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[RP] Entre Chienne et Louve.

Fanette
Argentan, le 31 octobre 1466

Les pluies incessantes depuis deux jours gonflaient le fleuve méandreux qui déroulait son cours dans la vaste plaine d'Argentan. La cité ne comptait pas plus d'une cinquantaine d'âmes mais la richesse des façades de l'église et de quelques gros castels témoignait d'un passé prospère.

Depuis la veille, Fanette bravait le mauvais temps, enroulée dans une cape de gros bureau, pour arpenter chaque rue, jusqu'à la moindre venelle. Son cœur avait manqué un battement quand elle s'était trouvée devant la grille ouvragée d'une maison de pierre, s'élevant sur un étage. Deux chênes sans doute aussi vieux que la bâtisse encadraient une allée aux dalles mangées d'herbe. L'ocre de quelques feuilles s'accrochait encore aux ramures sombres.

Le portail de fer forgé résista quand elle tenta de le pousser. Elle songea un court instant à se hisser au-dessus du muret, n'imaginant pas pouvoir repartir sans avoir rencontré la femme qu'elle cherchait. Les mains toujours nouées aux barreaux, elle observait la cour et la façade de pierre. Le sang cognait à ses tempes, presque douloureusement, rien qu'à l'idée que son fils puisse être là, derrière l'une des hautes fenêtres à meneaux. Elle se raisonna. Après tout, si elle savait que l'Italienne s'était rendu au printemps à l'orphelinat dans l'idée d'adopter un nourrisson mâle, elle n'avait aucune preuve qu'un enfant lui ait été finalement confié.
Mais en dépit de tout ce qu'elle pouvait se répéter pour calmer son impatience, et ménager ses émotions, elle espérait. Jamais elle ne s'était sentie plus proche de Milo.

Elle secoua la grille, alors qu'une femme contournait la bâtisse, les bras chargés d'un panier comptant quelques légumes d'automne encore tout crotté de terre humide et un lapin sans doute fraîchement égorgé. La fauvette l'interpella, regard fixé à la silhouette solide qui approchait. Entre deux âges, la taille épaissie par les maternités, ou la bonne chère, elle ne s'imaginait pas ainsi cette femme qui, la première avait ravi le cœur de son Corleone. Peut-être celle-ci n'était qu'une cuisinière, sans quoi, que ferait-elle avec tous ces vivres ?

- Alaynna Valassi ?

La femme fronça les sourcils à l'évocation du nom, et s'arrêta à la hauteur des chênes en secouant la tête d'un air revêche.

- J'ai une tête à porter un nom pareil ? Je suis Hilna, et il n'y a pas d'Alaynna ici.
- Où puis-je la trouver ? C'est important, j'vous en prie,
insista-t-elle.

Tout à fait indifférente au ton suppliant de la jeune femme, la cuisinière haussa les épaules.

- J'en sais fichtre rien. Tout ce que j'sais, c'est qu'il n'y a pas d'Alaynna ici. Passez votre chemin !

Aussitôt ces paroles prononcées, elle s'était retournée pour rejoindre la bâtisse où, prestement, elle s'était engouffrée, laissant à la grille une fauvette dépitée. Elle soupira, sans doute à la hauteur du découragement qui commençait à poindre. Mais une pluie drue de nouveau s'abattait et déjà, ses boucles, collées à son front et ses joues ruisselaient en une froide morsure sur son derme pâle. Elle resserra le col de la cape autour de sa gorge et regagna en courant l'auberge où elle avait pris pension depuis la veille. La salle commune était encore vide, mais un feu crépitait dans le vaste foyer dont la hotte était ornée d'une imposante tête de cerf empaillée.

Elle défit son vêtement dégoulinant et le posa sur une chaise, puis se réchauffa un instant à la chaleur des flammes, avant de se laisser choir sur un fauteuil de bois. Le regard perdu au-delà du carreau, l'amertume et la déception s'étaient glissé sur ses traits creusés de chagrin. En deux jours, non seulement elle n'avait pas trouvé d'Alaynna Valassi, mais personne n'était capable de lui dire où la femme était partie. Elle n'avait pas pu s'entretenir avec le tribun, et les seuls conseils qu'elle avait pu prendre, étaient de poursuivre son enquête à Alençon. La capitale était plus grande et plus fréquentée, elle aurait plus de chances de trouver commerçants ou artisans qui la connaissent.

Elle n'avait pas entendu l'homme entrer, et se retourna un peu surprise quand il la salua et se présenta comme le propriétaire des lieux. Son affable sourire raviva une lueur d'espoir dans le regard de la fauvette. Elle se présenta à son tour et, sans trop d'hésitation lui demanda son aide. Après tout, le tenancier d'une auberge devait voir défiler bien du monde dans sa salle commune.

- Je cherche une femme, une Italienne je crois, sans doute pas très âgée. Personne n'a su me renseigner jusqu'ici, et l'adresse que j'avais d'elle, au 2, rue de la reyne Béatrice n'a rien donné. Son nom est Alaynna Valassi.

L'Angevine ignorait que l'adresse qu'elle venait de citer était aussi celle de l'homme qui lui faisait face. Il s'était figé. Son regard aimable se durcit sensiblement tandis que la mâchoire se crispait. Il lui souffla entre ses dents quelques mots sur un ton froid à l’extrême :

- Je vous prierais de ne pas parler d'elle devant moi.

Et si Fanette s'attendait encore à ce qu'on lui réponde pour la énième fois que ce nom était parfaitement inconnu et qu'on ne savait rien d'elle, elle ne s'attendait pas à une telle réaction. Néanmoins, le tenancier semblait savoir parfaitement qui était l'Italienne.

- Vous la connaissez ?

Elle n'obtint pour toute réponse qu'un regard glacial et méfiant. La fauvette paniqua en le voyant se lever. Il ne pouvait pas partir sans lui donner au moins un indice, il en allait de la vie de son fils. Elle tenta de le retenir, d'une voix presque suppliante.

- Je vous en prie, c'est important.

Peine perdue, l'homme sans un regard venait de quitter la salle commune, les traits tendus de colère et sans un regard pour l'Angevine décontenancée par la violence de la réaction. Elle devait en savoir plus, impérativement, et surtout, sans attendre, car au soir même, le Corbeau l'accompagnerait à Alençon, puisque jusque-là, elle n'avait su trouver meilleure piste. Elle fouilla rapidement sa besace pour en sortir la petite écritoire de voyage, et griffonna un mot sur un parchemin. Impatiemment, elle souffla sur l'encre pour la faire sécher, puis le roula avant de se précipiter au-dehors. Évidemment, l'homme avait disparu. Elle avisa un alors gamin.

- Tu connais l'homme à qui appartient l'auberge ?

Le mioche, les yeux rivés à la pièce qu'elle venait d'extraire de son escarcelle acquiesça d'un grand sourire. La fauvette lui tendit l'écu.

- Porte-lui cette lettre, et si tu parviens à le ramener dans la salle commune, je te donnerai deux autres pièces.

Sur le courrier, juste quelques mots ...




Je vous en prie, sieur Aubergiste, j'ai besoin de savoir où la trouver, la vie d'un de mon enfant est en jeu.


Saurait-elle le convaincre ? Elle rentra se mettre à l'abri dans la vaste pièce, n'ayant pour le moment d'autre option que l'attente.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Jo_anne
Castres, le 31 octobre 1466

Voilà des semaines, pour ne pas dire des mois que son petit fils avait été enlevé. Milo Amalio di Medici Corleone, son premier petit enfant vivant avait été arraché à sa famille. Et si son père semblait perdu dans les méandres labyrinthiques d'émotions contradictoires, sa mère était partie courageusement seule à la recherche de son fils. Seulement voilà, Fanette avait trouvé deux pistes possibles, l'une au Nord et l'autre au Sud du royaume. Aussi pour aller plus vite avait-elle fait appel à sa belle-mère.

Ainsi, arrivèrent donc à Castres la vieille aveugle au bras de son vieux brigand d'époux. Le nom écrit dans la lettre de Fanette en mémoire, ou presque, la gitane déambulait dans les ruelles de Castres à la recherche du dit couple qui pourrait potentiellement avoir adopté son petit-fils. Point de haine envers eux puisque l'aveugle imaginait qu'ils ignoraient que l'enfant n'était pas orphelin. Toutefois elle aurait aimé vérifié avec l'aide de son époux si l'enfant adopté était ou non son petit fils.

Bien qu'elle paraisse calme et ait répété à Fanette d'être très prudente, et discrète, Joanne n'était guère patiente pour qui la connaissait bien. Aussi n'appliqua-t-elle pas les conseils qu'elle avait elle-même prodigué à sa belle-fille. Elle allait d'étales de marchand en taverne pour demander si quelqu'un connaissait le dit couple ou s'ils savaient où elle pouvait les trouver, sans jamais donner davantage d'informations sur son compte. De toute façon, peu de gens se méfiaient d'une vieille femme, qui ne se cognait dans aucun meuble que grâce à une canne oscillant devant elle de gauche à droite. Ce qui lui rendait assez service quelque fois...


Bonjour, je cherche les di cesarini ou.... euhm.... di varius ? est ce que cela vous dit quelque chose ? Savez-vous où je peux les trouver ?

Et souvent la réponse était la même. Ou ils ignoraient de qui il s'agissait, ou ils ne souhaitaient pas transmettre l'information. Elle poursuivit son investigation toute la journée sans davantage de succès, ayant probablement parcouru la majorité des marchands et maisonnée de la ville, jusqu'à ce qu'enfin un semblant de réponse lui parvint.

Que leur voulez-vous ?

La question était censée. Mais l'aveugle n'avait guère réfléchit à cela. Elle dut donc le faire rapidement et sortit la première excuse qui lui passa par la tête :

Je veux leur proposer mes services.
Que pourriez vous bien proposer ?
De la musique. J'ai été envoyée ici pour leur offrir de la musique.


Avait-elle sorti en tirant sa vièle de sous sa cape miteuse. Ainsi donc put-elle enfin savoir où trouver le dit couple. C'est en compagnie de son époux qu'elle s'y rendra, car sans ses yeux, elle ne saurait que difficilement si l'enfant était Milo ou non. Elle prétextera surement que dans une maison inconnue la canne n'était plus suffisante et qu'elle préférait son guide pour ne rien casser de valeur à l'intérieur. Elle expliquera que l'orphelinat avait décidé en raison de nombreuses adoptions récentes de l'envoyer dans chaque famille offrir de la musique à chaque enfant adopté, et présenter mes services en tant que professeur de musique ou simplement pour endormir les bébés difficiles. Cela suffirait-il pour les faire rentrer en contact avec la famille adoptive et le bébé ? Rien n'était moins sûr, mais les dés étaient jetés. Quoi qu'il en soit, que cela fonctionne ou non, il faudrait improviser ensuite.
Alaynna
Portes de Poitiers, 11 novembre 1466

Hier, j'ai joué au ramponneau. Hier, Alessandro m'a fait promettre de ne pas mourir, et de ne pas faire n'importe quoi pour m'exposer à la mort. Que maintenant que j'ai goûté à son cognac, il comptait bien qu'on se descende encore bon nombre de bouteilles. Il a aussi dit que ce n'était pas mon combat, que je n'avais pas à crever pour ça et il m'a causé de mes mômes. Une terre qui n'est pas mienne et pourtant je m'y sens bien. Mais il ignore que ma fille fut conçue en Anjou. Et comme elle est née au milieu des flots, par une nuit de tempête, l'Anjou, reste la terre de conception d'Anna. Donc, sa terre d'accueil. Raison suffisante pour que je voies une raison à ce combat. Et puis ensuite, il n'a rien trouvé de mieux, Le Sauvage, que de me faire de la lecture à voix haute. Et là, d'un coup, ce fut la panique dans ma caboche. Je me suis souvenu que Le Serbe me faisait aussi de la lecture. Et j'ai le cerveau déjà bien tordu, qui s'est mis à dégoupiller. Tout ce qu'il me fallait avant d'aller au massacre. On est partis rejoindre les chevaux, il a fait un détour par le bordel et moi je n'avais qu'une envie, c'était de baiser avec un mort. Alors spirituellement parlant, ça peut faire son petit effet car les morts partent, mais les souvenirs eux, restent. Sinon pour le reste, faut pas rêver, pour le corps et les sens, c'est la loose attitude complète. Au final, j'ai fait comme les autres, j'ai foncé dans le tas. Et au petit matin, je m'en étais pas trop mal tirée puisque j'étais vivante...et pour la seconde fois en quelques semaines, je me retrouvais chef de section. Il ne me manquait qu'un seul homme à l'appel. Mais il m'avait promis lui aussi de ne pas crever. Il a tenu sa promesse, et si de mon côté, j'ai fait le nécessaire pour qu'il puisse rejoindre les rangs à nouveau, lui s'est démerdé pour en faire autant.
Et depuis, ça fait des heures que je suis assise en tailleur, sur le sol de ma tente et que je plisses les yeux et que je me déboite le cerveau à force d'avoir les cobalts rivés sur les émeraudes émoussés de Flavio. Tout à l'heure, il était en position allongé sur le dos, comme à l'habitude, et d'un coup, il s'est retourné sur le ventre. Il m'a alors regardé en soulevant sa petite tête, et ce regard...oh putana...cette lueur que j'y ai vu danser l'espace de quelques minutes m'a faite vrillé complet. Cette lueur à la fois rieuse, fière et déterminée dansant dans ces yeux émeraudes, m'est tellement familière. Et l'espace de quelques secondes, le visage du Corleone m'est apparu. Un éclair que j'ai tout aussitôt contré et repoussé loin, très loin de ma conscience.
C'est pas possible. No. C'est absolument impossible. J'ai du me recevoir un mauvais coup sur la tronche cette nuit, et ça doit sûrement provenir de là. J'ai l'esprit qui l'espace d'un moment, a complètement déraillé. Et depuis des heures, j'ai mon regard rivé sur Flavio. Mais comme cette lueur semble s'être éteinte aussi vite qu'elle ne s'était allumée dans son regard, je me persuade que c'est du n'importe quoi, que c'est mon esprit qui a merdé. No parce que Flavio est MON bébé volé. C'est mon fils. Il est à moi. Et de tous les nourrissons que j'aurai pu voler, ce ne peut pas être sur un Corleone que j'ai mis la main. Alors j'oublies ça aussi vite que ça m'a traversé l'esprit, et je me focalise sur les jeux d'Anna et de Flavio. Le nourrisson m'épate de jour en jour. Aujourd'hui non seulement il s'est retourné pour la première fois, mais le voilà maintenant en train d'accrocher les mains de sa soeur et de pousser sur ses jambes, comme s'il voulait s'asseoir. Et moi je ne rate rien de tout cela. Parce que rien ne dit que je serais encore en vie demain. Ce soir je reprends du combat. Mais avant, j'ai un truc urgentissime à clarifier auprès de l'amie d'enfance.

Putain de conscience, qui a décidé de m'emmerder.

Vélin et plume sont saisis et quelques lignes y sont rapidement griffonnées.






