L_aconit
- « Il en est dont il n'y a plus de souvenir,
Ils ont péri comme s'ils n'avaient jamais existé ;
Ils sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés,
Et, de même, leurs enfants après eux. »
Siracide ; 44,9
Zénith de janvier. Premier jour de voyage. Dans la cabine , étendu et fourbu sur le lit d'une nuit et matinée de tours de garde à scruter les étoiles et l'horizon , il observe ses mains. Petite nature. Un jour en mer à manier les cordages, la barre glacée par les vents, et voilà que les délicates pattes de potier, si blanches et à la peau si fines des gens bien nés sont déjà rougies. Irritées. Douloureuses en silence. L'orgueil dont l'avait affublé Ansoald, le seul peut -être à le nommer ouvertement est bien là. Dans ces mains qu'il resserre l'une contre l'autre et finit par enfouir dans les poches de son manteau. Quelque chose en lui vibre de cette corde là, celle qui ne donne pas de place à l'expression plaintive, lui qui n'a cessé de geindre et de pester ses contrariétés intestines à la lenteur du chantier. Bateau a pris la mer; l'heure n'est plus aux complaintes, c'est aux sirènes que l'on jette cette opprobre... Devenir Marin rend comme les mains, calleux et volontaire. Depuis hier l'on a plus faim. La place des cartes, des lectures du ciel, des erreurs de trajectoires, de l'infinie curiosité offerte à l'Astrolabe complexe de Salviac et de la monstruolisation des récifs a rempli autrement les corps. Les esprits. Les creux insoupçonnés.
- "Nous y sommes."
La silhouette retourne s'ébouriffer à l'Ar Gazeg Veurzh. " La jument de Mars", comme il le révélera à ses compagnons de voyage, d'un murmure à fossettes. D'une mèche égarée dans la bourrasque.
"Ne sommes nous pas décoiffés mais de si bon baptême? Quatre hommes filant sur la jument de Mars?"
Voguer, que l'on soit un vieux loup de mer ou un jeune marin d'eau douce permet-il tout ce temps contemplatif aux vagabondages terrestres? Pensons-nous forcément à ceux que l'on a laissé à terre, insulaires finalement, à chaque fois que la mer nous entoure de solitude? Car l'océan apprend à Faust que ce dernier a quelques vertus trop humaines. Se jeter à ses bras, c'est accepter qu'il nous possède sans que nous ne nous y abandonnions totalement. Comme un homme que l'on invite à partager notre lit, il nous engloutit, nous sommes aussi à la fois tout entier en lui, ou lui tout entier en nous. Nous ne savons plus bien où nous sommes, aux cieux? Sur l'eau? Quelque part au milieu, recroquevillés dans le nombril du monde. Du bleu, partout, de haut en bas jusque dans le coeur. Du bleu qui nous rappelle que c'est là que tout à commencé, du bleu et quatre voyageurs dedans comme un seul corps livré à celui de l'océan, et qu'il ne faudrait pas l' oublier.
Prendre la mer c'est lutter contre la mort dans l'oubli; là bas à terre, il y a toujours quelqu'un qui attend le marin. Prendre la mer avec Alphonse aujourd'hui, c'est l'avoir pris par la main, à Paris sous la pluie, et l'avoir guidé jusqu'ici.
J'ai épousé la mer cette nuit,
à l'heure où la côte s'éclaire
La mer ne m'a rien demandé,
Ni d'où je viens
Ni qui j'ai aimé
Elle a rempli ma bouche de son sel
Et mon esprit de son silence
Jean Autissier - Merci jd Perceval.
_________________
(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil