectaient ainsi Samsa pour cela. Tout le monde savait où était sa place.
Dans le froid encore matinal, Samsa se tenait debout à un bout du petit terrain d'entrainement ensablé de la haute-cour, non loin des logis et des écuries, en moindre nombre que celles de la basse-cour cependant, qui abritaient les meilleurs chevaux et gardes de la garnison. Reposant sur sa chemise grise recouvrant elle-même un gambison noir léger et sans manches, son tabard en damier noir et bleu bordé de jaune et décoré d'une fleur de lys du même à la poitrine gauche -ainsi qu'une plus grande dans le dos-, elle tenait une épée en bois dont la pointe reposait au sol, entre ses pieds. Un bouclier était sanglé en bandoulière à son épaule gauche et une barbute protégeait sa tête. On remarquait aussi ses gantelets de combat, habituels, et, moins communs, des cuissards, des grèves et des canons d'avant-bras. Quelques soldats portant des tabards aux couleurs or et sable de Longny-au-Perche étaient appuyés sur les barrières entourant le terrain et certains encourageaient en frappant dans leurs mains un de leur camarade qui entrait pour se mettre à l'opposé de la Baronne. Lui aussi avait une épée en bois et il portait un bouclier à la main en plus d'avoir un casque à nasal.
-Prêt Rodolphe pardi ?
-Je suis prêt, Baronne.
-C'est un entrainement autant pour toi que pour moi té, alors bats-toi vraiment, même si je dois perdre pardi.
-Je ne raterai pas l'occasion de vous taper dessus, Baronne !
Le trait d'humour était audacieux de la part du soldat et ses camarades craignirent qu'il ne se prenne une réflexion mais il n'en fut rien et Samsa rit même. Elle leva son épée, en garde, et un des soldats donna le signal du début du duel. Bien que les deux combattants ne faisaient au début que se tourner autour pour s'évaluer et se juger, on distinguait tout de suite que Cerbère ne se battait pas comme la majorité des soldats ; elle faisait partie de cette école qui portait le bouclier à l'épaule et elle avait décidé de combattre avec une épée à une main, bien qu'elle puisse s'en servir à une main et demi. Elle engagea la première les hostilités, admirablement parée par son adversaire qui chercha à riposter sans succès. D'un basculement de son poids sur sa jambe restée en arrière, Samsa avait esquivé et était ensuite revenue en avant pour attaquer de nouveau. Elle frappait plus vite mais moins fort et devait grandement mobiliser ses muscles afin que l'épée de Rodolphe n'ait pas raison de ses parades, ce qui ne semblait pas la déranger plus que cela puisque sa carrure charpentée le lui permettait avec des efforts moindres à ses yeux. De temps à autre, elle pivotait rapidement sur les hanches pour offrir à l'épée de bois adverse son épaule gauche sur laquelle était sanglé son bouclier et tentait ainsi des contre-attaque audacieuses et surprenantes. Rodolphe manqua de se faire piquer au-dessus de la hanche mais recula d'un petit bond à temps. Il fut dès lors plus difficile de le surprendre et de trouver des brèches ; aucun n'en trouvait vraiment chez l'autre, ou bien il ne parvenait pas à les exploiter suffisamment rapidement et l'opportunité se refermait donc presque automatiquement. Le dénouement, ce fut Samsa qui l'obtint d'une ultime carte dans sa manche. Elle fit soudainement pleuvoir les coups et enchainements rapides sur son adversaire sans se préoccuper vraiment de la force qu'elle y mettait ; elle voulait seulement qu'il les pare, toutes, qu'il soit concentré dessus. Ce fut lorsqu'elle fut sûre de cela que, lors d'une énième offensive avec son épée, Samsa fit jaillir derrière son poing gauche : dépourvu de bouclier, on l'oubliait facilement et il était fait pour cela. Le coup, puissant, atteignit Rodolphe qui, surpris et focalisé sur l'épée qu'il parait juste, ne pu l'esquiver. Atteint au-dessus de la joue, là où le casque à nasal ne le protégeait pas -contrairement à la barbute de Samsa-, il fut déséquilibré et Cerbère enfonça son avantage en lui donnant un brusque coup d'épaule gauche accompagné par un puissant cri à la sonorité très grave afin de le fragiliser un peu plus. Rien n'était hasardeux dans un combat. Le bouclier acheva de le briser et Rodolphe chuta sur le sable, définitivement vaincu quand la pointe de l'épée de bois de la Baronne s'appuya doucement à la base de son cou. De sa main libre, elle retira sa barbute et apprécia l'air frais qui vint glisser sur son front transpirant pour commencer à sécher, aussi, quelques mèches de cheveux collés par la transpiration -qui paraissaient dès lors plus roux que bruns.
-J'ai gagné pardi dit-elle en affichant un grand sourire heureux, d'avoir combattu mais plus encore d'avoir gagné.
-C'est bien la première fois que je perds à l'épée par la faute d'un poing, Baronne.
-Vous avez bien combattu pardi, je suis contente de vous savoir dans ma garde ici pardi.
Elle écarta l'épée en lui souriant sincèrement et lui tendit sa main pour l'aider à se relever. Cerbère avait beau être la cheffe, elle avait cette fraternité que seuls ceux qui connaissaient le rang de soldat avaient. Rodolphe hésita à prendre la main, déstabilisé par cette attention, et se décida finalement à la prendre pour se remettre sur pied. Il saignait un peu où le poing l'avait atteint.
-Qu'on apporte de l'eau et de quoi le soigner té !
Et quelques gardes spectateurs se dispersèrent pour aller remonter le seau du puits couvert de la haute-cour et aller chercher un bandage propre au sein du grand et large donjon accolé aux murailles pendant que Samsa allait s'appuyer à la barrière. Repos.
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