Alphonse_tabouret
Toi, tu aimes tout.
Cest vrai, jaime tout.
Alphonse, Nicolas
Cest vrai, jaime tout.
Alphonse, Nicolas
Paris, février 1467
Le sexe est chant de savoirs, une harmonie dinstincts, un lâcher prise du corps au profit des éthers, et lorsquil sort du cadre rigoureux des couches de la procréation, séprend dun gout de pêche, dun trait de sel marin, parfois même, de la saveur des écorchures.
Baiser est un terme vulgaire que certains, pour ne pas dire certaines, emploient peu, pudicité froissée, dédain mis en boite de syllabes brèves pour asseoir bien souvent le mépris jusquau langage commun .
Rabaissé, comme sil discréditait lamour, comme si cétait là ramener le corps à ses plus viles ordonnances, baiser est un terme mâle que la femme hésite à sapproprier quand il na pourtant rien de laid. Jai envie de te baiser, là, sur le coin de table entre deux claquements de porte, avant de repartir, allez, cinq minutes, viens , là, viens , un pot-pourri, une condensation de mots imbriqués pour nen former quun seul car dès quon le prononce, il sétend à chaque point cardinal de longitudes comme de latitudes : Simple, rapide, sans préliminaire, pour jouir.
Cela na rien de prémédité, ou si peu ; cest lhistoire dune alchimie, dune pensée, dun flux de sang qui renfle les braies, dun ventre qui senlise de cyprine, dun con qui se creuse denvies jusquà tordre lestomac ; cest une étincelle, linflammation dun mot, dune brutalité passionnée, dun besoin primaire, essentiel : celui où le corps exige plus que la bienséance, que les gestes tendres. On le sous-estime bien souvent, le catalogue et les oies, les poules, les dindes, trio dovaires gagnants, se complaisent à dire quon ne les baise pas, elles, quon leur fait lamour, que lon laisse cela aux putains, aux filles faciles, aux hérétiques triste engeance qui na jamais connu le plaisir dun bon coup de queue sans autre feu de joie que la simple vue de lautre.
On ne baise bien que ceux que lon aime. On ne fait bien lamour quà ceux que lon baise.
Cest un langage, une symphonie brodés déphémères Baiser, cest être une luciole, vivre dune exaltation, fendre, prendre, fondre, briller comme un soleil, illuminer la nuit et dans un râle, frémir, remplir, cueillir renaitre dune respiration hachée commune, dun vertige auquel on se raccroche pantelants Certains trouvent le moment de se rhabiller de trop, désaccord à la mélodie, décalage de tempo, mais Alphonse ly savoure autant que le reste ; Faust à ces moment-là a toujours les yeux brillants dune ferveur, la vie dun sourire en bord de lèvres, et cest précisément cette satisfaction tissée dorgueil à être assez bandant pour se faire prendre dun éclair à la verticalité dune table ou dun mur, qui donne à Tabouret lenvie de le trainer aux draps pour les noyer dun long cri damour.
Il ny a rien de sale, de dégradant à se faire baiser ou à être baiser. Il y a soi et sa lucidité, ce moment fatal où lon peut se rendre compte que lon nest pas vraiment blanc, pas vraiment normal, pas vraiment exemplaire, créature pétrie de noires excitations, de vertes envies, et que cest aussi cela être humain : avoir un corps, une conscience et y faire la paix de vérités.
Ce soir, aux rues de Paris, duo trace la nuit dun pas que seul Alphonse peut mener. Livrés la veille en quai de Seine, lon a profité des largeurs dun lit dans une luxueuse auberge pour chasser les fatigues maritimes, écumé la ville aux heures diurnes pour quelques emplettes, et nuit tombant, lon a été dégusté un plat dagneau embaumant lOrient lointain dun curry épicé. Ventres contentés, arrosés de vins clairs, convives ont quitté la table tardivement les tempes gaies sans être grisées et semblent errer dun hasard quand chaque pavé brille pourtant comme une boussole.