Citation:
Estrellita,

J'ai quelque chose à te dire. Faut que je le fasse tant que je suis encore en vie. J'ai pas crevé la nuit dernière mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas la nuit prochaine. Ecoute moi bien Estrella et je compte sur toi pour faire ce qu'il faudra.
Si tu ne reçois plus de missives de ma part à compter de ce jour, c'est que je serai crevée. J'ai déjà fait le nécessaire pour que si c'était le cas, Anna et Flavio soient menés à Napoli chez mon oncle. Tu es la seule à savoir où vit mon oncle. Et si quiconque te demande où se trouve Anna, tu n'en sais rien. Ne le dis à personne. A PERSONNE. Capito ?
Maintenant, en ce qui concerne Flavio. Si je meurs, et uniquement si je meurs, je t'autorises à faire des recherches pour tenter de retrouver sa famille. Si tu la retrouves, assure toi qu'il sera bien avec eux. Si c'est le cas tu préviendras mon oncle, il s'arrangera pour rendre l'enfant. Souviens toi Estrella, tu ne fais cela que si tu es certaine que je suis morte. Fais le Estrellita. Il se pourrait que quand j'ai enlevé cet enfant, j'ai merdé grave. Ou pas. Aujourd'hui, Flavio s'est retourné sur le ventre pour la première fois, et quand il m'a regardé, avec cette putain de lueur dans les yeux, j'ai eu la sensation d'avoir déjà vu ce regard. Une impression fugitive mais tellement familière. Je pense que c'est mon esprit qui me joue des tours mais si jamais je devais mourir, je veux que tu fasses ce que je te demande. Et si je ne crève pas, on oubliera ça, on en causera même pas. Ce sera comme si je ne t'avais jamais rien demandé.
Anna a adoré les cadeaux que tu lui as envoyé pour son anniversaire. Pour le reste, je t'en causerai plus tard, si je crève pas entre-temps.
Je ne sais pas où tu es, ni avec qui tu es, mais promets moi de faire attention à toi.
Quant à moi, je croise les doigts pour que ce que je te demande dans cette lettre, tu n'aies pas à le faire.

Ta Luna.

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Estrella_
Quelque part dans le Duché du Bourbonnais Auvergne, le 14 Novembre 1466


Cela faisait des semaines que les histoires de ses amis lui travaillait l'esprit, ne sachant quoi faire. L'espagnole était tout autant perdue. D'une part il y avait Laynna et d'autre part Fanette , les deux avaient de drôles manières de se mettre dans des pétrins pas possible. Estrella était dans sa chambre d’auberge en train de boire sa tisane lorsqu’elle entendit quelqu’un frapper à la porte. Elle déposa sa tasse et vint ouvrir la porte. C’était le messager, elle prit ses missives en le remerciant, son chat vint ronronner autour de son pied, elle le poussa légèrement du pied. Parmi ses missives, il fallait qu’elle lit celui de son amie d’enfance puisque depuis quelques jours elle avait un mauvais pressentiment, une boule d’angoisse lui faisait mal au cœur. Estrellita reprit sa place sur la chaise près de la fenêtre en prenant à nouveau sa tisane tout en lisant la missive de Laynna. Elle se mordit la lèvre inférieure et fronça les sourcils, les mains tremblantes, faisant les gros yeux. L’espagnole était en état de choc, son amie risquait de mourir ? Et si ça se trouve elle l’est déjà ? Vu le temps qu’il a fallut pour que la missive arrive jusqu’à elle. Celle avec qui elle a lié son sang, devant les étoiles, la pleine lune, promettant ne jamais se séparer qu’elles soient loin ou proches de l’une. Des souvenirs refaisaient surface, elle resta figée un instant, pensant à Anna et Flavio.


Sa tasse tomba sur le sol, des éclats de verres se faisaient entendre dans la chambre, Lucikiel son chat prit la fuite. Estrella eut aucune réaction, se leva doucement et ouvra la fenêtre, elle avait besoin de se rafraîchir les idées puis secoua de la tête.


-Bordel. Laynna tu ne peux pas me faire ça. Ni à moi, ni à Anna et Flavio.


A l’évocation du prénom de Flavio, cet enfant devait retrouver ses parents que Laynna le veuille ou non mais surtout fallait qu’elle aide son amie à voir plus claire, qu’elle devait cesser d’arrêter de vivre sous les ténèbres. Elle repensa à Fanette qui avait perdu son enfant et pensa que normalement c’est ce que doivent faire certaines personnes. Un enfant qui ne les appartient pas, il faut d’abord savoir si ses parents sont vivants ou non. Estrellita s’était toujours demandé si c’était une coïncidence, Fanette qui perd son enfant et Laynna qui trouve un enfant ? Avait-il un lien ? La Latina n’en savait strictement rien mais elle préféra se taire là-dessus tant qu’elle n’avait pas les idées claires, tant qu’elle n’aurait pas mis de l’ordre autour d’elle mais surtout tant qu’elle n’avait pas de preuve.

Estrella se dit qu’elle ne peut pas être morte, sinon elle l’aurait sentie. Convaincue qu’elle doit être vivante et sans tarder prit une plume et un vélin, il fallait parler de cette stupide situation dans laquelle elle s'était mise, de Anna et Flavio.

Estrella a écrit:
Mi Luna !!

Premièrement, tu te fiches de moi ? Comment ça tant que tu es encore vie ?!!!! Tu n’as pas le droit de mourir, je te l’interdis !! Tu ne.....

Deuxièmement, Santos dios , combien de fois dois-je te dire , qu'il faut que tu trouves les parents de Flavio...?! Tu es têtue !!!

Troisièmement....


Elle respira un bon coup, fallait pas qu’elle s’énerve et fit plein de rature qu’elle finit par froisser son vélin, prit une autre et se remit à écrire. C’est avec de la crainte, la tristesse qu’elle laissa son cœur dicter les mots.

Estrella a écrit:
Mi Luna, Mi Laynna, Mon Amie d’enfance avec celle qui j’ai lié mon sang devant les étoiles et la pleine lune,

Je ne comprends pas. Pourquoi, tu t’es aventuré dans un tel combat? Pourquoi te battre alors que tu as des enfants ? Tu as pensé à Anna ? A moi ? Bordel quoi. Laynna, vraiment tu n’imagines pas l’effort que je fais à ne pas m’énerver. J’ai perdu pas mal de personne, je parle des personnes de mon enfance et ma jeunesse, et tu fais partie de cette enfance. Surtout pour Anna. Tu sais ce que ça fait de perdre un parent, elle a déjà perdu son père, en quelque sort. Et toi ? No. Mi Luna, je t’interdis de mourir, si il faut je viendrai te botter les fesses même dans l’Au-delà, tu m’entends ?! Quelque part, dans mon cœur je sens que tu es encore vivante, sinon j’aurai senti que le lien qui nous unis, ce serait brisé. Entre nous, sincèrement je doute que même si tu n’étais plus dans ce monde, que ce lien ne se brisera pas.

Capito, je ne dirai rien à personne de l’endroit où se trouvent Anna et Flavio s’il t’arrive malheur, je te le promets mais Anna a une marraine et un parrain également , je ne suis pas certaine que c’est une bonne idée de laisser chez ton oncle surtout qu’il est souvent occupé a régler quelques affaires , sachant que je peux toujours m’occuper et la protéger comme si c’était ma fille. Tu le sais. Même son parrain également surtout ce n’est pas pour rien que je suis sa marraine et Diego, son parrain. Quoiqu’il en soit , je suis contente que Anna a aimé ses cadeaux , quand tout ce bordel sera fini enfin surtout dans le pétrin que tu t’es mis. Tu me parleras plus en détail des réactions d’Anna !

Bon.

Maintenant, concernant Flavio, autant t’annoncer directement la couleur. Je vais être chiante, têtue, tout ce que tu veux mais tu sais que je l’assume. D’abord, pourquoi tu dis que tu as merdé grave en enlevant cet enfant ? Qu’as-tu vu dans ses yeux qui te soient familière? Et n’évite pas le sujet !!! Je te connais bien donc j’anticipe. Tu me connais également, ce n’est pas une surprise. Je sais que tu n’aimes pas parler du sujet mais je pense sincèrement, morte ou pas Flavio doit connaître ses parents. Quoi ? Ben oui, il doit. No et no il faut que nous causions de cela et ça même étant vivant. Tu ne peux pas toujours fuir Laynna, tu ne peux pas passer ta vie à fuir la réalité des choses, la vérité. Je sais que tu as peur, mais sérieusement où vas-tu comme ça à courir ? Pour aller où ? Pourquoi te laisser emporter par tes démons ?

Honnêtement. Je ne fais pas cela pour t’embêter ou t’enlever ce bonheur sachant que je veux ton bonheur mi Luna ainsi celui à Anna et Flavio, mais avoir le bonheur il faut déjà commencer par être honnête avec soi-même. Tu as peur de perdre cet enfant car tu as sûrement vu en lui, l’enfant que tu as perdu. Un jour, Flavio te posera une question, « Maman, pourquoi tu n’as jamais cherché mes parents ? », « Maman, je ne sais pas qui suis-je tant que je ne connais pas mon passé » Tu veux qu’il passe sa vie à se poser des questions sur lui-même et sur ses parents biologiques ? No, je ne pense pas. Je ne souhaite aucun enfant vivre ce que j’ai vécu, j’étais moi-même orpheline. Réfléchit… même si je sais que c’est dur d’encaisser tout ce que je te dis, dans le fond tu sais que j’ai raison et que ça te fait chier. Je sais.

Puis, je parle surtout, qu’il faut que tu saches son passé, est-ce que ses parents sont morts ? Est-ce qu’ils ont décidé de ne plus le garder, pourquoi ? A partir de ces informations tu pourras te fixer par rapport à lui et te préparer quand il te posera des questions. Si tu veux, je pourrai même t’aider mais cela risque prendre des mois ou même des années pour trouver ses parents, tout va dépendre. Par contre, évite de m’envoyer balader ou m’incendier à travers tes missives ma chère amie mais tu sais que c’est parce que je tiens à toi et à Anna, que je ne lâche pas l’affaire concernant Flavio.

No, c’est à toi de me promettre de faire attention à toi !

Donne moi vite de tes nouvelles car je sais et l’espère du plus profond de mon cœur que tu es vivante et no t’inquiète pas pour moi, préoccupe toi à rester vivante si tu ne veux pas avoir affaire à ta folle d’amie d’enfance.

Embrasse Anna, Flavio de ma part et je t’embrasse également.

Ton Estrellita
qui attend impatiemment de tes nouvelles.
Fanette
Province de l'Aunis, sud du marais Poitevin,
le 17 novembre 1466


Quatre jours de voyage, et les chemins s'étaient fait plus sauvages, les villages plus éloignés, et l'automne déjà se teintait d'hiver. La traîne du kornog, prélude d’une Bretagne toute proche, ramenait sur ses ailes froides les parfums d'embruns, couchait les buissons, arrachait aux arbres ce qui leur restait de feuillage et s'insinuait entre les mailles des vêtements. Le plus souvent, Fanette était gelée. Le nez rentré dans son col, tassée sur sa selle, ses doigts gourds laissaient filer les rênes à chaque fois que la jument les lui arrachait pour piquer la tête dans l'herbe rase et salée. Elle avait beau user des simples que lui avait préparées Nikkita avant son départ, la fatigue des chevauchées nocturnes et des bivouacs rudimentaires s’accumulait, largement justifiée par son ventre à peine épaissi, et les nausées qui lui secouaient parfois encore le cœur autant que les doutes et l'inquiétude.

Il y avait malgré tout des sourires, quand la main bienveillante de sa belle-mère venait saisir la sienne pour lui rappeler qu’elle n’était pas seule dans les épreuves à venir, ou quand l’homme qui lui faisait escorte se mettait à conter les mystères de sa terre natale, quand il la faisait rêver à tous ses voyages passés, ou à ceux qu’elle pourrait de nouveau entreprendre. Et finalement, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait ramené à elle les souvenirs heureux, et doucement nostalgiques de ces chemins qui l’avaient menée des montagnes acérées de l’Helvétie à la falaise de Blaye, des plateaux sauvages du Rouergue à ces navires aux voiles gonflées d’aventure qu’elle regardait s’éloigner avec un peu d’envie depuis le port de Honfleur.

Mais elle gardait néanmoins en tête le but de ce voyage, et si la tâche semblait ardue, voire impossible, elle voulait conserver l’espoir d’en revenir en serrant contre elle son fils. Elle avait appris à Alençon qu’Alaynna Valassi, cette femme susceptible d’avoir adopté Milo, était bayle pour le compte d’un noble d’Argentan, et qu’elle avait quitté ses fonctions du jour au lendemain, pour faire route vers la Bretagne. Joanne lui avait confirmé ses doutes quant à ce nom qu’elle croyait avoir déjà entendu. Cette Italienne était bien celle que Roman avait épousée en premières noces et qui avait porté ses deux enfants morts avant d’être nés. C’était là une bien singulière coïncidence. Quoi qu’il en soit, elle espérait qu’Alaynna se soit établie en Bretagne, et que ce soit bien elle qui élève son enfant. Il ne resterait alors qu’à la retrouver.

Chaque jour, bercée du pas de sa jument, qui suivait docilement le lourd percheron que montait Myr, Joanne en croupe, elle essayait d’imaginer ce moment où elle reconnaîtrait enfin le visage de son fils. Elle ignorait comment les choses se dérouleraient. Après tout, il avait été adopté, et ceux qui en prenaient soin à présent se sentaient sans doute légitimes pour assurer ce rôle auprès du nourrisson. Fanette ignorait qu’en vérité, si son fils était bien avec de l’Italienne, par un enchaînement rocambolesque autant qu’étrange, elle avait elle-même volé à Claquesous cet enfant qu’il comptait lui vendre.

Elle s’en était inquiétée quelques jours plus tôt à Limoges, à l’aube de leur départ.

- Si elle ne veut pas le rendre, je serais obligée de le voler.
- Enfin Fanette, lui avait rétorqué Nikkita, c’est vot’fils, c’est à vous qu’on l’a volé.

Le sourire compatissant de la châtaigne avait laissé perplexe la jeune mère, inquiète malgré tout de la tournure que pourrait prendre l’entrevue, si elle survenait. Mais Myr ne semblait pas se formaliser plus que ça sur la difficulté de la mission.

- Si elle veut pas l’rendre, j’lui pète les dents, t’récupères ton p’tit et on s’taille.

Dit ainsi, ça semblait presque simple. Alors, pour l’heure, la fauvette avançait vers cette Bretagne si vaste, et ne conservait que l’espoir un peu fou d’en revenir avec l’enfant qu’on lui avait arraché vingt-deux semaines plus tôt et qu’elle n’avait pu chérir que sept.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Fanette
Poitiers, le 6 décembre 1466
Salle commune de l’Alea Percha Ouest


Un large cercle de fer, suspendu au plafond par une solide chaîne supportait une vingtaine de chandelles. Un surplus de cire, qu’une coupelle pleine ne suffisait à retenir, s’écrasa sur la carte écornée, étalée sur la table au-dessous. Fanette pesta en ôtant les résidus brûlants. Assise là, depuis le matin de leur arrivée, elle détaillait chaque route, chaque cité indiquée par un point, comme si la solution pouvait lui apparaître soudainement, s’inscrire sous ses yeux d’une croix rouge. Mais l’heure était à l’amertume.

