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[RP] A chacun sa mort

Torchesac
Côté défenseurs - à Reims

Le réveil, ... magnifique moment de l'après midi où les sergents d'arme cessent d'être attentifs aux dormeurs du jour pour reprendre les exercice d'ensemble, rythmés aux cris et aux tambours.

Autant pour ma "nuit" avant une nouvelle nuit de garde.

J'effrayai un page d'un juron senti, pour me lever et aller m'adonner à mes ablutions. Une autre habitude que cette armée avait prise : le savon éloigne la peste.

L'aumônier n'était pas tout à fait certain de la chose. Surtout quand il a vu les corps des mâles velus et couturés de cicatrices s'adonner au bain avec délice. Et celui des dames pas moins avares des marques de la vie s'y adonner pareillement, de leur côté. Il y avait une certaine pudeur gaillarde pour permettre cela.

A vrai dire, nul n'aurait osé déranger ces dames ... elles avaient des manières bien à elles de dire des choses qu'aucun homme même malhonnête souhaitait entendre sur sa virilité, son être et tout cela.

Enfin, tous sauf l'aumônier. Il a désespérément cherché son évêque juste après. Je crois que voir Dieu ne l'aurait pas moins impressionné.

Bref, donc, savon, gant de crin, ... d'aucuns diraient que ce serait mieux avant d'aller dormir, mais le bain, ça vous réveille.

Point de barbier ce jour. En fait de barbier, c'était l’aumônier. Il pouvait nous entendre à confesse tout en procédant. Nous avions intérêt à ne pas avoir trop péché, sous peine de nous faire trancher sur une exclamation d'indignation. Et comme l'aumônier était en émoi, ... et bien, mieux valait passer son tour quelques jours.

Une fois frais, j'allai prendre mes ordres auprès du Pacha. Rien de neuf. Des rumeurs. Quelques rapports d'éclaireurs et d'espions, pour ce que nous pouvions savoir. Patrouille pour cette nuit, en équipement léger et tapinois. Capturer si nous le pouvions, tuer sinon.

J'avais encore le temps, un peu, avant le départ.

Je m'arrêtai à la cantine, bien fournie de nos greniers, pour y prendre ma ration de pain et de ragout et m'éloigner jusqu'à un endroit calme pour la déguster.

Un cerisier en fleur pour dais. La luzerne pour tapis. Le monde pour palais ... le ragout de racines et de mouton était chaud encore sur mon tranchoir, et goûtu. Je mangeai lentement, en prenant soin de bien mâcher. Encore un ordre spécial de cette armée, qui se souciait de notre digestion parfaite.

Tout partit par petites bouchées, alors que vêpres approchait doucement.

Le camp s’affairait de partout. La garde montante se préparait calmement.

J'avais encore le temps. Un peu.

Celui de me lécher les doigts avec délice et de prendre une rasade d'eau coupée de vin.

J'hésitai ...

Il restait encore un peu de temps avant vêpres. Le soleil passerait dans les branches d'un grand chêne avant que la cloche ne résonne.

Je fouillai mon sac pour en sortir "mon" fifre. Je l'avais trouvé un hier. Il avait six trous taillés au couteau et polis. C'était plus l'instrument d'un berger que celui d'une armée. Personne n'en voulait semble-t-il.

J'avais été fifre jadis, avant qu'on ait plus besoin de moi comme sapeur et terrassier ... et d'autres besognes sordides de la guerre.

Je me demandais si je saurais encore.

Je le portai doucement à mes lèvres, et soufflai, pour obtenir ... rien du tout.

Je m'humectai les lèvres pour me reprendre ... et plus doucement encore.

Un son long et aigu vint à mon appel.

Et la suite vint ...

Le fifre est une manière d'apprivoiser le vent. Ou le vent les hommes.

La brise des vêpres arriva sous le cerisier, agitant ses branches aux flocons blancs.

Et le vent prit son envol.

Il parcourut le camp et les feux de bivouac ...

Il parcourut les communaux et les troupeaux ...

Il s'envola vers les cimes des vergers rémois en pleine floraison ...

Il parcourut les champs et les tenures, les terres grasses ... et les vignes à l'infini.

Il s'engouffra le long des ruisseaux, pénétrant les futaies ...

Il courut aux côtés d'un lièvre ... pour finir par faire la course aux hirondelles autour d'une grange ...

Il était tout sons et sens ... libre ...

...

...

...

La cloche sonna ... vêpres arrivait, et le fifre se tut.

La garde montante se regroupait.

Et j'avisai le Pacha m'observer, songeuse, que je n'avais entendue venir. Puis de me présenter le charbon pour la nuit.

Nous allions devenir ténèbres ...

Je lui souris, et me barbouillai à son pareil.

Nous devenions ténèbres ...
--Owenra.
[Côté Brigands]

[Langres - Matin]

    Toute la nuit n'a été que calvaire pour Renarde. Toux, expectorations sanglantes, gêne respiratoire. Les draps se sont teintés de carmin un peu plus à chaque heure passée sans qu'elle ne puisse trouver le repos. Lorsque Aurore pointe, elle est épuisée. La respiration sifflante et saccadée soulève difficilement la poitrine déchue. Ses lèvres et le bout de ses doigts se sont teintés d'une légère couleur bleutée, signe d'un manque important d'oxygène dans le sang qui finit par lui manquer également à force de le vomir à chaque quinte de toux. Anémie, cyanose, anorexie, détresse respiratoire, la voilà condamnée à garder le lit toute la journée, ne sortant que lorsque les besoins naturels l'y obligent. Alors seulement regagne-t-elle difficilement la station verticale sur des jambes flageolantes. Trop maigres pour pouvoir encore supporter les os, trop peu nourries pour endurer le poids de la carcasse. La volonté de Griseo Vulpes avait pallié à ce manque jusqu'ici. Mais il faut croire que cette campagne aura eu raison de la Volonté quasi-inébranlable qui l'habitait alors. Aujourd'hui, le physique reprend le pas. Le corps proteste contre les longues journées de voyage, contre les combats, contre le peu d'apport alimentaire, contre la maladie que le ronge. Cette maladie qui murmure au creux de l'ouïe canine une palilalie insistante :


"Laisse-toi aller. Abandonne. Tu sais qu'à ce jeu-là, je vais gagner."

    On peut alors entendre un murmure s'échapper des lippes :


Non. Jamais.

    Et elle se met à lutter. Encore. Se forçant de temps à autre à sortir du lit. À parler même seule. Mais elle doit se rendre à l'évidence : sa voix s'est éteinte durant la nuit. La douleur lancinante de la gorge aura eu raison des cordes vocales. La station debout lui est de plus en plus inconfortable, elle lui provoque des sueurs, des vertiges, des tremblements. Alors, vaincue, elle regagne la couche. Et quand son corps ne peut s'extirper de la tente dans laquelle il est enfermé, c'est l'esprit qui se charge de voyager. Elle songe. Elle repense aux paroles de Vivia "Je serai là quand tu ne pourras plus sortir du lit. Que tu seras tellement épuisée que tu te soulageras à même les draps. Je connais la déchéance de ce mal qui te ronge. Je m'occuperai de te laver, de te changer afin de soulager ta Sœur durant tes derniers moments". Non, elle ne peut pas accepter une fin comme ça. C'est trop humiliant... Déjà que la transformation du corps avait été difficilement acceptée, se retrouver coincée au fond d'un lit à agoniser dans sa propre pisse et sa propre merde lui parait insupportable. Et le regard des autres... Ils sont déjà tous si différents autour d'elle. La pitié, la tristesse qu'elle lit constamment dans leur regard, elle ne peut imaginer ce qu'il en sera quand tous, ils se relieront à son chevet à lui tenir la main, à pleurer autour d'elle. Humiliant. Insupportable. Irrecevable. Vulpes ne peut finir ainsi. Celle qui fut désirée de tous ne peut concevoir d'inspirer plus de pitié qu'elle n'en apercevait jusque là.
    Il lui faut trouver autre chose. Une autre alternative. Vivia lui a parlé de l'aide qu'elle peut lui offrir afin de quitter ce monde d'une manière indolore. Mais cette solution ne plait pas à la Flamboyante. Peut-être est-ce trop doux. À moins que ce ne soit le fait de rendre l'âme auprès de l'Azur qui l'incommode. Alors continue-t-elle son introspection et une conversation lui revient en mémoire. Une simple phrase qu'elle avait dite à la Travestie lors d'une des dernières soirées passées en taverne "
    Vu c'qui m'attend, j'préfère encore crever 'vec une épée à travers l'corps". Et la lumière fut. Elle sait. Elle sait qu'il ne lui reste que cette solution pour partir si ce n'est sans douleur, ce sera avec plus de dignité.
    La décision prise, elle passe le reste de la journée à faire quelques préparatifs, notamment à la préparation de quelques lettres. Après tout... Elle ne peut pas partir sans prévenir ses proches.


[Langres - Début de nuit]

    Ce soir-là, elle fait l'effort de rejoindre la taverne dans laquelle se trouve Midia et la Pâle. Elle est entrée. S'est effondrée sur la première chaise venue. Le déplacement entre le campement et le centre de la ville a été éprouvant pour ses jambes. Elle est essoufflée. Durant les quelques instants qu'elle reste dans la salle, elle ne parle pas. Se contentant d'écouter. D'observer. Contempler. S'isoler en fermant les yeux aussi quelques fois. La plus prompte à s'étonner de ce comportement peu habituel est Viperae. Elle questionne mais n'obtient guère de réponse si ce n'est quelques phrases poussées du bout des lèvres et du peu de voix que Vulpes est capable de produire. Finalement, cette dernière ne s'attarde pas, là, sur la chaise inconfortable, elle ne tient plus et se relève. Midia l'interrompt. Renarde reste debout, un moment, un trop long moment. Elle pâlit, son cœur palpite au-dessus des jambes qui tremblent et quelques perles de sueurs parent le front. Quand enfin, elle s'en va. Elle se retourne une dernière fois pour observer les visages des femmes formant sa famille puis quitte la taverne. Elle n'aura pas eu le courage de dire "au revoir" de vive voix. Elle n'a pas voulu se confronter aux demandes d'explications, aux expressions d'incompréhension, aux supplications qui auraient pu poindre. Ni aux alternatives qui auraient pu être proposées.

    Le camp est retrouvé. La tenture aussi. Elle décide de se changer. De revêtir le linceul blanc porté durant les phases aiguës. Dans son dos, Cael aura soulevé la tenture sans qu'elle ne s'en aperçoive, il l'aura vu nue dans la déchéance et cette vision l'aura poussé à rebrousser chemin tandis que le corps est recouvert du tissu mortuaire. Soigneusement, elle plie ses vêtements. Bustier, collant, chemise, bottes, besace et lames sont déposés auprès des affaires de la Matriarche. Sur ces dernières, carnet et lettre d'adieu sont abandonnés. Une mèche de cheveux roux est découpée afin d'étoffer celle offerte il y a maintenant fort longtemps. Entre les pages du carnet, elle sera trouvée.
    Elle se détourne et franchit la tenture. Une fois à l'extérieur, elle interpelle l'un des brigands qu'elle croise et lui demande de l'aider à seller la jument prêtée. Tandis qu'il s'attelle à la tâche. Elle parcourt les tentes des différents membres de l'Azur ainsi que celle de Cael. Déposant lettres préalablement préparées sur les effets des unes et des autres. Une fois ceci accompli, elle retourne vers la monture et le palefrenier improvisé. En dernière demande, elle requiert son aide pour se hisser sur la selle. L'attrapant aux hanches, il l'installe, c'est que le gaillard est costaud. Même si elle ne fournit pas d'effort, la mise en selle l'essouffle et elle se met à tousser en crachant quelques gouttes de sang dans les airs. Répugné, le brigand s'écarte avant de retourner vaquer à ses occupations. Tandis que, cherchant sa respiration, la Mourante presse les mollets autour des flancs de la bête docile. Le pas est pris sans un remord, sans une once d'envie de retourner en arrière, direction Reims.


