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[RP] La cuisse de Jupiter

Solyaane
    Elle s’était résignée à des négociations et des discours argumentés sans fin pour les convaincre de son indifférence quant à leur secret. Contre toute attente, il n’en fut rien. Ses paroles ne reçurent en échange que quelques mots jetés à la hâte, et le murmure ténu de l’argent que l’on pose froidement sur la table, demande muette d’un silence en échange. Et les deux hommes disparurent.


      “- Au revoir…”


    Solyaane les suivit du regard, hésitant une fraction de seconde à se lever et les rattraper pour leur remettre l’aumônière entre les main. Idée vite abandonnée, au profit d’un simple soupir qui ne témoignait que de sa lassitude. Elle tendit le bras pour faire disparaître l’objet du délit dans les replis de ses vêtements. Les marchands s’imaginaient sans doute que la compensation financière suffirait à la faire taire. Autant le leur accorder.

    Abandonnant la table des échanges commerciaux, sans oublier le gant coupable cette fois-ci, elle alla s’accouder au comptoir. Un signe au tavernier, quelques piécettes déposées, et elle referma ses mains autour de sa chope, sans pour autant la lever à ses lèvres. Son regard absent se noyait dans les bulles qui éclataient doucement à la surface de sa bière.
    Les paroles du marchand aux cheveux d’argent résonnaient encore dans un coin de sa tête. Vous ne pouvez pas être le ventre que nous recherchons… Elle n’avait jamais porté la vie ; c’était vrai. Mais elle avait connu, brièvement, les joies de la maternité, à une époque où elle n’avait pas su les comprendre, trop jeune pour en mesurer l’importance. Elle en avait payé le prix fort, plus tard.
    Sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, elle avait déjà fini sa bière. Elle en commanda une seconde, qui lui fut promptement servie. Elle ne sortirait pas ivre de cet endroit, mais sa conscience prenait déjà un peu de cette légèreté familière que savait procurer l’alcool, bien avant de devenir ce traître qui vous fait perdre la mémoire ou amèrement regretter vos excès de la veille, avant de réitérer l’expérience le soir même.

      Être le ventre...

    Solyaane avait croisé des femmes enceintes, et appris vaguement les contours de ces neuf mois de torture que représentait la grossesse, et savait que ce n’était pas une période des plus agréables. Elle s’était demandé comment elle serait, elle, avec un futur être humain grandissant dans ses entrailles. Mais la réflexion n’était jamais allée bien loin. Dans sa vie faite de voyages, d’entraînement armés et de chasse en pleine nature, il n’y aurait jamais eu la place pour un ventre rond. Cette simple image semblait grotesque. Elle, mère ?...
    Ce jour-là, pourtant, elle avait du mal à percevoir ce qu’il y avait d’aussi absurde à l’idée. Depuis la mort de son fils, elle avait étouffé son chagrin et tenté de vivre une existence qui, à défaut d’être celle dont elle avait rêvé, n’était pas dénuée de plaisir. Après avoir assouvi ses désirs de vengeance dans le sang et le feu, ivresse et luxure avaient été les maîtres mots de sa vie. Et elle avait bien cru y trouver son équilibre. Vendôme aurait pu être ce refuge qu’elle avait cherché ; ça n’avait été qu’une accalmie. Taverne, forge, quotidien, amitiés, amour, famille, tout avait volé en éclats, et Solyaane, la mort dans l’âme, avait replongé dans les affres de la solitude, la culpabilité chevillée au corps, revenue plus vivace que jamais. Et, au fond d’elle, ce désir, jamais éteint, de voir un enfant grandir.

    Dernière rasade avalée, chope reposée d’un geste rageur sur le comptoir dans un bruit sec, Solyaane s’arracha brusquement du comptoir et fit volte-face pour sortir d’ici au plus vite. Tout ceci n’avait aucun sens. Les marchands ne recherchaient qu’un ventre, pas une mère. Une femme prête à louer son corps pour neuf mois, le temps de façonner un être humain qui serait échangé contre quelques milliers d’écus. La transaction terminée, chacun rentre chez soi, on n’en parle plus. Ce ne serait pas elle.
    Alors, l’oiseau sur le bras, Solyaane disparut dans les rues orléanaises.