Ses doigts glissèrent jusqu’au comté de Toulouse. La piste n’avait mené à rien. Si les Dicesarini avaient bien été retrouvés, s’ils élevaient bien un enfant, il ne s’agissait pas de Milo. Il ne lui restait donc qu’une seule possibilité, et elle portait un nom maintes fois prononcé au cours des dernières semaines, Alaynna Valassi. Pourtant, elle avait laissé en Bretagne, prisonnier sous l’épais linceul blanc, prémisse d’un hiver précoce et rigoureux, l’espoir de l’y retrouver. Personne, en Breizh, ne la connaissait, ne l’avait vu, ni même n’en avait entendu parler. Et Fanette se demandait à présent si elle n’était jamais venue dans ce coin du Royaume.

Après tout, peut-être que les informations qu’elle avait glanées en Alençonnais étaient erronées ? Quand bien même, quelle assurance avait-elle que cette femme avait adopté son fils ? Son hypothèse s’échafaudait sur un simple courrier, et une prise de rendez-vous de l’Italienne avec l'orphelinat des Miracles, en vue d’y adopter un enfançon mâle. Rien n’indiquait qu’elle avait obtenu satisfaction, mais comme rien ne permettait de l’infirmer non plus, la fauvette s’était mise en tête de la retrouver, pour vérifier. Elle avait cru pouvoir le faire à Argentan, mais on l’avait envoyée en Bretagne, et à présent, elle n’avait plus aucune piste à suivre pour mettre la main dessus. Elle devait trouver le moyen de reprendre ses recherches, mais pour l'heure, elle n'en voyait aucun. Alors, elle allait rentrer en Limousin, reprendre quelque force s'il était possible, sans se soucier encore de cette autre vie qui envahissait son ventre. Elle réfléchirait, espérerait, un signe, une trace, avant que le manque n'achève de l'étioler. Et si la jeune femme s’interdisait de manquer de courage, lassitude et déception ternissaient malgré tout le regard échoué sur la carte.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Valmont
J.J. Goldman – Il suffira d’un signe (cover … en français bien sûr)
Tu ris mais sois tranquille, un matin,
J’aurai tout ce qui brille dans mes mains.


    L’hiver recouvrait les royaumes d’son blanc manteau. Dehors, y f’sait froid, et d’dans, il f’sait parfois chaud, mais tout dépendait si t’avais du chauffage ou pas. Sinon, c’toi qui d’vait mett’ le tiens d’manteau. Ici et là, dans les maisons des plus pauvres, une donzelle passait l’arme à gauche ‘vec son t’chiot dans les bras. Parfois c’était juste l’t’chiot pa’ce que la donzelle elle sait souvent y faire pour s’trouver un abri. Suffit d’écarter les cuisses. En plus ça donne une chance d’avoir un t’chiot tout neuf. C’plutôt pratique.

    Pis dans tout ça, t’as parfois une aut’ donzelle, t’sais pas vraiment comment l’a fait pour s’y prendre, mais l’a paumé son moufflet et même si elle en r’fait un tout neuf, ben elle cherche quand même après perdu. R’marque, ça occupe les soirs d’hiver, quand t’as rien d’autre à foutre, p’t’être. Et là, cher lecteur, tu t’demandes pas un peu comme moi, si l’t’chiot qu’elle cherche, y’a pas rendu l’âme dans les bras d’la première donzelle ? Avoue qu’ça s’rait con d’se taper autant d’route pour que dalle.

    Fin, abandonnons deux minutes cette brave chercheuse pour aller voir c’qu’y s’passe à l’aut’ bout des royaumes. Ouais, à l’aut’ bout, t’as bien compris, encore une qui s’est trompée d’direction. Parait qu’c’est un truc rapport au froid, à la neige, toussah. Hum. Fin de la private joke, rev’nons en à plus d’sérieux, pa’ce que ouais, on dirait pas comme ça, mais j’suis hyper sérieux. Dans une maison d’bourge, t’as un demi-clodo qui s’amuse à se faire rédiger des annonces par d’autres clodos qu’y ramasse dans l’coin. Faut bien les faire bosser les jeunots !

    Un bien chic type qui s’est entiché d’une moitié cinglée et d’sa môme. Sauf qu’la moitié cinglée, elle a un deuxième môme qu’est pas du tout à elle en fait. Bien bravache, lui aussi, y s’démerde comme y peut pour faire partir ses affiches un peu partout dans les royaumes. Mais comme on peut jamais compter sur l’p’tit personnel, y’en a qu’une sur toutes qui a trouvé sa destination. Sauf que là où était sa destination, y’avait plus le moindre destinataire.

    Pour résumer, t’as une louloute d’un côté qui cherche son môme, t’as un loulou d’l’aut’ qui cherche p’têt à s’faire payer pour l’rendre, va savoir. En tout cas, aucun des deux n’est fichu de faire l’boulot correctement. Pis là, va savoir si c’t’une intervention divine pa’ce qu’à force d’vouloir un cygne, t’récoltes un pigeon.

    Foutu piaf, donc, à moitié crevé, le plumage dégueulasse, complèt’ment rachitique qu’on dirait qu’y a pas bouffé d’puis trois s’maines. Va savoir comment y’a réussi à rentrer. Pas par la ch’minée en tout cas pa’ce qu’y aurait encore été assez con pour s’crâmer les plumes.

    Après avoir volé trois fois d’traviole dans la pièce, c’t’abruti s’mange une sorte de lustre circulaire à vingt chandelles moins une. Quand son bec s’explose sur l’truc, ça fait un *Puf* digne d’une bouteille de vin de champagne quand tu fais sauter l’bouchon. Noyez Joëlle ! Sous l’choc, y ‘t’lâche un étron qu’tu d’vin’rais jamais qu’un truc si p’tit puisse t’sortir un truc si énorme. Bref, ça fait un *Schpruit* sur la carte, pile poil sur Thouars dis donc. J’sais pas si c’t’un signe du destin, mais franch’ment, si c’pas ça, c’con pour l’piaf qu’est crevé pour rien.
Fanette
Fanette traversa la grand'place et bifurqua après l'église. Le soir qui descendait doucement allongeait les ombres et rendaient plus grimaçantes encore les sculptures du bestiaire fantastique qui ornait le tympan de Sancta Maria Major. Elle n'y prêta aucune attention, continuant à courir jusqu'à la ruelle où se dressait le gîte des templiers. La porte lui résista un peu, tout encombrée qu'elle était, portant son barda dans les bras, et serrant sa carte dans une main. Elle s'appliqua à la pousser un peu plus fort, d'un coup d'épaule, voire de genou, et déboula un peu abruptement, rouge et essoufflée, dans la salle commune où les deux amoureux devisaient tranquillement.

- Qu'est-ce qui se passe ?
S'étonna Lexanne.
- Y'a un pigeon qui a chié sur ma carte, juste sur Thouars.

Deux paires d'yeux surpris se posèrent de concert sur la fauvette.

- Et ? Questionna Myr.
- Ben, peut-être que c'est parce que j'dois y retourner.

La réponse fut accueillie de la même manière que l'entrée fracassante et l'annonce d'un petit désordre intestinal de volatile. Les deux comparses ne comprenant visiblement pas du tout le lien entre la direction à suivre et la fiente de pigeon, contraignaient Fanette à se lancer sans sa vaseuse explication.

- Ben j'étais là-bas, à l'Alea Percha Ouest, et j'regardais la carte, comme si elle allait pouvoir me dire où se trouve mon fils à présent. Parce que, j'ai plus rien, vous comprenez, plus une piste. Cette femme pourrait être n'importe où, et Milo tout autant. Alors, j'étais là, et j'me disais que ce serait bien si on m'envoyait un signe. Et alors, pile à cet instant, un pigeon entré je sais pas comment, à chié sur ma carte, et c'est tombé pile sur Thouars. Pas à un tiers du quart d'un pouce de Thouars non, sur Thouars.

Elle s'interrompit. Parce que, si en venant elle était sûre de son fait, l'idée de faire demi-tour simplement parce qu'un oiseau s'était soulagé sur sa carte lui sembla soudain totalement ridicule et insensée. Sauf que, elle n'avait pas le début de la moindre piste alors, elle se raccrochait à ce qu'elle pouvait.

Ses deux compagnons de route la scrutaient, l'air toujours aussi perplexe.

- Et donc ? Questionnait encore le brun.
- Et donc, si c'est un signe, j'crois qu'il faut que j'aille là-bas.

Elle plissa le nez, et ses traits imprimèrent une petite moue hésitante.

- Je sais, ça peut sembler idiot. Ça l'est sans doute mais, j'ai que ça, plus rien d'autre que ça. Ai-je tort ?

Qui se fierait à une fiente pour présager son chemin ? Si elles avaient un pouvoir de divination, c'est dans la merde de pigeon que les diseuses de bonne aventure liraient l'avenir, pas dans les cartes ou les lignes de la main. Mais malgré tout, le marin commençait à cerner la fauvette, et il savait bien que s'il ne consentait à ce demi-tour, elle en perdrait de nouveau le sommeil, à se demander si elle n'était pas passée à coté de son fils. Pire, elle serait bien capable de leur fausser compagnie pour s'y rendre seule.

- Non, c'bon. On y r'tourne.

Les cloches de Sainte Radegonde s'unissaient à celle de Sancta Maria Major pour appeler les fidèles aux prières de complies. Le mince croissant qui annonçait la nouvelle lune toute proche plongeait dans les ténèbres le chemin au-delà des remparts, ne renvoyant qu'un pâle éclat sur les eaux du Clain. Mais Fanette, gagnée d'un nouvel espoir, même si incertain, pressa ses mollets aux flancs de sa jument. Demain, ils seraient à Thouars.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Fanette
Thouars, le 7 décembre 1466

Les températures étaient sensiblement remontées sur la petite cité, lovée dans une anse du Thouet, et au matin c'était un mélange de pluie et de neige qui tombait, dru et lourd, durci du vent qui cinglait les visages et mordait les extrémités.
Dans le clair-obscur de l'écurie, la vapeur s'élevait du dos des deux chevaux trempés de froid et de sueur. Le poil encore poisseux, sentait le musc et la paille fraîche avec laquelle on les avait bouchonnés. Siena émit ce petit vibrato que Fanette aimait tant quand elle déposa devant elle une pleine brassée de foin.

Pension était prise, pour une courte journée dans une auberge au nom provocant de "l'indésirable", et déjà, Lexanne avait rassemblé les affaires de la petite troupe, résumées en deux gros sacs de toile, quelques couvertures et une bâche de cuir huilé. Elle attendrait là, sûrement quelques heures, s'employant joyeusement à suivre sa ligne de conduite hivernale, boire plus, manger plus et dormir plus. Et pendant ce temps, Myr arpenterait les bas quartiers, les tavernes crasseuses et malfamées, ne craignant guère d'avoir à y jouer des poings, l'espérant peut-être, laissant à Fanette le soin d'enquêter auprès de la mairie, et dans les rues plus passantes et moins glauques. Mais pour l'un et l'autre, les questions resteraient les mêmes. Est-ce qu'une certaine Alaynna Valassi était passée récemment dans ce coin du royaume ? Quelqu'un la connaissait-il ? Où pouvait-on la trouver ?

Et à none basse, la fauvette découragée n'avait obtenu aucune réponse. Elle espérait bien que ses deux compagnons de route tairaient à jamais l'idée stupide qu'elle avait eue. Si elle ne s'était pas toujours montrée bien maligne, là, Fanette s'était surpassée. Elle ruminait toute seule sa mauvaise humeur, remontant la rue qui ramenait à l'auberge. Fallait-il avoir une cervelle pas plus fournie qu'un de ces stupides piafs pour se laisser guider par une fiente déposée sur une carte ! Et après ? Elle attendrait qu'une vache pète pour suivre la direction du relent nauséabond ? Pfff ... quelle idiote !

Quelle idiote, doublement ! Le chemin n'était pourtant pas très compliqué, suivre la rue du château vers le quartier saint-Médard, passer l'église et bifurquer à dextre dans la rue du grenier à sel. Mais pourquoi diable repassait-elle une nouvelle fois devant le four banal ? Elle pestait plus encore, tournait en rond dans un dédale de venelles bordé de hautes façades à pans de bois. Les encorbellements occultaient presque la lumière d'un ciel trop gris et pour couronner le tout, les mèches échappées de son capuchon dégoulinaient de pluie froide, la gelant plus encore.

Vraiment quelle idiote, voilà qu'elle s'était perdue ! A Thouars par-dessus le marché ! Elle finit par s'adosser dans l'encoignure d'une porte, le temps de calmer un peu la mauvaise humeur qui embrouillait ses esprits. Le chien s'était assis contre elle, oreille en arrière, tête basse, subissant l'ondée glacée sur son poil ras. Elle s'accroupit à ses côtés et passa son bras autour de son encolure, cherchant réconfort dans le contact du gros animal, qui, pour toute réponse lui retourna une léchouille qu'elle évita de justesse. Malgré tout, un maigre sourire étira un coin de ses lèvres bleuies. Elle soupira en se redressant, et se remit en route, tapotant sur sa cuisse pour inviter le dogue à la suivre.

Elle était néanmoins plus attentive, s'efforçant de revenir sur ses pas, en reconnaissant, là, une maison dont les colombages étaient comblés non pas de torchis, mais de briques. A cet autre endroit, le linteau d'une porte sculpté d'un motif floral, ou ici, l'abreuvoir à moutons et enfin, elle déboula sur la grand'place de la mairie. Le soulagement vint détendre ses traits chiffonnés de fatigue, quand la pluie de nouveau s'abattit, plus violente qu'au matin. Elle courut s'abriter sous la petite toiture du panneau des annonces, le temps de l'averse, serrant ses bras autour d'elle en grelottant. Elle dansait d'un pied sur l'autre pour conserver un semblant de chaleur, et laissa distraitement son regard dériver sur les affiches placardées, pour détourner ses pensées du froid qui la mordait.

« Concours de tir à l'arc, où se plantera votre flèche ? »

Elle sourit, se souvenant du soir un peu trop aviné où Jack avait décidé de lui apprendre à tirer à l'arc, dans une taverne … vide bien heureusement. Quel fiasco, mais par Déos combien elle avait rit. Le sourire se fit plus nostalgique. C'était le temps de l'insouciance, bien avant que d'aimer …

« Hôpital de guerre mobile … Mortydoc »

Ses sourcils se haussèrent de surprise, Mortemer était donc venu user de ses talents de médecin pendant les derniers affrontements ? Son esprit s’égara de nouveau à ces souvenirs légers d'un voyage avec les fils du vent. Elle songea au conte qu'elle avait écrit pour Jack et son chien, Mortemer et Nannou, et qui parlait d'un manteau un peu magique, qui avait mené un vagabond à se réchauffer au feu des Gitans et des troubadours. Aucun des souvenirs agréables qui lui venait ne concernait le Corleone. Elle plissa le nez en une moue contrariée, s'empressant de chercher les bonheurs qu'il lui avait offerts. De nouveau, une ombre mélancolique vint ternir l'éclat d'un sourire. Elle en avait des centaines, mais tous piquaient à présent douloureusement son cœur du manque qu'elle conservait de lui. Elle reporta son attention sur l'affiche suivante.

« Entre 6 et 8 mois, si tu sais de quoi je parle contacte Malik, il sait où le trouver, mais c'est toi qui donnes la description. Le paquet sera pas remis à n'importe qui. »

« Panneau événementiel provincial »

- Hein ? C'est quoi ça ?

