Torchesac
Côté défenseurs - à Reims
Le réveil, ... magnifique moment de l'après midi où les sergents d'arme cessent d'être attentifs aux dormeurs du jour pour reprendre les exercice d'ensemble, rythmés aux cris et aux tambours.
Autant pour ma "nuit" avant une nouvelle nuit de garde.
J'effrayai un page d'un juron senti, pour me lever et aller m'adonner à mes ablutions. Une autre habitude que cette armée avait prise : le savon éloigne la peste.
L'aumônier n'était pas tout à fait certain de la chose. Surtout quand il a vu les corps des mâles velus et couturés de cicatrices s'adonner au bain avec délice. Et celui des dames pas moins avares des marques de la vie s'y adonner pareillement, de leur côté. Il y avait une certaine pudeur gaillarde pour permettre cela.
A vrai dire, nul n'aurait osé déranger ces dames ... elles avaient des manières bien à elles de dire des choses qu'aucun homme même malhonnête souhaitait entendre sur sa virilité, son être et tout cela.
Enfin, tous sauf l'aumônier. Il a désespérément cherché son évêque juste après. Je crois que voir Dieu ne l'aurait pas moins impressionné.
Bref, donc, savon, gant de crin, ... d'aucuns diraient que ce serait mieux avant d'aller dormir, mais le bain, ça vous réveille.
Point de barbier ce jour. En fait de barbier, c'était laumônier. Il pouvait nous entendre à confesse tout en procédant. Nous avions intérêt à ne pas avoir trop péché, sous peine de nous faire trancher sur une exclamation d'indignation. Et comme l'aumônier était en émoi, ... et bien, mieux valait passer son tour quelques jours.
Une fois frais, j'allai prendre mes ordres auprès du Pacha. Rien de neuf. Des rumeurs. Quelques rapports d'éclaireurs et d'espions, pour ce que nous pouvions savoir. Patrouille pour cette nuit, en équipement léger et tapinois. Capturer si nous le pouvions, tuer sinon.
J'avais encore le temps, un peu, avant le départ.
Je m'arrêtai à la cantine, bien fournie de nos greniers, pour y prendre ma ration de pain et de ragout et m'éloigner jusqu'à un endroit calme pour la déguster.
Un cerisier en fleur pour dais. La luzerne pour tapis. Le monde pour palais ... le ragout de racines et de mouton était chaud encore sur mon tranchoir, et goûtu. Je mangeai lentement, en prenant soin de bien mâcher. Encore un ordre spécial de cette armée, qui se souciait de notre digestion parfaite.
Tout partit par petites bouchées, alors que vêpres approchait doucement.
Le camp saffairait de partout. La garde montante se préparait calmement.
J'avais encore le temps. Un peu.
Celui de me lécher les doigts avec délice et de prendre une rasade d'eau coupée de vin.
J'hésitai ...
Il restait encore un peu de temps avant vêpres. Le soleil passerait dans les branches d'un grand chêne avant que la cloche ne résonne.
Je fouillai mon sac pour en sortir "mon" fifre. Je l'avais trouvé un hier. Il avait six trous taillés au couteau et polis. C'était plus l'instrument d'un berger que celui d'une armée. Personne n'en voulait semble-t-il.
J'avais été fifre jadis, avant qu'on ait plus besoin de moi comme sapeur et terrassier ... et d'autres besognes sordides de la guerre.
Je me demandais si je saurais encore.
Je le portai doucement à mes lèvres, et soufflai, pour obtenir ... rien du tout.
Je m'humectai les lèvres pour me reprendre ... et plus doucement encore.
Un son long et aigu vint à mon appel.
Et la suite vint ...
Le fifre est une manière d'apprivoiser le vent. Ou le vent les hommes.
La brise des vêpres arriva sous le cerisier, agitant ses branches aux flocons blancs.
Et le vent prit son envol.
Il parcourut le camp et les feux de bivouac ...
Il parcourut les communaux et les troupeaux ...
Il s'envola vers les cimes des vergers rémois en pleine floraison ...
Il parcourut les champs et les tenures, les terres grasses ... et les vignes à l'infini.
Il s'engouffra le long des ruisseaux, pénétrant les futaies ...
Il courut aux côtés d'un lièvre ... pour finir par faire la course aux hirondelles autour d'une grange ...
Il était tout sons et sens ... libre ...
...
...
...
La cloche sonna ... vêpres arrivait, et le fifre se tut.
La garde montante se regroupait.
Et j'avisai le Pacha m'observer, songeuse, que je n'avais entendue venir. Puis de me présenter le charbon pour la nuit.
Nous allions devenir ténèbres ...
Je lui souris, et me barbouillai à son pareil.
