Adrian.w Le sommeil s'est fait transfuge et les nuits sont devenues d'une longueur exaspérante. La raison se l'explique d'un trop de lettres, abrutissantes et somnifères quand les yeux sont occupés à les déchiffrer dans un poussiéreux volume de biologie, bourdonnantes et parasites quand il s'agit de tout balayer pour l'instant sacré du repos.
L'insomnieux gronde, râle et gronde encore : les contrariétés n'améliorent jamais l'humeur. Et quand il s'étend et cherche en vain à reprendre un rêve interrompu qu'il imagine d'égale facture à ceux du corps de Raymond, seule l'amertume s'applique à lui coller aux tempes un mal de crâne bien loin des plaisirs d'une bonne cuite.
Il n'avait pas prévu que, ce soir-là, l'option sur une proposition-à-la-con serait validée. L'instinct de survie mouché par l'excès de fatigue, la validation elle-même a été confirmée.
Lors, tandis que d'abrutis Bretons envahissent les gargotes cambrésiennes, lui s'en extirpe pour filer au train d'une ombre aux contours encore flous. Il la suit, oui, plus qu'il ne l'accompagne, le sarcasme en bord de lippe et les réflexions vaseuses en débit ininterrompu, comme pour désacraliser l'étrange accord. Il l'a dit et le pense, aucune tension ne doit s'infiltrer dans cette relation-là. Le désir n'y a pas sa place : il a bien assez, pour cela, de proies malléables et dont le corps à corps n'entrainerait aucune complication pour lui - car les concernant, il s'en fout. Pas de désir, ce qui ne balaye pas l'envie : celle-là résonne mieux, moins insinueuse, mais aussi garante d'une certaine déférence.
La chambre est à l'image de sa propriétaire : froide, symétrique et rangée à l'excès. Rien ne déborde ou n'interpelle. Il s'en moque ouvertement avant de retirer ses bottes maculées de neige boueuse et son manteau humide, pour les jeter là avec l'indolence de celui qui impose son désordre dans l'univers dans celle qui l'abhorre. Se vautre ensuite dans la froidure du lit sur un authentique bâillement, éreinté. Il ne l'attend pas pour chercher sa place et y faire son trou, et ferme les yeux, occupé déjà à raviver un curieux Bertincourt pour en connaitre le but. Elle se couche dans les règles imposées : il y a davantage trente que dix en centimètres séparés.
Le temps s'effile et, nez au plafond, Adrian trépigne dans sa torpeur qui ne cède pourtant pas à l'endormissement. Se tourne d'un côté, puis de l'autre, le sien, avant de balayer d'un marmonnement leur mur de Berlin. Le bras droit se plaît alors, sans gêne ni vergogne, à trouver refuge autour de l'échalas. Le vieux museau choisit, lui, de se tapir au milieu des boucles courtes. Chaque inspiration ramène en lui l'odeur apaisante de cette peau étrangère. Les minutes suivantes sont toutes de prières composées, dans l'espérance de pouvoir rester là, contre la tiédeur d'une qu'il n'aura pas eu à payer.
Sommeil, satisfait, s'autorise à revenir et à s'installer en lui. Enfin, dort et s'apaise.
La nuit est devenue d'une brièveté exaspérante.
Maighdin Il est tard. Le dernier quartier de lune éclaire la ville endormie. Les lumières s'éteignent petit à petit dans les maisons laissant les habitants couler dans des sommeils plus ou moins agités. Les chouettes bien réveillées font entendre leurs chants nocturnes.
C'est un hululement plus fort que les autres qui fait tourner la tête de Maigh. Y aurait il un nouvel habitant dans le bâtiment? Comme pour répondre à sa question des bruits de pas légers se font entendre sur le plancher du grenier. Au moins les souris ne feront plus de dégâts dans les pelotes de laine stockées là haut!
Mais il n'est pas encore temps de bailler aux corneilles! La Cambrésienne a du pain sur la planche, ou plutôt du fil à l'aiguille! Car oui, elle passera sa nuit à coudre, assemblant les étoffes qu'elle à réussi à marchander dans la journée. Il faut bien recommencer quelque part...
Les bougies diffusent une faible lueur sur la table de travail. Les yeux plissés sur son ouvrage du moment la couturière manie l'aiguille d'une main malhabile. Il faut dire que le froid commence à lui engourdir les doigts et la fatigue pique ses yeux.