[Sur la route de Reims - Le lendemain]

    Le voyage se poursuit. Toujours au pas. La Cavalière est totalement avachie sur l'encolure de sa monture, les poils ordinairement gris sont parsemés de gouttes écarlates, la faute à la toux qui ne quitte pas son hôte. Épuisée, elle ne s'arrête cependant pas, s'arrêter serait signer la fin de la marche. Elle serait bien incapable de remonter en selle seule. Inconfort. Sur la route, elle voit passer de biais, ce qui ressemble à un messager. Lui faisant signe, elle l'interpelle en lui tendant une lettre sortie du linceul. Sans se redresser sur la selle, elle lui murmure le nom de la destinataire et dû s'y reprendre à plusieurs fois pour que le jeune homme ait bien compris. Ce faisant, chacun reprend sa route. Le dernier voyage n'est pas le plus facile.


[En vue de Reims - Le surlendemain au son des Vêpres lointaines]

    À peine consciente. Renarde sent le quadrupède stopper sa marche. Alors fait-elle l'effort surhumain de redresser la tête pour apercevoir les remparts de Reims à une heure de marche. Réfléchissant, pupilles voilées par l'affaiblissement se posent sur la forêt bordant le chemin. Une légère pression des doigts tremblants sur les rênes et voilà la Jument bifurquant jusqu'à se trouver sous le couvert des arbres. Encore quelques pas. Encore quelques pas avant que le frêle corps ne glisse sur le côté, emporté par le poids de la carcasse et s'effondre sur le sol dans un bruit sourd. Une simple grimace agrémente l'impact. Vulpes n'a plus la force d'émettre le moindre son. Couchée sur l'humus, face contre terre. Le parfum du bois lui parvient aux narines. Un fin sourire orne ses lippes. La forêt, cet endroit qui lui apportait la paix par le passé allait-il être celui dans lequel elle gagnerait la paix éternelle ? Le hasard peut parfois bien faire les choses. La jument reste debout à côté d'elle, commençant à brouter les quelques jeunes pousses. Renarde joint le peu de ses forces dans un dernier effort pour rouler son tas d'os afin qu'elle puisse contempler le ciel à travers les feuillages. Les yeux se ferment et les sons de la nature environnante lui parviennent : le vent soufflant dans les branches et les feuillages, les quelques chants d'oiseaux, le son de la cathédrale sonnant les Vêpres, un pic-vert un peu plus loin, les bruits de mastication de la monture, plus près. Puis... Des pas. Des pas pesants. Des cliquetis de métal. Peut-être quelques soldats Champenois, allaient-ils la trouver là, allongée sur le sol dans son linceul comme attendant la Mort ? Allaient-ils remarquer la maladie la rongeant ? Son menton, son linceul tachés de sang ? Ses lèvres et le bout de ses doigts bleutés ? Allaient-ils l'entendre avec sa respiration sifflante et difficile ? Allaient-il voir le sceau des Rats qu'elle a volontairement déposée au creux de son ventre ? Seraient-ils le salut qu'elle espère tant ? Tant de question parcourant l'encéphale alors que les pas se rapprochent et qu'elle ne daigne ouvrir les yeux, qu'elle ne daigne se cacher ou s'enfuir ou même combattre. Elle se contente d'attendre, comme elle sait si bien faire.
Vivia
𝖈𝖔̂𝖙𝖊́ 𝖇𝖗𝖎𝖌𝖆𝖓𝖉



Bonne nouvelle : Les Rats vident le Diocèse de Langres. Première dans le Royaume ? Qui sait.


9 000 écus. L'écho retenti alors que les Rats s'invitent dans le Diocèse pour le vider de ses richesses. Pour sûr la Foy paye bien. C'était d'ailleurs à travers cet amas d'écus vide de sens que la Hyène avoue son aversion pour la Foy et ses travers. Payer pour être pardonné, payé pour se sentir meilleur, payer pour faire briller l'écho d'une foi qui devrait se repaître des simples prières de ces disciples. Il était temps que ces écus retournent au peuple et que les Miraculés puissent jouir de tant de maux, d'espoir et de prières pécuniaires. Alors avec plaisir, ils se délectent de cette opulence, de ces dorures, de ces écus qui furent laisser sans surveillance.

Ainsi donc, le Barbier quelque peu ivre de plantes, s'enlisent dans le confessionnal pour y abandonner les quelques fragrances enivrantes qu'elle recrache de ses lippes lasses. Elle détestait ces endroits, ce qu'ils représentaient et ceux qui au détriment des âmes égarées et dévouées profitaient. Pourtant, instinctivement sa main se pose sur son ventre désormais plat pour évoquer le mirage d'une fille, Alyss qui avait été arrachée de ses entrailles par un paternel incestueux. Malgré cette aversion, elle espérait secrètement et naïvement que cette âme encore pure de vices trouverait un repos plus agréable que cette courte vie qu'elle avait vécu ces 5 mois durant.

Finalement, l'esprit embrumé et trouble, elle se contente d'esquisser un sourire fier devant cette armée de Rats qui joui enfin, de cette richesse dûment acquise. La Hyène s'échappe ensuite de ces murs saints, laissant aux siens l'opportunité d'en souiller les moindres recoins.

Mauvaise Nouvelle : Une Grise s'en va quérir la Mort.


La nouvelle n'avait pas manqué de heurter avec fracas l'esprit du Barbier. La Grise, cette renarde cachectique dont le corps s'enlisait jour après jour naturellement dans la fosse avait décidé de sa fin. La missive était sans appel.


Citation:
*Lorsque vous ouvrez le pli, vous remarquez que l'écriture, habituellement soignée, est tremblante, comme si la main de l'écrivain n'avait pas eu la force de tenir la plume tout du long de la rédaction.*

Vivia,

Je suis arrivée au bout de mes capacités physiques. L'incapacité que j'ai à me nourrir m'a inexorablement conduite à devenir ce squelette que tu côtoies tous les jours. Mes jambes flanchent, je ne peux guère plus me tenir debout et je sais que la prochaine étape qui m'attend sera pire encore. 

Je ne veux pas imposer à tes yeux ma déchéance plus longtemps. Je ne veux pas que tu assistes à la mort dégradente qui m'attend au fond d'un lit. Je ne veux pas que tu aies à me laver ou à changer mes draps tous les jours, ce serait bien trop déshonorant pour moi.

Je pars. Je pars et je ne reviendrai pas. J'ai réfléchi et j'ai pris la décision de rencontrer l'armée à Reims. J'espère y trouver mon salut. 

Pourrais-tu ramener mon corps à la Cour des Miracles et le remttre à Kel ? Je t'en serais grandement reconnaissante. 

J'ai été ravie de te rencontrer, Vivia Corleone. J'emporte avec moi l'étonnante affection que nous avons développé malgré mon aversion pour les barbiers. Merci pour les soins que tu m'as prodigués, pour l'écoute que tu m'as donnée chose dont j'avais plus particulièrement besoin.

Puissions-nous nous retrouver.

Ta Patiente, 
O  


La Rousse dont elle partageait l'humour, la "connassitude", quelques maux et le secret lié à la perte de son propre enfant et à l'agonie du paternel, avait décidé choisir une fin moins cruelle, moins lourde et pénible que celle qui l'attendait. La maladie incurable dont elle faisait l'objet gagnait du terrain et si les onguents et potions permettaient de ralentir la propagation du Mal, ce dernier lui, restait, demeurait et se faisait vorace de jour en jour.

Citation:

OWENRA ! 

J'espère que cette missive arrivera à temps. Je ne vais pas te supplier de rester en vie. Au contraire, un Rat est libre et je sais que toi, la Grise, sera confrontée à une mort plus attroce que la simple douleur d'une épée dans les entrailles. Je connais la déchéance de ce Mal qui te ronge et je t'en ai parlé sans détour. 
J'entends donc ta démarche, mais si je ne peux te convaincre de rester en vie, j'aimerai te convaindre de trouver une mort plus douce que celle de la lame. 

J'ai suffisament d'opium, de poison et de produit pour alléger ta peine et t'accompagner dès ce soir, dès demain dans cette dernière ligne droite. Tu conserveras toute ton humanité, ou du moins ce qu'il en reste. 
Un Barbier veille à la vie de ses patients, je l'ai fait mais je préfère amplement veiller sur tes dernières volontés. 

Oublie les soins lourds de sens et d'humiliation comme tu sembles l'entendre, laisse-moi te préparer ce qui causera ta chute...Sans douleur, sans maux et auprès des tiens... 

Sache que si j'arrive trop tard, ou que mes mots sont vains, tu as été une Rousse que j'ai réellement apprécié. 
Profite de ta mort, savoure là...Accueille là et que sa chaleur te sois douce à défaut d'être sans douleur. 

Vivia, une Amie.


Ainsi donc, la réponse avait été rédigée avec rapidité alors qu'elle commençait déjà à préparer ses effets pour retrouver au plus vite, ce qui pouvait rester de la Grise. Qui l'eut cru, voilà que la Sicilienne s'apprêtait à retrouver les chemins dans le seul but de secourir, ou d'offrir une once d'humanité à cette carcasse rousse qu'elle appréciait plus que de raisons....
_________________
Torchesac
Côté défenseurs - à Reims

Vêpres ... et la lisière de la Nuit.

Ce moment où le regard n'est pas encore habitué aux ténèbres, et où elles viennent, et où nous nous y fondons ...

Juste le temps de me vautrer, perdre un peu de cette odeur de savon, et prendre celle de l'humus, et des bêtes passées ici. J'ignorais si cela ferait beaucoup d'effet, mais même un peu serait mieux que rien.

Je vérifiai l'attache de mon braquemart et de ma dague.

Puis un signe ... et nous nous enfonçâmes, rôdeurs lents dans les ombres longues ...

La Lune revenait dans sa phase croissante, parcimonieuse en lueurs ...

La forêt prenait ses ampleurs, révélait ses gouffres, ses chuchotements, ses souffles et ses soupirs. Mille fées pouvaient y faire la fête au coin d'une souche, et disparaitre en un souvenir de rire à notre arrivée. Nous arrivions presque silencieux, mais toujours ... un peu trop tard. Les salles de bal s'étaient transformées en tapis d'anémones. Les quadrilles en bouquets de narcisses. Les amoureux s'étaient retirés sous les jacinthes. Et les rois et les princes dans le creux des halliers.

Et nous progressions, dans les ombres, sans lumière, pas tapinois, silencieux autant que nous le pouvions, nous arrêtant pour écouter les sons du bois qui vit la nuit, nous orientant par habitudes, reconnaissant ici un tronc, là une pierre et sa mousse. Les distances minimes devenaient immenses, le moindre pas, un saut dans l'inconnu.

Le premier avant poste. Les sentinelles y étaient inquiètes. Elles avaient vu passer un spectre, qui s'était engouffré dans les bois avant de passer devant elles. Puis plus rien.