Le regard abandonna l'annonce royale pour remonter sur l'affiche précédente. Elle en relut chaque mot et son cœur manqua un battement. De nouveau ses yeux s'attardèrent à la première phrase. Milo avait un peu plus de sept mois à présent. Non, ce n'était pas ça. Pourquoi donc une affiche parlerait de son fils … si bien sûr, pourquoi donc ça ne serait pas lui ? Non mais qui parle ainsi d'un enfant, pourquoi ne pas le préciser, t'emballe pas Fanette...

Mais il était trop tard, ça bouillonnait sous les boucles, tandis que la main arrachait prestement le parchemin. Elle le roula et le glissa dans sa cape. Qu'avait-elle à perdre à chercher ce Malik en plus de l'Italienne ? Après tout, il était une autre possibilité, au cas où Milo ne se soit jamais trouvé dans les bras de la Valassi. Elle plaqua son dos au panneau d'affichage et prit un instant pour remettre en ordre ses idées. Si l'homme avait déposé son annonce dans cette cité, peut-être vivait-il ici, ou du moins, le connaissait-on. Elle traversa la place pour retourner à la Mairie. Cette fois-ci, ce n'est pas après la Valassi qu'elle demanda, mais après le dénommé Malik. Mais le larbin municipal la considérait froidement, agacé d'être encore dérangé.

- Si j'vous dis que connais pas votre clampin, pas plus qu'l'autre.

Mais face à l'insistance de Fanette, persuadée que le type était connu ici, puisqu'il y avait déposé une demande, il finit par lui conseiller d'aller voir au taudis, des fois que ce serait un vagabond, ou un ivrogne, enfin, le genre de type qui n'paye aucune taxe au comté. Et sans même réfléchir, c'est là que la jeune femme s'était rendue, ignorant la pluie et le froid. Elle n'avait même pas songé qu'il serait plus sage de quérir Myr avant de s'y rendre. L'impérieuse nécessité de retrouver son fils, de vérifier ce que son intuition lui soufflait avait été plus forte. Envolée la timide fauvette, c'était pleine d'assurance qu'elle s'était glissée dans le taudis, guettant presque le babillement d'un enfant, s'interdisant l'espoir de l'y trouver en même temps que l'homme, et ne pouvant s'empêcher d'y croire.

- Malik ? Il y a un dénommé Malik ici ?
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Jd Lililith ... j'adore ...
Alaynna
Quelque part, sur les routes.

Encore qu'aujourd'hui, nous avons passé les portes d'une ville et c'est dans une chambre d'auberge prise à la vite et réglée rubis sur l'ongle à la journée, où je me suis réfugiée. Et après un long bain copieusement arrosé de badiane, c'est sur le grand lit que je me suis échouée, assise en tailleur et je continue d'écluser quelques bouteilles. L'avantage avec la badiane, c'est que ça me fait office et d'alcool et de médicament pour soigner les palpitations de mon coeur. Et c'est que j'en ai foutrement besoin depuis ces derniers temps. Il parait que trop d'émotion tue l'émotion, ou un truc dans le genre, mais chez moi, le trop plein d'émotion, c'est mon palpitant que ça tue à petit feu.
Devant le trio amical, je ne laisse rien paraître. Et de toute façon, sauvageonne comme je le suis, je passe plus de temps en ce moment à causer seule qu'en public. Mais petit à petit, je les laisse m'apprivoiser. Si l'on m'aurait dit qu'un jour je m'acoquinerai avec une Princesse, jamais je ne l'aurai cru et j'en aurai ri à m'en péter les côtes. Et pourtant, cette Bretonne, elle a, sans le savoir, toute ma loyauté. Moi qui ait la loyauté et la morale assez lunatique, autant dire que c'est à marquer d'une pierre blanche. Tiens, ça tombe bien, Marzina semble avoir une passion pour les cailloux, il va falloir qu'avec Anna on lui en cherche un beau et tout blanc. Anna adore ça fouiner la terre et creuser et comme moi je n'aime pas la savoir seule avec Flavio à Marseille, même si je sais que mes enfants ne risquent absolument rien, j'ai fini par écrire à mon homme de main afin qu'il prenne la route pour nous rejoindre, au moins, j'aurai mes petiots auprès de moi pour le reste de notre balade. Puis je n'ai pas l'habitude de les laisser ainsi et j'ai le manque d'Eux.
Depuis que le Barbare s'est fait la malle, je navigue entre deux eaux. Je lui en veux de m'avoir dit qu'il voulait se barrer. Et de n'avoir plus vu personne le lendemain. J'ai tenté de le persuader de rester mais, avec lui, j'ai commis maladresse sur maladresse. Même quand j'ai voulu avancer et que pour cela, j'ai fait tout un parcours que je n'aurai jamais fait auparavant, grillant même les étapes sans la moindre hésitation, parce que je voulais faire les choses autrement, il a fallu qu'en deux temps trois mouvements, ça foire.

Je crois qu'il a essayé, qu'il faisait vraiment des efforts mais nos deux cultures étaient différentes et par moment, quand j'essayais de l'aider, je m'enfonçais davantage encore. Pourtant, c'était tout naturel pour moi mais ce qui l'était pour moi ne semblait pas l'être pour lui. La gueule qu'il a tiré quand il a compris que j'avais vraiment un "chez moi" à Marseille. La gueule qu'il a allongé encore quand il a découvert que dans mes marais, dormait pour l'Eternité un être qui m'était cher. Et qui l'est toujours d'ailleurs, que ça plaise ou pas. C'est ainsi. J'en ai causé avec Marzina et on est sur la même longueur d'onde toutes les deux, elle aussi, elle ressent ce même manque que moi face à nos disparus réciproques.
Alors, peut-être que j'aurai du galoper après le Barbare quand il n'était plus là. Mais ça, c'est sans doute ce qu'aurait fait quelqu'un de sensé, et encore. Vu qu'il m'avait dit la veille vouloir se casser, je n'ai pas bougé. En vérité, j'ai été tellement brisée par le passé et j'ai tant morflé qu'aujourd'hui, il y a des choses que je suis désormais incapable de faire. J'ai passé des semaines à chercher mon Serbe quand il avait disparu, à retourner la terre à défaut du ciel et quand je l'ai retrouvé, il était trop tard. C'est un cadavre que j'ai nettoyé, mis en terre, et veillé. Et même si j'ai fait une grande partie de mon deuil aujourd'hui, il y a une chose que je suis incapable de faire parce que Loras Novgorod est le seul pour qui je l'ai fait et qu'il le restera. Jamais plus je n'irai à la recherche d'un homme qui entre dans ma vie pour en disparaitre. Parce que pour la Traumatisée que je suis face à la perte longtemps restée insurmontable, aller à la recherche d'un homme qui disparait alors qu'il partage ma vie, cela signifie ni plus ni moins que je le retrouverai mort. Et je ne veux plus vivre ça. Jamais.
Pourtant, le Barbare avait réussi un exploit. Celui de me faire accepter "l'idée" de faire des recherches au sujet de Flavio. Je lui avais donné l'autorisation de faire le nécessaire afin d'entamer les recherches. Le connaissant, je suis certaine qu'il avait du s'y coller rapidement. Il avait su me faire douter en me causant d'Anna et du fait que ça aurait pu lui arriver à elle. Il m'a aussi fait frémir en me parlant de cette éventuelle mère potentiellement en vie, qui devait souffrir le martyre sans son enfant et il m'a demandé de me mettre à sa place. Jusqu'à ce qu'il m'en cause, je ne voulais pas admettre que Flavio puisse avoir quelque part, des parents, en vie, qui le recherche. Alors, certes, le Barbare avait su jouer sur la corde sensible, sans doute la seule qu'il savait trouver en moi. Car il avait bien compris que mes petiots sont toute ma vie. Il avait aussi creusé et compris pourquoi, du moins en partie, j'avais à tout pris souhaité "adopter" un nourrisson mâle. Au point qu'il s'était même offert de m'offrir mon rêve, ce fils tant désiré. Il disait que cela faciliterait le travail émotionnel me concernant si jamais Flavio avait encore ses parents en vie. Il voulait aussi que je parle à Anna, que je commence à la préparer à la possibilité que Flavio ne reste pas avec nous, mais ça, si j'avais commencé par accepter l'idée de le faire, aujourd'hui, j'en rejetais totalement l'idée.
Anna avait déjà vu son papà se carapater, elle en souffrait déjà assez sans avoir de plus à peut-être se voir infliger le départ de son petit frère. Si j'avais admis devant le Barbare que c'est Flavio qui nous avait soigné Anna et moi, Malik lui, n'avait pas trouvé que la situation était saine. Pas saine du tout même. Entre les conneries du père qui avaient mis Anna en vrac et les miennes pour tenter de la réparer.
Alors je n'espérais qu'une chose. C'est que les recherches n'aboutissent à rien, et que personne ne vienne jamais réclamer cet enfant qui était devenu le trésor de notre vie à Anna et moi. Et je comptais bien que cela dure. Puisqu'il semblait que je sois particulièrement douée pour faire fuir les hommes de ma vie, il n'était pas question que l'on vienne m'arracher ce petit bout de chou qui était devenu mon fils en quelques mois. Et je n'avais aucunement l'intention de donner suite à ces recherches entamées par le Barbare. Maintenant qu'il avait jugé bon de disparaitre, il n'était pas né, celui qui arriverait à me raisonner.
J'entamais un virage à deux cent pour cent dans ma vie depuis que j'avais enfin compris, en Anjou, que je m'étais faite bernée en beauté par ceux qui se disaient soit disant mes "amis." Mais on ne m'y reprendrait plus, et si par le passé, j'avais pu accorder ou envisager de le faire, quelque pardon à celui qui était encore le Salaud de ma vie, aujourd'hui, cela n'était plus à l'ordre du jour. Valait mieux qu'il reste disparu et loin de nous, parce que si le blond paternel d'Anna, avait le toupet de se repointer, nul doute que mieux valait pour lui qu'il soit grillé ou crevé quelque part plutôt que de venir nous jouer sa divine comédie de m.erda. J'avais même fait un deal avec Marzina il y a quelques jours, pour son fameux volatile en lui proposant l'ancienne petite carriole de princesse d'Anna faite par Niallan, pour que son DodoChou puisse avoir son petit nid douillet. Nul doute que nous étions tombées d'accord la Princesse et moi et que contrat avait été conclu sur le champ. Dès notre retour à Marseille, je m'empresserai de lui faire parvenir ce qui débarrasserait mon chez moi des quelques restes Niallanesque qui s'y trouvait encore. J'avais décidé de faire peau neuve et ce n'est pas parce que le Barbare s'en était pris la poudre d'escampette, que je n'allais pas continuer sur ma lancée. Anna, Flavio et moi, nous formions notre petite famille, et désormais, je ne laisserai personne s'immiscer dans notre nouvelle vie.

Alors si. J'espérais avec obstination, que les recherches resteraient vaines. Si j'avais pu me laisser fléchir par le Barbare, il était évident que désormais, je ne laisserai à personne le soin de m'approcher d'assez près pour tenter une nouvelle manoeuvre afin de déclencher le moindre affect de ma part, sur ce sujet là, ou tout autre plus intimiste encore.
Flavio était mon fils, un point c'est tout. Et chaque jour qui passait, il ne cessait de me rappeller Andrea, mon petit guerrier du feu. Et si j'étais bien imprégnée d'une chose, c'est que le petit frère, ressemblait, dans ses traits et son regard, à ce grand frère qu'il ne connaitrait jamais.

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Lulu.
[Pendant ce temps-là, toujours à Thouars, toujours le 7 décembre]

P’tain c’qu’il caille !

Bah ouais gars, en plein hiver, dans un taudis miteux d’une ville morte, tu croyais quoi ? Que ça serait grand luxe ? Matelas d’étoupe et édredon en plumes d’oie ? Gros malin, va ! Ah ça, pour se les geler, Lulu, Ludovic de son petit prénom, il se les gèle. Ah si sa Lulu le voyait comme ça, Lucie, elle qu’elle s’appelle en vrai, elle aurait pitié, obligé et elle lui dirait de revenir à la maison fissa. Mais là, elle fait la gueule et pour une fois, il se dit qu’elle a bien eu raison de le foutre à la porte. Oui, ça n’avait pas été malin d’aller boire l’argent pour les repas de la maison. Et pas plus malin d’avoir été joué au ramponneau l’argent pour le travailleur agricole pour tenter de se refaire. Et la torgnole au gamin ? Il n’avait qu’à pas pigner lui aussi ! Et la Lulu avait mis son Lulu dehors avec un coup de pied au cul bien senti en lui disant qu’il n’avait qu’à se creuser une petite habitation dans la neige, ça l’aiderait à passer l’hiver. Il ne serait autorisé à rentrer que s’il pouvait trouver l’argent perdu. Et encore … Oh si quand même, elle n’allait pas le laisser à la rue son mari, hein ? En attendant, il a froid, tire sur la pauvre couverture râpée et pleine de puces du taudis, sur une paillasse, elle aussi infestée. Il fait si froid que l’eau du baquet avait gelé. La crasse des autres avait figé donnant à la glace une couleur marron des plus dégueulasses. On était loin du joli lac glacé par les premiers froids sur lequel il avait donné rendez-vous à sa si douce Lulu, à l’époque, pour lui conter fleurette. Elle était si jolie et si innocente. Avec ses grands yeux verts et ses cheveux blonds, elle ressemblait à un ange. Et maintenant, sa mégère l’empêchait de rentrer chez lui ? Dedieu !

Le Lulu, il se lève d’un coup, secoue ses vêtements, sa tignasse, étire ses membres engourdis et bien décidé à rejoindre le doux foyer familial, il attrape ses affaires pour rentrer. Non mais ! Elle se prend pour qui hein ? C’est sa maison autant qu’à elle et s’il veut dépenser son argent durement gagné en bière et en jeux de cartes, c’est son problème à lui ! C’est un bonhomme ou c’est pas un bonhomme, le Lulu ? Oh c’est qui qui commande là, hein ? Ouais, il fait son mariole là, à se donner du courage mais on sait tous que c’est elle qui commande. Mais il est remonté comme un coucou et ouvre la porte du taudis et une sorte de petite chose blonde vient s’écraser contre son torse. L’œil suspicieux détaille l’engin et déjà, mademoiselle, on apprend à se coiffer, ça serait pas du luxe ! Enfin madame vu le petit habitant qui arrondit le ventre. On dirait un petit oiseau tombé de son nid avec le nid sur la tête en plus, pas de bol ! Elle semble perdue, bafouille, demande s’il connaît un certain Malik.


Ouais peut-être bien …

Il le connaît vite fait le Malik, assez pour avoir picolé avec et avoir causé un peu. Assez pour savoir où il se trouve présentement aussi. Il s’appuie contre le chambranle de la porte et sans avoir besoin de poser de questions, la gosse se met à parler. Et blabla, ça se plaint, ça geint, ça fait sa pignouse. Et gnagna mon gamin il a été enlevé. Et ouin ouin ouin, je crois que Malik sait où il est. Pfffff relou quoi. Lulu tente de ne pas l’envoyer chier parce qu’après les premières jérémiades, il se dit qu’il y a peut-être un bon coup à faire pour récupérer son argent. Et tranquille en plus ! Alors il se retient de rouler des yeux, de souffler agacé, de se pincer le nez ou de lui mettre son pied au cul. Ah, il se rend compte de la chance qu’il a avec sa femme parce qu’une comme ça, il l’aurait tapée. Non pas qu’il ne tapait pas sa Lulu hein, quand elle mérite, elle s’en prend une. Mais alors celle-là … ça se trouve, c’est le gosse lui-même qui a fomenté son enlèvement pour s’émanciper de sa daronne. Donc il la laisse chouiner et raconter sa vie avec une patience qu’il ne se connaissait pas. C’est fou ce qu’on peut faire pour de l’argent. Ouais enfin, faut pas déconner non plus et il finit par l’arrêter avant qu’elle ne reparte dans une description de son chiard sinon il va la taper.