Allez, je dois terminer cette paire de braies!! Et commencer une nouvelle chemise.
Un soupire s'échappa de sa bouche accompagné d'un petit nuage de buée. Depuis la mise à sac de la boutique, elle n'avait pas eu le temps de s'occuper du ravitaillement en bois pour les braseros. Ils attendaient là, vides, froids.
Elle devrait s'en occuper dès le lendemain si elle ne voulait pas finir gelée.
Aïe!!
L'Aiguille vient à la rencontre du doigt sans crier gare. Peut être serait il temps de faire une pause? Non, pas encore.
Du moins c'est ce qu'elle croit. Resserrant son lourd chale autour de son cou et de ses épaules, elle tente de résister. Bien vite l'aiguille lui échappe et tombe sur la table rejoignant les braies presque terminées.
Un sursaut. Il ne faut pas dormir! Mais ses yeux, fatigués de trop dobscurité finissent par abdiquer. Elle s'enfonce rapidement dans un sommeil profond terminant ainsi sa nuit affalée sur son travail.
La chouette à nouveau se fait entendre, mais plus personne ne l'entend.
Adrian.w Déjà entamée, il parcourt la nuit de ses ruelles, s'y faufile et cherche sans vraiment chercher un larcin à dérober, un truc oublié à chiper, n'importe quoi qui lui donnerait l'occasion de balayer l'abrutissement des textes à étudier. Trouve finalement, au derrière d'une maison aux propriétaires assoupis, un jardin garni de plantes, mais de légumes aussi. Puisqu'il n'a que faire des navets, s'attaque aux simples et, avec les précautions et le silence de ceux qui veulent opérer tranquillement, récupère les feuilles, les racines et les quelques fleurs de la pointe de son couteau ou du bout de ses doigts. Le sac n'est pas rempli du butin que déjà le froid a raison de lui : il ne sent plus ni son museau, ni ses oreilles et ses mains, sous la couche de terre, sont bleuies. En retenant un grognement, redresse sa carcasse alourdie et s'extirpe du potager pour prendre le chemin du puits, même si ce n'est pas cadavre qu'il a tripoté. Il plonge alors ses pattes dans l'eau glacée, les frotte jusqu'à ne plus pouvoir en bouger les doigts, puis s'essuie sur son manteau élimé. Ce soir non plus, il ne rentrera pas chez lui.
Cela devient une curieuse habitude. Pousser cette porte qui devrait être close et s'immiscer dans l'antre aux mille listes. Y laisser sa trace, de pas en bouquins jonchés là, dans un coin, oubliés au matin, avant de s'en plaindre comme innocent. S'affaler sous les couvertures en les tirant un peu à soi, l'air de rien. S'abîmer dans un sommeil réparateur qu'aucune question ne vient plus balayer, quelques mauvais rêves ayant encore primauté. Se réveiller serein et refuser toute confusion pour n'en rien gâcher.
Cela devient une curieuse habitude. Appréciée.
Abandonnant son sac terreux au pied d'une table, à côté des bottes renversées et du manteau jeté en boule, il s'enfonce sous les draps pour accueillir en lui la tiédeur d'une couche déjà réchauffée. Si la rousse gèle en dedans, lui, ce soir, tremble de froid des extrémités. Là, après avoir eu confirmation qu'elle ne dormait pas - dort-elle vraiment parfois ? - se plait à lui causer d'insensées qui se pointent en tête : rêves, gueulantes et pensées. En a des tas en réserve, n'en est jamais épuisé. Au milieu, parfois, se niche même une vérité.
Il babine et finit par avouer " Qu'ç'prenne fin si tôt m'aurait emmerdé ". Puis s'entête, Passager, à se rapprocher du corps recroquevillé et bouffé de questions insolubles pour en épouser les contours. Il ne s'évertue pas à la convaincre qu'il n'y a aucun mal dans ce qui se joue-là. Elle l'a dit et il le croit : à chacun sa conscience et ses choix. Avant que la fatigue ne l'emporte, pour remercier, aura la bête audace d'effleurer le cou d'un baiser. Les doigts frigorifiés chercheront alors les autres pour s'y greffer. Le sommeil aura raison du trouble. La volonté épargnée.
Tard, il l'est aussi, et la chouette s'égosille sûrement.