Vivia
Cela faisait à peine quelques jours que la Corleone avait retrouvé son cabinet. Pourtant, alors que tout semble figé et en ordre, que rien d'apparence ne semble avoir changé, il était évident que tout était différent. Si l'herboriste tait volontairement les maux qui causèrent ces changements irréversibles, les marques présentent sur son corps apportaient à ce silence, une vérité en tout point éloquente. Ainsi, malgré ses lippes closes, une voix s'élève entre les tempes de la Corleone alors qu'une mèche blanche est dégagée de son visage.
- - Tu l'as convoqué n'est- ce pas ?
- Oui.
- Les potions sont prêtes ?
- Presque.
- Et toi, l'es-tu ?
- Plus que jamais.
Depuis qu'elle avait repris ses activités, la Corleone eut vent de quelques actions licencieuses et autres maux qui loin de l'avantager, étaient à même de lui porter préjudice. Son absence à l'ombre des geôles permis ainsi à certains concurrents d'étaler leurs activités au risque de grignoter sa propre part du marché. Et si l'herboriste avait pour habitude de gérer ses conflits par quelques paroles sensées, arrangements et accords licencieux, il était d'avis que ce temps-ci était révolu. Les paroles laissaient désormais place à des actes et si la Corleone n'était pas une combattante, elle avait ici lieu de quoi asservir le plus imposant des hommes.
Une bouteille de carmin est saisie, le bouchon ôté, puis c'est avec assurance et un regard tout autre, qu'elle y déverse plusieurs gouttes de ce concentré de belladone et d'hysope. Plante des sorcières pour les uns, puissant somnifère et anesthésiant pour d'autres, la Belladone avait cette faculté de susciter bien des interrogations et des controverses. Quant à l'hysope, seul son effet neurotoxique était à même d'intéresser l'herboriste. Avec précaution, les éléments sont mélangés, le bouchon est replacé et Vivia prépare deux verres qu'elle pose, comme à son habitude sur la table du salon. Bernard n'avait ainsi aucune raison de s'inquiéter. Les mots employés pour le convoquer étaient les mêmes qu'à laccoutumé, tout comme cette préparation et l'accueil qu'elle allait lui réserver. Vivia était ainsi connue pour sa discrétion, ses négociations et cette faculté presque déroutante de muer son intérêt personnel et son égoïsme en compassion et autres actes charitables. Ainsi, loin d'avoir des ennemis, la Corleone usait d'arrangements, d'accords tacites avec ceux qui étaient à même de lui faire de l'ombre et/ou de lui nuire. Jamais Vivia n'aurait cru qu'un jour, elle agirait de la sorte, ni que ces mots et négociations habituelles allaient s'éteindre au profit d'autres maux. Pourtant, il était évident que quelque chose d'autre se tramait en son sein et que cet esprit autrefois modéré et prudent souffrait d'un Mal héréditaire aussi corrosif que la Mort elle-même.
Désormais, il n'y avait plus de place pour les mots, les paroles délicates et sensées. Une partie de Vivia était morte dans ses geôles et le vide qui s'était creusé entre ses tempes s'était empli d'une personnalité héréditaire, une entité schizophrène, intransigeante et ponctuellement, sociopathe.
Deux coups. Silence. Un coup puis trois. Le code était toujours le même et l'annonce du Bernard ne faisait aucun doute. Lentement la porte est ouverte et l'intéressé est invité à pénétrer dans son antre. Il était alors temps de jouer ce rôle, prévisible et néanmoins rassurant pour mettre Bernard à son aise et lui faire entendre que malgré ses traits marqués, ses mèches blanches éparses et ses formes plus amaigries, l'interlocutrice était sensiblement la même.
Comme à son habitude, elle discute de quelques banalités, esquisse quelques sourires en coin et l'invite à sasseoir à sa table pour lui servir un verre de carmin. Comme à son habitude, elle ne sert que son invité et s'octroie une infusion apaisante qu'elle déguste du bout des lèvres. Comme à son habitude, Bernard lui explique comment se portent les affaires alors que le carmin s'écoule dans sa gorge et comme à son habitude, la Corleone fait mine d'être intéressée par ces échanges.
Pourtant, au bout d'une bonne demie-heure quelque chose change...Les traits de Bernard se font plus interrogateurs et méfiants. Il sent que quelque chose se trame et que son élocution est irrégulière et difficile. La dose qu'elle avait versé dans le carmin était-telle que les sens et les réflexes du Bernard allaient aller de mal en pis.
Bernard...Rassure toi. La dose que j'ai mélangé au carmin n'est pas mortelle. Elle va juste te ralentir, voir te diminuer un peu. S'approchant alors de ce dernier, la Corleone se glisse dans son dos alors qu'elle l'invite à rester ainsi, le séant posé sur sa chaise..Docile et obéissant. J'ai ouïe dire que tu avais développé ton affaire. En revanche, tu as été trop gourmand et tu t'es permis de marcher sur MES plates bandes. Une main s'abandonne sur la joue du Bernard, qu'elle claque par provocation alors que le ton de sa voix se fait menaçant et étrange. Vois-tu, j'ai obtenu quelques informations sur toi, ta petite femme et ton unique fils. Ne crois-tu pas qu'il serait dommage qu'il arrive malheur à ces derniers ? Alors écoute moi-bien. Premièrement, tu vas m'avaler cette petite fiole que j'ai concocté pour toi. Je te promets qu'elle ne te tuera pas, elle ne fera qu'offrir la pire gaule de ta vie. Ensuite, tu m'accompagneras très sagement jusqu'au domicile d'un ami. Si tu t'avises de lever, ne serait-ce qu'un petit doigt sur moi...Je dépèce ton fils devant toi et invite quelques hommes de la Cour à remplir ta femme de foutre jusqu'à ce qu'elle soit contrainte de vomir le trop plein. Suis-je claire ?
- - Excellent. Allez..dis lui ce que tu lui réserves pour t'avoir dupée !
- Non. La surprise n'en sera que plus réjouissante.
- Tu as prévenu Engue...
- Oui. Je lui ai dis que je passerai lui rendre visite histoire que l'on fête mon retour à la Cour.
- Notre retour tu veux dire.
- Oui..."Notre" retour.
La fiole est tendue alors que sa main libre se glisse contre la gorge de Bernard, pour y dessiner quelques arabesques. Dépêche toi. Je n'ai pas que ça à faire...Nous sommes attendus. Aussitôt sous la contrainte qui s'abat sur lui et sa famille, la fiole est avalée, non sans abandonner une grimace de haine et de dégoût à celle qui ose lui imposer un dessein et une humiliation qu'il ne veut subir. Ainsi, le temps passant, le prisonnier devient un légume avec une trique de cheval...Il est donc temps d'amener ce présent à Mont..
Sans attendre, la Corleone conduit ce légume à trois pattes vers son nouveau propriétaire. Qu'il était bon de se faire bourreau, de retrouver cette assurance et ce pouvoir. Pourtant, elle le sait, ce n'est qu'un début...
Trois coups.
Mont, c'est Vivia...Tu m'ouvres. J'ai un cadeau..pour toi...
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