Elles avaient suivi les consignes de ne pas se révéler. Bon point pour elles, encore que la frousse aide à obéir à cet ordre.

Nous poursuivîmes, lames au clair ... le spectre avait laissé une odeur de cheval dans son sillage.

Quelques pas ... un buisson d'aubépine. Et juste à côté, un cheval au repos, qui renâcla à notre venue, que je flattai pour le calmer.

Nous restâmes immobiles, à écouter les silences ... et une respiration rauque immobile que nous devinions tout près.

Je murmurai la première partie du mot de passe, une première fois, puis une seconde fois.

Rien en retour. Pas un mouvement. Pas un soupir ...

Il me faudrait de la lumière pour poursuivre.

Je donnai l'ordre de dispersion.

Puis je m'attelai à embraser la mèche de ma lanterne sourde. Et la lumière fut ...

C'était bien un spectre que les sentinelles avaient aperçu. Elle avait les yeux grands ouverts, clignant peu malgré la lumière. Elle était couchée sur le dos sur un tapis de feuilles, habillée du blanc des mariées, ou des morts, tachée de gouttelettes de sang.

Elle avait des airs hâves, des marques cyanes ... elle respirait pourtant.

Ses mains jointes tenaient quelque chose de petit. En dehors de cela, elle ne semblait avoir ni armes ni effets.

Il n'y avait pas de trace de bubon, ni de plaie ou de blessure. Ni de jaune au regard. Ni de membre à l'angle étrange. Ni de tremblements enfiévrés.

Je posai la lanterne près de nous, et m'approchai plus encore.

Son regard ne tressaillait pas. Il suivi la lumière, mais avec retard.

Je vins près d'elle, et lui dis mon nom, et demandai le sien.

Seule une respiration rauque répondit, et une toux rapide.

Ma main toucha sa joue, puis, écartant une mèche rousse, son front. Ils étaient secs. A nouveau, presque pas un mouvement, même pas un spasme.

Je ne pouvais dire son age vraiment. C'était une femme, et ni une jeunesse, ni une vieillarde, certainement.. Mais plus ?

Un appel retentit aux nouvelles. Je répondis par le signal de quarantaine. Et un juron me revint.

La maladie m'a tué plus de bons compagnons que la bataille ...

Mais je ne connaissais pas celle-là.

Je lui redis mon nom, et tentai de recevoir le sien, encore. Et encore. Vainement.

Puis je portai ma main libre aux siennes. Elle serra vivement ce qu'elle y tenait. Je tendis la mienne, comme une invitation à me remettre la chose ... qu'elle laissa choir en son creux.

Un sceau. Une bague. Le signe des "Rats". La marque d'une ennemie.

Je cherchai son regard, pour y trouver ... un défi. Je lui souris en retour, et secouai la tête.


C'est vous qui êtes sensés venir nous ravager. Nous ne tuons pas les innocents, ni les faibles, ni ... enfin, nous ne devrions pas.

A ceci près qu'une innocente était morte d'un trop grand enthousiasme de sentinelles il y a 10 jours de cela ...

Je me repris.


Vous avez plus besoin de soins que d'une querelle.

N'avez vous point de bon barbier parmi les vôtres ? Ou de médicastre ?


En fait, nous avions un bon barbier, quand il n'était pas trop en émoi ... quant aux médicastres, ils savaient surtout les noms latins et grecs pour dire vos maux ... et s'ils devaient saigner celle-ci, elle en mourrait. Et s'ils ne le faisaient pas ... ils diraient la cause de son décès, en se disputant entre eux.

Son regard était encore tout en défi ... et je secouai la tête à nouveau.


Nous avons quelques rebouteux également, qui connaissent les herbes qui soignent.

Venez ...


Je tentai de la soulever ... elle était toute légère, presque inerte.

Et son regard ... et le "non" qu'elle murmura.

Pas un "non" de frayeur, de tomber entre nos mains, celles de nos barbiers, puis celle de notre justice, et ... non. Juste ... un choix, qui était fait.

J'hésitai, puis la déposai à nouveau où elle gisait et tentai de la raisonner.


Votre cheval nous en dira sans doute plus que vous dans l'immédiat. Avant que vous soyez guérie.

Vous ne portez pas la marque des maux contagieux. Enfin, je ne les reconnais pas.

Je ... nous pouvons vous soigner, aussi bien que nous le pouvons. Et après ... nous voulons vivre en paix, ensemble, surtout. Si vous vivez, vous pourrez reprendre les espérances, et la liberté.

Vous ...


Il y eut encore ce non de la tête ... et ce regard franc.

Je l'avais déjà vu par le passé. Je les avais vus, presque tous, ses semblables.

Le regard vitreux de celui qui s'enfonce doucement dans la mort sans s'en rendre compte.

Le regard de celui qui sait que la mort vient, et en a terriblement peur.

Le regard de celui qui est perdu, qui ne veut plus être ici, qui délire d'ailleurs où il voudrait tant être.

Le regard de celui qui veut revenir en arrière absolument, retrouver ses parents, revenir au giron de sa maman.

Le regard de celui qui sait qu'il s'enfonce, et se souvient, et regrette, ou pas.

Le regard de défi de celui qu veut regarder la mort en face malgré sa grande peur de l'inconnu.

Et tant et tant d'autres ... amis, ennemis, inconnus, quelle importance à ce moment ...

Et, partout, cette même certitude ... cette inexorabilité.

Et elle avait cette certitude.

Tout cela me revint en bouquet, en force, en violence. Et ces cris que nul n'oublie jamais. Et ces odeurs de sang, d'ichor, d'urines, de tripes, de peurs ... et le bruit des mouches.

Tout cela me fit comme un énorme coup de poing dans l'estomac.

Et son regard pourtant.

Et ma colère ... n'avait-elle donc pas d'ami pour l'aider à faire ce dernier pas ? Devait-elle pour cela entacher l'âme des jeunes sentinelles qu'elle avait évitées ?

Je secouai la tête ... et entendis le rire de la Gorgone. La manière dont les morts viendraient lui importait : plus elle serait tortueuse et douloureuse, mieux lui vaudrait.

Au moins pouvais-je faire quelque chose contre cela.

Je la regardai à nouveau ...

Puis il y eut un tumulte ...

Une cavalcade près de la chaussée. Ma lanterne redevint tout à fait sourde. Je serrai la dame dans mes bras, en attendant, autant pour la protéger que pour ne pas la perdre.

Le son du câble qui se tend. Un choc brutal, un craquement, ... la chute d'un corps lourd sur le sol ... le hennissement d'un cheval, des cris dans la nuit ... des mouvements ...

J'attendais, tenant et berçant la dame dans la Nuit. Elle avait une odeur de rouquine et de maladie ...

Des pas approchèrent. La lanterne sourde éclaira à nouveau.

Je laissai la dame gésir avec délicatesse pour accueillir mes compagnons.

Un rapport rapide : un messager arrivé, les sentinelles qui ont réagi presque trop vite. Le messager est mort sur le coup. Et un message, que je lus in petto à la lueur de la flamme vacillante avant de leur rendre.




OWENRA !

J'espère que cette missive arrivera à temps. Je ne vais pas te supplier de rester en vie. Au contraire, un Rat est libre et je sais que toi, la Grise, sera confrontée à une mort plus attroce que la simple douleur d'une épée dans les entrailles. Je connais la déchéance de ce Mal qui te ronge et je t'en ai parlé sans détour.
J'entends donc ta démarche, mais si je ne peux te convaincre de rester en vie, j'aimerai te convaindre de trouver une mort plus douce que celle de la lame.

J'ai suffisament d'opium, de poison et de produit pour alléger ta peine et t'accompagner dès ce soir, dès demain dans cette dernière ligne droite. Tu conserveras toute ton humanité, ou du moins ce qu'il en reste.
Un Barbier veille à la vie de ses patients, je l'ai fait mais je préfère amplement veiller sur tes dernières volontés.

Oublie les soins lourds de sens et d'humiliation comme tu sembles l'entendre, laisse-moi te préparer ce qui causera ta chute...Sans douleur, sans maux et auprès des tiens...

Sache que si j'arrive trop tard, ou que mes mots sont vains, tu as été une Rousse que j'ai réellement apprécié.
Profite de ta mort, savoure là...Accueille là et que sa chaleur te sois douce à défaut d'être sans douleur.

Vivia, une Amie.


Je secouai la tête.

Absurde ... absurde comme pouvaient l'être toutes les morts dans toutes les guerres.

Il pouvait être difficile de dire qui en serait jamais responsable. Ceux qui la provoquaient ? Ceux qui poussaient d'autres à partir en guerre ? Ceux qui y partaient avec joie dès qu'une occasion ou un prétexte se présentait ? Ceux qui la rendaient pérenne pour toutes sortes de motifs ? ...

La seule chose qui me semblait certaine était que nous, soldats, en portions de poids. Et la seule chose que nous pouvions le faire était le partager, le porter ensemble, aussi bien que nous le pouvions, autant que nous le pouvions, car personne d'autre ne le pourrait, personne d'autre le comprendrait ...

Je revins à ma belle de ce soir.


Owenra, n'est-ce pas ?

Je suis désolé pour ce qui est arrivé. Le messager n'a pas souffert.

Au moins, je sais votre nom.

Vous êtes décidée, toujours ?


Elle avait le regard embué, et plus décidé que jamais.

Je congédiai les autres gardes, puis m'allongeai auprès d'elle, et la pris doucement dans mes bras en la câlinant et lui murmurai.


La nuit est douce. Et la forêt nous entend.

Je suis Torchesac. J'ai été soldat autrefois, et le suis encore de temps à autres quand le besoin s'en fait sentir.

Je suis devenu franc-tenancier à Conflans. J'ai une mie, partie depuis des mois chez les moines, de bons amis et voisins, une chèvre acariâtre et des poules extraordinaires, avec de petites houppes sur la tête. Mon pommier devrait être en fleurs. Et la glycine que je tente de faire grimper à mon logis itou.

Le bedeau devrait prendre soin de mon chez moi. A sa manière : il vide mon cellier de tout ce qui est périssable, s'en goberge et s'assure que d'autres entretiennent mon jardin, mon lopin, soignent mes bêtes, et tout cela.

J'ai retrouvé un fifre. Je n'en jouerai pas ce soir, car les fées qui nous entourent pourraient en être jalouses ou agacées plus probablement.

Cela m'a fait remonter des vies en arrière. La guerre en Provence, des visages, des amis, une amante, et le pays. Et puis mes pérégrinations après ... tant de gens et de paysages. Puis ce moment fou où je me suis livré à la guerre pour disparaître, et ... et bien, on dit que les soldats vivent, et se demandent pourquoi.

Je suis revenu ici, hagard, aussi frêle qu'un nouveau né. Et les gens d'ici m'ont accueilli, malgré mes cicatrices du corps et de l'âme. Et j'ai appris à les connaitre ...


Elle ne m'entendait déjà plus. C'était un coup appris lorsque j'étais berger, à prendre mes bêtes et à leur parler doucement, tout en enfonçant une lame sans qu'elles la sentent, et les laisser s'en aller progressivement sans s'en rendre compte ...

Et pourtant, je lui parlai jusqu'au petit matin, de moi surtout, d'elle très peu, et nous ... "nous" était pareil à ce "nous" des premières nuits d'amour, où les amants se trouvent sans vraiment se connaitre, où ils s'aiment sans s'être jamais parlés, pour se retrouver surpris le jour venu, à se demander le nom de cet autre qui fut si bon, si tendre, si ... plein de choses ...