L’est plus là l'Malik. Mais si vous v’lez, moi j’sais où il est et contre … deux cents écus, j’ui glisse un p’tit mot de vot’ part. Votre fils vaut bien ça, non ?

C’est vilain ça de la culpabiliser la pauvre Fanette. Ouais parce qu’elle s’appelle Fanette, le prénom aussi pourri que la coiffure quoi. C’est pas interdit par la loi le cumul de mauvais goût ? Donc il la culpabilise, mauvaise mère qu’elle est. Déjà qu’elle a perdu son gosse et elle mettrait pas deux cents petits écus pour le retrouver ? Il la regarde en biais et attend sa réponse, bras croisés, nonchalant. Un petit aller-retour pour aller déposer un courrier à ce prix-là, il fait coursier toutes les semaines s’il le faut.

Ah! ça, elle ne s'y attendait pas. Elle avait bien tenté d'obtenir l'adresse du dénommé Malik, de le faire céder en lui racontant son histoire, mais rien n'y avait fait. L'homme voulait de l'argent, et pas qu'un peu. Elle avait bien songé à aller chercher Myr. Il lui aurait collé son poing dans la figure et lui aurait passé l'idée de négocier, mais elle ne savait pas trop à quel endroit de la ville le trouver, et à vrai dire, elle craignait que l’énergumène prenne la poudre d'escampette. Elle le considéra longuement, le visage chiffonné par la réflexion autant que l'embarras. Finalement, elle avisa le bureau à l'entrée pour s'y laisser choir.


- Deux cents écus. Non mais vous m'avez pris pour la Reyne ? J'ai ... voyons ... j'ai ...

Elle décrocha l'escarcelle de sa ceinture et la renversa sur le plateau de bois. Elle les rassembla, et les poussa vers lui, mais avant qu'il n'allonge les doigts pour rafler la mise elle couvrit le tas de pièce de sa main.

- Attendez ! D'abord j'écris le mot pour lui, sinon vous allez vous barrer avec mon argent sans rien attendre d'autre.

Elle glissa un regard interrogateur dans le sien, et doucement libéra la petite fortune pour sortir de l'écritoire de voyage de son barda. Le surveillant du coin de l’œil, elle commença à écrire.




A vous le dénommé Malik,
de moi, F. Loiselier.

J'ai trouvé votre affiche. Vous causez d'un enfant ? Un p'tit gars qui vient de faire sept mois, avec une peau claire, et des cheveux châtains aux beaux reflets de cuivre dans le contre-jour ? Si c'est le cas, dites-moi où venir vous trouver, ou bien, écrivez-moi al lupo e l'uccellino, quartier de l'Abbessaille à Limoges, ou même, venez-y avec lui.
S'il vous plaît, tardez pas.
F.


Le mot était court, et du reste, comment pouvait-elle décrire Milo, elle ignorait jusqu'à la couleur que ses yeux avaient pu prendre en abandonnant le gris ardoise des nourrissons. Ses cheveux avaient dû pousser, étaient-ils raides comme ceux de son père, ou bouclaient-ils comme les siens ? Ses petites joues se piqueraient-elles de taches de son ? Ses traits ressemblaient-ils toujours à ceux du Corleone ? Elle soupira en repliant la missive, puis releva les yeux vers le type qui n'avait pas bronché, attendant presque patiemment qu'elle finisse sa prose. Elle lui tendit le parchemin et poussa les pièces vers lui, puis fouilla de nouveau dans sa besace et en extirpa un étui de tissu épais.

- J'sais pas combien il y a exactement là, mais c'est sûr, les deux cents écus n'y sont pas. Peut-être soixante-dix, ou quatre-vingts.

Elle extirpa de leur protection de toile deux petits peignes d'argent délicatement ciselés, et les posa sur la table. Ses lèvres étirèrent un sourire teinté de mélancolie quand son regard s'échoua un peu plus longuement que raisonnable sur ce souvenir. Elle se rappelait encore de la gamine malpropre qui les lui avait mené, avec quelques autres objets, un soir de mars où elle languissait le retour de son diable, depuis trop longtemps absent. Il avait fait précéder son retour de petits présents pour se faire pardonner, et parmi eux, le carnet au coquelicot qui était devenu depuis l'écrin des courriers qui la liaient à son fils. Elle s'arracha à ses pensées pour planter un regard convaincu, à défaut de convaincant dans celui du gars.

- C'est de l'argent, ça a sûrement bien plus de valeur que ce qui manque pour faire deux cents écus. D'toute manière, j'ai pas plus. Et vous avisez pas de n'pas porter le mot à son destinataire, parce que si vous en aviez l'idée, j'reviendrais vous écorcher.

Elle s'était redressée, cherchant à paraître plus grande ce qu'elle était - vain espoir ?

Notre bonhomme aurait bien tenté de négocier un peu plus mais vrai qu'elle n'avait rien d'une reine, la gosse. Et puis, elle est marrante à vouloir se donner des airs. Pour la calmer, il aurait pu lui dire que lui, il n'avait pas perdu son gosse bêtement, qu'il avait besoin d'argent pour le nourrir. Mais ce n'est pas un mauvais bougre alors Lulu, il ricane juste quand elle tente de lui faire peur. Elle veut l'écorcher. Non vraiment, elle est trop mignonne. Il s'approche d'elle d'un pas amusé et lui tapote le haut du crâne comme on ferait à un petit enfant. La grande main de Lulu rebondit sur les boucles blondes et il se marre de plus belle.


Vous seriez presque adorable, Fanette si vous étiez moins geignarde. Et mieux coiffée ! Mais dans sa grande mansuétude, le bon Lulu va vous aider.
Je vais l'remettre à votre Malik ce pli, pas besoin de lancer des menaces si ... impressionnantes ! J'en ai les genoux qui tremblent et les dents qui claquent ... à moins que ce soit le froid !


Il attrape l'argent, les petits peignes en argent également. Sûr que là, sa Lulu, elle va lui pardonner. Il va revenir avec l'argent perdu ET un cadeau ET en étant resté honnête ? Pfff là, il va passer la nuit de ses rêves, o-bli-gé !
Il fourre le tout dans ses poches et se barre sans même lui dire au revoir, bien content que la chance tourne en sa faveur pour une fois.


RP quatre mains parce que c'est toujours un plaisir d'écrire avec ma jd Fanette
Alaynna
Genève, 9 janvier 1467.

Les jours passaient. Les semaines s'envolaient. Et je n'avais toujours pas encaissé le choc causé par la disparition du Barbare. Je vivais avec, mais je l'avais mauvaise. Vraiment mauvaise. Et s'il y avait bien une chose sur laquelle j'avais pris une décision radicale, c'est que jamais plus, je n'accorderai ma confiance à un homme quel qu'il soit. JA-MAIS. De toute manière, le seul qui la méritait vraiment, était un homme mort. Et lui, je pouvais toujours lui parler dans le silence de mon coeur, ou lui adresser un regard, de l'autre côté du chemin. Mais c'était fini. Bel et bien fini. Plus jamais je ne me laisserai aller à baisser ma garde.
Les bouteilles de badiane s'en défilaient jour après jour. Mais depuis peu, je commençais doucement à reprendre pied dans cette réalité qui était la mienne. Mon homme de main nous avait rejoint avec les enfants, mais les moments passés avec eux se faisait toujours dans la plus grande discrétion.
Je rejoignais un peu plus souvent mes compagnons de route, le soir. Comme je le faisais avant. Tout du moins, alors que depuis que Malik avait disparu je passais mon temps enfermée dans une chambre ou à l'écart dans des feux de camp, les semaines qui venaient de s'écouler, j'avais échangé quelques brèves missives avec Delio, et discuté un petit peu avec Yseult, plus longuement avec Marzina. Petit à petit, je retrouvais mes marques. Doucement, j'émergeais de ce cocon protecteur dans lequel je m'étais réfugiée depuis la disparition Barbare.
Anna et Flavio semblaient ravis d'être de nouveau près de moi, et je veillais sur eux comme une louve sauvage. Prenant soin de m'assurer qu'ils soient en sécurité, toujours.

Les jours passaient, et rien de ce que je redoutais ne s'était produit. Et je n'avais donc toujours pas trouvé l'envie ni le courage de causer à Anna au sujet de son petit frère. Persuadée que tout irait bien. Tout allait bien se passer. Il le fallait. Pour notre bien à toutes les deux.
A l'heure actuelle, j'étais toujours persuadée que les recherches entamées par le Barbare, s'il l'avait vraiment fait, ne donneraient rien.
La surprise du jour, me vint simplement d'une courte missive qui émanait de celui qui m'avait baptisée et qui fut mon professeur à la faculté de Médecine. D'une, parce que j'étais à mille lieux de m'imaginer recevoir nouvelles de la part de L'Aconit. De deux, parce qu'il m'offrait l'occasion de reprendre ce que je n'avais pas terminé. Et que j'étais du genre à toujours terminer ce que j'entreprends. Tout du moins, quand je ne me défile pas. De mémoire, sur les cinq cursus entrepris, il m'en restait trois à faire. La chirurgie, les poisons et l'embaumeur.
Le fait de penser au dernier cursus et ce que cela évoquait en moi, me donna alors l'énergie suffisante et la volonté de continuer.

Je griffonnais quelques mots en réponse à ceux reçus, avant de rejoindre Anna et Flavio pour les emmener profiter de mes montagnes natales.

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Fanette
Il y a des moments où l'on éprouve un désir terrible de revoir les êtres que l'on a perdus ;
on voudrait se trouver dans un lieu tout à fait solitaire pour pouvoir les appeler à grands cris.
(MS. Newton, Lettres et pensées)



Au soir du 11 janvier 1467
Limousin



Installée dos à la route, calée à quelques sacs, Fanette s'efforçait de distinguer encore le clocher de Saint-Etienne, son phare. La cathédrale surplombait le quartier de l'Abbessaille, où elle avait choisi un an plus tôt, une vieille bâtisse un peu décrépie, pour en faire l'écrin d'un bonheur trop fugace. Elle plissait sensiblement les paupières, accrochant son regard à la flèche qui élevait orgueilleusement ses sept étages vers les cieux noirs, mais la distance peu à peu rendait à la nuit les contours sombres de la vieille dame de pierre. Et bientôt, tout Limoges disparut, avalé par ces mêmes ténèbres qui enveloppaient le convoi, et que le dernier croissant, voilé de nuages, ne parvenait à éclaircir.

Ils s'éloignaient des terres arables pour traverser les bois de Saint-Just, jusqu'au confluent de la Vienne et du Taurion, puis bifurqueraient sensiblement vers le Nord, avant de retrouver la route qui franchissait la frontière Est du Limousin, pour les mener vers les bocages du Bourbonnais. L'histoire de l'enfançon Corleone, arraché à son berceau depuis bientôt sept mois, pour une sombre vengeance, était connue dans tout le comté et il n'y avait aucune chance que ceux que Fanette cherchait puisse faire étape dans un village limousin sans que ce soit rapporté au comte d'Aixe. Ils avaient donc pris le parti de ne pas s'attarder en enquêtes inutiles pour adopter un rythme soutenu et s'acquitter de la quarantaine de lieues qui les séparaient de Montpensier, où les véritables recherches reprendraient.

Sa main vint se glisser sur le flanc du basset, allongé de tout son long à côté d'elle. L'animal émit un ronflement de satisfaction, bienheureux d'être autorisé à ne pas user ses courtes pattes. Au-devant, le chien de Lili furetait avec Huan dans les broussailles, gardant un œil sur l'attelage, le rattrapant de joyeux galops en se chicanant, quand ils le laissaient prendre trop d'avance. La jument, attachée à la ridelle, fermait le cortège. Assis sur le siège, Lazare menait sa bête, un grand hongre alezan, à la foulée ample et énergique. Le jeune homme, tout comme Lili, s'était proposé, fier de ce sang Corleone, qui justifiait à lui seul et comme une évidence, son aide pour retrouver Milo. Et la fauvette, qui s'était si souvent sentie impuissante, leur en était reconnaissante. Elle l'était tout autant à Galaad, qui avait mis sa vie et ses projets entre parenthèses pour se joindre à cette nouvelle quête, sans que rien ne l'y contraigne. L'oublieux s'était assis sur le banc, à côté du meneur, et son regard clair surveillaient les ombres qui pourraient se glisser entre les troncs décharnés par l'hiver. A leurs pieds les épées dormaient aux fourreaux.

L'étoile s'était installée à l'arrière, et ses yeux d'ambre semblaient se perdre rêveusement à la nuit. Les cahots du chemin secouaient le dos et les hanches déjà endoloris de Fanette. Elle se recroquevilla autour de son ventre, imprimant une petite moue qui trahissait son inconfort, en se souvenant des paroles du médecin qui l'avait ausculté quelques jours plus tôt. Faust lui recommandait de prendre davantage de repos, de veiller à avoir une alimentation suffisante et correcte et d'éviter à tout prix les chocs et les coups. Un léger soupir franchit la barrière de ses lèvres. L'homme, au lendemain de son départ, lui avait fait parvenir un pli qu'elle conservait dans son écritoire de voyage, contenant de précieuses informations sur la Valassi. Il relancerait ses recherches vers un quartier de Paris, s'ils revenaient bredouille de leur voyage, mais pour l'heure, le Montfort précisait que la femme n'y était pas. Alors en attendant, Fanette s'en tenait à ses projets, faire le tour des gros bourgs du Sud-Est où elle n'était encore jamais allée, et voir si quelqu'un y connaissait l'Italienne, ou le dénommé Malik. Elle avait bien conscience que ça revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais elle ne pouvait se résoudre à attendre sans rien faire à Limoges.

Transie de froid, elle rabattit le capuchon de sa cape de gros bureau sur ses boucles et resserra son col sur sa gorge. Le froid mordait ses doigts bleuis. Elle glissa une main au talisman que lui avait remis le médecin et qu'elle dissimulait dans un pli de sa cotte, quand l'autre vint couver la rondeur du ventre, en un geste protecteur qu'elle avait rarement eu depuis qu'elle était grosse. Sous sa paume, le rubis offrait à celui qui dormait avec la promesse d'éloigner les charmognes. Elle ignorait si son pouvoir opérerait sur elle et l'enfant qui s'agitait douloureusement au creux de ses entrailles. Ses pensées s'égarèrent au nourrisson qui grandissait loin d'elle depuis trop longtemps, et doucement, les paupières vinrent éteindre son regard préoccupé, l'abandonnant à un sommeil agité du manque qu'elle avait d'un fils et d'un époux.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Lililith
Lili veille.

