Perceval_aelis
~ Vendredi 14 Décembre ~
C'est un Paris froid et morne qui l'accueille au creux d'un manteau frileux de brume, son arrivée tardive au seuil du crépuscule l'invite à se rendre à L'Ostel Dieu sans délayer et en ne prenant que le temps nécessaire pour confier sa monture à l'auberge la plus proche.
Elle, pourtant rompue aux longues chevauchées, s'en trouve éreintée de ce voyage. Perceval n'a pas encore acquis assez d'habilité pour monter et démonter sans l'aide de son poignet et ce simple exercice lui est excessivement coûtant.
Longue carcasse est traînée dans les venelles étroites, peu avenante de mine, de la solitude plein les veines, plein le coeur.
"Ils" la prétendent carré, ils se trompent.Se leurrent.
Perceval n'a rien de carré sauf le désir d'en être un, elle n'est pas régulière en ses côtés, elle est pleine, c'est un polyèdre aux faces irrégulières.
Volume d'angoisses refoulées, d'un besoin souvent frustré de contrôle, de silences, d'incompréhensions, elle tente pourtant d'uniformiser ses angles, de rendre ses arêtes égales mais l'asymétrie perdure, ce qu'elle tente d'égaliser se désajuste à l'immédiat et ce simple constat, pour celle qui aime tant la régularité et à chaque fois un amer échec, une déception d'elle-même qui l'a renvoie dans sa fragilité.
Elle sonne.
On lui ouvre.
C'est le noir intérieur.
Elle se fait spectatrice de cette jeune fille qui s'annonce d'une voix monocorde, elle la suit dans les couloirs de cette démarche abrupte, entité abstraite de l'instant.
En pilotage automatique, elle s'assied où on lui dit de sasseoir, elle attend où on lui a dit d'attendre.
Patience en surface, ébullition en interne, palpitant en sourdine dans ses tympans.
Perceval s'est recluse dans un coin de son esprit, partagée entre la joie de revoir Nicolas, et le trouble violent qu'est pour elle la confrontation.
Des bruits de pas... son coeur saccélère, s'affole en cavalcade, l'approche s'en fait distincte à l'oreille et d'un élan, elle s'est redressée, prête à l'accueillir ou à fuir, incertaine comme à chaque rencontre, de la tournure que prendra leurs échanges.
- Dès son arrivée, le malaise qu'a provoqué l'attente de cette venue annoncée se fit plus lourd, cristallisé dans sa gorge , dont la pomme dAdam montait et descendait trop régulièrement. Perceval était là. Il fallait l'accueillir. Oui, j'y vais. Elle attend. Oui, j'ai compris. Monseigneur, quelque chose ne va pas? Clap de fin de torture de méninges, elle est là, on y va. On y va. Il y est.
Bonsoir Perceval. Vous arrivez tard.
Un reproche? Non. Nicolas est trop factuel et trop nerveux pour reprocher quoi que ce soit à Perceval. Lui le Flagellant. Lui qui comme elle, porte à bout de bras la moitié d'un mois de décembre affreusement compliqué, difficile à dompter, à classer dans les cases de son esprit trop méticuleux. Un mois suffisamment indigeste qui - et c'était bien là l'ennui - n'était pas terminé. On y est. Quoi faire maintenant? Complimenter Perceval sur une quelconque nouveauté? Perceval était constante. Comme à son habitude, rien ne dépassait. Rien ne se distinguait d'une mise impeccable et pratico-pratique. Perceval, carré, entière, se tenait là. Et lui l'Ovale ne savait plus comment rompre la glace qui s'était lentement érigée entre eux. Maladroit, inexpérimenté, le Montfort ne maîtrisait en rien le langage des femmes, encore moins celui d'une Perceval. Encore moins depuis qu'il avait à demi exprimé sa jalousie. Encore moins depuis qu'il savait qu'il ne lui disait pas tout. Depuis les lettres. Les silences. Les mauvaises interprétations. Zébrures. Géométrie. Putain de mic mac intérieur.
Je me suis inquiété.
Factuel. Nicolas s'était inquiété. Voilà qui était une bonne entrée en matière. Pourtant, son inquiétude était toute tournée sur cet entretien, qui il l'oubliaient peut être tous deux visait à soigner la rousse. Raclement de gorge, main dans les cheveux blonds, main qui se tend à sa voisine pour regarder de plus près de poignet défectueux.
- Montrez-voir, là, doucement, bien, la lice vous aviez dit. Soit. Bougez-le un peu. Ce poignet est brisé. Oui, c'est évident et c'est fâcheux. Immobilisation totale. J'ai dit totale oui.
Silence. On y était.
Perceval la taiseuse répond à peine, elle obéit simplement à la requête et tend la dextre mal en point, poignet bandé et atèle pour en contrôler l'immobilité.
Elle bouge la main, grimace un peu, acquiesce, pensive aux dires du médecin.
L'oeil bleu, froid, détaille Nicolas, soupèse le constat, il est différent, elle n'aurait su dire en quoi, ne sachant guère identifier la teneur exacte du changement, ne pouvant seulement que le notifier. Il n'est pas comme elle a l'habitude de le croiser, et c'est le genre de chose qu'elle ne peut rater, aussi vrai qu'un carré n'est point un rond.
La main gauche s'avance, un pouce se glisse sur les lèvres épiscopales, applique une simple pression pour obtenir un peu de silence dans cette dispersion verbale.
Vous m'avez manqué.
Simplement dit, clairement énoncé, sans fioriture, ni chemin tortueux emprunté.
Perceval a l'art des vérités toutes crues.
Le pouce se retire doucement, une expiration se fait un peu plus longue, comme un souffle trop longtemps gardé.
Un été sans fin se cachait dans tes mains
Et là sur ma peau il faisait beau
Quand tes yeux mi clos ont frôlé l'air de rien
Et mon corps et mon âme
Tout ce que je savais de moi s'est enfui
Et c'est toi qui a tout pris*
*a peine retouché de J'ai tout aimé de toi - Carmen Maria Vega
Et là sur ma peau il faisait beau
Quand tes yeux mi clos ont frôlé l'air de rien
Et mon corps et mon âme
Tout ce que je savais de moi s'est enfui
Et c'est toi qui a tout pris*
*a peine retouché de J'ai tout aimé de toi - Carmen Maria Vega
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