Owenra ne parlerait plus. Elle m'avait tout donné et tout pris en un instant.

Je la soulevai dans mes bras. Elle me semblait plus légère qu'hier encore.

Je remarquai alors une renarde qui m'observait alerte et curieusement ... qui, après un instant, s'en fut dans les buissons.

Et de me mettre en route pour Reims, et le cimetière de la cathédrale où je connaissais un buis à l'ombre duquel elle pourrait reposer.
Owenra
[À Reims - En compagnie des défenseurs et de la Compagne Éternelle]

    La nuit est belle à travers le feuillage épais. Elle perçoit quelques étoiles entre les feuilles. Les oiseaux ont laissé les insectes nocturnes prendre leur place et entonner leur chant. L'herbe, l'humus et les feuilles qui lui servent de couche la refroidisse. Il fait frais sur le sol. Les pas se rapprochent. Elle entend l'écho de paroles échangées. La jument renâcle alors, et Renarde sait qu'une personne n'est pas loin. Elle sent sa présence. La vie qui l'habite. De temps à autre, elle croit voir de ses pupilles voilées, le reflet de la lune sur une lame à découvert.


- A la lumière obscure
Je te croise enfin
Mon dieu que tu es belle
Toi la seule toi l'ultime
Entre les hommes égalité
* -


    Une voix proche lui parvient aux ouïes, quémandant l'éparpillement. Un court instant et un point lumineux fait son apparition dans le champ de vision restreint de la Grise. Les pas se rapprochent encore alors que la lumière ne vacille plus en hauteur. Alors seulement la présence s'affirme en celle d'un homme dont elle entend la voix sans réellement l'écouter. Présentation, interrogation. Quinte de toux en guise de réponse. Hémoglobine dispersée dans l'air. Absente. La Mourante tressaille lorsqu'une main épaisse, chaude et calleuse vient cueillir sa joue. Une main habituée à porter et manier le fer. À combattre et tuer. Mais le geste pour écarter une mèche de cheveux se veut pourtant doux. Un appel au loin, coupant l'élan de cette rencontre avec l'ennemi. La voix près d'elle répond avec force. La venue du juron à son ouïe arrache l'ombre d'un sourire moqueur aux lippes charnues. Avant que l'homme la surplombant ne reprenne. Ne redise son nom et ne quémande celui de Vulpes. À quoi bon savoir le nom d'une personne qu'on est censé tuer ? Ne peut-il se dépêcher ? Ne peut-il lui accorder ce qu'elle est venue chercher ?

    Pattes fines liées autour du sceau se resserrent lorsque large paume s'amène sur elle. Mais n'est-elle pas là pour ça ? Pour dire "salut, je suis votre ennemie. Allez tuez-moi, vous pourrez vous faire mousser auprès de vos collègues". Alors le sceau est abandonné au creux de cette main. Il le regarde, il l'inspecte. Alors daigne-t-elle vriller ses pupilles dans les siennes, lueur de défi éternelle rehaussant le teint morne des iris vertes pâles. Le sourire qu'elle reçoit la laisse sceptique.


- S'il te plait prends ma main
Ne te fais plus attendre
Il est temps de s'étreindre
Il est temps de s'éteindre
* -


C'est vous qui êtes sensés venir nous ravager. Nous ne tuons pas les innocents, ni les faibles, ni ... enfin, nous ne devrions pas.

    Légère pause dans ses paroles. Tandis qu'elle voulait grogner de se faire traiter de faible. La vérité n'est pas agréable à entendre, même le jour de la venue au portail de l'Enfer. Aucun grognement ne sort.


Vous avez plus besoin de soins que d'une querelle. N'avez vous point de bon barbier parmi les vôtres ? Ou de médicastre ?

    Le regard déterminé ne quitte pas son sujet d'observation. Torchesac a l'air d'être un brave homme sous son uniforme de soldat. En cet instant particulier, elle aimerait lui dire. Lui parler de Vivia, des soins qu'elle avait reçu, lui conter la déchéance qu'elle avait connu, la douleur, la tristesse de se savoir bientôt morte à cause de "l'araignée" qui tisse encore et toujours sa toile en elle, qui l'affaiblie de jour en jour, d'heure en heure. Se confesser, une chose qu'elle n'avait encore jamais fait mais qu'en ce moment éphémère, elle aimerait essayer.


Nous avons quelques rebouteux également, qui connaissent les herbes qui soignent. Venez ...

    Il l'attrape alors. Il la soulève avec une facilité déconcertante. Elle, elle n'a de cesse de l'observer, maintenant qu'elle est plus proche de son visage. Elle parvient à extirper un "non" du fin fond de sa gorge. Un simple murmure dans lequel elle tente de mettre toute sa détermination. Il faut qu'il la repose. Il faut qu'il lui donne le salut auquel elle aspire. Celui qu'elle attend. Le soulagement ultime. La fin de toute chose. Pour l'unique fois de sa vie. Elle supplierait un homme si elle le pouvait. Il la dépose alors, comme si la force de ce mot prononcé du bout des lippes l'avait convaincu du bien fondé du choix Canin.


- Au soleil qui s'incline
Allez finissons en
Et laissons s'accomplir le firmament
Plongé dans l'infini dans le gouffre sacré
De Katagena
Me noyer à jamais
Et puis quitter ce monde sans pudeur ni morale
* -


Votre cheval nous en dira sans doute plus que vous dans l'immédiat. Avant que vous soyez guérie. Vous ne portez pas la marque des maux contagieux. Enfin, je ne les reconnais pas. Je ... nous pouvons vous soigner, aussi bien que nous le pouvons. Et après ... nous voulons vivre en paix, ensemble, surtout. Si vous vivez, vous pourrez reprendre les espérances, et la liberté. Vous ...

    Il tente. Il essaie tant bien que mal de la faire renoncer. De lui faire entrevoir l'espoir qu'elle a perdu depuis l'annonce de la Mort inévitable. Il fait ce que les membres de l'Azur auraient fait, ce que Cael aurait fait. Comme un proche, il agit. Comme s'il n'était pas que le simple soldat Champenois tombé sur l'ennemie agonisante. Comme s'il tenait à elle au moyen d'une amitié franche et forte. Mais non. La caboche rousse s'anime légèrement, oscillant de droite à gauche en un nouveau "non" mimétique. Toujours, elle le regarde au fond des pupilles. Elle le fixe au travers de la vitre mortuaire. "Il le faut. Sois le salut que j'attends." semble-t-elle vouloir lui souffler. Alors qu'il se met à secouer la tête et qu'un rire leur parvient aux ouïes.
    Et soudain, le martèlement des sabots sur le chemin. Et la douce lueur s'éteint tandis qu'elle se retrouve lotie dans les bras du Soldat sans qu'elle n'ait la force de lutter pour s'en défaire. Sans comprendre cet élan de protection, elle perçoit tous les bruits alentours. Ouïe fidèle de la naissance jusqu'à aujourd'hui lui permet d'entendre et de voir la scène dans son imaginaire. On vient d'abattre un cavalier. Le cœur las se serre dans la poitrine plate, pourvu que ce ne soit pas un Azur. Par le Sans-nom, que ce ne soit pas Kel, que son Autre ne soit pas venue en désespoir de cause pour la ramener à la Cour. Pitié. Contre l'homme, elle se tend, se mordant les lippes d'angoisse. Tous deux attendent. Il la berce avec une certaine forme de tendresse tandis que le cœur Renard palpite, inquiet de ne pas connaître l'identité du nouveau mort. La lueur chaude s'anime encore et elle retrouve son couchage avec douceur, le corps épousant la caresse des feuilles alors que Torchesac s'éloigne.

    Elle reste là, inerte. Dans l'attente. Priant pour que personne de son entourage ne se soit trouvé sur le chemin ce soir-là. Un instant, elle oublie pourquoi elle est là, allongée sous le couvert des arbres, à quelques pas de soldats Champenois. Ne compte que le nouveau mort.


Owenra, n'est-ce pas ? Je suis désolé pour ce qui est arrivé. Le messager n'a pas souffert. Au moins, je sais votre nom. Vous êtes décidée, toujours ?

    Elle n'a pas vu Torchesac revenir mais l'évocation de son nom lui fait craindre le pire. Il parle de messager et intérieurement, elle songe au possible envoie d'une lettre en son nom. Alors sa poitrine se soulève pour échapper un soupir de soulagement lui faisant monter les larmes aux yeux sans pour autant les laisser couler. Jamais elle ne connaîtrait le contenu du message, ni son expéditeur. Tant pis, elle ne saurait pas que Vivia l'appréciait vraiment. Tant mieux, elle n'aurait pas la pointe de regret qui lui aurait peut-être fait rebrousser chemin.
    Pupilles se vrillent dans celle du soldat. Oui. Sa décision n'a pas changée.


- Que la grâce s'accomplisse
Immortelle jouissance
Que les femme s'unissent dans un parfait accord
Rien que pour un instant
L'éphémère devienne
Eternité
* -



    Alors il chasse les autres. Alors il leur offre plus d'intimité. Alors il s'allonge contre elle et l'enlace de ses bras épais. Alors il se fait doux, tendre et presque aimant. Alors il parle et contre lui, elle s'abandonne. Elle se laisse bercer par ses paroles.


- J'aurais aimé t'aimer
Comme on aime le soleil
Te dire que le monde est beau
Que c'est beau d'aimer
J'aurais aimer t'écrire
Le plus beau des poèmes
Et construire un empire
Juste pour ton sourire
Devenir le soleil
Pour sécher tes sanglots
Et faire battre le ciel
Pour un futur plus beau
Mais c'est plus fort que moi
Tu vois je n'y peux rien
Ce monde n'est pas pour moi
Ce monde n'est pas le mien
* -


    Jamais elle n'aurait cru finir ainsi, dans les bras d'un homme. Un homme encore parfaitement inconnu mais qui pourtant, se fait connaître au travers de ce qu'il lui raconte au creux de l'oreille. Elle l'écoute, là, le nez contre une parcelle de peau de son cou. Le parfum d'humus, son odeur à lui parviennent aux narines renardes. Elle est étonnamment bien et paisible là, entre ses bras, comme enlacée dans les bras protecteurs d'un amant. Une sensation qu'elle n'avait plus connu depuis longtemps sinon auprès de son défunt Cain. Cet homme qui aura réussi l'exploit de se faire aimer d'elle des années auparavant.
    En cet instant, elle aimerait répondre à Torchesac. Lui dire que son nom est idiot en arborant le sourire narquois qui lui sied tant. Elle aimerait lui demander si le manque de sa mie n'était pas trop présent. S'il était apprécié par chez lui. Elle n'en doute cependant pas. En d'autres circonstances, elle aurait probablement apprécié passer du temps en sa compagnie. Ils auraient conversé, échangé, rit peut-être. Peut-être se seraient-ils apprécié au point de devenir amis.
    Contre lui, elle sent la lame peser contre sa chair, appuyer au point de la fendre, de la couper. Légère douleur pourtant bien vite évincée au profit de la quiétude.