De toutes façons, cela fait longtemps qu'elle ne dort plus qu'une poignée d'heures par nuit ; alors, autant mettre les moments où elle est éveillée à profit.

Elle observe Fanette dormir et l'entend gémir. Inquiète, elle se redresse un peu pour constater que la fauvette n'est pas consciente du monde réel. L'Étoile grimace, et réfléchit : elle a peur de faire une erreur... Mais non, sa mémoire ne la trompe pas.

Elle jette un œil aux canidés qui vont et viennent, puis son regard ambré rejoint les étoiles qui luisent, là-haut. La blondine esquisse un sourire ; elle a beau ne pas avoir son chat avec elle, elle songe que ça va aller. Que le pire a déjà eu lieu, et que tout ne peut que s'arranger : elle est ainsi, la Luciole, elle essaie de rester positive.

Il faut dire, avec tout ce qu'elle a vécu, elle est bien obligée ! Serrer les dents, et avancer, coûte que coûte. C'est un des principes qu'Enjoy lui avait appris : marche ou crève. Lili l'a soigneusement préservé, et y songe chaque fois qu'elle s'apprête à flancher.
Pourtant, parfois, elle craque, mais loin des remontrances qu'elle pense recevoir à chaque fois, les gens de son entourage se montrent compréhensifs ; et cela l'étonne...

Elle se penche vers l'engrossée, et passe une main froide sur son front, puis remonte la couverture qui a un peu glissé. Elle-même resserre la cape de laine bouillie offerte par Nizam et Arsène un an plus tôt, et songe qu'elle doit leur écrire. Mais par où commencer ? Que doit-elle mettre dans un pli pour des gens qu'elle aime, mais qu'elle n'a plus vu depuis longtemps ? Elle a peur de tomber dans des banalités, et ne le veut surtout pas. Peut-être qu'il faudrait, pourtant...

Ne sachant trop que faire, elle tire de son fourreau la lame ottomane piquée à Nizam, puis rendue, puis récupérée par après, et y perd ses yeux, comme si l'arme pouvait lui apporter une quelconque réponse. Elle l'a affûtée lors des préparatifs du voyage, parce qu'après tout, elle n'a rien grand-chose, et qu'il faut qu'elle soit prête à se défendre ou à défendre la petite troupe.

À un moment, elle se redresse comme elle peut, et s'approche du banc où se trouvent les hommes, et lance tout bas :


- Tutti va bene ?
[Tout va bien ?]

Ben ouais, elle a beau adorer le silence (euphémisme), elle sait que des fois faire connaissance avec ses compagnons de route, c'est bien aussi.
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Lazare.
On ne maîtrise jamais vraiment tout dans la vie. Lazare en avait pleine conscience. Tant de choses avaient changé en si peu de temps. Certains de ces changements étaient de son fait, de sa volonté propre. D'autres l'étaient un peu moins. De l'enfance dorée à la vie d'apprenti soldat pour finalement prendre sa retraite à peine l'âge adulte atteint, où était la logique ? Fils d'une mercenaire abîmée par les combats et d'un illustre inconnu, voilà ce qu'il était. Il aurait pu se résumer ainsi. Au final, ça correspondait assez bien à la réalité : simple, implacable. Il avait suivi les traces de sa mère et, d'une certaine manière, tentait de remonter la piste de son père. Des Lisreux, il connaissait presque tout, presque. Des Corleone, il ne connaissait rien. Personne n'avait de réponse à lui offrir. Personne ne lui parlait de son père. Il n'avait pas vraiment posé de questions. Il espérait que tout se décanterait au fil du temps. Vœu pieu ou utopie, l'avenir le dirait bien assez tôt.

Pour l'heure, il s'était engagé dans ce qui ressemblait à une nouvelle vie. Il s'était installé à Limoges, avait fait en sorte de s'offrir de nouvelles opportunités, avait fait connaissance avec quelques membres de cette famille qu'il ne connaissait pas, en surface tout du moins. Il n'en connaissait pas plus que le nom. Fanette lui avait parlé de ce fils perdu, enlevé. Ca lui avait suffit pour proposer son aide. L'alcool l'y avait aidé pour tout dire. Lazare avait préparé sa charrette. Il n'avait jamais douté qu'un jour elle lui serait d'une quelconque utilité. L'investissement trouvait là sa raison d'être. Et un soir, ils prirent la route sans vraiment se connaître. Alors que tout le monde s'était installé, il avait observé la petite troupe. Il en vint au constat que son épée et sa connaissance des combats ne seraient pas de trop. Ca lui donnait une utilité. C'était toujours mieux que rien. L'utilité. C'était probablement ce après quoi il courait. Etre soldat ne pouvait être un fin en soi. Obéir, servir une cause sans rechigner, sans se questionner, ça ne lui convenait plus. Quitte à se tromper de combat, il préférait que cette erreur vienne de lui et non qu'elle lui soit imposée. Autre débat.

Un ciel étoilé par une nuit d'hiver, ça en serait presque romantique. Une femme enceinte assoupie au fond d'une charrette, une jeune femme de sa famille mais qu'il n'arrivait pas à placer dans un arbre généalogique tentaculaire et un homme qu'il connaissait encore moins, c'était tout de suite moins romantique. Ce n'en était pas une galère pour autant. Ils avaient un objectif, une quête. Quelque chose les rassemblaient au-delà de leurs différences. Beaucoup de questions pour peu de réponses et ainsi va la vie.


- Tutti va bene ?


Lazare fut tiré de ses pensées par la voix de Lili. Il tourna le visage vers elle et lui répondit dans un hochement de tête souriant. Il aurait aimé le faire en italien mais il connaissait trop peu la langue et puis, ça n'aurait été ni naturel ni crédible. Il aurait aimé, pourtant. Ca aurait amélioré son sentiment d'appartenance à cette famille qu'il connaissait trop peu. C'était peut-être ce qu'il cherchait au fond de lui : une famille. Peu importe.

- Ca va. Et toi ?

Il y a mieux pour entamer une discussion. Banalités. Lazare avait toujours un homme, si jeune soit-il, d'action plutôt que de discours. Il n'était pas taiseux mais avait en lui cette espèce de pudeur qui l'empêchait de faire des phrases trop longues. Il avait pris l'habitude de ne faire confiance à personne, ce qui l'empêchait de se livrer outre mesure. Défaut ou qualité, chacun en pensait ce qu'il voulait. Il se décala sur le coté pour faire une place à le jeune femme. Son regard se porta vers le ciel avec un voile de nostalgie ou d'autre chose, allez savoir.

- Comment vont la maman et l'enfant qu'elle porte ?

Il s'en inquiétait réellement. Ce n'était pas le meilleur endroit pour une femme enceinte. La raison aurait voulu qu'elle reste à Limoges mais Lazare comprenait ses motivations. Toutes les personnes présentes les comprenaient certainement. Ils était tous à la recherche de quelque chose, chacun à leur manière. Fanette et son fils étaient probablement un prétexte pour ne pas s'occuper de leurs propres interrogations. Lui ne connaissait pas son père. Sans connaître les autres membres du quatuor, il se doutait que chacun courait vers son propre destin avec sa propre motivation, sa propre ligne de mire. C'était ce qui les rassemblait et les différenciait. Lazare étira un faible sourire.
,
Lililith
Elle s'installe entre les deux hommes, et son regard ambré se porte sur l'horizon, là-bas, droit devant.

- Ca va. Et toi ?

Banalités, certes ; mais les deux Corleone ne se connaissent pas, et ils doivent s'apprivoiser. Elle, est méfiante comme un chat sauvage ; ce n'est pas pour rien qu'elle considère Pandou (son chat roux) comme sa moitié ! Et lui ? Elle ne sait rien de lui. Elle reconnaît des traits Corleone, qui veut vraiment voir cherche des preuves n'importe où, alors...

Elle hausse les épaules : demander à Lili si elle va bien, c'est comme coller un sparadrap sur une jambe de bois. Pourtant, elle répond :


- Sì, grazie. Elle jette un coup d'œil en arrière quand il évoque la raison de leur voyage. Elle dort pas bien. Elle est très agitée... J'essai'rai d'lui faire une tisane à la prochain'ville.
[Oui, merci.]

Bien qu'elle ne le montre pas, elle est anxieuse : elle a peur de se tromper, et l'Étoile sait que la moindre erreur peut être fatale à la mère... Ou à l'enfant qu'elle porte. Pourtant, la blondine se force à respirer profondément.

- Allora, dis-moi... T'étais où tout c'temps ?

Père Castor, raconte-moi ton histoire !
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Munchlax
Assis sur le banc à coté du second homme de ce voyage, tournant le dos à la fauvette et à son ventre. Les deux hommes ne se parlaient pas vraiment, échangeant de brefs paroles de temps à autres.

Munchlax se méfie un peu de ce nouveau Corleone. Après tout ce qui lui a été dit sur cette famille, que ce soit par Fanette, ses amis ou même sa partenaire épistolaire lors de sa convalescence à l'Abbaye de Limoges, L'amnésique était devenu méfiant vis à vis de la famille Italienne.

Cela dit, il était forcé de constater que d'avoir Lilith et Lazare à ses côtés pour ce voyage le rassurer. Il n'était pas naturellement peureux ni même lâche, mais il faut bien dire qu'une dame enceinte et un amnésique incapable de se souvenir d'une quelqu'onc parade à l'épée, ils n'auraient pas formés les plus sûrs voyageurs du royaume. Au moins les deux Corleone amenaient davantage de sécurité pour la mère et le petit à naître. Et pour cela Munchlax se réjouissait de leur présences.

Perdu dans ses rêveries en admirant les étoiles, celui-ci ne pouvait s'empêcher si elles scintillaient autant dans sa terre natale et si il retrouverait un jour le chemin qui y mène.
Sorti de ses pensées par l’arrivée de Lilith,"- Tutti va bene ? ".

Le sans-racine ne connaissait pas cette langue, ou en tout cas il ne s'en souvenait pas. Il ne sut quoi répondre et hocha simplement la tête, se déplaçant à son tour pour laisser la place à la jeune enfant de venir s'asseoir.

Il savait peu de chose sur Lilith et bien moins sur Lazare. Drapé dans son mutisme il mit simplement à les écouter, curieux de voir ce que la nuit lui apporterait comme réponse.
Fanette
Marseille, le 24 janvier 1467

Quand la rousse s'était pointée à l'auberge où Fanette, les cousins Corleone et Galaad avaient pris pension, elle l'avait accueillie d'un sourire. Elles avaient conversé à la veillée précédente, et entre quelques sourires avaient même parié dix godets de vin si l'engrossée était encore capable de toucher ses pieds d'ici trois mois. La fauvette était loin de se douter que la jeune femme était l'ancienne épouse de Gabriele et plus loin encore d'imaginer ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler.

- Celle que vous cherchez, il se pourrait qu'elle soit dans les environs de Genève. Mais on devrait pouvoir me donner d'autres informations bientôt.

Mille questions vinrent de nouveau se bousculer sous les boucles blondes. Des deux pistes qu'elle avait, le dénommé Malik et l'Italienne, elle n'avait rien su trouvé jusqu'ici, qui lui indique avec lequel des deux pouvaient être son fils.

- Elle a avec elle un jeune enfant, un garçon, Flavio, qu'elle dit avoir adopté.

Le regard de Fanette resta agrippé à celui de la rousse, ses traits figés dans la surprise. Son cœur assurément venait de manquer un battement, et si elle voulut parler, sa voix s'étrangla dans sa gorge. C'était la première fois qu'on lui faisait mention de l'enfançon. Elle s'efforça de reprendre contenance, essuyant les larmes qui perlaient à ses cils et ce nouvel espoir acheva d'ébaucher à ses lèvres un sourire. Daeneryss vint couvrir son bras d'une main bienveillante.

- Mon fils... Il s'appelle Milo Amalio, mais, oui, j'imagine qu'il doit avoir un autre nom. Pour le faire adopter, mieux valait que personne ne sache qu'il est un Corleone. Il aura neuf mois dans quatre jours.

Les mots étaient sortis, presque chuchotés, comme si c'est à elle-même que la jeune mère les adressait. Cela faisait sept mois et huit jours qu'on lui avait arraché son enfant, et tout ce temps, elle s'était appliqué à ne jamais perdre l'espoir de le revoir. Au fil des mois, elle avait pu glaner des informations cruciales sur l'identité de celui qui l'avait enlevé, et sur ses motifs. Ses recherches l'avaient conduit dans un orphelinat des miracles, puis sur la piste de quelques adoptants potentiels, dont la Valassi. Roman avait fini par baisser les bras, pour des raisons qu'elle persistait à ne pas vouloir comprendre, mais courageusement, elle poursuivait sa quête. Et jamais elle ne s'était senti si proche de son fils qu'en cet instant.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Fanette
Marseille, le 25 janvier 1467
Salle commune de l'ortie d'or.



- Je peux vous demander ?
- Quoi ?
- Mon fils, vous qui l'avez connu, à quoi ressemble-t-il ?


Fanette affichait depuis l'instant où l'Italien lui avait parlé de l'enfançon un sourire presque béat. Elle pouvait enfin l'imaginer, un peu plus grand que quand, nourrisson de sept semaines à peine, on le lui avait arraché. C'est d'elle qu'il tenait sa peau claire. Qui sait si, dans un an ou deux, ses joues et son nez ne se piqueraient pas de petites taches rousses, comme celles qui ajoutaient aux traits de sa mère une douceur juvénile ? Le duvet qui couvrait son crâne s'était épaissi, mais il était toujours châtain, et le soleil y glissait encore des reflets de cuivre. Et puis, ses yeux d'ardoise s'étaient éclaircis, jusqu'à prendre cette teinte de lichen, hésitant entre le vert clair et le gris, que la fauvette aimait tant chez son Corleone.

- Et surtout, il ne manque pas de détermination, si jeune soit-il. On le devine quand il tient ses petits poings serrés, comme dans l'éclat qui couve au fond de son regard.

La jeune mère en aurait pleuré de bonheur, de chagrin, de ces émotions mêlées et qui depuis la veille se teintaient de l'espoir de le revoir bientôt. Elle avait opiné à la description du brun, et finalement, n'avait guère été surprise par ses derniers mots.

- Oh, déterminé, et courageux aussi, il l'est, ça, je n'en doute pas. Il s'est battu pour vivre bien avant de venir au monde vous savez, et encore au jour de sa naissance.

Elle n'en finissait plus de sourire, et plus encore quand Diego l'avait assuré de son aide. Elle devait oublier Genève. L'Italienne avait été aperçu à la frontière espagnole, et il avait par là-bas quelques contacts qui sauraient peut-être lui en dire plus. Il avait affirmé aussi qu'elle était courageuse, et qu'elle ne devrait laisser quiconque lui faire croire le contraire. Et de nouveau, la fauvette était gagnée de courage et de confiance, à ces quelques paroles bienveillantes, à cet espoir offert, elle qui si souvent passait pour faible et craintive et à qui, tant de fois, on en avait fait reproche.

Quand l'homme s'en était allé, elle s'était empressée de glisser un mot sous la porte du Lisreux Corleone puis avait gratifié d'une pièce un gamin des rues pour en faire porter un autre chez la Danoise.





Lazare,
Je sais où chercher à présent. Retrouvons-nous ce soir, je t'expliquerai. Parles-en à Lili si tu la vois. Je suis si impatiente que nous puissions reprendre la route.
F.





