L_aconit
[ Imaginarium ] 2/2
Il est si soulageant d'ouvrir une Géode en deux, et d'y découvrir dans une angoisse légère les cristaux que l'on a imaginé différemment, mais bien là, dévoilés pour une première fois rien qu'à nous, qui nous fait sentir Maître chanceux, Dénicheur d'impossible, accoucheur de Trésors, unique détenteur d'un secret. Si Alphonse était cette Géode comme se plaisait à le dire Nicolas, c'était pour cette satisfaction là, connue depuis l'enfance, quand lui aussi fut ce enfant blond grandi au bord de la mer, dont le sel avait blanchi les cheveux et la peau. Un enfant qui cherchait de précieux cailloux. Alphonse, pierre connue et lissée de gestes, de nuits, de ces mains farouchement éprises de lui, Géode inconnue ouverte pour la première fois. Voilà un an et demi que leurs corps et leurs âmes se répondaient en écho, sans heurts, sans platitude, voilà un an et demi et tant d'épreuves déjà traversées. Saint Front n'avait été qu'une apothéose de l'horreur, retournant à tous jamais les espoirs de Nicolas dans leur corolle. D'enfant, voulait-il encore? Un enfant qu'on lui enlèverait sans explications encore? Un enfant qu'on assassinerait de sang froid ? Un enfant pour l'achever, ou un enfant pour revivre? Les idées s'étaient fatalement agglomérées entre elles quand Alphonse avait lâché les mots comme on jette l'ancre en mer, dans l'espoir qu'elle accroche quelque chose, le persécutant entre des sentiments trop contradictoires pour pouvoir répondre sur l'instant.
" Viens. Allons sur le navire. Je crois qu'il est plus que l'heure... Nous n'en reparlerons que dans les meilleures conditions: après avoir longuement fait l'amour."
Et Amour ils avaient fait. Différemment peut-être que les autres fois. L'esprit déjà à l'heure inéluctable de cette conversation. Sans automatisme, mais dans une étrange question réciproque: " et si?"
Si Nicolas ne sourit pas à la tendre évocation, il ne reste pas de marbre. Une partie de lui étouffe les pleurs dérangeants sous un oreiller pour en écouter le bien fondé. Nicolas est un dortoir vide, qu'Alphonse sait animer d'une chandelle. A ces mots peut-être, plus touchants les uns que les autres, il s'émeut d'une distorsion de cur, se laisse embrasser. Alphonse veut un enfant. Ce n'est pas une plaisanterie. Un enfant d'eux deux. Et lui, le veut-il? Mais comment veut-il braver la nature, ce Faune qu'il ne reconnait pas, et dont il a ouvert les fers sans s'y attendre? Est-il à la hauteur de ce que son amant réclame, et espère partager avec lui? Si Nicolas a été un jour une page vierge, il n'est à l'aube de ses vingt ans plus qu'un relié raturé. Soudain plein de doutes et de peurs cristallisées d'un pragmatisme expectateur.
- Un à nous ou rien. Cela ne pourrait pas être autrement... Au fond de toi, tu le sais.
Se mouillait-il? Ils savaient tous deux qu'un enfant d'eux n'existerait jamais. Mâles, jusqu'aux bouts des queues. Pourtant, tout ce qui pouvait les réunir était sanctifié, de la pensée la plus absconse à la plus féconde, de l'absurdité naïve aux grands espoirs utopistes. Du bien, au mâle. Tout ce qui avait fait d'eux Alphonse et Nicolas s'était depuis longtemps mué en Alfaust. Créature duelle enracinée, quasi indissociable. Repoussant sur le terreau noir des forêts brûlées. Un enfant d'eux. C'était une idée qu'il caressait d'un silence, à voir Alphonse s'y animer avec tant d'espoir et de bonheur. Il fallait laisser l'expression de ce besoin évoluer pour s'en faire une idée plus concrète. Plus sûre. Une de ces idées auxquelles l'ont apporte les bonnes réponses quand on est Zèbre. Faust à Alphonse savait être patience, de celles qui observent années après années, sans lassitude, l'épanouissement d'une plante affectionnée.
Lon se touche, lon seffleure, échos naturels des mots, et aux bruits nouveaux qui partout entourent, à ce terrain nouveau, s'éprendre de grèves communes est un geste de bâtisseurs ; retranchés au sommaire sommier, garçons refont le monde aux horizons nouveaux, apprivoisent dabsurde linconnu vertigineux qui souvre devant eux. Nouvelle vie se brode de schismes, sétire de soleils au travers de la nuit, et sème aux bouches les marques des dents, les sourires échoïques et corrompus des comploteurs.
Le chat à la Fenêtre* grince dun rouage et Alphonse souvre dun peut-être.
Rêvons, là pour un instant, pour une nuit, mêlons les Flandres, la Bretagne, imaginons
Cest une première fois, malhabile, vacillante, mais à lemportement de la découverte, Alphonse aborde un versant jamais exploré, toujours envié celui des fictions.
Le sourire anime enfin le visage dune étincelle parfumée ; partout à sa peau, larôme de lautre, le bouquet de ses doigts, lessence de ses baisers, la fragrance de ses soupirs, lodeur de son plaisir.
Embryon fait dorganiques rivages, de ce parfum unique auquel, dune nouveauté, chante celui de la mer, pousse un premier cri dêtre seulement évoqué; dans la cabine, à cet instant ils sont trois, réunis en un cur, nourri dun seul sang, famille tissée de rien, des vides qui font le plein, de morceaux dépareillés jusquà la mosaïque. Cet enfant-là ne naitra jamais, lon le sait, Nicolas a raison ; identiques sannulent, matrice est ainsi faite quelle ne sassemble que de son contraire, et pourtant il vit, dans la lettre M qui aime le ventre dAlphonse et lirradie dun impossible, dans lenlacement des chairs, dans le chavirement des corps.
Ombre se découpe à la patine du bois ; Tabouret sest assis au bassin blond dont le nombril divague dune splendeur sur le marbre exposé et aiguise lenvie dy déposer un baiser fleuri de gratitude, une larme pétrifié de joie qui luit parfois au néophyte qui découvre la perspective des beautés magistrales jusque dans leurs détails. Chaque contemplation arrache à lâme une écaille vernis que lon sempresse de rajouter aux autres dans linsensé fabrication dune couronne minérale, que lon grave dune date, et dune même phrase, inlassable, " Ce moment où je me rends compte à quel point je tAime ", avant de la mener à lassemblage ; Faust à sa seule existence admet tous les miracles, embrasse les monstres jusquà les rendre idiots, baise chaque crainte jusquà la rendre exsangue, senroule dune douceur à chaque plaie pour la bercer dun baume.
Là, fais me le pour une nuit, une nuit seulement D'accord Alphonse. D'accord pour tout. Pour lheure, Il dort, tu lentends ? Mais tout à lheure Tout à lheure, que fera-t-on pour loccuper ?... Tout à l'heure est une autre vie. Maintenant, donne-moi tes mains.
Mains se donnent, invisible couronne au bout des doigts qui s'enfouissent d'abord d'une caresse aux cheveux pour l"y déposer avant de se joindre à leurs semblables, plumes blanches et noires enchevêtrées d'un même élan.
Maintenant, et ensuite, demain.
* Le Chat à la fenêtre est le nom du bateau acheté en Bretagne par Faust et Alphonse.
A quatre mains
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