    Il parle. Elle ferme les yeux. Lentement, elle se sent devenir lourde. De plus en plus. Sans qu'elle ne s'en inquiète. La vie doucement s'en va, suivant le flot de sang s'échappant de la plaie nouvelle. Son souffle ralentit. Son cœur aussi. Tranquillement. Toute agitation se tarit peu-à-peu en elle. Bientôt, ses pensées se taisent. Alors, toujours contre lui, elle expire une ultime fois dans le creux de son cou. Grâce à lui, les traits du visage de Goupil se sont détendus. Ils ne semblent plus tirés par la fatigue et la douleur mais plutôt mués pour l'éternité dans le calme et la sérénité d'un sommeil éternel bien mérité.


- Au revoir mes amis
Au revoir mes frères
Au revoir mon pays
A nous deux la lumière
Au revoir Franckie
Au revoir les printemps
Au revoir pauvre monde
A nous deux satan
Au revoir mes amis
Au revoir mes frères
Au revoir mon pays
A nous deux la lumière
* -


    Owen' n'est plus.
    Au matin ne reste qu'un corps froid dans les bras de cet amant inespéré. Jamais elle ne pourrait le remercier d'avoir été le salut auquel elle aspirait tant et pourtant, grâce à lui, elle connaîtrait le repos éternel.



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Vivia




𝕷𝖊𝖘 𝖒𝖆𝖚𝖛𝖆𝖎𝖘𝖊𝖘 𝖓𝖔𝖚𝖛𝖊𝖑𝖑𝖊𝖘 𝖓'𝖆𝖗𝖗𝖎𝖛𝖊𝖓𝖙 𝖒𝖆𝖑𝖍𝖊𝖚𝖗𝖊𝖚𝖘𝖊𝖒𝖊𝖓𝖙 𝖏𝖆𝖒𝖆𝖎𝖘 𝖘𝖊𝖚𝖑𝖊𝖘.

Si la Grise se dirigeait vers une Mort certaine, c'est un autre Rat qui rencontrait désormais sa part de maux. La capture n'avait pas échappé aux oreilles de ces petits vermines, qui discrètes et plus sournoises prenaient plaisir à se faufiler dans les ruelles abandonnées. L'annonce est donc faite, Demi-oreille avait été fait captif par les soldats champenois. Quand bien même, il s'agissait d'un moindre mal au vu du bordel qu'ils avaient semés, la capture du Renard n'en restait pas moins une sacrée épine dans le pied et nul doute qu'Owenra la hanterait si jamais il lui arrivait malheur alors qu'elle avait -peut être- un moyen de l'aider.

Ainsi donc, alors que les effets sont préparés et que l'ordre est donné de préparer sa monture, le Barbier donne l'ordre de rédiger et d'adresser des missives aux Rats. Le message devait être diffusé auprès de cette masse difforme, de cette Blanche et de cet élément boiteux qui s'exprimait en vers. Quant au reste...Elle s'en chargerait.


Citation:
De sources sûres, le Demi-Oreille aurait été aperçu en facheuse posture auprès d'éléments champenois. 
Le Renard s'est fait prendre et museler. 

Au vu de la merde que nous avons remué, nous nous en sortons pas trop mal en soit...Un attrapé pour plus d'une dizaine de participants...

Quoiqu'il en soit, certains se chargent de récupérer le Renard. Libre à chacun d'emprunter la route qui sera la sienne, en groupe ou seul. Organisez-vous via les courriers que vous avez reçu récemment. 

Les Rats foutent la merde et ils le font bien ! 

Le Barbier Fou.


Une fois fait, la hyène s'empresse de retrouver les routes et le chemin de Reims. Chaque chose en son temps et si le confrère se trouvait en fâcheuse posture dans les géôles champenoises, il y en avait une, qui à quelques lieux risquait de se faire happer par la Faucheuse. Ainsi donc, le visage couvert par cette épaisse capuche, elle plaque sa besace contre son flanc alors que la monture s'empresse de fouler les chemins de terres et d'avaler cette distance qui la sépare de la Grise.

Finalement, ce ne fût qu'en croisant le corps las de ce coursier que l'esprit du Barbier se laissa happer par la crainte. Malgré l'odeur, le visage tuméfié d'avoir trop épousé l'irrégularité des chemins, elle reconnaît aisément cet homme qu'elle avait payé pour transmettre sa missive. Nul doute que cette dernière n'avait pas atteint les mains cadavériques de la Grise. Nul doute également, que d'autres aient pu avoir connaissance de cet échange. Ainsi donc, entre ses tempes, l'inquiétude gagne et ronge cet espoir si naïf de la retrouver en vie pour y laisser suinter cette certitude âcre que la Grise n'était déjà plus et que sa carcasse déjà maigre et lasse avait été confrontée à d'autres maux.

Les brides sont claquées, la fatigue oubliée et les chemins de nouveau foulés par les fers de sa monture jusqu'à finalement, entendre au loin, ce bruit sourd et ce froissement d'armures caractéristiques. Consciente, le Barbier l'est et si elle empeste le Rat et la Folie, ce n'est que pour honorer les dernières volontés de la Grise qu'elle ose s'avancer vers le campement, au risque de subir le même sort que sa comparse et Amie. La monture est laissée, les pas se font discrets et la Hyène se fait nuisible. Discrète ? Elle savait l'être surtout lorsque sa carcasse en dépendait.

Pourtant, ce qu'elle vit là, au delà de cet amas de bardas laissé par les soldats, lui arracha toute once d'instinct de survie ou du moins, ce qu'il en restait. Là, à quelques pas, Vivia reconnu cette crinière rousse et ce pelage grisâtre. Elle se figea, observa sa carcasse et espéra, seconde après seconde, minutes après minutes que sa poitrine enfin se souleve pour se gorger d'air, en vain. Là, à quelques pas, la Rousse n'est plus...Avait-elle eu le même sort que le coursier ? Etait-elle conservée par ces autres comme un trophée de chasse ou un élément apparat ? Sans comprendre la raison, elle sentit alors sa gorge se nouer et cette froideur se briser sous cette vision pourtant si familière pour un Barbier. Des corps, elle en avait vu, étudié et pourtant, tous étaient insignifiants à ces yeux, hormis celui-ci. La Rousse n'était pas qu'une simple patiente, qu'un simple Rat, elle était avant tout cette connasse à l'humour noir, cette carapace qui cachait par son vécu et son épaisseur des maux qui lui semblaient pourtant si familier. Pour la première fois depuis longtemps, ce corps-ci s'humanisa.

Lentement, l'échine de la Mère des Rats se relève et le rongeur revêt aussitôt son pelage et son agressivité de Hyène. Pas à pas, l'animal se rapproche de la carcasse de la Grise et alors qu'elle parvient enfin à effleurer sa tignasse terne et à entendre par cette tâche de carmin séchée les causes de sa Fin, le Barbier daigne réaliser que sa présence n'est pas passée inaperçue. Sous cette présence qui semble la surplomber dans son dos, le museau de la Hyène se retrousse, les babines se relèvent et les crocs s'affichent. Malgré la menace qui plane, le Barbier refuse de lâcher ces mèches rousses qui semblent glisser sous ses doigts...Pour la première fois depuis longtemps, la carapace insipide, infecte et froide du Barbier fait place à cette compassion, cet attachement qu'elle s'était jurée de ne jamais éprouver...

Vous ne pouvez pas la garder.... Lasse, la voix se perd comme un écho alors que le Barbier peine à détacher son regard de celle dont elle doit encore ramener le corps aux siens..

Tu vois Owenra, même là tu me fais chier...
Je m'étais jurée de ne jamais m'attacher à une autre rousse que Mérance...
Je m'étais jurée de ne jamais humaniser les corps que je vois, côtoie et parfois examine..
Pourtant, de tous tu es celle qui me ressemble le plus ...
Merci d'avoir été là lorsque j'ai perdu ma fille...
Puisses-tu veiller sur Alyss pour moi jusqu'à ce que je vienne l'étreindre de mes bras...
Puisses tu enfin vivre sans Mal..Sans souffrance...
Puisses-tu désormais être libre de tes choix, de cette vie qui nous fut maintes fois imposée ici lieu...
Tu vas me manquer..Connasse...

_________________
Torchesac
Côté défenseurs, à Reims


Ma Belle était légère, sans doute, et moi assez imbécile pour la porter à bout de bras, où le poids importait peu, qui était toujours lourd des chagrins des hommes. Elle puait la mort déjà.

Elle n'était ni trophée, ni dépouille. Nous n'avions pas encore eu assez de morts dans cette guerre pour les voir ainsi. Nous pouvions encore supporter nos douleurs humaines.

Viendrait le temps sans doute où nous les porterions en tas, pour écarter la pestilence ou les éloigner de nos vues ....

Mais pas encore, pas ce jour.

A l'orée du camp, une sentinelle m'interrogea, et m'invita à faire mon rapport à l'officier de garde.

J'allais à lui et fus succinct. Deux "Rats" morts cette nuit. L'un que les autres devraient ramener, un messager. L'autre, que je tenais, qui était perdue, malade et venait chercher la mort. L'officier pâlit, et je me fis un plaisir de lui redire les leçons du toubib sur les différentes pestes des camps, en précisant à chaque fois pour le rassurer qu'elle n'en portait pas la marque.

Trop jeune pour avoir connu autre chose que des exercices, des parades, des camps, quelques horions, un mort peut-être. Qui n'a pas vu ces masses de corps, ces amis fauchés d'un coup, dépecés par la mitraille, les visages endormis la veille, malade et inquiets, et retrouvés grimaçant leur trépas au lendemain, les charniers emplis de corps presque tous nus et déformés, l'odeur de la mort et de la chaux, ... tout cela.

Il se reprit pourtant et demanda les sceaux, insignes et les messages trouvés, que je lui donnai. Il jura ... un mort pour un message personnel. Il donnera le tout aux déchiffreurs. Puis il me congédia.

Le camp s'éveillait.

Chacun se redécouvrait au bivouac plutôt que chez lui. Ceux qui comprirent mon fardeau se dégrisaient vite. Certains se signèrent. D'autres crachèrent au sol pour éloigner le mauvais œil.

Ma belle avait l'air paisible pourtant. Et une chevelure rousse immense à la lumière du jour.

Je la posai devant la tente un instant, et l'arrangeai du mieux que je le pouvais, pour la recouvrir de mon manteau rapiécé ... il me fallait un suaire et une pelle pour achever mon œuvre. Et de quoi laver son corps souillé.

Trouver une pelle dans ce camp était facile et fut vite fait.

Pour le suaire par contre, je dus aller en ville, jusqu'au lavoir, pour trouver des draps blancs, et les lavandières et ménagères qui les avaient en charge.

Je fus vite repéré, et accueilli par des sifflets et quolibets qui accablaient le mâle qui venait troubler l'intimité de ces dames.

Je dus m'expliquer, sommairement d'abord, pour voir les matrones en exiger plus. Alors, je leur racontai ma nuit ... et sa conclusion. Il y eut des moues, quelques sanglots, de tout ... elles étaient mères, filles, sœurs, épouses ... celles qui attendent et espèrent.

Elles ne savaient trop. Le temps était encore à l'abondance, mais la disette viendrait vite. Et si "nous" avions plein de morts, qu'en ferions-nous ? Elles ne pouvaient non plus laisser une dame portée en terre comme rien, même si c'était une ennemie. Et elles ne pouvaient donner à une ennemie ce qu'elles n'auraient plus ensuite pour les leurs.

Celles qui attendent et espèrent savaient déjà la vanité de leurs espérances. La guerre troublait. Beaucoup ne voulaient pas en entendre parler aussi, et éloigner le spectre de la morte, et le porteur de sa nouvelle, aussi vite que possible.