Svan, 
Je dois te voir, c'est urgent, ce soir ou avant, quand tu veux peu importe mais pas demain.
F.

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Jd Lililith ... j'adore ...
Diego_corellio
Everyone of us is scared *
Chacun de nous a peur
Everyone of us is hurt
Chacun de nous a mal
Everyone of us has hope
Chacun de nous a l'espoir
For you
Pour toi


L'Espoir c'était elle.

J’avais croisé Fanette. Cette même Fanette dont j’avais entendu parler à plusieurs reprises par diverses personnes. Et alors que l’entrevue était passée j’en étais à me demander si son entrée dans ma vie avait été une bonne ou une mauvaise chose. Parce qu’avec sa quête, elle avait eu un impact que nul autre n’aurait pu avoir : elle avait fait remonter à la surface l’enlèvement des jumeaux que je m’évertuais depuis aout à enterrer avec constance (ou inconstance). Ils étaient morts. C’est ce que je m’étais répété assez de fois pour arriver à m’en convaincre. Et s’ils ne l’étaient pas, avec ce que leur aurait fait le Fol ils seraient trop abimés à vie pour espérer s’en remettre un jour et mener une vie normale. Alors je m’étais mis à prier pour qu’ils soient morts. Aussi cruel soit ce raisonnement, il était désormais ce que pouvait leur arriver de meilleur : mourir pour ne plus subir.
Me dire qu’ils reposaient quelque part, qu’ils en avaient fini avec la souffrance me permettait de garder la tête hors de l’eau et de continuer à faire ce à quoi et sans surprise tout être était destiné : vivre. Ils avaient été enterré en moi tellement profondément que j’arrivais à vivre et à être heureux, comme si le poids de leur disparition s’était atténué. Pourtant ça n’était qu’un mirage, qu’une douleur vive qui se rappelle par pic, qui couve jusqu’au jour ou elle explose.
Et elle avait explosé. Le jour ou Dae était venue me trouver avec cet air bien inquiet et bien étrange peint sur les traits. Ce jour ou elle avait cru qu’en minaudant et d’une paume de main appuyée sur le bras elle pourrait me tirer des informations sur Alaynna. Ce jour ou elle m’avait dit qu’elle avait volé le bébé de Fanette.

Clic-Clac.

Les choses s’étaient mises en place. Chaque pièce du puzzle était venue s’installer confortablement pour reconstituer le tableau : les mots de la lettre, le bébé, le mystère fait autour de ce dernier … Mais surtout, je revoyais le visage du bébé avec une netteté effrayante. La culpabilité était alors remontée en flèche comme un trop plein qu’on pourrait dégueuler à vie : celle d’avoir côtoyé le nourrisson pendant des semaines, presque des mois sans savoir qu’au loin, le sein et les larmes de sa mère l’attendaient. Et puis plus insidieuse … La culpabilité d’avoir fini par oublier les jumeaux à leur propre sort, avec le temps. Sans hésiter une seule seconde et mue par une force sur laquelle je n’aurai pas su mettre de provenance, j’avais offert mon aide à Dae et pire que ça, j’avais rallié la cause de la jeune mère : pour une fois que mon aide pourrait servir à quelque chose.

La chance semblait d’ailleurs lui sourire, puisque par une lettre en date du huit janvier, il m’avait été donné sa position. De là, il avait été simple d’écrire en précisant l’urgence de la situation pour connaitre d’une position plus actuelle. Elle tomberait. C’était la certitude qu’avait ranimé la cause de Fanette. Elle tomberait et la mère et l’enfant seraient réunis. Il ne pouvait en aller autrement, c’était comme ça que ça devait se passer. Probablement parce que dans cet espoir résidait aussi celui qu’un jour je reverrai mes enfants.

Clic-Clac.

Le second déclic était arrivé le jour où j’avais croisé physiquement Fanette. Si rien ne m’avait préparé à cette rencontre, elle avait pour le moins eu des conséquences inattendues. Elle m’avait frappé de plein fouet d’un vent de douceur, de courage et d’espoir. Sous l’apparente fragilité qui se dégageait de ses traits fins couvait en réalité le feu ardent d’une mère qui n’avait pas résolu d’être séparée de son petit. A la voir ainsi, on se demandait pourtant ou elle puisait la force et la vitalité nécessaire à ce combat qu’elle livrait avec des armes bien inégales. Sans doute la réponse se trouvait elle en partie dans le galbe doux de son ventre et l’autre dans son cœur de mère.

« Comment avez-vous fait pour ne jamais perdre espoir ? ».

J’avais posé la question comme si elle pouvait me livrer une recette miracle à cocoter en quelques heures seulement pour se draper du courage et de la combattivité dont elle transpirait. Pourtant elle n’avait pas eu de réponse à me donner. Probablement parce que la réponse se trouve en chacun de nous et qu’il existe autant de solutions qu’il existe de personnes : elle résidait dans la diversité. Pour autant, elle avait eu ce quelque chose, cette étincelle qui avait ravivé la flamme intérieure de l’espoir, celle-là même que je m’étais appliqué à souffler des mois plus tôt.

Elle retrouverait son fils, c’était une évidence, sinon le monde n’aurait plus de raison de fonctionner.
Il fallait qu’elle le retrouve.
Et qu’elle voit combien lui aussi avec été combattif. Qu’elle voit l’éclat que j’avais vu dans son regard de nourrisson curieux.
Elle retrouverait Milo, comme elle m’avait fait retrouver l’espoir et la force d’y croire.
Et rien ne pourrait résister devant la détermination maternelle.


* Coldplay - «For You».

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Ban : JD Calyce
Alaynna
Quelque part, dans une chambre d'auberge.

Assise en tailleur sur le lit, je relis pour la énième fois, cette missive que le Sauvage m'a envoyé, il doit maintenant y avoir une semaine. Je l'ai relu, et relu, et relu, jusqu'à en connaitre chacun des mots par coeur. J'en ai souri. Et puis certains de ces écrits, m'ont violemment rappellé mon frère. Mon jumeau. Alors j'en ai pleuré.
Tout ce qu'il a pu écrire je le comprends. Et même si j'en veux toujours à sa soeur pour l'injustice à laquelle j'ai eu droit, ce n'est rien comparé à ce que je peux éprouver envers celle qui n'a pas hésité à me faire passer pour la menteuse que je n'étais pas, et se faire passer pour une pauvre petite victime. Je n'ai rien dit. J'ai même laissé Diego, celui qui était sensé être mon meilleur ami, le parrain de ma propre fille, le meilleur pote du père de ma fille, me mettre plus bas que terre sans broncher. Mais tout ce qu'il a dit est resté bloqué quelque part en travers de ma gorge, et rien, jamais, n'effacera les mots qu'il a pu avoir. Tout ça parce qu'il prenait la défense de la soit disant outragée. Qui parce que j'avais dit à Mike que nous étions allées faire une virée à Paris et à l'Aphrodite, m'avait accusé de l'avoir fait exprès pour foutre en l'air sa relation avec Diego. Franchement, qu'est ce que j'en ai à foutre ! Même si j'ai toujours pensé, en accord avec Niallan pour en avoir plusieurs fois discuté ensemble, que l'Italien était bien mieux avec Eliance. Mais c'est fini. Jamais plus Mahrya ne me fera passer pour une menteuse quand elle même est incapable d'assumer ses propres mots et s'empresse de jouer l'outragée et la victime, quand ses propres mots, répétés aux consonnes et voyelles identiques à ce qu'elle m'avait balancé, je les ai dit au Sauvage, qui venait d'arriver. Cet homme là avait le don de se trouver sur mon chemin toujours au bon moment. Le jour où Diego m'a fustigée, je l'ai vu passer la porte et être là, près de moi. Je crois que c'est à cet instant précis, que j'ai compris ce qu'était un ami. Un vrai. En Alessandro, je retrouvais beaucoup de la sagesse de mon défunt Serbe, Loras. Mais aussi, il avait cette perspicacité qui animait Gabriel quand il était encore le presque frère. Il avait aussi le côté protecteur de mon jumeau. Nous nous sommes entendus instantanément. Et même depuis mon départ, nous continuons de nous écrire et nous donner des nouvelles. Il a été le premier à savoir pour Flavio, à qui j'ai raconté l'histoire de ce nourrisson dérobé à ce type louche et qui est devenu mon fils. Avant que je n'en parle à Marzina. Dernièrement, je lui ai confié combien je me sentais bien avec le groupe qui m'avait adoptée. Une princesse bretonne, un rital (ouai, encore un), et une angevine avec qui j'avais sympathisé bien avant qu'elle nous rejoigne. Et même si l'épisode avec Malik m'avait perturbée, je me sentais en paix. Auprès de personnes vraies et non pas hypocrites. J'avais bien fait l'effort d'enterrer la hâche de guerre envers Mahrya lorsque je m'étais retrouvée devenue belle-mère de Percy. Mais ce n'est pas pour elle que je l'avais fait. Je l'avais fait pour Percy et pour Niallan. Malgré tous mes efforts, même si j'avais réussi à pardonner, je n'oubliais pas qu'elle n'avait pas hésité, me sachant pourtant enceinte et avec Niallan, à tenter de le détourner de nous en l'emmenant avec elle quelques jours. En revenant, Niallan m'avait tout raconté dans les moindres détails, et j'avais pardonné au père de ma fille. Plus tard, j'avais accordé mon pardon à Mahrya, mais je ne pouvais pas m'empêcher de rester sur ma réserve, la concernant, et quand elle m'avait reproché de ne pas me confier à elle, j'avais haussé les épaules. Parce que no, que ce soit elle ou une autre, jamais je ne me confierai à celles qui, en toute connaissance de cause, se seront immiscées dans le couple que nous formions alors avec Niallan. Neijin fut la seule exception, mais les circonstances étaient totalement différentes.
Aujourd'hui, je vivais enfin en paix avec mes enfants, au sein d'un groupe que j'appréciais. Et la missive du Sauvage m'avait tiré des larmes, me ramenant de plein fouet au souvenir de mon frère. Alors, ce n'était certainement pas moi, qui allait le blâmer d'être reparti auprès de sa soeur, et encore moins les juger l'un et l'autre. D'une parce que c'est leur histoire, et de deux, parce que ma relation avec mon jumeau n'à rien à leur envier. A la différence que j'ai fui mon jumeau, sachant ce qu'il attendait de moi. Et qu'il préfère vivre loin de moi que près de moi, aujourd'hui qu'il sait que, malgré tout l'amour que je lui porte, je ne lui accorderai jamais ce qu'il souhaite. Mais le manque fraternel est toujours là, rivé à la peau, et j'ai fait le choix de ne jamais en parler. Rares sont les personnes à qui je cause de mon frère. Et pourtant, l'amour que je lui porte reste inconditionnel. Alors si. Je comprends ce que peut ressentir Alessandro. Je le comprends parfaitement.
Je n'ai pas encore répondu au Sauvage. Je vais le faire sous peu, mais dans l'immédiat, il a soulevé un autre point important dans sa missive. Je lui ai fait part de mes ressentis au sujet de Flavio, de ce sentiment étrange d'être traquée depuis quelques temps et il m'a répondu sur le sujet. Et ce qu'il m'a dit n'était pas fait pour me rassurer. Il devient maintenant essentiel, pour la survie d'Anna et la mienne, que toutes les deux, nous ayons une conversation entre filles. Entre mère et fille. Aussi petite soit elle encore. Et là encore, les écrits d'Aless ont trouvé écho dans quelques paroles que Malik avait eu concernant l'affection particulière que porte Anna à Flavio. Et si à ce moment là, les mots ont fait écho sans que je n'y accorde vraiment cas, j'en viens aujourd'hui à me poser la question. Et je dois savoir. Pour le bien d'Anna, je dois savoir si le Barbare avait raisonné juste et si je dois m'inquiéter ou bien s'il n'en est rien.

Alors, tout en gardant Flavio endormi tout contre moi, j'ai tapoté la place près de moi sur le lit et j'y ait fait grimper Anna, nous enveloppant tous les trois au creux de la courtepointe, comme si celle-ci pouvait faire rempart entre nous et le monde extérieur. Ma fille est venu se glisser à califourchon sur l'un de mes genoux et s'est blottie contre mon épaule libre, glissant sa petite main dans le creux de mon cou.


" - Tesoro mio, il faut que l'on parle toutes les deux. On va parler de Flavio... Et on va parler de Papà."

Il est temps que je sache si ce que supputait Malik s'est produit ou pas. Ma fille joue t'elle sincèrement son rôle de grande soeur protectrice auprès de Flavio ou bien y'a t'il autre chose qui a déclenché ce comportement. Il est temps que j'en ai le coeur net, pour mieux appréhender la suite de ce qu'il adviendra dans les semaines à venir. Et le regard désespéré que vient de me lancer la petite à l'évocation de son père, ne me dit rien qui vaille. Allez ma grande, il est temps de prendre ton courage à deux mains et de parler à ta fille. Raconte lui l'histoire de Flavio, dis lui ce que tu as fait, et évalues les dégâts causés par un paternel absent. Vois ce qui peut encore être sauvé ou pas de tout ce carnage.
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Fanette
Narbonne, le 5 février 1467

La ville s'étalait entre la mer, et le roc de Fontfroide, dont l'abbaye veillait sur la route qui menait à l'Espagne. Le temps était gris et le soleil blafard. Pour autant, le vent sec et froid qui venait de se lever n'annonçait pas la pluie. Les chevaux bouchonnés de paille sèche, mâchouillaient un carré de foin, à l'abri d'une écurie louée pour la journée. Le groupe, arrivé aux laudes, avait posé ses bagages à la municipale avant de s'éparpiller dans les ruelles. Fanette pouvait compter sur l'aide de ses compagnons de route pour ratisser les environs, questionner les passants, et chercher quelques témoignages qui saurait lui indiquer une direction à suivre. La veille, ils avaient évoqué la possibilité de passer le col pour redescendre vers la Catalogne, mais en cette saison, la route serait sans aucun doute difficilement accessible. Au-delà de la peine qu'éprouveraient les chevaux à tirer l'attelage dans la neige, il serait difficile d'éviter les ornières dissimulées sous le manteau poudré.
Comment pouvait-elle savoir si Alaynna avait ou non passé la frontière quelques jours plus tôt, ou si elle était remontée au Nord. Diego conseillait dans le doute, d'explorer soigneusement les environs, et il restait encore quelques hameaux que Robin devait être en train de visiter. Quoi qu'il en fut, peu après sexte, la fauvette avait regagné l'auberge bredouille et abattue. Elle s'était efforcée de ne point trop inquiéter Daeneryss mais son teint, plus pâle qu'à l'habitude trahissait certainement ce qu'elle cherchait à taire.

Elle avait loué une chambre, et avait fait l'impasse sur un repas chaud pour s'y reposer. L'âtre occupait un coin de la petite pièce. Le tenancier avait pris soin d'étaler au sol la peau d'une génisse, qui protégeait des remontées d'air froid s'insinuant entre les lattes d'un plancher mal jointé. Le sac de toile, contenant quelques vêtements était posé près de l'entrée, à côté
Alaynna
Genève, 9 janvier 1467.

