Samsa
- "C'est remonter à la surface,
C'est pousser sur les pieds,
Se regarder en face,
Si tu veux, c'est crier.
C'est tout dans un sourire,
C'est rien qu'une caresse." (Volo - C'est toi)
- [Paris, mi-février]
Elle était entrée au Louvre baronne de Longny-au-Perche et dame de Lansaq et elle en ressortait vicomtesse de Luzarches en plus. Dehors, l'air frais a un goût de reconnaissance, de victoire et de justice. Dans la cour pavée, Samsa inspire largement en fermant les yeux, un sourire étalé sur le visage. Une brise légère passe et caresse ses traits, file dans ses cheveux semi-roux ; elle a l'impression de voler. Sans avoir été jamais élue à aucun poste, sans avoir suivi aucun parcours classique, elle vient de faire son entrée en le ban d'Île-de-France. Après presque quatre ans passée au même poste qu'elle a quasiment construit, après sept ans au service armé de la Couronne, après des nuits éveillées à travailler et des jours entiers à se tuer à la tâche, elle a prouvé qu'on pouvait rejoindre les meilleurs. Par son parcours, elle avait cassé les habitudes, les codes, et inexorablement, Cerbère prouvait des choses au monde. C'est à croire qu'elle n'existait que pour cela, que pour prouver qu'on pouvait réussir différemment, qu'on pouvait être inébranlable. Il était de toute façon acquis que Samsa n'existait pas pour elle-même mais pour ceux qu'elle aimait et pour des causes qui les dépassaient tous largement.
Elle se décida finalement à se mettre en marche et traversa la cour pour sortir hors du Louvre. Dans les rues parisiennes, l'agitation régnait, nobles et badauds se mélangeaient pour chacun aller en des occupations diverses. Samsa les regarda un moment avant de prendre la direction d'une auberge somme toute commune : "A la chèvre qui joue". C'était ce qu'elle avait trouvé de mieux à choisir entre "le cochon qui vole" ou "le mouton qui pète". Elle se rendit au comptoir pour s'entretenir avec le tenancier, un petit homme joufflu dont on ne savait pas trop s'il était plutôt artisan ou bourgeois, et lui prit une chambre pour plusieurs jours. Elle lui indiqua également de commencer à prévoir de la nourriture et de la boisson en abondance car elle paierait un festin prochainement. Elle avait à faire ici, elle devait prévenir Shawie de sa réussite ! Sa femme avait brillé en Valachie puis au niveau royal en remportant le concours de poèmes de Sa défunte Majesté Alvira de la Duranxie -et elle avait réitéré au bal des roses pour récupérer son titre ! Çavait été à Samsa de réussir quelque chose et c'était chose faite désormais. Chacune son tour, ou presque.
Dans la chambre, Cerbère s'installe et prend ses aises, savourant un instant allongée sur le lit à écouter les bruits étouffés de la vie parisienne. Dans ce silence relatif, elle repasse son anoblissement récent avec délice, étale encore sur son cur de battante les mots de la reine. Ce n'est qu'une fois ce moment de luxe accordé que la nouvelle Vicomtesse se relève et va prendre plume pour écrire à sa dulcinée :
Mon Espagnole,
Comment te portes-tu ? Es-tu dans les environs de Paris ?
Prends la route si ce n'est pas le cas -et même si ça l'est- car j'ai une grande nouvelle à t'annoncer !
Tu me trouveras à l'auberge de "la chèvre qui joue". J'ai prévenu le tenancier qu'un festin aurait bientôt lieu, une fois que tu serais là. C'est moi qui paye, profites-en !
Bouge tes -jolies- fesses ; aucune coupe de bois ne vaut ce qui t'attend.
Je t'aime,
Ton Dog Royal
P.S : prends même quelques jours, je t'emmène en virée. Toujours tous frais payés.
Samsa plia le parchemin avant de le sceller et sortit le remettre à un messager royal qui passait par là -ça tombait bien, ça lui éviterait l'aller-retour au Louvre. Elle remonta ensuite dans sa chambre et jubila d'avance : fêter ce succès avec Shawie l'enchantait. Elle utiliserait ses "modestes" économies pour leur faire plaisir, pour parier au ramponneau, boire et rire d'ivresse, partir faire un tour et profiter d'un temps loin des missions, des préoccupations et des organisations. Elle se voyait déjà en train de regarder Shawie lui apprendre de nouvelles techniques foireuses, tenter de la convaincre qu'elle communiquait avec les arbres et le vent pour trouver son chemin, essayer de la vaincre à la bagarre, aussi. Aventureuses et chanceuses comme elles étaient, elles se feraient courser par un sanglier et devraient plonger dans un étang pour lui échapper, Shawie l'accuserait d'être un piètre Chien de Chasse et la nourriture finirait envahie de fourmis mais qu'importe ! Samsa aimait ces moments avec Shawie parce qu'il n'y avait qu'elle pour lui faire vivre ce genre de choses. L'Espagnole était non pas le grain de folie de Samsa -assez bien servie en ce domaine- mais l'audace de le vivre. Là où Cerbère vivait encore souvent dans le passé et n'existait que pour la postérité, elle vivait avec Shawie la vie présente -et Dieu qu'elle aimait ça ! Au-delà de ce qu'elle vivait avec l'Espagnole, c'est elle qu'elle aimait, pour son franc-parler, son innocence parfois, sa combattivité et sa fougue -au lit, ça compte aussi. Leur première année d'union approchait déjà et Cerbère voyait ainsi cette future fête comme étant une célébration d'un petit peu tout à la fois, c'est-à-dire beaucoup de choses. Cette fois, c'était la bonne : le destin les laisserait enfin profiter d'un événement en paix !
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