Finalement, la volonté de se montrer digne l'emporta. Je reçus un drap blanc, brodé de petites fleurs d'aubépine, et ravaudé mille fois, et une paire de robes, plus de prime jeunesse, mais encore bien, avant d'être congédié fermement.

Je m’éclipsai en me chargeant de mon "butin".

Le camp était une ruche à présent ... chacun allant, vaquant, qui la bouche encore pleine du premier repas, qui déjà chargé pour les travaux du jour.

Je pris encore au vol un pain de savon, de l'eau dans mon morion, et arrivai à ma tente fort chargé, pour voir une silhouette penchée sur ma belle.

C'était une femme, portant une besace pleine, vêtue en geuse, chaussée pour la monte ... pas vraiment à sa place dans ce camp, mais qui aurait pu y entrer sans se faire voir.

Je raffermis ma prise sur la pelle, prêt à balancer tout le reste et ... elle me devança.


Vous ne pouvez pas la garder....

Ce n'était pas tout à fait un défi, mais ressemblait plus à beaucoup de chagrin qui ne voulait pas venir.

Nul ne pouvait la garder. Mais ... elle devait encore partir.

Je répondis doucement ...


Aidez-moi à la préparer. Nous verrons pour la suite.
--Judicael
Citation:
Elle parcourt les tentes des différents membres de l'Azur ainsi que celle de Cael. Déposant lettres préalablement préparées sur les effets des unes et des autres. Une fois ceci accompli, elle retourne vers la monture et le palefrenier improvisé.



[𝖈𝖔𝖙𝖊́ 𝖇𝖗𝖎𝖌𝖆𝖓𝖉... 𝕼𝖚𝖔𝖎 𝖖𝖚𝖊. 𝕻𝖑𝖚𝖘 𝖙𝖆𝖓𝖙.]




Elenna Von Stavenger, Duchesse de Lorraine a été enlevée. Son peuple, brave bras de Lorraine, n'a pas hésité à franchir les frontières de France pour venir la récupérer, l'arracher aux mains de l'armée félonne, au coeur des villes saccagées, des diocèses vidés. Au cœur des geôles du Chateau Nancéen, un coupable. Le meneur brigand a été jeté à l'obscurité d'un huis clos. Quatre jours de route, pieds et poings liés, hissé sur un cheval au galop, sans grâce ni panache dans les méandres de la campagne limitrophe impériale. Insulté, battu, ils a été débarqué avec escorte forcée sous le regard du castel de Nancy.

Les autres n'étaient pas du voyage. Violemment cueilli seul, lorsqu'il s'éloignait de la ville tenue en otage pour ravitailler, Judicael était resté silencieux, le regard fermé, l'esprit belliqueux lorsque ses mains avaient été liées pour ne plus frapper, sa bouche obstruée pour ne plus insulter, ses pieds entravés pour ne plus les fracasser contre les plastrons. Retour de flamme. L'inversion des rôle seyait mal au rouquin, qui déjà préoccupé par l'état d'Owenra, se retrouvait impuissant loin de ses acolytes. Bien qu'il n'ait pas eu la force d'ouvrir ce pan de tente et d'y pénétrer pour braver l'image squelettique, décharnée de la rousse la veille, aucune de ses pensées n'avait su s'en détacher sur le chemin qu'il faisait seul. Il avait trouvé le pli avant de partir. Un pli que seul, il ne pouvait pas déchiffrer. Qui connaissait Judicael savait qu'il ne savait pas lire. Que les femmes de la Cour, les clercs des campagnes ou les jeunes moins rencontrés traduisaient et répondaient pour ses correspondances moyennant quelques piécettes. Les hommes de Dieu et ses comparses avaient en eux le culte du silence. Un paramètre qu'il ne prenait pas à la légère.

Pli dans la doublure décousue de son bliaud, le roux ne savait donc rien de la mort de son amie, mère, aimante. Du lien brisé à tout jamais, aux abords des bois de Reims. Toute la vérité demeurait pourtant ironiquement là, entre deux épaisseurs de cuir et de tissus...

Citation:


    Cael,

    Je suis arrivée au bout de mes capacités physiques. L'incapacité que j'ai à me nourrir m'a inexorablement conduite à devenir ce squelette que tu côtoies tous les jours. Mes jambes flanchent, je ne peux guère plus me tenir debout et je sais que la prochaine étape qui m'attend sera pire encore.

    Je ne veux pas imposer à tes yeux ma déchéance plus longtemps. Je ne veux pas que tu assistes à la mort dégradente qui m'attend au fond d'un lit. Je ne veux pas que qui que ce soit soit oubligées de me laver tous les jours, de changer les draps tous les jours car je ne serez plus en capacité de sortir du lit pour uriner ou déféquer.

    Si je n'étais déjà plus grandement utile à force de faiblesse, là, je deviendrai un réel poids au sens propre, incapable de subvenir aux plus primaires des besoins. Mon Fils, ne sois pas témoin de cela. Jamais.

    Je pars. Je pars et je ne reviendrai pas. J'ai réfléchi et j'ai pris la décision de rencontrer l'armée à Reims. J'espère y trouver mon salut. J'ai remis mon testament à Kel, j'espère qu'elle le fera repecter, je te lègue quelques effets.

    Mais je voulais encore te dire "merci". Merci pour les moments délicieux de complicité que nous avons passés. Merci d'être entré dans ma vie. Je sais que je n'ai pas toujours été la personne la plus agréable, la plus loquace, la plus joviale et je m'en excuse.

    Après cette décision égoïste, j'espère que tu trouveras ton bonheur. S'il te plaît, sois heureux, ne t'enfonces pas dans les limbes de ton esprit afin que nous puissions un jour nous retrouver dans l'éternité.

    Je pars mais je t'aime. Je ne sais pas ce qui m'attend de l'autre côté, j'espère seulement pouvoir veiller un peu sur toi.

    Puissions-nous nous retrouver.

    Ta Mère Renarde,
    O




Lorsque le loquet claqua derrière lui, il sembla reprendre un souffle perdu, retrouver sa respiration après de longues heures d'apnée mentale. La prison était un tombeau silencieux et nauséabond, où ne perçait parfois que le cri d'un condamné, d'une femme désespérée, d'une personne que l'on brutalisait.

Genoux dans la paille, qui d'ailleurs ne devait certainement pas lui être destinée, il accusa le coup. De ces derniers jours, de cette journée incertaine et de ses blessures à venir. Car il le savait bien... Les Lorrains, s'ils n'étaient pas stupides, auraient tôt fait de le faire écarteler en place publique. La plaie de Limoges s'était réveillée dans la débacle, rouverte au fond des chairs, sans pourtant donner trace apparente. Elle lui faisait un mal de chien. Si personne ne lui faisait une nuit blanche ce soir, le souvenir du tabassage en règle s'en chargerait, lancinant au point de le faire contorsionniste. Pas une position ne le soulagerait, et l'Opium manquait à tout apaisement. Se recroqueviller, attendre. Le palpitant aux abois, Demi oreille sentait venir les représailles. Rouquin sentait l'ébullition extérieure, une agitation trop contenue filtrant au travers de la lourde porte de bois dans les bruits de bottes. Là derrière, ça grouillait et ça passait, repassait... Sa main nerveuse vint forcer les chaines pour finalement s'y figer, de guerre lasse.

Dehors là, il était attendu. Destiné aux tenailles de la question, Voué à être refilé en pâture au courroux d'un peuple.
Owenra


Lentement, la Mère des Rats observe la Rousse, la détaille et marque une pause alors qu'elle porte ses iris vers son visage. Quelque chose est inhabituel et pourtant apaisant. Les traits de la Grise sont détendus, soulagés, presque..satisfait et rassuré. Cela faisait quelques mois qu'elle s'occupait de cette patiente et pourtant, malgré les opiacés, les massages, les bains et les soins, elle n'avait pu constater que rarement cet apaisement sur ses traits.

Devant cette évidence, quelque chose se trame alors entre les tempes du Barbier et la méfiance acquise par sa vie de misère semble se heurter à une évidence plus difficile encore à encaisser. La Mort d'Owenra n'a rien de comparable avec celle du messager.

Finalement, alors qu'elle se perd dans sa torpeur et ce constat, elle entend la voix masculine qui se perd à ses oreilles. Le ton est calme, posé, limite compréhensif et cela n'a de cesse de troubler d'avantage la Hyène. Si elle avait prévu de récupérer le corps et de le rendre présentable seule, les mots du soldat finissent par lui faire entendre raison. Après tout, s'il avait voulu la tuer, il l'aurait fait sans mal et par derrière. Contrairement à cela, il se contente de proposer, laissant à Vivia le temps d'acquiescer malgré cette méfiance tenace. Après tout, passer 8 mois derrière les barreaux de la Prévoté a être torturée et violée par ces geôliers, avait finit par exacerber sa méfiance et son mépris.

Bien. L'échine se relève donc alors qu'elle replace l'étoffe posée avec soin sur le corps de la Rousse et qu'elle finit par voir ces différents éléments rapportés par le soldat. Ainsi donc, il avait déjà pris soin d'amasser le nécessaire. Décidément, cet homme était surprenant...Prendre soin d'un Rat avec autant d'égard ne faisait pas parti des mœurs locales.

Je vois que vous avez déjà tout préparé. Doucement, la capuche est rejetée en arrière et le visage de la Mère des Rats se découvre alors qu'elle avoue les mèches blanches qui accompagnent sa couleur naturellement blonde, son teint sicilien et ses traits froids. Au loin, elle observe les soldats qui restent sur leur garde, les lorgnent ou plutôt les dévisagent. Il semble que les initiatives du soldat ne semblent pas être au goût de tous..

Je suis son médecin et elle m'a demandé de ramener son corps à ses proches. Alors, j'accepte de préparer son corps avec vous. Me faire aider, me fera du bien pour une fois et je vois, que vous avez déjà investi en effets..produits et vêtements..Ce qui m'intrigue d'avantage..

Ainsi donc alors qu'elle reste à proximité du corps de sa Connasse, elle se penche et fouille les effets rapportés par cet homme. La surprise grandit et son impassibilité peine à rester de marbre. Pourquoi diable avait-il récupéré tout cela ? Combien est-ce que tout ceci avait pu lui coûter ? Pourquoi...

Il nous faut un endroit au calme pour préparer son corps et à l’abri des regards. Des sceaux pour les viscères et de l'eau pour nettoyer le corps. Je m'occupe de la vider... Appelons un chat, un chat. Préparer un corps était un travail long, qu'elle n'avait pas pour habitude de faire, préférant laisser à d'autres confrères ce travail-ci. Pourtant, elle en connaît les bases, les rudiments et les usages et le soldat, quant à lui, semblait ne point être étranger à ces pratiques.




Posté à la demande de Jd Vivia

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Torchesac
Il y eut un flottement ... le temps d'une décision.

Puis elle se retourna, et nous nous dévisageâmes ...

Elle avait des traits ... puniques et germains à la fois, les marques de son visage, son nez, et la blondeur de ses cheveux. J'en avais vus déjà, parmi tant d'autres, au port de Marseille, il y a bien longtemps ...

Elle portait les cicatrices de sa vie aussi, la dureté de son regard, de son port, les mèches blanches pour attester des souffrances ... rétive, et expectative ...

