Rollin
La ruelle Derrière les Murs était déjà envahie par les ombres du crépuscule lorsque la silhouette de Rollin déboucha du coin de la rue de la Trésorerie. Le brouillard, qui navait jamais vraiment quitté la capitale savoyarde en cette froide journée de décembre, sépaississait à vue dil et ajoutait quelque chose dirréel à la pénombre qui régnait dans cette partie de Chambéry. Lépais tapis de neige qui couvrait le sol craquait sous les pas du paysan et, tel un large fil dAriane déroulé à ses pieds, lui indiquait tant bien que mal la voie à suivre pour rejoindre son nouveau domicile.
Le froid piquant sinsinuait partout et le paysan sentait sa morsure implacable sur sa peau. Pourtant Rollin semblait se moquer de ce que son corps pouvait subir Depuis des années, un feu inextinguible couvait dans son cur et rien ne pouvait léteindre. Il avait enduré lignominie et la justice sauvage des hommes, il avait survécu à limpensable que pouvaient donc bien lui faire les caprices de Mère Nature ?.. Rien Même à larticle de la mort sa volonté indomptable navait jamais failli et lavait guidé jusquen cette terre rude et belle, cétait là tout ce qui lui importait.
Le mois précédent, il était arrivé à Chambéry et avait décidé dy poser son maigre baluchon pour y passer lhiver. Dans lespoir de gagner quelques écus pour survivre, il avait proposé de louer ses bras à la journée sur la place de la Mairie et sur le parvis de la Basilique. Le Tribun du peuple de lépoque, Layina, lui avait offert une pinte de la goudale locale et il avait trouvé quelque occupation à des tâches insignifiantes. Le peu de deniers quil avait gagné lui permirent de reprendre un peu des forces, mais il navait toujours pour abri que la grange dun Chambérien bienveillant.
Le jour où il fut informé que la Mairie mettait en tenure certains champs du Faubourg Maché, Rollin eut une idée saugrenue et un peu folle En tout cas pour lui. Il économisa chaque denier de chaque écu patiemment et se présenta auprès du clerc qui officiait pour les Conseillers du Duc. Il était parfaitement conscient que son air farouche et sa mise débraillée, déchirée et crasseuse, ne plaidaient pas en sa faveur, mais pour la première fois depuis longtemps, il se prit à croire que les hommes de biens ne devaient pas tous avoir déserté cette terre.
Le regard suspicieux et la moue dégoûtée du clerc avaient fait leffet dune véritable giffle à Rollin, pourtant il ne sétait pas démonté. Il avait présenté sa requête, les yeux rivés sur le sol dallé du bureau du gratte-parchemin, puis il avait déposé les 50 écus requis pour la tenure. Le clerc eut lair étonné lorsque le paysan lui avait dit dun air grave : « Voici tes 13 deniers accorde-moi le passage, sombre nautonier ». Rollin avait reconnu sans difficulté la lueur familière qui vacillait dans le regard du clerc à cet instant : les brandons de la peur de lautre et de la haine. Le préposé lui avait pourtant remis les actes et lettres patentes officialisant le nouveau statut du vagabond. Rollin était désormais paysan, soumis au cens, preneur dune tenure pour un quart darpent et d'une masure dans lenceinte.
Le paysan sétait immédiatement mis à louvrage, lhiver savoyard ne lui permettait pas de travailler aux champs, mais il avait tenu à vérifier la qualité et les mesures de son lopin de terre avant de se rendre à son nouveau logis. Cétait une construction, de deux toises de côté, à pans de bois et torchis appuyée sur la face interne de la muraille occidentale de la cité. Elle était enclavée entre deux étables et, de ce fait, était en retrait par rapport à la chaussée, ce qui permettait au paysan de disposer dune ère de battage pour son blé. Sa construction avait été soignée, mais la masure avait été inoccupée durant de longues années et avait quelque peu souffert. Rollin avait réparé les lézardes qui zébraient la façade et il avait également rependu lhuis délabré. Quelques tavaillons de mélèze du toit durent être remplacés et les fenêtres furent garnies de vessie de porc huilée tendue sur cadre de bois. Pour parachever la réfection, le paysan avait rafraichi le sol de terre battue avec son râteau de bois flambant neuf.