Aux yeux badauds, les hôtels particuliers se succèdent, prennent de plus en plus de volume, de profondeur à labri de murets hauts couvant leurs jardins, de grandes portes scindant les mondes darmoiries ostentatoires, et même les domestiques que lon y croise à leurs dernières uvres ont des tabliers propres et les chaussures décrottées. Village-capitale est un monstre versatile ; lun de ses bords soffre de tapages, de criantes authenticités, et lon ny dénombre ni les voleurs, ni les coupe-jarrets, ni les catins à deux sous qui y interpellent les silhouettes dun sourire bancal. Lautre se cache de façades, dilue ses aspérités aux retranchements de ses frontières, mais pour peu que lon connaisse les adresses, lon saurait trouver plus de vices et dimmondices à une seule bouche quà toute la Cour des Miracles réunie. Ici, lon a le gout des spécificités jusquà lesthétisme, jusquà la tocade, jusquà la lubie, et tandis que Tabouret sarrête devant les doubles battants dun bâtiment élégant que lon ne distinguerait pas des autres, sa main se pose à lépais butoir de bronze qui lorne, le frappant dune résonance.
Notre hôte na pas de nom Chat égrène mystère comme lon tend le ruban à celui qui reçoit un cadeau. Nous non plus, nen aurons plus dès lors que nous serons rentrés Rue déserte offre aux doigts le loisir de venir caresser la joue rosie du froid vif dun février enrubanné de nuit ; Faust écoute, guèdes vissés dune interrogation à lair Pan qui germe sur le museau amant. Ne dis pas bonjour, ni même au revoir Ici, il ny a pas de politesses
Cest une leçon, lune de celle que lon brode de cris, que lon marque à lépaule, et docte, Alphonse, énonce les cadres dune distraction promise depuis longtemps aux versants amants.
La porte ouverte dévoile la silhouette anodine dun domestique dont le visage se penche sur la petite carte rouge frappée dune initiale que lui tend Tabouret, élargissant le passage dun pas en arrière, livrant au ventre des pierres, deux âmes nouvelles.
Dimmenses tableaux familiaux ponctuent un couloir dont les tapis étouffent les pas du valet qui dun silence, leur a proposé de le suivre; ils sont attendus, princes étrangers en un monde nouveau dont les lustres pourtant imposants ont été mouchés pour ne laisser quaux chandeliers le soin déclairer le rez-de-chaussée que lon quitte pour létage et doù , depuis un salon percent quelques voix mâles pâteuses dalcool, gravées dexcitations aux gémissements avides dune femme.
A chaque jeu ses règles, à chaque variétés daudaces, ses plaisirs. Aux draps que lon habite depuis un an, lon a expérimenté les plaisirs solitaires, lenlacement des dualités et leurs brutalités, le chant vif des tierces et lon sy complait dalternances fauves, dexclusivités comme de partages ; le plaisir de lautre est une drogue, une pâte de dopamine dont on se frotte les crocs et qui claque les sens dune fulgurance, dun besoin viscéral jusquà la salivation.
Inconsistant, parfait à son rôle, le domestique a déjà disparu à laube dune chambre aux dimensions moyennes où les miroirs se répondant tronquent une perspective qui nexiste pas, et dont le mobilier est agencé dune fantaisie ; le vaste lit érigé au centre est placé sur une petite estrade, surplombant littéralement le reste de la pièce, scène promettant le spectacle aux fauteuils et bergères qui se coulent aux murs.
Il flotte une délicate odeur de bois de rose dans la chambre aux rideaux tirés, les draps sont dune finesse qui ne trompe pas lil averti, et lon trouve sur un guéridon, une carafe de vin, de leau et un long foulard sombre. La porte est restée entrouverte et personne nira la refermer car un seul ici en a le droit, et il nest pas encore là.
Ce soir, Liefde, il ny a quune seule règle à nos envies Les doigts nenlèvent pas le manteau sur mesure auxquel sest enveloppé Faust ce soir, ils fouillent directement à la chemise dont ils tirent les pans. Satisfaire les yeux de notre hôte
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