Nous devenions ténèbres ...
Le réveil, ... magnifique moment de l'après midi où les sergents d'arme cessent d'être attentifs aux dormeurs du jour pour reprendre les exercice d'ensemble, rythmés aux cris et aux tambours.
Autant pour ma "nuit" avant une nouvelle nuit de garde.
J'effrayai un page d'un juron senti, pour me lever et aller m'adonner à mes ablutions. Une autre habitude que cette armée avait prise : le savon éloigne la peste.
L'aumônier n'était pas tout à fait certain de la chose. Surtout quand il a vu les corps des mâles velus et couturés de cicatrices s'adonner au bain avec délice. Et celui des dames pas moins avares des marques de la vie s'y adonner pareillement, de leur côté. Il y avait une certaine pudeur gaillarde pour permettre cela.
A vrai dire, nul n'aurait osé déranger ces dames ... elles avaient des manières bien à elles de dire des choses qu'aucun homme même malhonnête souhaitait entendre sur sa virilité, son être et tout cela.
Enfin, tous sauf l'aumônier. Il a désespérément cherché son évêque juste après. Je crois que voir Dieu ne l'aurait pas moins impressionné.
Bref, donc, savon, gant de crin, ... d'aucuns diraient que ce serait mieux avant d'aller dormir, mais le bain, ça vous réveille.
Point de barbier ce jour. En fait de barbier, c'était laumônier. Il pouvait nous entendre à confesse tout en procédant. Nous avions intérêt à ne pas avoir trop péché, sous peine de nous faire trancher sur une exclamation d'indignation. Et comme l'aumônier était en émoi, ... et bien, mieux valait passer son tour quelques jours.
Une fois frais, j'allai prendre mes ordres auprès du Pacha. Rien de neuf. Des rumeurs. Quelques rapports d'éclaireurs et d'espions, pour ce que nous pouvions savoir. Patrouille pour cette nuit, en équipement léger et tapinois. Capturer si nous le pouvions, tuer sinon.
J'avais encore le temps, un peu, avant le départ.
Je m'arrêtai à la cantine, bien fournie de nos greniers, pour y prendre ma ration de pain et de ragout et m'éloigner jusqu'à un endroit calme pour la déguster.
Un cerisier en fleur pour dais. La luzerne pour tapis. Le monde pour palais ... le ragout de racines et de mouton était chaud encore sur mon tranchoir, et goûtu. Je mangeai lentement, en prenant soin de bien mâcher. Encore un ordre spécial de cette armée, qui se souciait de notre digestion parfaite.
Tout partit par petites bouchées, alors que vêpres approchait doucement.
Le camp saffairait de partout. La garde montante se préparait calmement.
J'avais encore le temps. Un peu.
Celui de me lécher les doigts avec délice et de prendre une rasade d'eau coupée de vin.
J'hésitai ...
Il restait encore un peu de temps avant vêpres. Le soleil passerait dans les branches d'un grand chêne avant que la cloche ne résonne.
Je fouillai mon sac pour en sortir "mon" fifre. Je l'avais trouvé un hier. Il avait six trous taillés au couteau et polis. C'était plus l'instrument d'un berger que celui d'une armée. Personne n'en voulait semble-t-il.
J'avais été fifre jadis, avant qu'on ait plus besoin de moi comme sapeur et terrassier ... et d'autres besognes sordides de la guerre.
Je me demandais si je saurais encore.
Je le portai doucement à mes lèvres, et soufflai, pour obtenir ... rien du tout.
Je m'humectai les lèvres pour me reprendre ... et plus doucement encore.
Un son long et aigu vint à mon appel.
Et la suite vint ...
Le fifre est une manière d'apprivoiser le vent. Ou le vent les hommes.
La brise des vêpres arriva sous le cerisier, agitant ses branches aux flocons blancs.
Et le vent prit son envol.
Il parcourut le camp et les feux de bivouac ...
Il parcourut les communaux et les troupeaux ...
Il s'envola vers les cimes des vergers rémois en pleine floraison ...
Il parcourut les champs et les tenures, les terres grasses ... et les vignes à l'infini.
Il s'engouffra le long des ruisseaux, pénétrant les futaies ...
Il courut aux côtés d'un lièvre ... pour finir par faire la course aux hirondelles autour d'une grange ...
Il était tout sons et sens ... libre ...
...
...
...
La cloche sonna ... vêpres arrivait, et le fifre se tut.
La garde montante se regroupait.
Et j'avisai le Pacha m'observer, songeuse, que je n'avais entendue venir. Puis de me présenter le charbon pour la nuit.
Nous allions devenir ténèbres ...
Je lui souris, et me barbouillai à son pareil.
Nous devenions ténèbres ...