Mon visage ne la troubla pas. Ma cicatrice était laide, je le savais. Le toubib était devenu aveugle peu de temps avant, et ceux qui m'avaient recousu étaient plus des ravaudeurs que des chirurgiens. Celui qui m'avait porté le coup avait autant la trouille que moi. Il y était allé franchement, et je ne m'étais pas écarté assez vite.

Les gars nous observaient, indécis. Le "médecin" d'Owenra semblait incongrue dans notre camp. ... Vivia ... elle devait être la Vivia de la lettre.

Je devais lui répondre, vite, ou un autre prendrait l'initiative ...

Mais quoi ?

La Gorgonne, cette monstruosité qui se gobergeait de nos horreurs , de nos larmes, et de nos errements, riait de la situation.

Je n'avais pas pouvoir de décréter une trêve ou de la laisser aller. Et pas envie de faire autrement. Il y aura assez de morts idiotes et de folies en cette guerre. Si je voulais vaincre la Gorgonne, il faudra que j'y mette un terme. Et se battre n'était qu'une manière de la perpétuer ... Nous devions nous rendre visage humain les uns aux autres, et nous parler comme tels ... alors seulement, la Gorgonne pourra être terrassée.

Enchainer ... enchainer comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.


Soyez la bienvenue, Toubib Vivia. Je suis Torchesac.

Que dire de plus à l'instant ? C'est moi qui ai tué votre amie ?

Cela viendrait en son temps, si elle a envie d'en parler, de savoir ...

Désignant les effets ...


Ce sont les dames de Reims qui ont donné ceci. Nous n'avons pas encore beaucoup de morts ici, et encore assez de temps et de ressources pour nous en occuper bien ... dignement ... humainement ... quelque chose comme ça.

L'aumônier, qui est notre barbier aussi, doit avoir achevé de panser les entorses et les éraflures. Nous pourrons procéder sur sa table.

Il y aura toute l'eau et tous les récipients qu'il faut. Je vous assisterai.


Et de voir les gars hésiter encore. Naturel naturel naturel ...

Et vous pourrez vous changer aussi ... Une de ces robes devrait vous aller, et il y a encore plein de tabliers propres.

Et aux autres ...

Venez m'aider vous autres ! On la porte au poste de secours !
Owenra


Toubib...Vivia... Sous l'écho de son prénom qu'elle n'avoue que rarement aux inconnus, les sourcils de la Hyène se froncent en guise de désapprobation. Soit l'armée était bien informée, soit ils vouaient le cousin du Sans-Nom, soit....Il y avait véritablement un lien entre la mort du messager, l'absence de réponse de la part d'Owenra et cette clairvoyance.

Ainsi donc, mon messager n'est pas mort en vain.

Puis, voilà que le soldat continue de la surprendre. Sans un mot, elle écoute donc ses trucs et astuces pour obtenir des effets sans dépenser un écu. Une technique dont l'efficacité semble être assurée si l'on est porteur d'une côte de maille, d'une bonne aura et d'une bonne gueule. Enfin..Façon de parler vu la gueule balafrée du Torchesac -ça, c'est cadeau-. Quoiqu'il en soit, ce sont toujours les lippes scellées que le Barbier s'avance vers la tente sous le regard assassin et quelque peu ahuris des autres camarades du soldat. Ils n'ont pas l'air d'apprécier votre bonté d'âme...

Pourtant cette bonté est louée par la Sicilienne qui peut ainsi, avec l'assistance du soldat, offrir à Owenra une mort digne d'une Reyne. La tignasse est attachée en chignon, les lieux inspectés, le matériel mis à disposition, les seaux d'eau mis à proximité de la table et le tablier enfilé. Aussitôt, le visage du Barbier se referme, les traits agressifs et protecteurs se muent en un masque froid et enfin, alors que le corps est enfin posé, Vivia décide délier sa langue.

Nous allons devoir procéder par étape. Je vous laisse déshabiller le corps et le laver à l'aide d'eau coupé à du vin. Cela va lui permettre de retrouver une teinte rosée, qu'elle a d'ailleurs perdu avec le temps..Je m'occupe de ces viscères.. D'un geste, elle lui tend alors un tablier comme pour se faire plus sociable et lui faire entendre qu'au même titre qu'elle, le sang et les éclaboussures de viscères n'épargnaient personne.

Ainsi, alors qu'elle lui laisse le temps de déshabiller le corps de la Grise pour en avouer la carcasse cachectique, les os saillants et la tâche de naissance tentaculaire qu'elle niche sur son dos. Concentrée sur son matériel et les seaux a viscères qu'elle pose finalement sur la table, la Mère des Rats détaille avec attention les gestes et les traits du soldat afin de s'assurer que dans chacune de ses étapes, le corps de sa Connasse, conserverait toute son humanité et qu'elle retrouve, autant que faire se peut, cette bonté d’antan.

J'ai pu remarquer cet apaisement sur ses traits...ceux-là même qui laissent sous entendre que sa mort fut douce voir souhaitée....Que pouvez-vous me dire à ce sujet?

A cette question, le masque froid se redresse pour face à son interlocuteur alors que les iris le dévisagent. Le Barbier n'était pas connue pour sa sympathie, son humanité et encore moins pour sa gentillesse. Ces qualités autrefois apparentes, s'étaient effacées sous les coups, les caresses perfides et incestueuses et les séjours en géôles. La vie fait des Rats ce qu'ils sont, plus forts, plus vils..plus froids et ces maux eurent raisons de cette naïveté candide et délicate. Pragmatique, froide, tranchante, sadique et assurément sarcastique, la Hyène cumulait les tares comme une force, encaissant malgré elle, le revers que ces qualités pouvaient engendrer.

Merci pour votre aide.... Cela lui arrache la gueule mais au moins, c'est sincère. Petit à petit, le corps dénudé retrouve une teinte passée, chaleureuse et douce tandis que l'entaille est recousue avec soin tandis qu'une autre, plus longue se créé sur le ventre plat. La partie la plus délicate et sanglante revêt au Barbier qui aussitôt, plonge ses phalanges dans les entrailles de son Amie. Rien de folichon, d'attrayant pour celle qui dans un autre contexte aurait pris plaisir de souiller de son vice, cette partie vierge de toute caresse.

Vous pouvez commencer à répartir ce baume sur son corps..Il s'agit d'une préparation odoriférant pour ralentir la putréfaction.. Gestes après gestes, les viscères sont vidées et le corps déjà maigres avouent des vallées plus profondes encore. La Hyène ne peut restituer le corps ainsi vidé à sa sœur et l'idée de la farcir la contrarie quelque peu..

Humph. Si je la ramène plus maigre qu'elle ne l'était je sens que je vais trépasser. Vous avez quelque chose pour..rembourrer un peu ?...Le tact ? Une autre qualité.




Posté à la demande de Jd Vivia

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Torchesac
La dépouille de notre belle était légère, mais les gars râlèrent quand même.

Les soldats râlent pour tout, l'exercice, les corvées, les gardes, la bouffe ... tant qu'ils râlent, tout va bien. Râler fouette le sang, montre que vous êtes en vie, conscient, prêt à vivre encore, et à en demander plus.

C'est quand ils se taisent ou quand ils murmurent que la révolte est proche.

Le Toubib Vivia n'avait pas trop mal réagi à son prénom. J'opinai quand elle parla de son messager, sans insister plus.

Elle prit possession du poste de secours comme une maitresse de maison de sa maisonnée. Un regard sur tout, des gestes sûrs, cette manière inconsciente de réorganiser tout à sa manière en un tour de main, tout en se préparant elle à œuvrer en ce lieu.

Elle eut un geste économe et élégant pour faire son chignon. Ses mains avaient étaient vivantes et habiles. Et son regard était tout aux travaux du jour.

D'un ordre clair, elle me désigna ma tâche.

Je pris une lame pour défaire les vêtements de ma Belle. Ils étaient collés par le sang à l'endroit de sa blessure, et, plus bas, souillés de ce que son corps avait libéré. Je découpai et dénudai petit à petit, ayant peur de lui faire mal par des gestes trop brusques, laissant apparaitre son corps, anatomie sans vie.

Sa peau était pâle, atrocement, glabre, et tendue sur les os. Elle avait la poitrine décharnée. Elle semblait spectre déjà.

Je m'arrêtai un instant pour la regarder en son plus simple appareil, l'imaginer vivre et sourire en pleine santé. Je n'y parvins pas. Mon souvenir d'elle était ces souffles dans la nuit, sa chaleur déclinante, sa maigreur, ce besoin d'être délivrée de la vie, bercée ... sa fin.

Je secouai la tête et m'adonnai à sa toilette en gestes longs et tendres, espérant pouvoir lui rendre quelque beauté, et au moins la parer.

Je sentis le Toubib m'observer, puis me poser la question, presque clinique.


J'ai pu remarquer cet apaisement sur ses traits...ceux-là même qui laissent sous entendre que sa mort fut douce voir souhaitée....Que pouvez-vous me dire à ce sujet?

J'hésitai, cherchai les mots justes pour dire les choses, témoigner, sans blesser.

Son regard était ferme. Elle voulait savoir, recueillir la mémoire, se venger s'il échet.

Cela vint, pas à pas.


Elle s'est éteinte dans mes bras.

...

Elle avait besoin de partir. Je ne l'ai pas compris tout de suite. Elle n'a pas dit un mot : elle n'en avait plus la force.

...

Sa plaie fatale est la mienne. Je lui ai parlé beaucoup, et l'ai gardée avec moi jusqu'à l'aube et sa fin.

Une renarde a été témoin de cela, puis s'est enfuie.

Voilà.


Je m’apprêtai à recevoir un coup, une gifle, quelque chose ... mais elle revint à son corps, et prit le relai pour le préparer.

Elle recousit ma plaie, en une belle suture croisée.

Puis elle se mit en devoir de lui ôter ses tripes froides. C'était étrange ... celles que j'avais déjà vues jadis aux hommes étaient fumantes toujours.

Puis de me rappeler à l'ordre.

Je pris le baume. Il sentait fort le camphre et des herbes que je ne connaissais pas.

Je me mis à l'ouvrage, caressant chaque parcelle de sa peau pour y faire pénétrer l'onguent, du crâne au front, du front aux tempes, des tempes aux paupières, puis au nez ... et ainsi, de suite. J'hésitai en venant à son intimité ... qu'elle n'avait plus vraiment .., puis me forçai à œuvrer pour celle-là comme pour le reste de son corps, et finir en massant doucement ses orteils décharnés.

Mes mains sentaient bon après cet exercice.

Je revins à son visage, et ouvris doucement sa bouche pour y placer une obole, le salaire du Passeur.

Et le Toubib revint à moi.


Humph. Si je la ramène plus maigre qu'elle ne l'était je sens que je vais trépasser. Vous avez quelque chose pour..rembourrer un peu ?

Ahum ... J'avisai sa césarienne encore ouverte.

Il doit y avoir de la charpie dans un de ces coffres, de laine et de lin surtout. Ce sera mieux que de la paille certainement.

Et de joindre le geste à la parole, ouvrir le coffre et découvrir tout ce qui devait servir à éponger le sang et bander les blessures. Il devait y en avoir assez pour "rembourrer" un cheval.

Je pris sur moi de d'abord tapisser son intérieur d'onguent, puis de le combler, en tassant doucement la charpie, jusqu'à ce que son "ventre" soit plein.

Et de me laver les mains ensuite, en regardant le Toubib Vivia enfiler son aiguille.

Elle cligna des yeux. Deux fois.