Les jours passaient. Les semaines s'envolaient. Et je n'avais toujours pas encaissé le choc causé par la disparition du Barbare. Je vivais avec, mais je l'avais mauvaise. Vraiment mauvaise. Et s'il y avait bien une chose sur laquelle j'avais pris une décision radicale, c'est que jamais plus, je n'accorderai ma confiance à un homme quel qu'il soit. JA-MAIS. De toute manière, le seul qui la méritait vraiment, était un homme mort. Et lui, je pouvais toujours lui parler dans le silence de mon coeur, ou lui adresser un regard, de l'autre côté du chemin. Mais c'était fini. Bel et bien fini. Plus jamais je ne me laisserai aller à baisser ma garde.
Les bouteilles de badiane s'en défilaient jour après jour. Mais depuis peu, je commençais doucement à reprendre pied dans cette réalité qui était la mienne. Mon homme de main nous avait rejoint avec les enfants, mais les moments passés avec eux se faisait toujours dans la plus grande discrétion.
Je rejoignais un peu plus souvent mes compagnons de route, le soir. Comme je le faisais avant. Tout du moins, alors que depuis que Malik avait disparu je passais mon temps enfermée dans une chambre ou à l'écart dans des feux de camp, les semaines qui venaient de s'écouler, j'avais échangé quelques brèves missives avec Delio, et discuté un petit peu avec Yseult, plus longuement avec Marzina. Petit à petit, je retrouvais mes marques. Doucement, j'émergeais de ce cocon protecteur dans lequel je m'étais réfugiée depuis la disparition Barbare.
Anna et Flavio semblaient ravis d'être de nouveau près de moi, et je veillais sur eux comme une louve sauvage. Prenant soin de m'assurer qu'ils soient en sécurité, toujours.

Les jours passaient, et rien de ce que je redoutais ne s'était produit. Et je n'avais donc toujours pas trouvé l'envie ni le courage de causer à Anna au sujet de son petit frère. Persuadée que tout irait bien. Tout allait bien se passer. Il le fallait. Pour notre bien à toutes les deux.
A l'heure actuelle, j'étais toujours persuadée que les recherches entamées par le Barbare, s'il l'avait vraiment fait, ne donneraient rien.
La surprise du jour, me vint simplement d'une courte missive qui émanait de celui qui m'avait baptisée et qui fut mon professeur à la faculté de Médecine. D'une, parce que j'étais à mille lieux de m'imaginer recevoir nouvelles de la part de L'Aconit. De deux, parce qu'il m'offrait l'occasion de reprendre ce que je n'avais pas terminé. Et que j'étais du genre à toujours terminer ce que j'entreprends. Tout du moins, quand je ne me défile pas. De mémoire, sur les cinq cursus entrepris, il m'en restait trois à faire. La chirurgie, les poisons et l'embaumeur.
Le fait de penser au dernier cursus et ce que cela évoquait en moi, me donna alors l'énergie suffisante et la volonté de continuer.

Je griffonnais quelques mots en réponse à ceux reçus, avant de rejoindre Anna et Flavio pour les emmener profiter de mes montagnes natales.

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Fanette
Il y a des moments où l'on éprouve un désir terrible de revoir les êtres que l'on a perdus ;
on voudrait se trouver dans un lieu tout à fait solitaire pour pouvoir les appeler à grands cris.
(MS. Newton, Lettres et pensées)



Au soir du 11 janvier 1467
Limousin



Installée dos à la route, calée à quelques sacs, Fanette s'efforçait de distinguer encore le clocher de Saint-Etienne, son phare. La cathédrale surplombait le quartier de l'Abbessaille, où elle avait choisi un an plus tôt, une vieille bâtisse un peu décrépie, pour en faire l'écrin d'un bonheur trop fugace. Elle plissait sensiblement les paupières, accrochant son regard à la flèche qui élevait orgueilleusement ses sept étages vers les cieux noirs, mais la distance peu à peu rendait à la nuit les contours sombres de la vieille dame de pierre. Et bientôt, tout Limoges disparut, avalé par ces mêmes ténèbres qui enveloppaient le convoi, et que le dernier croissant, voilé de nuages, ne parvenait à éclaircir.

Ils s'éloignaient des terres arables pour traverser les bois de Saint-Just, jusqu'au confluent de la Vienne et du Taurion, puis bifurqueraient sensiblement vers le Nord, avant de retrouver la route qui franchissait la frontière Est du Limousin, pour les mener vers les bocages du Bourbonnais. L'histoire de l'enfançon Corleone, arraché à son berceau depuis bientôt sept mois, pour une sombre vengeance, était connue dans tout le comté et il n'y avait aucune chance que ceux que Fanette cherchait puisse faire étape dans un village limousin sans que ce soit rapporté au comte d'Aixe. Ils avaient donc pris le parti de ne pas s'attarder en enquêtes inutiles pour adopter un rythme soutenu et s'acquitter de la quarantaine de lieues qui les séparaient de Montpensier, où les véritables recherches reprendraient.

Sa main vint se glisser sur le flanc du basset, allongé de tout son long à côté d'elle. L'animal émit un ronflement de satisfaction, bienheureux d'être autorisé à ne pas user ses courtes pattes. Au-devant, le chien de Lili furetait avec Huan dans les broussailles, gardant un œil sur l'attelage, le rattrapant de joyeux galops en se chicanant, quand ils le laissaient prendre trop d'avance. La jument, attachée à la ridelle, fermait le cortège. Assis sur le siège, Lazare menait sa bête, un grand hongre alezan, à la foulée ample et énergique. Le jeune homme, tout comme Lili, s'était proposé, fier de ce sang Corleone, qui justifiait à lui seul et comme une évidence, son aide pour retrouver Milo. Et la fauvette, qui s'était si souvent sentie impuissante, leur en était reconnaissante. Elle l'était tout autant à Galaad, qui avait mis sa vie et ses projets entre parenthèses pour se joindre à cette nouvelle quête, sans que rien ne l'y contraigne. L'oublieux s'était assis sur le banc, à côté du meneur, et son regard clair surveillaient les ombres qui pourraient se glisser entre les troncs décharnés par l'hiver. A leurs pieds les épées dormaient aux fourreaux.

L'étoile s'était installée à l'arrière, et ses yeux d'ambre semblaient se perdre rêveusement à la nuit. Les cahots du chemin secouaient le dos et les hanches déjà endoloris de Fanette. Elle se recroquevilla autour de son ventre, imprimant une petite moue qui trahissait son inconfort, en se souvenant des paroles du médecin qui l'avait ausculté quelques jours plus tôt. Faust lui recommandait de prendre davantage de repos, de veiller à avoir une alimentation suffisante et correcte et d'éviter à tout prix les chocs et les coups. Un léger soupir franchit la barrière de ses lèvres. L'homme, au lendemain de son départ, lui avait fait parvenir un pli qu'elle conservait dans son écritoire de voyage, contenant de précieuses informations sur la Valassi. Il relancerait ses recherches vers un quartier de Paris, s'ils revenaient bredouille de leur voyage, mais pour l'heure, le Montfort précisait que la femme n'y était pas. Alors en attendant, Fanette s'en tenait à ses projets, faire le tour des gros bourgs du Sud-Est où elle n'était encore jamais allée, et voir si quelqu'un y connaissait l'Italienne, ou le dénommé Malik. Elle avait bien conscience que ça revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais elle ne pouvait se résoudre à attendre sans rien faire à Limoges.

Transie de froid, elle rabattit le capuchon de sa cape de gros bureau sur ses boucles et resserra son col sur sa gorge. Le froid mordait ses doigts bleuis. Elle glissa une main au talisman que lui avait remis le médecin et qu'elle dissimulait dans un pli de sa cotte, quand l'autre vint couver la rondeur du ventre, en un geste protecteur qu'elle avait rarement eu depuis qu'elle était grosse. Sous sa paume, le rubis offrait à celui qui dormait avec la promesse d'éloigner les charmognes. Elle ignorait si son pouvoir opérerait sur elle et l'enfant qui s'agitait douloureusement au creux de ses entrailles. Ses pensées s'égarèrent au nourrisson qui grandissait loin d'elle depuis trop longtemps, et doucement, les paupières vinrent éteindre son regard préoccupé, l'abandonnant à un sommeil agité du manque qu'elle avait d'un fils et d'un époux.
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Jd Lililith ... j'adore ...
Lililith
Lili veille.

De toutes façons, cela fait longtemps qu'elle ne dort plus qu'une poignée d'heures par nuit ; alors, autant mettre les moments où elle est éveillée à profit.

Elle observe Fanette dormir et l'entend gémir. Inquiète, elle se redresse un peu pour constater que la fauvette n'est pas consciente du monde réel. L'Étoile grimace, et réfléchit : elle a peur de faire une erreur... Mais non, sa mémoire ne la trompe pas.

Elle jette un œil aux canidés qui vont et viennent, puis son regard ambré rejoint les étoiles qui luisent, là-haut. La blondine esquisse un sourire ; elle a beau ne pas avoir son chat avec elle, elle songe que ça va aller. Que le pire a déjà eu lieu, et que tout ne peut que s'arranger : elle est ainsi, la Luciole, elle essaie de rester positive.

Il faut dire, avec tout ce qu'elle a vécu, elle est bien obligée ! Serrer les dents, et avancer, coûte que coûte. C'est un des principes qu'Enjoy lui avait appris : marche ou crève. Lili l'a soigneusement préservé, et y songe chaque fois qu'elle s'apprête à flancher.
Pourtant, parfois, elle craque, mais loin des remontrances qu'elle pense recevoir à chaque fois, les gens de son entourage se montrent compréhensifs ; et cela l'étonne...

Elle se penche vers l'engrossée, et passe une main froide sur son front, puis remonte la couverture qui a un peu glissé. Elle-même resserre la cape de laine bouillie offerte par Nizam et Arsène un an plus tôt, et songe qu'elle doit leur écrire. Mais par où commencer ? Que doit-elle mettre dans un pli pour des gens qu'elle aime, mais qu'elle n'a plus vu depuis longtemps ? Elle a peur de tomber dans des banalités, et ne le veut surtout pas. Peut-être qu'il faudrait, pourtant...

Ne sachant trop que faire, elle tire de son fourreau la lame ottomane piquée à Nizam, puis rendue, puis récupérée par après, et y perd ses yeux, comme si l'arme pouvait lui apporter une quelconque réponse. Elle l'a affûtée lors des préparatifs du voyage, parce qu'après tout, elle n'a rien grand-chose, et qu'il faut qu'elle soit prête à se défendre ou à défendre la petite troupe.

À un moment, elle se redresse comme elle peut, et s'approche du banc où se trouvent les hommes, et lance tout bas :


- Tutti va bene ?
[Tout va bien ?]

Ben ouais, elle a beau adorer le silence (euphémisme), elle sait que des fois faire connaissance avec ses compagnons de route, c'est bien aussi.
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Lazare.
On ne maîtrise jamais vraiment tout dans la vie. Lazare en avait pleine conscience. Tant de choses avaient changé en si peu de temps. Certains de ces changements étaient de son fait, de sa volonté propre. D'autres l'étaient un peu moins. De l'enfance dorée à la vie d'apprenti soldat pour finalement prendre sa retraite à peine l'âge adulte atteint, où était la logique ? Fils d'une mercenaire abîmée par les combats et d'un illustre inconnu, voilà ce qu'il était. Il aurait pu se résumer ainsi. Au final, ça correspondait assez bien à la réalité : simple, implacable. Il avait suivi les traces de sa mère et, d'une certaine manière, tentait de remonter la piste de son père. Des Lisreux, il connaissait presque tout, presque. Des Corleone, il ne connaissait rien. Personne n'avait de réponse à lui offrir. Personne ne lui parlait de son père. Il n'avait pas vraiment posé de questions. Il espérait que tout se décanterait au fil du temps. Vœu pieu ou utopie, l'avenir le dirait bien assez tôt.

Pour l'heure, il s'était engagé dans ce qui ressemblait à une nouvelle vie. Il s'était installé à Limoges, avait fait en sorte de s'offrir de nouvelles opportunités, avait fait connaissance avec quelques membres de cette famille qu'il ne connaissait pas, en surface tout du moins. Il n'en connaissait pas plus que le nom. Fanette lui avait parlé de ce fils perdu, enlevé. Ca lui avait suffit pour proposer son aide. L'alcool l'y avait aidé pour tout dire. Lazare avait préparé sa charrette. Il n'avait jamais douté qu'un jour elle lui serait d'une quelconque utilité. L'investissement trouvait là sa raison d'être. Et un soir, ils prirent la route sans vraiment se connaître. Alors que tout le monde s'était installé, il avait observé la petite troupe. Il en vint au constat que son épée et sa connaissance des combats ne seraient pas de trop. Ca lui donnait une utilité. C'était toujours mieux que rien. L'utilité. C'était probablement ce après quoi il courait. Etre soldat ne pouvait être un fin en soi. Obéir, servir une cause sans rechigner, sans se questionner, ça ne lui convenait plus. Quitte à se tromper de combat, il préférait que cette erreur vienne de lui et non qu'elle lui soit imposée. Autre débat.

Un ciel étoilé par une nuit d'hiver, ça en serait presque romantique. Une femme enceinte assoupie au fond d'une charrette, une jeune femme de sa famille mais qu'il n'arrivait pas à placer dans un arbre généalogique tentaculaire et un homme qu'il connaissait encore moins, c'était tout de suite moins romantique. Ce n'en était pas une galère pour autant. Ils avaient un objectif, une quête. Quelque chose les rassemblaient au-delà de leurs différences. Beaucoup de questions pour peu de réponses et ainsi va la vie.


- Tutti va bene ?


Lazare fut tiré de ses pensées par la voix de Lili. Il tourna le visage vers elle et lui répondit dans un hochement de tête souriant. Il aurait aimé le faire en italien mais il connaissait trop peu la langue et puis, ça n'aurait été ni naturel ni crédible. Il aurait aimé, pourtant. Ca aurait amélioré son sentiment d'appartenance à cette famille qu'il connaissait trop peu. C'était peut-être ce qu'il cherchait au fond de lui : une famille. Peu importe.

- Ca va. Et toi ?

Il y a mieux pour entamer une discussion. Banalités. Lazare avait toujours un homme, si jeune soit-il, d'action plutôt que de discours. Il n'était pas taiseux mais avait en lui cette espèce de pudeur qui l'empêchait de faire des phrases trop longues. Il avait pris l'habitude de ne faire confiance à personne, ce qui l'empêchait de se livrer outre mesure. Défaut ou qualité, chacun en pensait ce qu'il voulait. Il se décala sur le coté pour faire une place à le jeune femme. Son regard se porta vers le ciel avec un voile de nostalgie ou d'autre chose, allez savoir.

- Comment vont la maman et l'enfant qu'elle porte ?

Il s'en inquiétait réellement. Ce n'était pas le meilleur endroit pour une femme enceinte. La raison aurait voulu qu'elle reste à Limoges mais Lazare comprenait ses motivations. Toutes les personnes présentes les comprenaient certainement. Ils était tous à la recherche de quelque chose, chacun à leur manière. Fanette et son fils étaient probablement un prétexte pour ne pas s'occuper de leurs propres interrogations. Lui ne connaissait pas son père. Sans connaître les autres membres du quatuor, il se doutait que chacun courait vers son propre destin avec sa propre motivation, sa propre ligne de mire. C'était ce qui les rassemblait et les différenciait. Lazare étira un faible sourire.
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