    Les jours passèrent. Cinq, six ; une semaine, peut-être. Et le souvenir de l’éphémère rencontre ne daigna jamais s’estomper. Il revint même la heurter de plein fouet. C’était un de ces matins gris, où le blizzard peinait à se lever, tant sur la ville que dans son cœur. Attablée dans une des tavernes où elle avait fait halte pour la nuit, Solyaane s’efforçait, sans grande conviction, d’avaler le petit-déjeuner qu’elle avait commandé. Elle n’avait jamais eu un grand appétit, mais ces derniers mois, il l’avait désertée. Son regard vide vagabondait dans la pièce principale, où les clients mangeaient avec un peu plus d’enthousiasme qu’elle. Prêts à affronter une énième journée, qui aurait sûrement du sens pour eux.
    Et puis, ses iris s’arrêtèrent, sans vraiment les voir, sur trois silhouettes un peu à l’écart. Elle cligna des yeux pour dissiper la sensation de flotter à des lieues de là. L’une lui tournait le dos, et elle n’y prêta aucune attention. En face se tenait un homme sans rien de particulier, à part peut-être sa tignasse dorée et ébouriffée comme s’il était tombé du lit sans prendre le temps de se coiffer. Juste à côté de lui se tenait une enfant aux boucles d’or qui ne devait pas avoir plus de trois ou quatre ans, l’air à moitié réveillée. Un instant, elle leva les yeux vers les deux adultes, et dit quelque chose, que Solyaane, trop loin, n’entendit pas ; mais le trio éclata de rire à l’unisson. L’homme passa sa main dans ses cheveux, tirant les mèches désordonnées en arrière, et tourna la tête vers l’enfant. Ils échangèrent un regard qui ne dura qu’une ou deux secondes, mais qui frappa Solyaane. Tous deux rayonnaient, père et fille, ce qu’ils étaient indubitablement. Des plis s’étaient dessinés au coin des yeux de l’homme, soulignant la chaleur et la complicité d’un lien qui n’appartenait qu’à eux. Et elle était incapable d’en détourner son attention, à la fois fascinée et amère, touchée et envieuse.
    Revenue à son petit-déjeuner, l’enfant leva un instant la tête, se sentant sans doute observée. Son regard se posa brièvement sur Solyaane. Celle-ci baissa aussitôt les yeux, comme prise en flagrant délit. Lorsqu’elle osa les relever, plus personne ne faisait attention à elle. Troublée, elle laissa son repas en plan sur la table, et s’enfuit presque de l’établissement. Le tableau resterait imprimé dans sa tête toute la journée, à la différence près que les visages changeaient un peu. L’homme aux cheveux dorés devenait soudain le marchand argenté. L’enfant qui riait ouvrait de grands yeux bleus, et secouait la tête pour faire voltiger ses boucles noir corbeau. Quant à la silhouette au dos tourné, on n’en distinguait que les cheveux bruns.

    Le soir venu, Solyaane dégaina plume et parchemin, et rédigea une missive, à l’intention des deux marchands croisés à Orléans. Folie, à n’en pas douter. Irrépressible, néanmoins.

    Advienne que pourra.




    Bonjour,

    Vous vous souvenez forcément de moi. Vous m’avez vendu un faucon il y a quelques jours, à Orléans. Nous avons parlé ; du moins, c’est votre ami qui a parlé, surtout. Et puis vous avez dit que je ne peux pas être le “ventre” que vous recherchiez.

    Permettez-moi d’en douter.
    Vous m’avez vue ; je suis en parfaite santé, j’ai 23 ans, les yeux bleus, les cheveux noirs. Un peu de vos traits, à tous deux.

    S’il vous faut toujours quelqu’un pour porter votre enfant, faites-moi signe.

    Solyaane Tarchetti.
L_aconit
Quelques jours plus tard, donc.

Incrédule, Faust baisse le pli sur son nez, peut être vaguement tremblotant, ne laissant dépasser que deux yeux bleus à la rencontre du profil de Tabouret.

- Elle dit que s'il nous faut toujours quelqu'un pour porter cet enfant... Elle dit que .. qu'il faut lui faire.. Signe.


Le geste se déploie jusqu'à la passation du pli, lui saura quoi en faire, c'est sûr. Lui a toujours été plus à l'aise aux diplomaties. Tabouret saura y répondre, Tabouret a toujours les mots. N'est-ce pas Alphonse, que tu vas sortir de ta bouche parfaite quelque chose d'intelligent, de sensé, quelque chose de tout à fait adéquat à cette étrange formation nodulaire qui tombe dans l'estomac Faustien comme une pierre dans un potage.

Toi, tu as la sagesse de l'âge.


Faust se retourne à la fenêtre, pensif, main à la nuque la massant machinalement.
La fille, il aurait bien aimé l'oublier. Mais elle est bien là. Quelque chose s'est produit, quelque chose que même sa couardise n'a pas su enrayer. La fille doute. Et lui, il doute aussi. Il doute de tout, à l'instant précis. Ils ont tort. C'est bien ce qu'elle a dit. Qu'est-ce que cela signifie? Quels en sont les tenants, les aboutissants? Ils ont tort de penser qu'elle n'est pas celle qui leur faut. L'appât du gain aura parlé? La fille est là. L'enfant à leur portée. Il suffirait d'un pli.

Il suffirait d'une nuit.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
Alphonse_tabouret
Elle dit.

Tabouret à la fenêtre, mue au décor de la chambre qui les recueille, se fait meuble et étire une silhouette raide à l’encre tendue.
Cohorte de Logiques savait, l’a toujours su. Trame laissée aux flottements de suspensions, aux rondeurs des choix que l’on ne tranche pas et qui s’imposent d’eux mêmes à leurs propres convictions, à leurs propres aléas, ne pouvait que les rattraper.
Si tôt, il ne s’y attendait pas, et à cette perspective moins encore.



Serait-ce un estuaire ou le bout du chemin au loin qu'on entrevoit
Spéciale dédicace à la flaque où on nage, où on se noie



Comètes se télescopent d’un instant à la lecture finie, pétries chacune d’intenses contradictions que les collisions ont compacté d’un même horizon. Les mots sont doubles à la bouche, constellés de possibles, gorge nouée des rigueurs anesthésiques aux espoirs trop brusques . Faust sera sa seule lecture, Faust est une toujours une page vierge que les émotions poinçonnent de couleurs. N’est-ce pas, Faust que tes bleus vont me dire, que je saurais y lire ce que ton cœur murmure, ce que ton écorce frémit, ces vérités que tu oses et qui m’entrainent d’un vertige jusqu’à dissoudre la pierre, ouvrir les fenêtres?

Toi, tu as l’audace de la jeunesse.


Autour des amandiers fleurissent les mondes en sourdine
No pasaran sous les fourches caudines
A l'envers, à l'endroit, à l'envers, à l'endroit
Noir Désir, A l'envers , à l'endroit.



Donne-lui rendez-vous pour demain.
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