Cela fait combien de temps que vous n'avez pas dormi, bu ou mangé ?
Owenra


Ainsi donc la vérité est avouée alors que contenance et dignité sont redonnés à cette carcasse autrefois tâchée et décharnée. Lentement, le Barbier abandonne quelques soupirs, non de lassitude mais de fatigue. Après tout, savoir comment embaumer, ne remplace nullement la pratique et la lenteur de ses gestes qu'elle espère être respectueux et méticuleux. Étonnamment, elle fait fit de cette rancœur qu'elle peut vouer aux maréchaux, soldats..et autres énergumènes du genre et entend ce qui fût.

La Grise était donc morte dans ses bras à lui, dans ceux d'un étranger qui pourtant su lui apporter ce qu'elle voulait à cet instant précis, du réconfort et de la compréhension. Il fut témoin de son dernier souffle et se tenait encore là, devant sa carcasse pour lui offrir un accès à cet autre monde. Pourquoi diable avait-il agit ainsi ? Pourquoi offrir cette mort digne et continuer, malgré la désapprobation des siens à lui offrir une entrée plus douce dans les limbes ?

Pourquoi Torchesac ? Pause est faite alors qu'elle soutient ses lombaires endoloris et continue son ouvrage. Pourquoi offrir à cette femme, cette fin..Pourquoi rester ici lieu à m'aider au lieu de me foutre aux fers? Lucide, la Hyène l'est et sa présence n'est pas désirée dans ce camps. Elle sait les risques qu'elle a encouru pour honorer cette promesse et si elle espérait pouvoir repartir de ce taudis pour offrir aux siens le corps embaumé de son Amie, il semblait évident que ces attentes n'étaient pas partagées. Quel intérêt donc, trouvait-il à tout cela ?

Le corps enfin remplumé, elle finit par refermer la carcasse grise et apposer un regard neutre sur l'ensemble. Que penseront les siens ? Cette première expérience d'embaumement sera-t-elle suffisante aux siens de son Aimée ? Trop de questions s'animent entre ces tempes déjà usées alors que la fatigue finit par la rattraper. Les paupières clignent nerveusement, le corps lui tend à s’affaisser et ce n'est qu'à la force du mental que ses appuies restent fixent.

Deux ou trois jours..Tout au plus. J'avais espéré la rattraper avant qu'il ne soit trop tard..Pour lui offrir à travers mes plantes, une fin..Moins douloureuse et sanglante. Mais.....Doucement, le Barbier retire le tablier alors qu'elle se dirige vers une vasque pour nettoyer ses mains, avant-bras et rafraîchir son visage. Pause. Las, le corps finit par s'asseoir alors qu'instinctivement, la chevelure est détachée et la nuque massée pour en soulager les maux. Je ne sais si elle a pu vous remercier..Mais, je tiens à le faire à sa place si tel est le cas. Maintenant..Dites-moi, quelle est la suite ? Regard se porte sur ces hommes qui semblent attendre devant l'entrée de la tente...Prête ? Aucunement. Intérieurement, elle ne souhaite pas retrouver les geôles, les fers, la famine et les maux qui marquèrent son corps, ses cuisses et ses tempes...Pourtant, elle avait pris ce risque pour la Grise et si elle avait éludé volontairement cette situation le temps de l'ouvrage..Il était désormais temps, de se retrouver face à ses responsabilités et son destin.

Je vous préviens...Je ne suis pas prête à être de nouveau muselée ...



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Torchesac
La question vint enfin, sur un ton de révolte presque.

J'attendis qu'elle ait achevé ses travaux de couture, pour panser la plaie, rhabiller Owenra, et la rouler dans un suaire.

Puis de revenir au Toubib Vivia, qui restait terriblement sur ses gardes ... d'autant que d'autres qui étaient là semblaient ne pas trop comprendre non plus.


Je l'ai fait par humanité.

Je suis Juge de Champagne, encore que plus soldat pour ces heures que portant l'hermine.

Nous sommes tous soldats ici dans ce camp, et champenois. C'est facile d'être champenois et de parler de tuer des "rats". Il en va sans doute de même réciproquement pour les "rats" envers les "champenois".

Mais elle est Owenra, vous êtes Vivia, je suis Torchesac. Et là Martin, le charron rémois, Hugues, bourrelier, à Reims aussi, Jean, Adam et Judas, francs tenanciers et jeunes papas, Clicquot et Bollinger, fringuants vignerons, ... Chacun plus que juste un "rat" ou un "champenois". Chacun avec ses perles de vie, ses douleurs, ses espérances et ses désespérances.

Tuer un "rat" est facile. C'est un acte de guerre. Il n'y a pas d'humain dans cette guerre. Juste des acteurs qui acceptent d'être des pions et de traiter les autres en pions, parce que c'est tellement plus "facile" ainsi de tuer l'autre, l'ennemi le voler, lui faire du mal quand il n'a pas de visage humain.

Tant que nous agissons ainsi, nous ne pouvons que perpétuer cela : tuer des rats, et les haïr pour ce qu'ils "nous" ont fait, tuer des champenois, et les haïr pour ce qu'ils nous ont fait.

Quand je suis juge, j'ai certains gens accusés qui se présentent dans leur humanité, et qui veulent me parler en tant qu'humain. Et si j'ai un rôle à jouer, le principal est de faire en sorte que le vivre ensemble en Champagne soit rétabli, avec eux.

J'en ai d'autres qui jouent à Procureur et Juge contre Malfrat. Avec eux, point de dialogue, mais juste un rapport de force, où l'accusé peut haïr à souhait ceux qui lui font du mal, en voyant plus leur costume qu'autre chose. Et c'est sans espoir, au point que les peines que je pourraient prononcer sont vaines : ils recommenceront.

Si je veux arrêter cette guerre, faire en sorte qu'elle ne se perpétue pas, qu'elle ne renaisse pas ailleurs, autrement, mais avec la même violence, ... la première chose à faire est sans doute de regarder les autres avec humanité ...

Owenra est venue chercher la mort. Je ne l'ai pas comprise tout de suite. Et je pouvais sans doute lui offrir cela plus facilement que les siens ... je n'ai que ce souvenir d'elle. Vous en avez des myriades. Ils seront moins ternis. Elle l'avait sans doute compris.

Et vous, Toubib Vivia, vous avez eu ce courage de venir réclamer la débouille de votre amie.

Et de tous les temps, après le combat, des trêves sont accordées entre adversaires qui se respectent pour permettre à chacun de disposer des dépouilles des siens.

Et s'ils ne se respectent pas, les mouches foisonnent.

Si cette guerre doit se terminer un jour, elle ne pourra se faire que par le dialogue. Et ce dialogue commence par le respect.

Alors, je tente ma chance avec vous. Et peut-être que cela ne donnera rien. Et peut-être qu'il en sortira, que sais-je, une étincelle, une poussière d'espoir ...

Il suffit de deux personnes qui acceptent de se parler en respectant l'autre.

Et on parle très mal chargé de fers ou muselé. Et on parle très mal le ventre creux.

Vous êtes mon hôte pour ce temps ici.

Est-ce le seul motif ? Non, sans doute pas. Je vous admire pour votre courage d'être ici et ... et bien, vous me plaisez. Mais aller plus loin en ce sens pourrait être "compliqué" en ces temps troublés.

Accepteriez-vous de partager mon repas ?
Owenra


Assise, usée et visiblement crevée par la route et l'ouvrage, le Barbier écoute ce qui suit. Les sourcils se froncent, tantôt se hissent, tantôt s'interrogent. Torchesac est une curiosité à part entière. Loin de ces préjugés, elle entend chacun de ces arguments et les assimilent. Voir au delà des apparences, humaniser un ennemi ou une victime, comprendre celui ou celle qui est en face pour mieux entendre son courage et la portée de cet acte à venir. Tuer un inconnu est effectivement aisé et la Guerre avait le don d'anonymiser tous ces pions. Rares étaient ceux qui osaient en entendre d'avantage, ceux qui étaient prêt à ôter les masques de leur adversaire pour y voir, le père, le fils, le frère qui se cache sous ce dernier. Rares étaient ceux qui osaient abattre ce qui, finalement, n'est autre qu'un être humain. Si le destin avait été autre, nul doute que Vivia aurait épousé les bons sentiers et qu'elle aurait continué à soyer les soldats champenois comme ce fût le cas à ses débuts. Nul doute qu'elle aurait soutenu le regard d'Actarius pour s'enrôler vers un dessein plus sain...

Vous êtes..surprenant. Le mot est faible après tout. Voilà qu'en plus du Grand Prévôt, le Barbier s'apprête à ajouter dans sa liste de « bons » contacts, un Duc de Champagne. Décidément, ce Duché allait avoir sa peau.

Votre discours de tolérance et d'humanité fait écho à celui qu'Actarius avait à eu égard. Je m'étais présentée comme Barbier/Chirurgien et comme Corleone et il fut le seul à me remercier pour les soins prodigués aux champenois...Ce temps me paraît bien loin.

Le sourire s'étire alors que les babines méfiantes finissent par s'abaisser pour en cacher les canines.

Cette guerre se terminera, sans nul doute. Il est hors de question que les Rats s'éternisent et s'épuisent. Après tout, il ne s'agit que de faire diversion et profiter qu'ils soient tous concentrés à Reims pour finalement affranchir des villes esseulées et piller, pour la première fois de l'histoire, un diocèse. Cette guerre n'avait pas d'autres but que de rappeler au Royaume que les Bas-Fonds étaient encore en vie et qu'ils pouvaient se faire ruser et s'éveiller...en force..sous une même bannière. Demi-Oreille avait bien fait son office et prouvé sa capacité à diriger. Quant à elle, en Mère des Rats bienveillante, elle avait veillé à ce que tous puissent rentrer dans leur foyer.. Sauf peut être..Owenra. Mais il ne s'agit pas d'une perte liée à ce conflit. Cette dernière était embarquée, malgré elle, dans un conflit interne qui était gagné d'avance. Elle s’essoufflait, se mourrait à petit feu et avait trouvé dans cette guerre, une occasion d'en finir..

Vous faites parti de ces Juges, qui rares, prennent le temps d'écouter leurs accusés ? Cette justice se perd, au profit d'une autre plus oisive et moins formelle. Les travers sont alors plus fréquents et les aigreurs, plus vives...Quant à l'humanité, cher Torchesac..Même si j'apprécie votre foi et qu'en soit, elle a pu servir mon Amie et qu'elle pourra, je l'espère, me permettre de me casser d'ici avec le cadavre sous le bras..Je crains qu'elle ne soit un luxe réservé à ceux qui sont loin de certains maux.

Sans formalise, la carcasse de la Sicilienne se relève. D'un pas, elle se rapproche du corps d'Owenra pour finalement, couper quelques mèches. Un présent qu'elle saura offrir à qui de droit et en temps voulu. Puis, elle s'empare du pichet d'eau pour boire directement à la poterie.

J'accepte l'invitation, à la seule condition...Que vous me laissiez partir à l'issue avec de quoi transporter le corps d'Owenra. Je tiens nullement à être une captive et il me faut respecter ces dernières volontés et la ramener aux siens. Je peux néanmoins...me faire plus conciliante vu ma position inconfortable et..offrir de soigner vos hommes. La boucle serait ainsi bouclée... Et je pourrai alors, tirer un trait sur ce passé..Sur celle que je fus pour me consacrer à celle qu'il me faut être pour survivre..




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