Après quelques jours de labeur harassant, tout était remis en état. Ainsi, après huit longues années derrance Rollin était enfin chez lui.
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Rollin, membre de la corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry.
"Toujours Fidèle et Dévoué"
Le froid piquant sinsinuait partout et le paysan sentait sa morsure implacable sur sa peau. Pourtant Rollin semblait se moquer de ce que son corps pouvait subir Depuis des années, un feu inextinguible couvait dans son cur et rien ne pouvait léteindre. Il avait enduré lignominie et la justice sauvage des hommes, il avait survécu à limpensable que pouvaient donc bien lui faire les caprices de Mère Nature ?.. Rien Même à larticle de la mort sa volonté indomptable navait jamais failli et lavait guidé jusquen cette terre rude et belle, cétait là tout ce qui lui importait.
Le mois précédent, il était arrivé à Chambéry et avait décidé dy poser son maigre baluchon pour y passer lhiver. Dans lespoir de gagner quelques écus pour survivre, il avait proposé de louer ses bras à la journée sur la place de la Mairie et sur le parvis de la Basilique. Le Tribun du peuple de lépoque, Layina, lui avait offert une pinte de la goudale locale et il avait trouvé quelque occupation à des tâches insignifiantes. Le peu de deniers quil avait gagné lui permirent de reprendre un peu des forces, mais il navait toujours pour abri que la grange dun Chambérien bienveillant.
Le jour où il fut informé que la Mairie mettait en tenure certains champs du Faubourg Maché, Rollin eut une idée saugrenue et un peu folle En tout cas pour lui. Il économisa chaque denier de chaque écu patiemment et se présenta auprès du clerc qui officiait pour les Conseillers du Duc. Il était parfaitement conscient que son air farouche et sa mise débraillée, déchirée et crasseuse, ne plaidaient pas en sa faveur, mais pour la première fois depuis longtemps, il se prit à croire que les hommes de biens ne devaient pas tous avoir déserté cette terre.
Le regard suspicieux et la moue dégoûtée du clerc avaient fait leffet dune véritable giffle à Rollin, pourtant il ne sétait pas démonté. Il avait présenté sa requête, les yeux rivés sur le sol dallé du bureau du gratte-parchemin, puis il avait déposé les 50 écus requis pour la tenure. Le clerc eut lair étonné lorsque le paysan lui avait dit dun air grave : « Voici tes 13 deniers accorde-moi le passage, sombre nautonier ». Rollin avait reconnu sans difficulté la lueur familière qui vacillait dans le regard du clerc à cet instant : les brandons de la peur de lautre et de la haine. Le préposé lui avait pourtant remis les actes et lettres patentes officialisant le nouveau statut du vagabond. Rollin était désormais paysan, soumis au cens, preneur dune tenure pour un quart darpent et d'une masure dans lenceinte.
Le paysan sétait immédiatement mis à louvrage, lhiver savoyard ne lui permettait pas de travailler aux champs, mais il avait tenu à vérifier la qualité et les mesures de son lopin de terre avant de se rendre à son nouveau logis. Cétait une construction, de deux toises de côté, à pans de bois et torchis appuyée sur la face interne de la muraille occidentale de la cité. Elle était enclavée entre deux étables et, de ce fait, était en retrait par rapport à la chaussée, ce qui permettait au paysan de disposer dune ère de battage pour son blé. Sa construction avait été soignée, mais la masure avait été inoccupée durant de longues années et avait quelque peu souffert. Rollin avait réparé les lézardes qui zébraient la façade et il avait également rependu lhuis délabré. Quelques tavaillons de mélèze du toit durent être remplacés et les fenêtres furent garnies de vessie de porc huilée tendue sur cadre de bois. Pour parachever la réfection, le paysan avait rafraichi le sol de terre battue avec son râteau de bois flambant neuf.
Après quelques jours de labeur harassant, tout était remis en état. Ainsi, après huit longues années derrance Rollin était enfin chez lui.
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Rollin, membre de la corporation des cueilleurs de fruits de Chambéry.
"Toujours Fidèle et Dévoué"